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Date : 20041021

Dossier : IMM-1472-03

Référence : 2004 CF 1469

Toronto (Ontario), le 21 octobre 2004

En présence de MONSIEUR LE JUGE O'KEEFE

ENTRE :                                                                    

                                                               IHSAN BABILLY

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit en l'espèce d'une demande de contrôle judiciaire de la décision, en date du 18 janvier 2003, par laquelle un agent d'immigration (le décideur CH) a déterminé que les circonstances d'ordre humanitaire (CH) et l'intérêt public ne justifiaient pas le traitement au Canada de la demande de résidence permanente du demandeur et une exemption de l'application du paragraphe 11(1) de la Loi sur l'Immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR).


[2]                Le demandeur, Ihsan Babilly, est un citoyen de Syrie qui est arrivé au Canada le 30 octobre 1999; il y a présenté une demande d'asile qui a finalement été rejetée le 29 mai 2000.

[3]                Le 8 août 2000, le demandeur a sollicité une dispense de visa, demandant qu'on l'exempte pour des considérations humanitaires de l'obligation, prévue au paragraphe 11(1) de la LIPR, de présenter pareille demande à l'étranger. Le demandeur a fait valoir qu'il craignait avec raison d'être persécuté en Syrie du fait de son appartenance à la religion musulmane sunnite, de ses opinions politiques (partisan des Frères musulmans) et de son appartenance à un groupe familial (sa famille).


[4]                Le 18 décembre 2002, Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) a envoyé au demandeur une lettre lui demandant de fournir, dans un délai de 30 jours, tout renseignement ou document relativement à sa demande CH. Le 13 janvier 2003, CIC a reçu preuve d'un permis de travail, d'antécédents de travail, de relevés bancaires, de la location d'une voiture et de papiers d'assurance, d'un permis de conduire, d'une déclaration de revenu pour l'année 2001 ainsi qu'un affidavit.

[5]                La demande CH du demandeur a été rejetée par lettre en date du 18 janvier 2003. Étaient joints à la lettre les motifs de la décision, à savoir les notes du décideur CH.

[6]                Il s'agit en l'espère du contrôle judiciaire de la décision du décideur CH rejetant la demande de traitement au Canada pour des considérations humanitaires.

Motifs du décideur CH

[7]                Le « rapport circonstancié » du décideur CH, daté du 18 janvier 2003, contient les motifs de sa décision de rejeter la demande CH du demandeur.

[8]                Le décideur CH n'était pas convaincu que le demandeur subirait un préjudice indu, disproportionné ou immérité s'il était obligé de présenter sa demande de résidence permanente à l'étranger, et ce pour les motifs suivants :

1.          Le demandeur pourrait certes subir une perte de revenu s'il devait quitter le Canada, mais le préjudice ne sera pas disproportionné;


2.          Le demandeur a invoqué sa crainte d'être emprisonné ou torturé s'il était forcé de retourner en Syrie, mais il n'a présenté aucune preuve pour étayer cette allégation;

3.          L'information soumise était insuffisante pour justifier le renvoi du dossier pour un examen des risques, aucun renseignement nouveau ou additionnel n'ayant été présenté depuis l'audience de la Section du statut de réfugié (SSR) et ni le demandeur ni son avocat n'ayant demandé un examen des risques.

Prétentions du demandeur

[9]                Le demandeur a fait valoir que, dans sa demande CH de résidence permanente, la question du risque advenant l'obligation de retourner en Syrie ressortait clairement de la lettre de son avocat, de la référence à son Formulaire sur les renseignements personnels (FRP) ainsi que de la décision de la SSR concernant sa revendication du statut de réfugié au sens de la Convention.

[10]            Le demandeur a renvoyé au chapitre du Manuel de CIC intitulé « IP 5 Demande présentée par des immigrants au Canada pour des motifs d'ordre humanitaire » (Directives IP5) où sont énoncées les obligations du décideur CH en ce qui concerne la question du risque personnalisé. Les points suivants s'en dégageraient :

1.          Le décideur CH est tenu d'examiner la question du risque personnalisé lorsque cette question est soulevée dans la demande;


2.          Lorsque le demandeur n'a pas fourni de détails concernant le risque allégué, le décideur CH est tenu de lui demander de fournir plus de précisions avant d'examiner la demande;

3.          Le décideur CH ne doit pas procéder à l'examen de la demande avant que le demandeur n'ait eu une occasion raisonnable de répondre;

4.          Le décideur CH évalue seulement les facteurs autres que le risque lorsqu'il examine une demande CH, et si la question du risque personnalisé est soulevée, cette partie de la demande est alors déférée à l'agent ERAR dont c'est le domaine d'expertise.

[11]            Le demandeur prétend que le décideur CH a manqué à son devoir d'équité en ne lui envoyant pas une lettre pour lui demander de fournir plus de précisions sur le risque personnalisé et en ne suspendant pas le traitement de l'affaire pour lui donner l'occasion de fournir ces précisions. Le demandeur allègue que le décideur CH a été raisonnablement avisé de la question mais qu'il n'a pas tenu compte des exigences d'équité qu'imposent les manuels du défendeur en décidant unilatéralement de ne pas déférer le dossier pour examen des risques une fois la question soulevée. Le demandeur soutient le décideur CH a violé l'obligation d'équité procédurale qu'il a envers les personnes placées dans la situation du demandeur lorsqu'est soulevée une question susceptible d'avoir de graves répercussions sur elles.


Les prétentions du défendeur

[12]            Le défendeur soutient que le demandeur a eu l'occasion de fournir des précisions sur le risque allégué lorsque le décideur CH lui a donné, en décembre 2002, la possibilité de soumettre des renseignements ou des documents additionnels à l'appui de sa demande. De plus, le défendeur prétend que le décideur CH pouvait conclure, au vu des faits de l'affaire, à l'insuffisance de la preuve d'un risque personnalisé.

[13]            Le défendeur fait valoir que les Directives IP5 ne lient pas le décideur CH, qu'il ne s'agit pas de règles rigides et que si elles indiquent la voie à suivre, la décision CH n'en conserve pas moins son caractère discrétionnaire. Citant l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, le défendeur soutient que l'équité procédurale est une notion variable dont le contenu est tributaire du contexte et des circonstances particulières de chaque cas. Dans la présente espèce, la demande a été examinée équitablement au regard des facteurs pertinents.


[14]            Citant de nouveau Baker, le défendeur affirme qu'il incombe au demandeur de convaincre le décideur qu'il existe des motifs suffisants pour justifier une exception pour des considérations humanitaires. Le défendeur renvoie à deux décisions, Popovic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] A.C.F. no 900 (QL), 2001 CFPI 588, et Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (2000), 186 F.T.R. 155, [2000] A.C.F. no 1160 (QL), pour étayer sa prétention que le décideur CH n'est pas obligé, dans tous les cas, de déférer le dossier du demandeur à un agent de révision des revendications refusées pour une évaluation des risques. Le défendeur renvoie également à la section 8.8 des anciennes Directives IP5, qui indiquaient que l'agent devait déférer la demande à l'examen des risques lorsque le risque personnalisé identifiable était plus qu'une simple possibilité et que le demandeur avait suffisamment précisé la nature de ce risque.

[15]            Le défendeur fait valoir que la véritable question que la Cour doit trancher est celle du poids accordé aux faits présentés au décideur CH.    Il prétend que le décideur CH pouvait, dans l'exercice légitime de son pouvoir discrétionnaire, déterminer qu'une évaluation des risques n'était pas nécessaire. Le défendeur conclut que le demandeur n'a pas établi que le décideur CH a mal interprété les documents qui lui ont été soumis, ni que sa demande a été évaluée injustement ou qu'une intervention judiciaire est justifiée.


Question en litige

[16]            On peut formuler ainsi la question en litige :

            Le décideur CH a-t-il contrevenu aux règles de l'équité lorsqu'il a évalué la demande du demandeur en vue d'obtenir le traitement au Canada, pour des considérations humanitaires, de sa demande de résidence permanente?

Les dispositions législatives applicables

[17]            Le paragraphe 11(1) de la LIPR exige que l'étranger présente sa demande de visa avant d'entrer au Canada :

11. (1) L'étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l'agent les visa et autres documents requis par règlement, lesquels sont délivrés sur preuve, à la suite d'un contrôle, qu'il n'est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11. (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document shall be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

[18]            Le paragraphe 25(1) de la LIPR, toutefois, permet au ministre d'octroyer à ltranger le statut de résident permanent ou de lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire justifient cette exemption :


25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

Analyse et décision

[19]            Norme de contrôle

Il est de jurisprudence constante, depuis l'arrêt Baker, précité, que la norme de contrôle applicable à la décision du décideur CH est celle de la décision raisonnable simpliciter.

[20]            Question en litige

Le décideur CH a-t-il contrevenu aux règles de l'équité lorsqu'il a évalué la demande du demandeur en vue d'obtenir le traitement au Canada, pour des considérations humanitaires, de sa demande de résidence permanente?

Le demandeur soutient que la décideur CH a manqué à l'obligation d'équité procédurale qu'il avait envers lui en ne déférant pas sa demande à un agent ERAR pour examen du risque et en ne lui écrivant pas pour lui demander de fournir des renseignements additionnels sur le risque personnalisé invoqué dans sa demande CH.


[21]            Les Directives IP5 prescrivent que si, après l'évaluation des facteurs CH autres que le risque, le décideur CH estime que les motifs sont non suffisants par eux-mêmes pour justifier l'approbation de la demande CH, la demande est expédiée pour examen du risque à un agent ERAR (section 13.4). En l'espèce, la demande n'a pas été déférée à un agent ERAR.

[22]            Dans Adourian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] A.C.F. no 915 (QL) (C.F. 1re inst.), [2002] F.C.T. 672, le juge Hansen a dit ceci au paragraphe 9 :

Il convient de noter que les propos du juge Reed se rapportaient aux lignes directrices telles qu'elles existaient avant leur modification d'octobre 2001. Les lignes directrices antérieures à octobre 2001 renfermaient une directive précise selon laquelle « si la demande est basée principalement sur des risques, soumettre la demande à l'examen d'un ARRR, qui communiquera une opinion sur les risques auxquels est exposé le requérant » . Cette directive n'apparaît pas dans les lignes directrices modifiées. Les lignes directrices modifiées ordonnent plutôt à l'agent, lorsque les considérations humanitaires à l'exclusion du risque ne sont pas suffisantes comme telles pour justifier une approbation, d'envoyer la demande à un ARRR pour examen. Les lignes directrices prévoient aussi que, en l'absence de risque précis, l'examen d'un ARRR ne sera pas toujours nécessaire.

[23]            Ainsi, il apparaît que le décideur CH en l'espèce aurait dû envoyer la demande à un agent ERAR pour examen du risque.


[24]            Le demandeur soutient également puisqu'il était question dans sa demande de risque personnalisé, sans plus de précision, le décideur CH aurait dû lui écrire pour lui demander expressément de fournir des détails à cet égard. Le décideur CH lui a bien envoyé une lettre, mais celle-ci lui demandait simplement, en termes généraux, de [traduction] « . . . fournir tout renseignement ou document que vous aimeriez voir examiner » . On trouve à l'annexe 3 des Directives IP5 un exemple de lettre à envoyer au demandeur pour obtenir des renseignements additionnels, exemple dont voici un extrait :

Pour pouvoir rendre une décision sur la dispense des exigences de la Loi sur l'Immigration et la protection des réfugiés, nous avons besoin de plus de renseignements, plus particulièrement : (veuillez expliquer)

[25]            Dans sa lettre du 18 décembre 2002, le décideur CH n'a pas spécifié les renseignements requis.

[26]            Vu les faits, je suis d'avis qu'il y a eu manquement à l'obligation d'équité procédurale. Le décideur CH a omis d'obtenir du demandeur des précisions sur le risque personnalisé qu'il alléguait, et il n'a pas déféré l'affaire à un agent ERAR pour évaluation du risque. L'évaluation en bonne et due forme ne pouvait être faite qu'après une demande de précisions sur l'allégation de risque personnalisé, ainsi qu'il est indiqué dans les Directives IP5.

[27]            La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

[28]            Le défendeur n'a pas proposé de soumettre à mon attention une question grave de portée générale.

[29]            Quant au demandeur, il a, à l'audience, proposé que je certifie la question suivante comme question grave de portée générale :

Quelle obligation d'équité procédurale un agent d'immigration assume-t-il en l'espèce?

[30]            Le demandeur a accepté de soumettre la question par écrit et d'y joindre le cas échéant des observations, avant le 11 juillet 2004, avec droit de réponse du défendeur au plus tard le 19 juillet 2004. Aucune observation n'a été reçue à cette date. En tout état de cause, je ne suis pas disposé à certifier que la question proposée à l'audience constitue une question grave de portée générale étant donné qu'elle paraît fondée sur les faits particuliers de l'affaire.

                                            Ordonnance

LA COUR ORDONNANCE CE QUI SUIT :

1.          La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l'affaire est renvoyée à un autre agent pour réexamen.

2.          Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.                                           

                                                                            « John A. O'Keefe »                

                                                                                                     Juge                           

Traduction certifiée conforme

Christiane Bélanger, LL.L.


                                                  COUR FÉDÉRALE

                    SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                     NOMS DES AVOCATS AU DOSSIER

DOSSIER :                IMM-1472-03

INTITULÉ :               IHSAN BABILLY

                                                                                           demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE          L'IMMIGRATION

                                                                                             défendeur

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            24 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE O'KEEFE

DATE :                       21 OCTOBRE 2004

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson

POUR LE DEMANDEUR

A. Leena Jaakkimainen

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

POUR LA DÉFENDEUR


                                                                                                           

             COUR FÉDÉRALE

                             

Date : 20041021

Dossier : IMM-1472-03

ENTRE :

IHSAN BABILLY     

                                          demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                           défendeur

                                   

                                                           

                                                                                                                

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

                                                                                                                


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