Date : 20011019
Dossier : T-1250-01
Référence neutre : 2001 CFPI 1137
ENTRE :
LA BANDE INDIENNE DE SHUBENACADIE,
en son propre nom et au nom de ses membres
demanderesse
- et -
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
représentant le ministre des Pêches et des Océans (Canada),
L'UNION OF NOVA SCOTIA INDIANS, personne morale et
LA CONFEDERACY OF MAINLAND MI'KMAQ, personne morale
défendeurs
[1] Les demandeurs dans le dossier T-1250-01 ont présenté une requête à titre de requête incidente à l'encontre de la requête présentée par la Couronne qui demandait à la Cour à la fois de convertir la demande de contrôle judiciaire en une action et de fusionner cette action à celle engagée sous le numéro du greffe T-1525-00. La Cour a fait droit à la requête de la Couronne lors d'une audience tenue à Halifax le 19 septembre 2001, mais vu que la requête incidente n'avait pas été signifiée par les demandeurs à toutes les parties à la première action avec laquelle la présente action a été fusionnée, j'ai ajourné l'audience et ordonné que l'affaire se déroule selon la règle 369. Étant donné que les parties n'ont pas déposé d'autres observations et que le temps qui leur était imparti pour le faire est maintenant écoulé, je peux maintenant statuer sur la requête incidente.
[2] La requête incidente demande à la Cour d'ordonner, selon les articles 107 et 220 des Règles de la Cour fédérale (1998) ou l'un de ceux-ci que, si la demande de contrôle judiciaire est convertie en une action, la question et le point de droit suivants soient tranchés séparément et sommairement à partir d'une preuve par affidavits et préalablement à l'instruction de l'action, c'est-à-dire :
[TRADUCTION] Dans les circonstances de la procédure engagée dans le dossier T-1250-01, le ministre des Pêches et des Océans du Canada (le ministre) était-il ou est-il dépourvu des pouvoirs légaux qui lui permettraient de prendre des mesures contre la bande et ses membres s'ils pêchent sans un permis délivré par lui, parce que la Loi sur les pêches et son règlement d'application ne donnaient pas et ne donnent pas au ministre des critères ou des normes lui permettant de décider de l'opportunité de délivrer des permis et, le cas échéant, de fixer les conditions rattachées à ces permis de pêche de subsistance prévus par les traités mi'kmaq de 1760-1761, notamment le traité mi'kmaq de Shubenacadie du 10 mars 1760? [sic]
[3] Je suis d'avis de rejeter la requête incidente, premièrement parce que, étant donné que les faits qui sont au coeur du litige sont contestés, il n'y a pas de question de droit pure à trancher; statuer sur la question nécessiterait qu'une décision quant aux faits soit rendue, et cela ne peut avoir lieu qu'à l'issue d'un procès que je prévois long et ardu.
[4] Les demandeurs semblent croire dans la présente affaire qu'ils sont entièrement favorisés par les arrêts prononcés par la Cour suprême du Canada dans les affaires R. c. Marshall, (D.J.) (No 1), [1999] 3 R.C.S. 456, et R. c. Marshall, (D.J.) (No 2), [1999] 3 R.C.S. 533. Ils ont tort. L'arrêt Marshall ne concerne pas du tout la bande indienne demanderesse ou ses membres. La question en litige dans l'affaire Marshall était plus pointue, et la portée de la décision de la Cour suprême plus restreinte (voir sur ce point Marshall No 2, paragraphes 17, 20 et 22. En particulier, les questions soulevées dans l'arrêt Marshall se rapportaient en bonne part à la pêche à l'anguille, et non à la pêche au homard, et l'exercice du droit issu de traités constaté était restreint à un secteur particulier (qui n'était pas la baie Ste-Marie) utilisé traditionnellement par la collectivité locale avec laquelle le traité « similaire » avait été conclu. Que les membres de la bande indienne de Shubenacadie puissent être des bénéficiaires des traités de 1760-1761 (hypothèse qui n'est pas admise, mais au contraire très contestée, que les demandeurs auront beaucoup de mal à valider) n'implique d'aucune façon qu'ils ont de fait un droit issu de traités de pêcher le homard dans la baie Ste-Marie, ce qui est essentiel à leurs prétentions en l'espèce. En outre, étant donné qu'il est évident que la question sur laquelle on veut que la Cour se prononce de façon distincte n'est pas purement une question de droit, mais une question mixte de fait et de droit, faire prendre une nouvelle direction à la présente procédure mènera au redoublement des étapes de la procédure et des coûts parce que, vraisemblablement, il y aura deux séries d'étapes préparatoires à l'instruction (interrogatoire préalable, documents, etc.), deux procès et peut-être deux appels. On peut dire tout au moins qu'il n'est pas évident que statuer sur la question de droit présentée permettra de déterminer de façon décisive l'issue du litige et n'aura pas pour résultat de créer deux procédures distinctes se superposant quant aux questions en litige, avec tout le cortège des délais et retards qu'entraîne la multiplication des instances.
[5] Il est de droit constant que la Cour doit exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère la règle 220 en prenant en considération toutes les circonstances et en gardant à l'esprit que la procédure prévue par cette règle est exceptionnelle et ne devrait être utilisée que lorsque, et seulement lorsque, la Cour est d'avis que son utilisation permettra de fait des économies en temps et en argent : Perera c. Canada, [1998] 3 C.F. 381, 158 D.L.R. (4th) 341, paragraphe 15 (C.A.F.). Les demandeurs n'ont absolument pas réussi à en faire la preuve.
[6] Par conséquent, la requête doit être rejetée, avec dépens.
ORDONNANCE
La requête incidente des demandeurs est rejetée avec dépens.
« James K. Hugessen »
Juge
Ottawa (Ontario)
Le 19 octobre 2001
Traduction certifiée conforme
Jacques Deschênes
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
No DE DOSSIER : T-1250-01
INTITULÉ DE LA CAUSE : LA BANDE INDIENNE DE SHUBENACADIE ET AL
c.
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT
MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE HUGESSEN
DATE DES MOTIFS ET DE L'ORDONNANCE : 19 octobre 2001
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
M. Bruce Wildsmith pour la demanderesse
Barss (Nouvelle-Écosse)
Mme Angela Green
Ministère de la Justice
Halifax (Nouvelle-Écosse) pour le défendeur le procureur général du Canada
M. Douglas E. Brown
Halifax (Nouvelle-Écosse) pour la défenderesse l'Union of Nova Scotia Indians
M. Eric A. Zscheile
Truro (Nouvelle-Écosse) pour la défenderesse la Confederacy of Mainland Mi'kmaq