Date : 20041001
Dossier : T-2291-03
Référence : 2004 CF 1359
OTTAWA (ONTARIO), LE 1er OCTOBRE 2004
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS
AFFAIRE INTÉRESSANT une action intentée en vertu du paragraphe 17(1) et de l'alinéa 17(2)d) de la Loi sur les Cours fédérales à la suite du succès du recours en révision exercé contre le Commissaire aux langues officielles en vertu de l'article 41 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P-21
ET une action intentée en vertu du paragraphe 17(1) et de l'alinéa 17(2)d) de la Loi sur les Cours fédérales au motif que le Commissaire aux langues officielles a contrevenu au paragraphe 12(1) de la Loi sur la protection des renseignements personnels, contrevenant ainsi également à l'alinéa 3a) et à l'article 10 de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.C. 1990, ch. 8, art. 21
ET une action intentée en vertu du paragraphe 17(1) et de l'alinéa 17(2)d) de la Loi sur les Cours fédérales au motif que le Commissaire aux langues officielles a fait preuve de partialité et de manque d'indépendance dans la façon dont il a traité les plaintes linguistiques dans le dossier T-1977-94 et dans celle dont il a traité les plaintes relatives aux renseignements personnels dans le dossier T-909-97
ET une action intentée en vertu du paragraphe 17(1) et de l'alinéa 17(2)d) de la Loi sur les Cours fédérales et du paragraphe 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés au motif que le Commissaire aux langues officielles et Sa Majesté la Reine ont contrevenu à l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés
ET une action intentée en vertu du paragraphe 17(1) et de l'alinéa 17(2)d) de la Loi sur les Cours fédérales au motif que le paragraphe 75(1) de la Loi sur les langues officielles contrevient à l'article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'il est de ce fait inopérant et inconstitutionnel
ET la RÉOUVERTURE DES DÉBATS dans le dossier T-1977-94 parce que le premier procès était entaché de fraude et de malhonnêteté de la part de Sa Majesté la Reine et que les nouveaux éléments de preuve obtenus dans le dossier CSC 28188 jettent un doute sur le résultat initial obtenu dans le dossier T-1977-94, le tout en vertu des paragraphes 17(1) et 18.4(2), de l'alinéa 17(2)d) et de l'article 48 de la Loi sur les Cours fédérales
ENTRE :
ROBERT LAVIGNE
demandeur
et
COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES
défendeur
et
SA MAJESTÉ LA REINE
défenderesse
et
DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
(ANCIENNEMENT SANTÉ ET BIEN-ÊTRE CANADA)
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
GENÈSE DE L'INSTANCE
[1] La Cour est saisie d'un appel interjeté par M. Robert Lavigne (le demandeur) en vue de faire annuler une décision en date du 28 mai 2004 par laquelle le protonotaire Richard Morneau a radié l'action du demandeur sans possibilité de modification. Le protonotaire Morneau a fondé sa décision sur l'alinéa 221(1)f) des Règles de la Cour fédérale (1998) pour ce qui est de Sa Majesté et de Développement des ressources humaines (le Ministère) et sur les alinéas 221(1)a), c) et f) des Règles en ce qui concerne le Commissaire aux langues officielles (le Commissaire ou le codéfendeur).
[2] Du 27 août 1992 au 31 mars 1993, M. Lavigne a travaillé au ministère du Développement des ressources humaines (qui s'appelait alors le ministère de la Santé et Bien-être social). À la fin de ce terme, il a fait l'objet d'un examen de rendement en vue d'être réembauché. Il n'a toutefois pas obtenu la note de passage et n'a donc pas été inscrit sur une liste d'admissibilité. Pendant sa période d'emploi, le demandeur a saisi le Commissaire de quatre plaintes dans lesquelles il soutenait qu'on lui avait refusé de la formation ainsi que la possibilité de travailler en anglais. Le Commissaire a jugé que les plaintes du demandeur étaient fondées et il a recommandé que l'évaluation défavorable de son rendement soit révisée. Mme Lavoie a révisé les résultats de l'examen du rendement de M. Lavigne mais a conclu qu'il n'obtenait toujours pas la note de passage.
[3] Peu de temps après l'enquête du Commissaire, le demandeur a demandé l'accès aux renseignements personnels le concernant qui se trouvaient dans les dossiers du Commissaire. Le Commissaire a refusé de lui communiquer certains de ces renseignements en invoquant l'alinéa 22(1)b) de la Loi sur la protection des renseignements personnels. Fort des conclusions tirées par le Commissaire au sujet de son emploi au Ministère, M. Lavigne a alors introduit une instance devant la Cour fédérale (dossier T-1977-94) en vertu du paragraphe 77(4) de la Loi sur les langues officielles, sans formuler d'autres demandes dans la présente affaire en vue d'obtenir les renseignements personnels le concernant se trouvant dans les dossiers du Commissaire.
[4] Dans le dossier T-1977-94, reprenant à son compte les conclusions du Commissaire, la Cour fédérale a estimé que le Ministère avait effectivement contrevenu à la Loi sur les langues officielles (ce que le Ministère admettait), de sorte que la seule question qu'il restait à résoudre était celle de la réparation appropriée. M. Lavigne réclamait notamment une indemnité de 119 317,80 $ et sa réintégration dans son poste. La Cour lui a accordé 3 000 $ et a enjoint au Ministère d'adresser une lettre d'excuses à M. Lavigne (qui n'a pas été réintégré dans ses fonctions). M. Lavigne a interjeté appel de cette décision devant la Cour d'appel fédérale, qui a confirmé les conclusions de la Cour fédérale. La Cour suprême du Canada a refusé d'accorder l'autorisation de former un pourvoi contre cette dernière décision.
[5] En août 1994, M. Lavigne a porté plainte devant le Commissaire à la vie privée (dossier T-909-97) relativement au refus du Commissaire aux langues officielles de lui communiquer ses renseignements personnels. Le Commissaire à la vie privée a confirmé les conclusions du Commissaire aux langues officielles, mais en réponse à la demande de contrôle judiciaire dont elle était saisie, la Cour fédérale a donné gain de cause au demandeur. En 2002, l'affaire a finalement été portée devant la Cour suprême du Canada, qui a confirmé les conclusions de la Cour fédérale et a ordonné la communication des renseignements personnels du demandeur se trouvant dans le dossier du Commissaire aux langues officielles ([2002] 2 R.C.S. 773).
[6] Comme il a réussi à obtenir les renseignements personnels se trouvant dans son dossier du Commissaire (pour l'essentiel des notes d'entrevue de M. Chartrand et de Mmes Doyon et Dubé), M. Lavigne souhaite maintenant plaider à nouveau sa demande dans le dossier T-1977-94. Il a cherché en vain à amener la Cour suprême du Canada à reconsidérer son refus d'autoriser un pourvoi dans le dossier T-1977-94 et il a par conséquent décidé de repartir à zéro avec la présente affaire.
QUESTIONS EN LITIGE
[7] À mon avis, la demande de contrôle judiciaire dont je suis saisi soulève deux principales questions litigieuses (ainsi que plusieurs questions accessoires) :
1. Quelle est la norme de contrôle applicable dans le cas de l'appel d'une décision discrétionnaire d'un protonotaire?
2. Est-ce à bon droit que la demande a été radiée en raison du principe de l'autorité de la chose jugée? Dans l'affirmative, l'exception relative aux « nouveaux éléments de preuve » permet-elle de plaider à nouveau l'affaire?
ANALYSE
Norme de contrôle
[8] La norme de contrôle qui s'applique à l'appel de la décision d'un protonotaire est celle qui a été énoncée dans l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425 (C.A.) (le juge MacGuigan, aux pages 462 et 463), et qui a été reprise dans l'arrêt Z.I. Pompey Industrie c. ECU-LINE N.V., [2003] 1 R.C.S. 450, (2003), 30 C.P.C. (5th) 1, 224 D.L.R. (4th) 577, 2003 CSC 27. Ce critère est le suivant :
[18] Le juge des requêtes ne doit modifier l'ordonnance discrétionnaire d'un protonotaire que dans les cas suivants : a) l'ordonnance est entachée d'une erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire sur le fondement d'un mauvais principe ou d'une mauvaise appréciation des faits, ou b) le protonotaire a mal exercé son pouvoir discrétionnaire relativement à une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond.
[9] Dans ces conditions, la Cour n'a pas à reprendre l'affaire depuis le début, à moins de conclure que le protonotaire Morneau a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en radiant l'acte introductif d'instance, ce qui constitue une question ayant une influence déterminante sur la décision finale quant au fond.
L'autorité de la chose jugée et l'exception relative aux nouveaux éléments de preuve
[10] Le principe d'intérêt public de l'autorité de la chose jugée est essentiel au bon fonctionnement de la justice. Il repose sur l'idée que :
[18] Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évités (Danyluk v. Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 R.C.S. 460, 2001 CSC 44).
[11] À première vue, il semble que le principe de l'autorité de la chose jugée s'applique en l'espèce. En comparant la présente instance à l'affaire T-1977-94, on constate que les réparations sollicitées présentent des ressemblances frappantes :
Réparations sollicitées dans le dossier T-2291-03 |
Réparations sollicitées dans le dossier T-1977-94 |
Réouverture des débats dans le dossier T-1977-94 (1a), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
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Condamner le Commissaire à des dommages-intérêts dans le dossier T-909-97(1b), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
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Ordonner à Sa Majesté la Reine d'engager le demandeur (1c), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
Ordonner la réintégration dans la fonction publique fédérale (1e) déclaration dans le dossier T-1977-94) |
Ordonner à Sa Majesté la Reine de donner une formation à M. Lavigne s'il est réengagé (1d), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
Ordonner la réintégration dans la fonction publique fédérale (1e), déclaration dans le dossier T-1977-94) |
Ordonner d'accorder un temps d' « adaptation » s'il est réengagé (1e), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
Ordonner la réintégration dans la fonction publique fédérale (1(e), déclaration dans le dossier T-1977-94) |
Ordonner le paiement du salaire perdu (1f), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
Ordonner le paiement du salaire perdu (1c), déclaration dans le dossier T-1977-94) |
Ordonner que le paiement du salaire perdu comprenne certains montants supplémentaires (1g), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
Ordonner le paiement du salaire perdu (1c), déclaration dans le dossier T-1977-94) |
Condamner à 100 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires (1h), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
Condamner à 50 000 $ à titre de dommages-intérêts exemplaires (1b), déclaration dans le dossier T-1977-94) |
Condamner à 100 000 $ pour perte de jouissance de la vie (1i), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
Condamner à 25 000 $ pour perte de jouissance de la vie (1d), déclaration dans le dossier T-1977-94) |
Condamner à des intérêts (1j), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
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Ordonner que le demandeur ait accès à ses dossiers personnels pour les consulter (1k), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
Ordonner l'accès à ses dossiers personnels (1a), déclaration dans le dossier T-1977-94) |
Condamner Sa Majesté la Reine aux dépens dans le dossier A-913-96 & 26774 (1(l), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
Condamner Sa Majesté la Reine à tous les dépens (1h), déclaration dans le dossier T-1977-94) |
Condamner les défendeurs aux dépens de la présente action (1m), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
Condamner Sa Majesté la Reine à tous les dépens (1h), déclaration dans le dossier T-1977-94) |
Toute autre réparation que la Cour jugera bon d'accorder (1n), déclaration dans le dossier T-2291-03) |
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[12] Il ressort à l'évidence de ce tableau que M. Lavigne ne sollicite aucune nouvelle réparation substantielle. C'est sans doute pour cette raison que l'appelant cherche à obtenir l'admission de nouveaux éléments de preuve en tant qu'exception au principe de l'autorité de la chose jugée. M. Lavigne reconnaît lui-même ce fait : [TRADUCTION] « La réouverture des débats dans le dossier T-1977-94 se justifie par les nouveaux éléments de preuve qui ont été obtenus (passages soulignés par M. Lavigne) » (paragraphe 3 de la déclaration modifiée du 19 janvier 2004 de l'appelant).
[13] Il importe toutefois de noter que ce principe par ailleurs rigide souffre certaines exceptions :
Il peut en effet y avoir des cas où la remise en cause pourra servir l'intégrité du système judiciaire plutôt que lui porter préjudice, par exemple : (1) lorsque la première instance est entachée de fraude ou de malhonnêteté, (2) lorsque de nouveaux éléments de preuve, qui n'avaient pu être présentés auparavant, jettent de façon probante un doute sur le résultat initial, (3) lorsque l'équité exige que le résultat initial n'ait pas force obligatoire dans le nouveau contexte. Toronto (Ville) c. S.C.F.P., section locale 79, [2003] 3 R.C.S. 77.
[14] Selon l'appelant, le critère applicable pour décider s'il y a lieu ou non d'admettre de nouveaux éléments de preuve est énoncé dans l'arrêt R. c. Taillefer; R c. Duguay, [2003] 3 R.C.S. 307. En revanche, les intimés soutiennent que le bon critère est celui qui a été défini dans l'arrêt Wavel Ventures Corp. c. Constantine, (1996) A.J. No. 1093, Cour d'appel de l'Alberta, autorisation de pourvoi à la Cour suprême du Canada refusée. Le critère à appliquer en l'espèce devrait être celui qui est retenu en matière civile et non en matière criminelle :
[TRADUCTION] Il ne suffit pas d'avoir obtenu de nouveaux éléments de preuve pour pouvoir se soustraire aux conséquences du principe de l'autorité de la chose jugée. Dans l'arrêt Grandview (Ville) c. Doering, [1976] 2 R.C.S. 621, à la page 636, le juge Ritchie adopte le passage suivant de l'arrêt rendu par la Cour d'appel de la Nouvelle-Écosse dans l'affaire Fenerty c. Halifax, (1919) 53 N.S.R. 457, à la page 463 :
[TRADUCTION] Il est clairement établi que le demandeur doit faire toute sa preuve dans la première action puisqu'il ne lui sera pas permis, en cas d'échec, d'intenter une deuxième action fondée sur une preuve additionnelle. Pour intenter une deuxième action, il doit être en mesure d'affirmer : « Je vais vous démontrer que ce fait modifie entièrement l'aspect du litige, et je vais également vous démontrer que je ne le connaissais pas et qu'il m'était impossible, malgré l'exercice d'une diligence raisonnable, de connaître l'existence de ce fait plus tôt » .
[15] Le critère applicable est par conséquent celui qui est énoncé dans l'arrêt Wavel Ventures, précité, où le tribunal explique que deux conditions préalables doivent être réunies pour qu'on puisse admettre de nouveaux éléments de preuve :
1. Les nouveaux éléments de preuve ne pouvaient être découverts plus tôt, même en faisant preuve de diligence raisonnable;
2. Les éléments de preuve doivent être de nature à changer la nature du résultat obtenu.
[16] Faisant abstraction du premier volet du critère et passant directement au second volet, je rappelle que les éléments de preuve doivent être de nature à changer la nature du résultat du premier procès. Comme le Ministère a reconnu sa faute dans le dossier T-1977-94, la seule question qu'il reste à la Cour à trancher est celle du montant des dommages-intérêts. En conséquence, les « nouveaux éléments de preuve » que présente maintenant l'appelant doivent être de nature à changer le montant des dommages-intérêts.
[17] Ces « nouveaux éléments de preuve » consistent surtout en des notes d'entrevues des superviseurs de M. Lavigne et en des lettres échangées entre l'appelant, ses superviseurs et le Commissaire aux langues officielles. Toutefois, comme le juge Pinard l'a signalé dans le dossier T-1977-94 et que le protonotaire Morneau l'a réaffirmé :
Tel qu'indiqué précédemment, le juge Pinard en octobre 1996 a refusé entre autres au demandeur le droit d'être réintégré à la fonction publique en raison de l'absence de lien causal entre le non respect par le Ministère de la Loi sur les langues officielles et le fait que le demandeur n'ait pas été réembauché par le Ministère après le 31 mars 1993. L'absence de lien causal a amené la Cour à refuser au demandeur d'autres remèdes tels une compensation pour perte de salaire et autres avantages ainsi que pour des dommages-intérêts pour angoisse physique et mentale [voir le paragraphe 44 des motifs de l'ordonnance du protonotaire Morneau en date du 28 mai 2004].
[18] Ainsi, pour que les « nouveaux éléments de preuve » aient une incidence sur le résultat du premier procès, il faut établir un lien de causalité entre le fait que le demandeur n'a pas été réembauché et la violation de la Loi sur les langues officielles par son bureau. Il n'y a toutefois rien dans les nouveaux éléments de preuve qui ont été présentés qui ait une incidence directe sur l'évaluation défavorable de son rendement dont il a fait l'objet ou sur la réévaluation ordonnée par le Commissaire. Pour ces motifs, les nouveaux éléments de preuve ne modifieraient pas les conclusions tirées lors du premier procès et il n'est pas nécessaire de déterminer si l'on a fait preuve de diligence raisonnable pour obtenir les nouveaux éléments de preuve. Le protonotaire n'a donc pas mal exercé son pouvoir discrétionnaire en radiant la requête introductive d'instance en raison de l'absence de nouveaux éléments de preuve.
Modifications à la déclaration
[19] Le paragraphe 221(1) des Règles confère in fine au protonotaire le pouvoir discrétionnaire de rendre jugement en conséquence, compte tenu des éléments de preuve portés à sa connaissance. De plus, pour les motifs exposés dans son jugement, le protonotaire a refusé à bon droit la modification conformément au critère posé dans le jugement Larden :
Dans les cas où il est possible qu'une demande soit accueillie si l'acte de procédure est modifié, l'autorisation de le modifier doit être accordée. La Cour ne peut refuser l'autorisation de le modifier que dans les cas où il n'existe pas l'ombre d'une cause d'action. Larden v. Canada, (1998) 145 F.T.R. 140.
Paragraphe 75(1) de la Loi sur les langues officielles
[20] L'appelant n'a pas soumis de nouveaux éléments de preuve pour démontrer pourquoi le paragraphe 75(1) de la Loi sur les langues officielles serait contraire à l'une ou l'autre des dispositions de la Charte. Le protonotaire Morneau a souligné ce qui suit :
[56] Par ailleurs, on doit considérer que les allégations du demandeur à sa déclaration portant sur toute négligence, incompétence, fraude ou partialité demeurent des allégations générales dénuées de tout fait matériel justificatif. Compte tenu de la règle 181a) [des Règles de la Cour fédérale (1998)] et du paragraphe 75(1) de la Loi sur les langues officielles, le demandeur se devait de soutenir bien davantage sa déclaration d'action [...] Il en va de même pour l'allégation du demandeur quant à l'application de l'article 7 de la Charte en autant que l'on puisse même concevoir qu'un tel article pourrait recevoir application en l'espèce. (Motifs de l'ordonnance du protonotaire Morneau en date du 28 mai 2004.)
[21] Dans les observations qu'il a formulées dans le cadre de l'appel interjeté de la décision du Commissaire, M. Lavigne fait valoir ce qui suit :
[TRADUCTION]
37. Les allégations du demandeur se trouvent au paragraphe 121, qui est ainsi libellé :
121. Le demandeur déposera en temps utile ses conclusions écrites sur la constitutionnalité de l'article 75 de la Loi sur les langues officielles conformément à l'article 57 de la Loi sur la Cour fédérale.
39. [...] En tout état de cause, il n'est pas obligé de divulguer les moyens de droit qu'il entend invoquer au procès.
[22] Si M. Lavigne refuse de divulguer les moyens qu'il entend invoquer à l'appui de ses observations, je ne peux reprocher au protonotaire d'avoir rejeté cette partie de la demande.
Article 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels
[23] Le protonotaire Morneau a correctement jugé le moyen tiré de l'article 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels qui a été invoqué dans les deux affaires, à savoir le dossier T-1977-94 et le dossier T-909-97. Pour ce qui est du dossier T-1977-94, voici ce que dit le protonotaire au paragraphe 52 de son jugement :
[52] Quant aux allégations du demandeur portant sur la partialité et l'incompétence du Commissaire, elles visent les actions des préposés du Commissaire pendant le déroulement du dossier T-1977-94 et ces allégations visent donc forcément à rouvrir le dossier T-1977-94. Tel que vu précédemment, les notes d'entrevues, soit la nouvelle preuve, ne permettent pas de rouvrir le dossier T-1977-94 contre la Reine et le Ministère. Je ne considère pas davantage que cette nouvelle preuve alliée aux allégations très générales du demandeur à l'égard des actions du Commissaire soit de nature suffisante pour permettre que soit rouvert le débat dans le dossier T-1977-94.
[24] M. Lavigne affirme que l'article 12 devrait aussi s'appliquer au dossier T-909-97 et il ajoute que le protonotaire Morneau n'a pas bien abordé la question. J'estime bien fondée la conclusion du protonotaire Morneau suivant laquelle le moyen tiré de l'article 12 contre le Commissaire aurait dû être invoqué plus tôt et qu'il est maintenant chose jugée.
[53] Quant à l'aspect de l'action du demandeur contre le Commissaire et portant sur la contravention par ce dernier de l'article 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels, cet aspect se devait d'être soulevé par le demandeur dans le cadre de son recours contre le Commissaire dans le dossier T-909-97. Le principe de la chose jugée s'applique ici à la situation discutée. Tel que mentionné dans l'arrêt Ross v. Canada, [2003] A.C.F. no 1168, paragraphe 15 :
La clé c'est que le principe de la chose jugée s'applique, sauf dans des circonstances spéciales, non seulement à ce que la cour est tenue de trancher lors de la première instance, mais aussi à tous les points et à toutes les questions qui se rapportent à cette première instance et qui, si les parties avaient fait preuve de diligence, auraient été soulevés dans le cadre de celle-ci.
[25] Le protonotaire n'a donc pas mal exercé son pouvoir discrétionnaire en rejetant les prétentions visant le Commissaire en raison du principe de l'autorité de la chose jugée pour ce qui est de l'article 12 de la Loi sur la protection des renseignements personnels.
CONCLUSION
[26] Il n'y a aucun doute que l'article 50 des Règles donne au protonotaire le pouvoir de radier un acte introductif d'instance en vertu de l'article 221 des Règles (Creighton c. Franko, (1998) 155 F.T.R. 303 (C.F. 1re inst.). Ainsi, si le protonotaire n'a pas mal exercé son pouvoir discrétionnaire en radiant la déclaration de l'appelant, notre Cour n'a aucune raison de modifier sa décision.
[27] Dans sa réponse verbale, le demandeur a avancé que lorsqu'elle a refusé de consentir à la divulgation de ses notes par le Commissaire, Mme Dubé a essentiellement commis une fraude, ce qui en soi justifie la réouverture des débats.
[28] Je ne suis pas d'accord avec cette affirmation, car la fraude, la malhonnêteté et le complot sont de graves accusations. Par ailleurs, cet argument est mal fondé. En fait, l'arrêt de la Cour suprême du Canada est limpide et il n'y est question nulle part d'inconduite de la part de Mme Dubé. Le juge Gonthier a tenu les propos suivants au paragraphe 61 (Lavigne c. Canada (Commissaire aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773, à la page 25) :
L'autorisation de divulguer les notes d'entrevue dans ce cas-ci ne veut pas dire pour autant que les renseignements personnels soient toujours accessibles. La confidentialité et le caractère secret des enquêtes seront encore possibles, mais le droit à la confidentialité et au secret est nuancé par les limites imposées par la Loi sur la protection des renseignements personnels et la Loi sur les langues officielles. Le commissaire exerce son pouvoir discrétionnaire en fonction de chaque cas spécifique. Dans le cas de Mme Dubé, l'ensemble du dossier ne permet pas raisonnablement de conclure que la divulgation de ses notes d'entrevue risquerait vraisemblablement de nuire aux enquêtes du commissaire.
Plus loin, au paragraphe 65, le juge Gonthier explique :
Le législateur a assujetti le Commissariat aux langues officielles à l'application de la Loi sur la protection des renseignements personnels et ce n'est que lorsque l'institution fédérale peut justifier l'exercice de sa discrétion de refuser la divulgation qu'elle peut le faire. Dans le cas qui nous concerne, l'appelant n'a pas réussi à démontrer qu'il est raisonnable de maintenir la confidentialité. Pour ces motifs, je suis d'avis de rejeter le pourvoi principal.
[29] Le protonotaire a bien analysé les faits allégués en tenant compte des règles de droit applicables et il n'y a rien dans les motifs de son ordonnance qui permette de penser qu'il a mal exercé son pouvoir discrétionnaire en radiant la déclaration en ce qui concerne Sa Majesté la Reine, le ministère du Développement des ressources humaines et le Commissariat aux langues officielles. Bien que le protonotaire ait signalé que, sur de nombreux points, la déclaration ne renfermait que des allégations générales non étayées au sujet de la faute imputée aux intimés, le protonotaire a estimé que, même si les actes de procédure étaient modifiés, la demande n'aurait pas d'incidence sur la décision déjà rendue.
[30] La Cour estime que l'ordonnance du protonotaire est bien fondée compte tenu des motifs qu'il a articulés.
O R D O N N A N C E
LA COUR ORDONNE :
L'appel interjeté de la décision rendue le 28 mai 2003 par le protonotaire est rejeté et les dépens sont adjugés seulement à la Reine, étant donné que le Commissaire n'a pas réclamé de dépens contre le demandeur.
_ Pierre Blais _
Juge
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes, LL.B.
ANNEXE A
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES
Articles 75 et 77 de la Loi sur les langues officielles Sections 75 and 77 of the Official Languages Act
75. Immunité (1) Le commissaire -- ou toute personne qui agit en son nom ou sous son autorité -- bénéficie de l'immunité civile ou pénale pour les actes accomplis, les rapports ou comptes rendus établis et les paroles prononcées de bonne foi dans l'exercice effectif ou censé tel de ses attributions. (2) Ne peuvent donner lieu à poursuite pour diffamation verbale ou écrite ni les paroles prononcées, les renseignements fournis ou les documents ou autres pièces produits de bonne foi au cours d'une enquête menée par le commissaire ou en son nom, ni les rapports ou comptes rendus établis de bonne foi par celui-ci dans le cadre de la présente loi. Sont également protégées les relations qui sont faites de bonne foi par la presse écrite ou audio-visuelle. |
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75. Protection of Commissioner (1) No criminal or civil proceedings lie against the Commissioner, or against any person acting on behalf or under the direction of the Commissioner, for anything done, reported or said in good faith in the course of the exercise or performance or purported exercise or performance of any power, duty or function of the Commissioner under this Act. (2) For the purposes of any law relating to libel or slander, (a) anything said, any information supplied or any document or thing produced in good faith in the course of an investigation by or on behalf of the Commissioner under this Act is privileged; and (b) any report made in good faith by the Commissioner under this Act and any fair and accurate account of the report made in good faith in a newspaper or any other periodical publication or in a broadcast is privileged. |
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77. Recours (1) Quiconque a saisi le commissaire d'une plainte visant une obligation ou un droit prévus aux articles 4 à 7 et 10 à 13 ou aux parties IV ou V, ou fondée sur l'article 91 peut former un recours devant le tribunal sous le régime de la présente partie. (4) Le tribunal peut, s'il estime qu'une institution fédérale ne s'est pas conformée à la présente loi, accorder la réparation qu'il estime convenable et juste eu égard aux circonstances. |
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77. Application for remedy (1) Any person who has made a complaint to the Commissioner in respect of a right or duty under sections 4 to 7, sections 10 to 13 or Part IV or V, or in respect of section 91, may apply to the Court for a remedy under this Part. (4) Where, in proceedings under subsection (1), the Court concludes that a federal institution has failed to comply with this Act, the Court may grant such remedy as it considers appropriate and just in the circumstances. |
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Articles 12 et 22 de la Loi sur la protection des Sections 12 and 22 of the Privacy Act
renseignements personnels
12. Droit d'accès (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, tout citoyen canadien et tout résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés ont le droit de se faire communiquer sur demande : |
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12. Right of access (1) Subject to this Act, every individual who is a Canadian citizen or a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act has a right to and shall, on request, be given access to |
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a) les renseignements personnels le concernant et versés dans un fichier de renseignements personnels; b) les autres renseignements personnels le concernant et relevant d'une institution fédérale, dans la mesure où il peut fournir sur leur localisation des indications suffisamment précises pour que l'institution fédérale puisse les retrouver sans problèmes sérieux. |
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(a) any personal information about the individual contained in a personal information bank; and |
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(b) any other personal information about the individual under the control of a government institution with respect to which the individual is able to provide sufficiently specific information on the location of the information as to render it reasonably retrievable by the government institution. |
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22. Enquêtes (1) Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication des renseignements personnels demandés en vertu du paragraphe 12(1) : ... b) soit dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire aux activités destinées à faire respecter les lois fédérales ou provinciales ou au déroulement d'enquêtes licites, notamment : (i) des renseignements relatifs à l'existence ou à la nature d'une enquête déterminée, (ii) des renseignements qui permettraient de remonter à une source de renseignements confidentielle, (iii) des renseignements obtenus ou préparés au cours d'une enquête; ... |
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22. Law enforcement and investigation (1) The head of a government institution may refuse to disclose any personal information requested under subsection 12(1) . . .
(b) the disclosure of which could reasonably be expected to be injurious to the enforcement of any law of Canada or a province or the conduct of lawful investigations, including, without restricting the generality of the foregoing, any such information (i) relating to the existence or nature of a particular investigation, (ii) that would reveal the identity of a confidential source of information, or (iii) that was obtained or prepared in the course of an investigation; or . . . |
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Articles 57 et 221 des Règles de la Cour fédérale (1998) Rules 57 and 221 of the Federal Court Rules, 1998
Non-annulation de l'acte introductif d'instance 57. La Cour n'annule pas un acte introductif d'instance au seul motif que l'instance aurait dû être introduite par un autre acte introductif d'instance. |
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Wrong originating document 57. An originating document shall not be set aside only on the ground that a different originating document should have been used. |
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Radiation d'actes de procédure 221. (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d'un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas : |
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Striking out pleadings 221. (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it |
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a) qu'il ne révèle aucune cause d'action ou de défense valable; ... |
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(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be, . . . |
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c) qu'il est scandaleux, frivole ou vexatoire; ... |
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c) is scandalous, frivolous or vexatious, ... |
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f) qu'il constitue autrement un abus de procédure.
Elle peut aussi ordonner que l'action soit rejetée ou qu'un jugement soit enregistré en conséquence. |
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(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,
and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly. |
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Cour fédérale
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2291-03
INTITULÉ : ROBERT LAVIGNE demandeur
et
COMMISSARIAT
AUX LANGUES OFFICIELLES défendeur
et
SA MAJESTÉ LA REINE défenderesse
et
DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES
(ANCIENNEMENT SANTÉ ET BIEN-ÊTRE CANADA) défendeur
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : le 27 septembre 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE :MONSIEUR LE JUGE BLAIS
DATE DES MOTIFS : le 1er octobre 2004
COMPARUTIONS :
Robert Lavigne POUR LE DEMANDEUR
Guy Lamb POUR LA DÉFENDERESSE
LA REINE
Amélie Lavictoire POUR LE DÉFENDEUR
Élyse Hurtibuse Loranger COMMISSARIAT AUX LANGUES OFFICIELLES
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Robert Lavigne POUR LE DEMANDEUR
Montréal (Québec)
Morris Rosenberg POUR LA DÉFENDERESSE
Sous-procureur général du Canada LA REINE
Montréal (Québec)
Commissaire aux langues officielles POUR LE DÉFENDEUR
Ottawa (Ontario)