Date : 19990616
Dossier : IMM-3316-98
ENTRE :
JAN HOY CASSELLS,
demandeur,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
défendeur.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE SHARLOW
[1] Le demandeur soutient qu'il a été illégalement privé du droit de présenter une revendication du statut de réfugié.
[2] Le demandeur est entré au Canada en 1992 muni d'un visa de visiteur. Il y est demeuré après l'expiration de son visa. Il a fait l'objet d'une mesure d'expulsion le 19 mai 1995. La validité de la mesure d'expulsion n'est pas en cause.
[3] Peu après la prise de la mesure d'expulsion, le demandeur a été témoin d'un acte criminel qui l'a amené à être placé dans un programme de protection des témoins. Trois personnes seraient soupçonnées d'avoir commis ce crime, et elles sont toutes des compatriotes du demandeur. Un seul suspect a été traduit en justice.
[4] Le demandeur croyait que les deux autres étaient peut-être retournés dans leur pays d'origine. Dans ce contexte, il a tenté de revendiquer le statut de réfugié en 1995. Il a été incapable de le faire à cause du paragraphe 44(1) de la Loi sur l'immigration, qui dispose :
Toute personne se trouvant au Canada peut revendiquer le statut de réfugié au sens de la Convention en avisant en ce sens un agent d'immigration, à condition de ne pas être frappée d'une mesure de renvoi qui n'a pas été exécutée, à moins que la mesure n'ait été annulée en appel. |
[5] Plusieurs dispositions ont été prises en 1996, 1997 et 1998 en vue de l'exécution de la mesure d'expulsion, mais il y a eu un sursis dans chaque cas parce que la présence du demandeur au Canada était requise dans le cadre de poursuites en justice.
[6] D'abord, il y a eu le procès criminel contre la seule personne qui a été traduite en justice. Ce procès a pris fin en 1997. Ensuite, il y a eu une citation à comparaître devant un tribunal de la famille en octobre 1997. Le juge Gibson a conclu que la citation à comparaître donnait ouverture au sursis d'exécution d'origine législative prévu à l'alinéa 50(1)a). L'affaire devant le tribunal de la famille aurait été suspendue.
[7] La dernière date fixée pour le renvoi du demandeur était le 27 avril 1998. Ce matin-là, le demandeur a faxé à l'agent de renvoi une copie d'une citation à comparaître qu'il avait reçue et qui lui enjoignait de comparaître le 30 juin 1998 dans une instance devant la Cour de l'Ontario (Division provinciale). Il semble s'agir de la reprise de l'affaire en matière familiale qui avait été suspendue. On ne sait pas très bien si cette citation a été signifiée au demandeur.
[8] Soit que l'agent de renvoi ne savait pas que la citation à comparaître donnait ouverture à un sursis d'origine législative à l'exécution de la mesure d'expulsion, soit qu'il s'en souciait peu. Quoi qu'il en soit, le demandeur a été arrêté et renvoyé par la force dans son pays d'origine. Là-bas, il a demandé la protection de la police locale parce qu'il craignait encore les deux autres suspects. La police locale a été incapable de le protéger.
[9] Le 29 avril 1998, des membres de la famille du demandeur ont déposé auprès de la Cour de l'Ontario (Division générale) une demande visant à obtenir une ordonnance prescrivant le retour du demandeur. En réaction à cette demande, l'avocat du ministre aurait prétendu que la citation à comparaître était un trompe-l'oeil.
[10] L'ordonnance a été prononcée par le juge Brockenshire le 8 juin 1998. Le passage suivant de ses motifs explique clairement le fondement de sa décision :
[traduction] Je ne doute pas que la Cour fédérale est la mieux placée pour trancher les affaires en matière d'immigration. Toutefois, le cas qui nous occupe n'est pas, selon moi, une affaire en matière d'immigration. Il s'agit de protéger le pouvoir des tribunaux, de tous les tribunaux, contre une usurpation par des fonctionnaires bien intentionnés. |
En l'espèce, l'alinéa 50(1)a) interdit clairement, ainsi qu'on l'a constaté dans l'affaire même qui nous occupe, le renvoi d'une personne visée par une citation à comparaître comme témoin. Les fonctionnaires du Ministère ont décidé de procéder à leur propre détermination de la validité et de l'opportunité d'une deuxième citation à comparaître comme témoin. À mon avis, ce n'était absolument pas à eux de faire cela. Il est tout à fait essentiel de préserver l'intégrité du processus judiciaire; si ce processus doit être contesté, ce sera devant les tribunaux, pas dans le bureau d'un fonctionnaire. |
[11] Le juge Brockenshire a ordonné le renvoi du demandeur au Canada aux frais du ministre. Le ministre a été condamné aux dépens sur une base procureur-client.
[12] À son retour au Canada, le demandeur a de nouveau essayé de revendiquer le statut de réfugié. Le paragraphe 44(1) l'a une fois de plus empêché de se prévaloir du processus de reconnaissance du statut de réfugié.
[13] Le demandeur soutient que le paragraphe 44(1) ne s'applique plus à lui parce qu'il n'est plus frappé d'une mesure d'expulsion qui n'a pas été exécutée. Il affirme que son renvoi en avril 1998 était l'exécution de la mesure d'expulsion prise en 1995, même si cette exécution était illégale.
[14] Il s'agit donc de savoir si le renvoi illégal d'une personne du Canada est l'" exécution " d'une mesure d'expulsion. Je suis d'avis de répondre par la négative à cette question.
[15] Le mot " exécution " a plusieurs sens, mais dans le contexte de l'exécution d'une mesure, il signifie l'accomplissement de ce que prévoit la mesure. Un acte qui est incompatible avec la mesure ou les dispositions législatives sur lesquelles la mesure repose ne saurait être qualifié d'exécution de la mesure. Plus précisément, une mesure d'expulsion frappant une personne ne peut être valablement exécutée par le renvoi de cette personne malgré un sursis d'origine législative, quel que soit le motif du renvoi.
[16] Les deux avocats ont étayé leur interprétation du terme " exécution " par des renvois à divers éléments du système de la Loi sur l'immigration . Je n'ai pas l'intention de commenter leurs arguments par le menu. Il suffit de faire remarquer que le législateur n'a pas expressément examiné la possibilité que des fonctionnaires du Ministère puissent contrevenir à la Loi sur l'immigration, comme ce fut le cas en l'espèce. Toutefois, cela ne sert pas l'argument du demandeur. Je ne vois pas comment on peut préserver l'intégrité de la Loi sur l'immigration en donnant effet à un acte illégal comme s'il était légal.
[17] Par ailleurs, le moyen que le demandeur tire de la Charte me paraît sans fondement. La constitutionnalité du paragraphe 44(1) n'est pas en jeu. Décider de refuser au demandeur l'accès au processus de revendication du statut de réfugié sur la base d'une interprétation correcte du paragraphe 44(1) ne porte atteinte à aucun droit garanti par la Charte.
[18] J'attendrai de recevoir des observations sur les dépens et une question certifiée avant de rendre une ordonnance dans la présente espèce. Des délais ont été fixés à l'audience. Ils expirent tous le 5 juillet 1999.
" Karen R. Sharlow "
Juge
TORONTO (ONTARIO)
Le 16 juin 1999
Traduction certifiée conforme
Marie Descombes, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Noms des avocats et avocats inscrits au dossier
NUMÉRO DU GREFFE : IMM-3316-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : JAN HOY CASSELLS |
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
LIEU DE L'AUDIENCE : LE MERCREDI 16 JUIN 1999 |
DATE DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO) |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE SHARLOW
EN DATE DU : MERCREDI 16 JUIN 1999 |
COMPARUTIONS : M. Osborne G. Barnwell
Pour le demandeur
M me Urszula Kazmarczyk
Pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER : Ferguson, Barnwell
Avocats |
515 Consumers Road, bureau 310 |
North York (Ont.) |
M2J 4Z2 |
Pour le demandeur |
Morris Rosenberg |
Sous-procureur général du Canada |
Pour le défendeur |