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     T-2403-81

Ottawa (Ontario), le mardi 20 mai 1997

En présence de M. le juge Nadon

E n t r e

     UNION CARBIDE CORPORATION,

     GLEE CHEMICAL LABORATORIES INC.,

     TRANSOCEAN TRADING CORPORATION,

     UNION CARBIDE THAILAND LTD.,

     MANILA PLASTIC PRODUCTS,

     JEMIKEN ENTERPRISES CORP.,

     SOLID STATE MULTI PRODUCTS CORP.,

     HANTEX TRADING,

     LAFUMAR MARKETING CORP.,

     PRODUCERS PACKAGING CORP.,

     SRI THEP THAI LTD., PART

     et

     PLASKO TRADING INC.,

     demanderesses,

ET

     FEDNAV LIMITED,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     L'action des demanderesses est rejetée avec dépens.

                             "MARC NADON"
                                 Juge

Traduction certifiée conforme

                             Laurier Parenteau

     T-2403-81

E n t r e

     UNION CARBIDE CORPORATION,

     GLEE CHEMICAL LABORATORIES INC.,

     TRANSOCEAN TRADING CORPORATION,

     UNION CARBIDE THAILAND LTD.,

     MANILA PLASTIC PRODUCTS,

     JEMIKEN ENTERPRISES CORP.,

     SOLID STATE MULTI PRODUCTS CORP.,

     HANTEX TRADING,

     LAFUMAR MARKETING CORP.,

     PRODUCERS PACKAGING CORP.,

     SRI THEP THAI LTD., PART

     et

     PLASKO TRADING INC.,

     demanderesses,

ET

     FEDNAV LIMITED,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

     Dans leur action, les demanderesses réclament la somme de 630 301,18 $, plus les intérêts et les dépens, à la défenderesse Fednav Limited (ci-après appelée la "défenderesse" ou "Federal Commerce")1.


     Les demanderesses allèguent que la défenderesse n'a pas exécuté un contrat de transport en vertu duquel elle avait convenu de transporter une cargaison en Extrême-Orient. Subsidiairement, les demanderesses invoquent la responsabilité civile délictuelle de la défenderesse.

     La défenderesse nie toute responsabilité, tant contractuelle que délictuelle. Elle prétend n'être partie à aucun contrat de transport conclu par les demanderesses. Selon la défenderesse, c'est le propriétaire du navire ayant transporté la cargaison en cause qui a conclu un contrat avec les demanderesses pour le transport des marchandises. Quant à l'action en responsabilité délictuelle, la défenderesse nie avoir commis un délit civil.

     Les faits pertinents ne sont pas complexes et peuvent être résumés de la façon suivante.

LES FAITS

     À l'exception de Union Carbide Corporation ("Union Carbide"), les demanderesses sont les consignataires des cargaisons de résine synthétique (la "cargaison"), transportées de Montréal à Bangkok et Manille respectivement, à bord du navire "HUDSON BAY", conformément aux connaissements datés du 5 janvier 1979. La demanderesse Union Carbide est le chargeur de la cargaison transportée par le navire2.

     Les consignataires ont acheté leurs cargaisons respectives à Union Carbide selon les termes CAF de Bangkok et de Manille. Les cargaisons des demanderesses Union Carbide Thailand Ltd. et Sri Thep Thai Ltd. étaient destinées à Bangkok, alors que celles des autres demanderesses étaient destinées à Manille. Les factures commerciales de Union Carbide aux consignataires sont toutes datées de janvier 1979.

     La cargaison constituée de résine synthétique était fabriquée au Canada par Union Carbide du Canada ("UCC")3. Union Carbide a acheté la cargaison à UCC et en a pris possession à la livraison au port de Montréal.

     Vers le 17 octobre 1978, Union Carbide a conclu un engagement de fret au conditions de ligne régulière avec Federal Commerce. Conformément à la clause 1 de ce contrat, Union Carbide s'est engagée à expédier environ 7 150 tonnes métriques de résine synthétique en sac. Dans la clause 1 de l'engagement de fret, la cargaison de Union Carbide est décrite comme suit :

         [TRADUCTION]

         Résine synthétique en sacs posés sur des palettes d'une tonne mesurant chacune 43,5 po. x 55 po. x 51 po. dans les quantités suivantes : -Manille - 2 090 tonnes métriques; Djakarta - 1 266 tonnes métriques; Singapour - 2 110 tonnes métriques; Bangkok - 1 688 tonnes métriques. Pour un total de 7 150 tonnes métriques.                 

     Toujours selon la clause 1, Federal Commerce s'est engagée à réserver de l'espace à bord d'un ou deux navires devant être désignés pour l'expédition de Union Carbide.

     Le 30 octobre 1978, Federal Commerce a désigné le DUGI OTOK et le HUDSON BAY pour transporter la cargaison de résine de Union Carbide. Le HUDSON BAY a été désigné pour transporter la cargaison à destination de Manille et de Bangkok, et le DUGI OTOK a été désigné pour transporter les cargaisons à destination de Djakarta et de Singapour. Le présent litige ne porte que sur la cargaison transportée par le HUDSON BAY.

     À toutes les époques en cause, le navire HUDSON BAY était la propriété de Bona Maritime Corporation ("Bona Maritime") du Liberia4. À toutes les époques en cause, le HUDSON BAY était affrété à temps par Federal Commerce aux termes d'une charte-partie New York Produce Exchange signée à Greenwich (Connecticut), le 23 août 1978. La charte-partie comprenait les conditions habituelles de la formule New York Produce Exchange et, plus particulièrement, les clauses 8 et 26, ainsi libellées :

         [TRADUCTION]

         8.      Le capitaine effectuera tous ses voyages avec la plus grande célérité et donnera l'assistance coutumière avec l'équipage du navire et les bateaux. Le capitaine, même s'il est nommé par les propriétaires, sera sous les ordres des affréteurs pour toute question d'emploi ou de mandat; les affréteurs sont tenus de charger, d'arrimer et de décharger la cargaison à leurs frais, sous la surveillance du capitaine qui signe, ou, à la demande des affréteurs, autorise ces derniers ou leurs mandataires à signer sur présentation les connaissements relatifs aux chargements effectués conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur, le tout aux risques du propriétaire quant à l'arrimage et à la stabilité du navire.                 
         26.      Rien dans le présent contrat ne doit être interprété comme un transfert de la gestion nautique du navire aux affréteurs à temps. Les propriétaires sont tenus de payer l'assurance et répondent de la navigabilité du navire, du fait des pilotes et des remorqueurs, de l'équipage et de toute autre chose, de la même manière que s'ils exploitaient le navire en leur nom personnel.                 

     Le 23 octobre 1978, conformément à la clause 62 de la charte-partie, Federal Commerce s'est prévalue de son option d'entreprendre un autre voyage après celui-ci.

     Entre le 1er novembre 1978 et le 12 décembre 1978, la cargaison vendue par UCC à Union Carbide a été livrée par camion à Federal Commerce, au hangar 49 du port de Montréal. En fait, la cargaison a été livrée à Federal Marine Terminals Ltd. ("Federal Marine"), les acconiers engagés par Federal Commerce pour charger la cargaison à bord du HUDSON BAY. Les personnes qui ont reçu la cargaison ont inscrit la mention "fuite" sur la plupart des récépissés de livraison.

     La cargaison est restée au hangar 49 jusqu'à ce que Federal Marine la charge à bord du HUDSON BAY. Les acconiers ont chargé la cargaison de Union Carbide du 19 au 23 décembre 1978, du 27 au 30 décembre 1978 et du 3 au 5 janvier 1979. Les acconiers ont chargé en tout 3 790 palettes contenant chacune 40 sacs de 25 kg. net. La cargaison a été chargée dans les cales numéros 1, 3 et 5 du HUDSON BAY.

     Le 5 janvier 1979, les connaissements Montréal/Bangkok portant les numéros 1 et 3 à 7, et les connaissements Montréal/Manille portant les numéros 1 à 7, 9 à 11 et 13 à 16 ont été délivrés à Montréal et datés du 5 janvier 1979. Au recto des connaissements, dans le coin supérieur droit, le nom de Federal Commerce and Navigation Ltd. figure avec son adresse à Montréal. Les formules de connaissement utilisées sont, sans l'ombre d'un doute, les formules standard de la défenderesse. Les connaissements ont été délivrés et signés par Federal Commerce le 5 janvier 1979 [TRADUCTION] "avec l'autorisation du capitaine à titre de mandataire seulement". Je dois signaler que la plupart des connaissements délivrés à Montréal portent la mention qu'un certain nombre de palettes "fuient".

     De Montréal, le HUDSON BAY s'est rendu au port de Québec où une cargaison à destination de Port Kelang, de la Malaisie et de Bangkok a été chargée dans les cales 2, 3 et 4. Le chargement de la cargaison de Québec s'est terminé le 11 janvier 1979, et le navire a appareillé le même jour.

     Le plan d'arrimage général de toutes les cargaisons chargées à bord du HUDSON BAY aux ports de Détroit, d'Oshawa, de Trois-Rivières, de Montréal et de Québec a été signé par le premier officier du HUDSON BAY qui a affirmé que la cargaison décrite dans le plan d'arrimage général avait été chargée et arrimée à sa satisfaction.

     Le HUDSON BAY est arrivé au port de Bangkok le 6 mars 1979. La cargaison à destination de ce port a été déchargée entre le 6 et le 11 mars 1979. Au moment du déchargement, on a constaté qu'une partie de celle-ci était avariée.

     Le navire a ensuite appareillé pour Manille où il est arrivé le 17 mars 1979. Le déchargement de la cargaison à destination de Manille s'est effectué entre le 17 mars et le 24 mars 1979. Une fois de plus, on a constaté au moment du déchargement qu'une partie de la cargaison était avariée.

     Les demanderesses demandent une indemnité pour le préjudice qu'elles affirment avoir subi du fait de la perte de leur cargaison et des avaries causées à celle-ci alors qu'elle se trouvait à bord du HUDSON BAY. À l'exception de Plasko Trading Inc. et de Union Carbide, les demanderesses ont introduit une action contre le HUDSON BAY et Federal Commerce devant la Cour de district des États-Unis pour le district sud de New York le 14 décembre 1979. Le 17 décembre 1979, Plasko Trading Inc. a introduit une action semblable devant le même tribunal. En octobre 1980, Federal Commerce a déposé des défenses dans les deux actions. Le 12 janvier 1981, Federal Commerce a déposé une requête en rejet de l'action introduite le 14 décembre 1979 pour cause de forum non conveniens, notamment en vertu de la clause 4 des connaissements qui prévoit que toute action qui découle du transport de marchandises conformément au connaissement en cause doit être introduite devant les tribunaux canadiens.

     Le 7 avril 1980, la Cour de district des États-Unis pour le district du sud de New York a rendu l'ordonnance suivante :

         [TRADUCTION]                 
         Vu la requête en rejet déposée par la défenderesse pour cause de forum non conveniens, l'audition de la cause le 27 février 1981 et des plaidoiries des avocats par le tribunal, il est                 
             ORDONNÉ que l'action soit rejetée avec le consentement de la demanderesse à condition que la défenderesse n'invoque pas la forclusion comme moyen de défense devant les tribunaux canadiens dans les trois mois suivant la présente ordonnance.                 

     Comme je l'ai souligné plus tôt, les demanderesses dans les actions intentées aux États-Unis étaient les consignataires de la cargaison expédiée par Union Carbide à Bangkok et à Manille. Dans aucune des deux actions, Union Carbide n'a été nommée à titre de demanderesse.

     Le 27 avril 1981, les demanderesses nommées dans les actions de New York ont intenté une action devant la Cour fédérale du Canada à l'encontre du HUDSON BAY, de Federal Commerce et de Bona Maritime. Les propriétaires du navire n'étaient pas des défendeurs dans les actions de New York. Par ailleurs, Union Carbide figure à titre de demanderesse dans la présente action bien qu'elle n'ait pas été nommée à titre de demanderesse dans les actions de New York. Même si Bona Maritime a été nommée à titre de défenderesse dans l'action canadienne, les demanderesses ne lui ont pas signifié leur déclaration. Par conséquent, Bona Maritime n'est pas partie à la présente action.

     Le 23 avril 1996, les demanderesses ont déposé une déclaration modifiée afin de modifier l'intitulé de la cause. Les demanderesses ont substitué à la société Federal Commerce and Navigation Ltd., à titre de défenderesse nommée, la société Fednav Ltd, une société issue de la fusion des sociétés Federal Commerce and Navigation Ltd. et Federal Marine.

     Comme les demanderesses n'ont pas signifié leur déclaration au navire HUDSON BAY et à la société Bona Maritime, deux défendeurs nommés, j'ai rendu une ordonnance le 5 septembre 1996 portant que l'intitulé de la cause soit modifié de manière à supprimer, à titre de défendeurs, les noms du navire et de la société Bona Maritime.

     Examinons maintenant les questions en litige.

LES QUESTIONS EN LITIGE

     La Cour est saisie des questions suivantes.
1.      Quelles sont les parties au contrat de transport? Subsidiairement, la demanderesse Union Carbide a-t-elle la qualité pour agir à ce titre dans la présente action?
2.      Federal Commerce est-elle responsable envers les demanderesses sur le plan contractuel ou sur le plan délictuel?
3.      Si la responsabilité contractuelle ou délictuelle de Federal Commerce est reconnue, à quel montant de dommages-intérêts ont droit les demanderesses?

LES PARTIES AU CONTRAT

     Selon le témoignage de Christopher Tse, directeur, Promotion commerciale, chez Union Carbide, les ventes de Union Carbide à l'Asie en 1979 étaient régies par les termes CAF standard. Il a de plus ajouté que la société appliquait les "Incoterms"5. D'après les Incoterms, le vendeur doit notamment, à ses propres frais : conclure un contrat aux conditions standard pour le transport de marchandise vers le port de débarquement; charger la marchandise à bord du navire désigné au port d'embarquement et aviser l'acheteur que la marchandise a été chargée; obtenir une police d'assurance maritime acceptable contre les risques du transport; et fournir à l'acheteur, sans délai, un connaissement net négociable, une facture pour la marchandise envoyée et la police d'assurance sur cette marchandise. (Voir, en général, David M. Sassoon, CIF and FOB Contracts, 4th ed., (London : Stevens & Sons, 1995). Voir aussi William Tetley, Marine Cargo Claims, 3d ed. (Montréal : Les Éditions Yvon Blais Inc., 1988) aux pp. 171 à 173).

     En l'espèce, Union Carbide a exécuté toutes ses obligations à titre de vendeur CAF et aucune question en litige ne découle des contrats de vente. Les marchandises ont été expédiées, transportées à destination et reçues par les consignataires visés. Une partie des marchandises étant arrivée avariée, les consignataires ont présenté des réclamations à Federal Commerce et à leurs assureurs. Les consignataires ont été dûment indemnisés par leurs assureurs conformément aux conditions des polices d'assurance souscrites par Union Carbide à l'égard des marchandises expédiées. Conformément aux contrats de vente, les consignataires ont payé le prix d'achat à Union Carbide.

     Le vendeur CAF supporte tous les risques de perte jusqu'à ce que les marchandises soient chargées à bord du navire. À partir de ce moment, les risques sont transférés à l'acheteur. Au paragraphe 274 de la page 224, David Sassoon, précité, énonce le principe comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         274. La cession du droit de propriété est une question fort importante dans les contrats CAF qui est lourde de conséquences pour les parties, par ex., advenant l'insolvabilité de l'acheteur ou du vendeur, la perte ou la destruction des marchandises n'est pas couverte par une assurance et la capture ou la saisie en temps de guerre. Règle générale, dans un contrat de vente de marchandises, le titre de propriété et le risque sont transférés simultanément, ce qui n'est pas habituellement le cas dans un contrat CAF. Aux termes d'un contrat CAF, l'acheteur est en réalité l'assureur au moment de l'expédition. Le transfert du connaissement et de la police d'assurance à l'acheteur qui lui donne le droit d'intenter une action pour la perte des marchandises ou les avaries causées à celles-ci, a pour effet de lui transférer les risques de perte des marchandises au moment de l'expédition et après l'expédition. (...)                 

     D'après la preuve qui m'est présentée, je suis convaincu que les risques de perte de la cargaison appartenaient aux consignataires dès que les marchandises ont été chargées à bord du HUDSON BAY à Montréal. Il ressort de la preuve que les marchandises ont été chargées à bord du HUDSON BAY en bon état, à l'exception des fuites susmentionnées, et les avaries causées à la cargaison sont survenues quand les consignataires supportaient les risques de perte. Les consignataires et leurs assureurs étaient certainement de cet avis. Les consignataires ont payé intégralement Union Carbide et les assureurs les ont indemnisés pour leurs pertes conformément aux conditions de leurs polices d'assurance respectives. C'est pourquoi il ne fait pas de doute que, dans les circonstances de l'espèce, ce sont les consignataires qui ont subi les pertes.

     Bien qu'au départ, les consignataires n'aient pas été parties aux contrats constatés par les connaissements, l'article 2 de la Loi sur les connaissements, L.R.C. (1985), ch. B-5, dispose que les consignataires sont saisis des mêmes droits d'action à l'égard des marchandises visées par les connaissements délivrés à Montréal le 5 janvier 1979. L'article 2 est ainsi rédigé :

             2. Tout consignataire de marchandises, nommé dans un connaissement, et tout endossataire d'un connaissement qui devient propriétaire de la marchandise y mentionnée par suite ou en vertu de la consignation ou de l'endossement, entrent en possession et sont saisis des mêmes droits d'action et assujettis aux mêmes obligations à l'égard de cette marchandise que si les conventions contenues dans le connaissement avaient été arrêtées avec ce consignataire ou cet endossataire.                 

     Étant donné que les consignataires supportaient les risques au moment de la perte et des avaries et qu'ils sont, en l'espèce, aux termes de la Loi sur les connaissements, saisis des droits d'action sur le plan contractuel, Union Carbide a-t-elle qualité pour agir d'après les circonstances de l'affaire? À mon avis, il faut répondre à cette question par la négative.

     Premièrement, il faut se demander si Union Carbide n'était pas forclose lorsqu'elle a intenté son action le 27 avril 1981. Cette question découle des faits suivants. Union Carbide n'était pas une partie nommée aux actions de New York. Lorsque le tribunal de New York a rejeté les actions dont il était saisi, il a clairement indiqué qu'il les rejetait à condition que la défenderesse n'invoque pas la forclusion comme moyen de défense au Canada. Il s'agissait là d'une condition fondamentale pour les demanderesses puisque leurs cargaisons ont été livrées en mars 1979, à savoir deux ans avant le rejet de leurs actions à New York. Aux termes du paragraphe 6 de l'article III de la Convention internationale pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement du 25 août 1924, promulguée au Canada en annexe à la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.R.C. (1985), ch. C-27 (abrogée), et appelée les "Règles de la Haye", le demandeur doit intenter son action dans l'année de délivrance des marchandises.

     La présente action a été introduite au Canada le 27 avril 1981 et Federal Commerce a déposé sa défense le 1er septembre 1981. Au paragraphe 7 de sa défense, Federal Commerce a déclaré qu'elle n'entendait pas soulever la question de la forclusion en l'espèce. Toutefois, le 5 décembre 1987, Federal Commerce a demandé à la Cour de rendre une ordonnance lui permettant de modifier le paragraphe 7 de sa défense par adjonction des mots suivants :

         (...) À l'exception de la demanderesse Union Carbide.

     Federal Commerce a allégué qu'elle pouvait invoquer la forclusion à l'encontre de Union Carbide puisque cette dernière n'était pas une demanderesse dans les actions de New York. Le 18 novembre 1988, le protonotaire en chef Jacques Lefebvre a rejeté la requête de Federal Commerce. Cette décision a été portée en appel devant la Section de première instance de la Cour et le 3 janvier 1989, le juge Teitelbaum a infirmé la décision du protonotaire en chef. Les demanderesses ont interjeté appel de la décision du juge Teitelbaum et, le 16 mars 1992, la Cour d'appel fédérale a rejeté leur appel.

     La question dont je suis saisi est la suivante : est-ce que Union Carbide pouvait intenter une procédure le 7 avril 1981? Comme je l'ai déjà signalé ci-dessus, Federal Commerce soutient que seules les demanderesses dans l'action canadienne qui étaient aussi des demanderesses dans les actions de New York peuvent intenter une procédure au Canada. Comme Union Carbide ne figurait pas parmi ces demanderesses, elle était forclose au moment d'intenter sa procédure en avril 1981. Les demanderesses soutiennent en revanche que, même si Union Carbide n'était pas une demanderesse nommée dans les actions de New York, elle était visée par ces procédures puisqu'elle pouvait en tout temps être ajoutée à titre de demanderesse, au besoin. Au paragraphe 40 de son mémoire, l'avocate des demanderesses énonce son argument comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         Il faut encore une fois insister sur le fait que la décision rendue dans l'action à New York protège entièrement les demanderesses. Non seulement Union Carbide pouvait en tout temps être ajoutée à titre de demanderesse nommée, au besoin, mais il n'y aurait vraisemblablement eu aucune raison de le faire du fait que Fednav, en tant qu'affréteur, était clairement, en vertu du droit américain et aux yeux d'un tribunal américain, une partie au connaissement.                 

     À l'appui de cet argument, l'avocate a fait remarquer que, dans les actions de New York, les demanderesses étaient décrites comme [TRADUCTION] "les chargeurs, les consignataires ou les propriétaires de la cargaison"

     À l'appui de leurs thèses respectives, les parties ont déposé les affidavits d'avocats new-yorkais spécialisés en droit maritime. Les demanderesses ont déposé l'affidavit de Martin Mulroy, avocat et associé du cabinet Hill, Rifkins, Carry, Louisbourg, O'Brien and Mulroy. Federal Commerce a déposé l'affidavit de Christopher H. Mansuy, avocat et associé du cabinet Walker and Corsa. Après examen approfondi de l'avis de ces deux spécialistes, je penche en faveur de celui de M. Mansuy pour les motifs suivants. Aux termes de la Règle 17a) des U.S. Federal Rules of Civil Procedure (St. Paul : West Publishing Co., 1995) aux pages 82 et 83 :

         [TRADUCTION]                 
         Chaque action est intentée au nom de la véritable partie intéressée. Un exécuteur, administrateur, tuteur, baillaire, fiduciaire d'une fiducie expresse, une partie avec qui ou au nom de laquelle un contrat a été formé à l'avantage d'un tiers ou une partie autorisée par la loi peut poursuivre au nom de cette personne sans faire intervenir la partie à l'avantage de laquelle l'action est intentée. En outre, si une loi des États-Unis le prévoit, une action à l'usage ou à l'avantage d'un tiers est intentée au nom des États-Unis. Aucune action ne saurait être rejetée au motif qu'elle n'est pas intentée au nom de la véritable partie intéressée, avant l'échéance d'un délai raisonnable accordé après l'opposition à la ratification du début de l'action par la véritable partie intéressée, ou à l'adjonction ou à la substitution de celle-ci. Cette ratification, adjonction ou substitution produit les même effets que si l'action avait été intentée au nom de la véritable partie intéressée.                 

     Aux termes de cette règle la [TRADUCTION] "véritable partie intéressée" doit intenter l'action en son nom. Au paragraphe 7 de leurs actions de New York, les demanderesses nommées ont déclaré qu'elles intentaient leurs actions en leur [TRADUCTION] "propre nom et, en tant que mandataire et fiduciaire, au nom et à l'avantage de toutes les parties intéressées maintenant ou à l'avenir dans cette cargaison à mesure que leurs intérêts respectifs naissent ultérieurement, et la demanderesse a le droit d'exercer la présente action".

     Messieurs Mulroy et Mansuy ont tous deux invoqué la décision rendue par la Cour d'appel des États-Unis dans l'affaire Farbwerke Hoeschst A.G. v. M/V "DON NICKY", 589 F.2d. 795 (5th Cir. 1979). Dans cette affaire, les chargeurs d'une cargaison d'engrais ont intenté une action aux États-Unis contre le transporteur pour des avaries causées à la marchandise par de l'eau de mer pendant la traversée de Rotterdam à Panama. Les chargeurs avaient vendu la cargaison aux consignataires selon les termes CAF. La Cour de district a rendu des jugements sommaires et définitifs en faveur des chargeurs. Le transporteur a interjeté appel de ces jugements et a demandé une ordonnance portant annulation de ceux-ci en ce qui les concernait au motif que les chargeurs n'étaient pas les véritables parties intéressées et que, par conséquent, ils ne pouvaient obtenir de jugement contre eux. L'appel du transporteur a été accueilli. La partie pertinente du jugement de la Cour d'appel se lit comme suit aux pages 797 et 798 :

         [TRADUCTION]                 
         La partie défenderesse demande instamment à la Cour d'annuler les jugements rendus contre eux au motif que la partie demanderesse, les chargeurs, ne sont pas les véritables parties intéressées. Il s'agissait d'une expédition CAF; par conséquent, le titre de propriété de la marchandise était cédé au transporteur à la livraison, et le consignataire supporte les risques de perte au cours du transport. York-Shipley, Inc. v. Atlantic Mutual Insurance Co., 474 F.2d 8 (5th Cir. 1973). Le consignataire, Coagra, n'était pourtant pas partie à l'action. Aux termes des Federal Rules of Civil Procedure, chaque action doit être intentée au nom de la véritable partie intéressée. F.R.Civ.V. 17a). La partie demanderesse allègue que ce principe a reçu une interprétation libérale en droit maritime qui leur permettrait de poursuivre en tant que "mandataire et fiduciaire, au nom et à l'avantage de toutes les parties intéressées maintenant ou à l'avenir dans cette cargaison, à mesure que leurs intérêts respectifs naissent ultérieurement". À l'audition d'une requête avant procès à laquelle la partie défenderesse ne s'est pas présentée, la Cour de district a accueilli l'argument de la partie demanderesse selon lequel "le moyen de défense de la partie défenderesse (...) concernant le principe de véritable partie ne s'appliquait pas en droit maritime". Nous ne souscrivons pas à cet argument. Les Federal Rules of Civil Procedure s'appliquent sans réserve aux affaires de droit maritime. 7A Moore's Federal Practice ".01 (2d ed. 1978). La partie demanderesse invoque la vieille jurisprudence qui permettait à un chargeur d'intenter une poursuite en vertu du droit maritime en tant que représentant de la véritable partie lorsque celle-ci se trouvait à l'étranger ou était par ailleurs absente. Aunt Jemima Mills Co. v. Lloyd Royal Belge , 34 F.2d 120 (2d Cir. 1929); United States v. United States Steel Products Co., 27 F.2d 547 (S.D.N.Y. 1928). Dans ces affaires, toutefois, le représentant ne pouvait intenter une action que si la véritable partie, le consignataire, avait autorisé le chargeur à intenter l'action en son nom. Une fois qu'il s'est départi du titre de propriété des marchandises, un chargeur ne peut pas poursuivre le transporteur en tant que fiduciaire du consignataire. À l'opposé, dans l'affaire York-Shipley, Inc. v. Atlantic Mutual Insurance Co., précitée, 474 F.2d 8, la Cour a rejeté une action intentée par un chargeur contre l'assureur des marchandises expédiées selon les termes CAF au motif qu'il n'avait pas la qualité pour agir. La Cour a conclu que le seul intérêt du chargeur dans l'action était "celui de créancier chirographaire de son client étranger", et qu'il n'était par conséquent pas une partie assurable. Puisque les jugements rendus doivent être annulés pour d'autres motifs, nous ordonnons à la Cour de district qui nous a déféré l'affaire d'appliquer le règle 17a ) des F.R.Civ.P par adjonction ou ratification de la véritable partie intéressée.                 

     La Cour d'appel pour le cinquième circuit a donc conclu que les chargeurs de cargaisons vendues selon les termes CAF ne pouvaient pas intenter une procédure contre un transporteur [TRADUCTION] "en tant que fiduciaire du consignataire". Si tel était le cas, comment les consignataires, qui sont les véritables parties intéressées, pourraient-ils intenter une procédure au nom des affréteurs qui n'ont aucun intérêt dans celle-ci? À mon avis, la seule réponse possible est que les consignataires, qui ont acheté leur cargaison selon les termes CAF, ne peuvent pas intenter une procédure au nom de leur chargeur.

     Union Carbide n'était pas une demanderesse nommée dans les actions de New York parce qu'elle n'avait aucun intérêt dans la procédure. Comme je l'ai déjà mentionné, Union Carbide a vendu la cargaison selon les termes CAF aux consignataires, qui ont versé le prix d'achat à Union Carbide conformément aux contrats de vente. Il n'est par conséquent pas surprenant que le cabinet d'avocats retenu par les consignataires en vue d'intenter les actions à New York n'ait pas nommé Union Carbide à titre de demanderesse. Je suis donc d'avis que Union Carbide n'était pas une demanderesse dans les actions de New York et que l'interdiction d'invoquer la forclusion comme moyen de défense ne la visait pas.


     Comme Union Carbide a déposé sa déclaration au Canada le 7 avril 1981, elle était forclose d'intenter une action deux ans après la livraison de la cargaison à Bangkok et à Manille. L'avocate des demanderesses a allégué que Union Carbide n'était pas forclose d'intenter une action au motif que Federal Commerce a déclaré au paragraphe 7 de sa défense initiale qu'elle [TRADUCTION] "n'entendait pas soulever la question de la forclusion en l'espèce". L'avocate des demanderesses a aussi soutenu que l'acceptation du rejet des actions de New York et l'engagement de Federal Commerce de ne pas soulever la question de la forclusion au Canada donnent ouverture à une renonciation ou à une préclusion promissoire de la part de Federal Commerce à laquelle les demanderesses se sont fiées à leur détriment. L'avocate des demanderesses soutient en outre que la défense de Federal Commerce contenait une renonciation ou une préclusion promissoire distincte à laquelle les demanderesses se sont également fiées.

     À l'égard de la renonciation comprise dans l'ordonnance de rejet rendue par la Cour de New York, je souscris entièrement à l'opinion exprimée par M. Mansuy à la page 12 de son affidavit, aux paragraphes 20 et 21 :

         [TRADUCTION]
         RENONCIATION
         20.      En vertu du droit américain, une renonciation s'entend de l'abandon d'un droit reconnu en common law et survient lorsqu'une partie à un contrat exprime son intention de ne pas obliger l'autre partie à une obligation corrélative. Saverslack v. Davis-Cleaver Produce Co., 606 F. 2d 208 (7th Cir. 1979) cert. rejetée, 444 U.S. 1078 (1980), pièce L jointe au présent affidavit. La société Union Carbide n'était non seulement pas une demanderesse nommée, mais plutôt une entité qui, de l'avis de l'avocate des demanderesses, n'était pas nécessaire à l'instance dans la mesure où celle-ci avait lieu à New York.                 
         21.      Pour prétendre que Federal Commerce entendait renoncer à ses droits à l'égard de la société Union Carbide, il faut présumer que :                 
             1.      Fednav savait que la société Union Carbide avait toujours un intérêt dans la cargaison qu'elle avait néanmoins cédée à des tiers;                 
             2.      Fednav savait que les demanderesses nommées (toutes des destinataires d'Extrême-Orient) n'agissaient qu'à titre d'intermédiaires pour la société Union Carbide, ayant son siège social au Connecticut, mais absente;                 
             3.      Federal Commerce avait des raisons d'anticiper que Union Carbide déciderait d'intenter une procédure plus de deux ans après la réception des connaissements.                 

     En ce qui concerne l'argument des demanderesses selon lequel Federal Commerce a renoncé à son droit d'invoquer la forclusion à l'égard de Union Carbide au paragraphe 7 de sa défense initiale et que les demanderesses se sont fiées à cette renonciation à leur détriment, l'avocate déclare, à la page 10 de son mémoire :

         [TRADUCTION]                 
         48.      Il n'est pas nécessaire de se fier à son détriment à une renonciation pour que celle-ci s'applique. Il suffit de montrer que la personne qui bénéficie de la renonciation a modifié sa façon d'agir. Dans sa réponse, Union Carbide accuse réception de la renonciation, ce qui, en soi, est une modification de sa façon d'agir qui signifie qu'elle se fie à cette renonciation. Lorsque la modification a été demandée, Union Carbide a définitivement agi a son détriment en se fiant à la renonciation, lorsqu'elle a consacré énormément de temps, d'efforts et d'argent à s'opposer à cette modification, sur la foi de la renonciation. Si Fednav avait soulevé la question de la forclusion lorsqu'elle a déposé sa déclaration initiale, Union Carbide aurait sans doute eu le temps de demander l'annulation de l'ordonnance sur consentement rendue dans l'action américaine. Elle ne peut manifestement pas le faire sept ans après les faits. Union Carbide aurait aussi pu chercher à faire radier la déclaration concernant la forclusion, ce qui aurait pu donner lieu à une décision sur le fond de l'argument beaucoup plus tôt, puisque l'existence d'un préjudice n'aurait pas été le seul critère examiné par la Cour, comme ce fut le cas pour la requête en vue d'obtenir l'autorisation de modifier la déclaration.                 

     Je ne peux accepter cet argument. Premièrement, il n'existe aucun élément de preuve devant moi montrant que Union Carbide a renoncé à un de ses droits puisqu'il ressort clairement de la preuve et de l'interprétation rigoureuse du contrat de vente que Union Carbide n'avait aucun intérêt en common law dans les marchandises avariées au cours de la traversée du HUDSON BAY. Deuxièmement, il n'existe absolument aucun élément de preuve montrant que Union Carbide a autorisé l'introduction d'une action en son nom à New York. Les actions ont certes été intentées à la demande des assureurs des marchandises qui ont indemnisé les consignataires pour leur perte. Aux termes des polices d'assurance, les consignataires étaient tenus de permettre à leurs assureurs d'intenter une procédure en leur nom et de collaborer pleinement à celle-ci. Les assureurs n'ont toutefois rien versé à Union Carbide puisqu'elle avait été payée intégralement par ses clients, les consignataires, et qu'elle n'avait aucune obligation envers les assureurs. Troisièmement, l'avocate soutient que, comme Federal Commerce a modifié sa défense sept ans après les faits pour invoquer la forclusion, Union Carbide ne pouvait demander l'annulation de l'ordonnance de rejet rendue le 7 avril 1981. Il n'existe aucun élément de preuve devant moi à cet égard. Si Federal Commerce contrevient à l'ordonnance de rejet, je n'arrive pas à comprendre pourquoi, même après sept ans, la partie lésée ne peut pas demander un redressement devant la Cour de New York. Si l'on avait essayé de le faire, le tribunal américain aurait eu à décider si Union Carbide pouvait, dans les faits, intenter une procédure à New York contre Federal Commerce d'après les circonstances de l'espèce.

     Pour les motifs qui précèdent, je conclus que Union Carbide n'a pas la qualité pour agir dans la présente instance et qu'elle est, de toute façon, forclose d'intenter une action. Je ne crois pas que cette conclusion soit préjudiciable aux autres demanderesses puisque, aux termes de la Loi sur les connaissements, précitée, elles sont saisies de tous les droits d'action à l'égard des marchandises visées par les connaissements en cause.

     Les demanderesses ont déployé beaucoup d'efforts pour me convaincre que Union Carbide a la qualité pour agir dans l'espèce et que ses droits d'action ne sont pas prescrits. La raison de cet acharnement est que l'avocate des demanderesses n'est pas certaine que toutes les demanderesses ont prouvé leur perte. Plus précisément, la défenderesse a allégué que les demanderesses Lafumar Marketing Corp., Producers Packaging Corp., Jemiken Enterprises Corp., Glee Chemical Laboratories Inc. et Sri


Thep Thai Ltd. n'ont pas prouvé qu'elles avaient subi une perte. Je reviendrai sur cette question lorsque que je discuterai du montant des dommages-intérêts. Quoi qu'il en soit, l'acharnement à vouloir inclure Union Carbide à titre de demanderesse est fondé sur l'hypothèse que je pourrais conclure que les demanderesses susmentionnées n'ont pas prouvé leur perte. En conséquence, les demanderesses m'ont renvoyé à la décision de la Chambre des lords dans l'affaire Dunlop v. Lambert (1939), 7 E.R. 824, en ce qui concerne l'argument voulant qu'un chargeur puisse réclamer à un transporteur avec qui il a conclu un contrat des dommages-intérêts substantiels en tant que fiduciaire du propriétaire véritable, même si le chargeur n'a subi aucune perte. C'est pourquoi l'avocate des demanderesses a allégué, en l'espèce, que Union Carbide pouvait réclamer des dommages-intérêts en tant que fiduciaire des demanderesses susmentionnées.

     En réponse, l'avocat de Federal Commerce m'a renvoyé à la décision de la Chambre des lords dans l'affaire The Albazero, [1976] 2 Lloyds Rep. 467. Selon l'avocat de Federal Commerce, la règle énoncée dans l'affaire Dunlop v. Lambert ne s'applique que lorsqu'aucun connaissement n'est délivré et que la personne qui a subi une perte indemnisable n'a aucun autre recours. Plus précisément, l'avocat m'a renvoyé aux motifs du jugement de lord Diplock dans l'affaire The Albazero, à la page 475 :

     [TRADUCTION]         
             La seule manière dont je peux expliquer la règle énoncée dans l'affaire Dunlop v. Lambert pour la rendre compatible avec le droit anglais est de la considérer comme une application du principe, aussi accepté à l'égard des polices d'assurance sur les marchandises, selon lequel dans un contrat commercial relatif à des marchandises dans lequel les parties ont convenu que le droit de propriété sur les marchandises peut être transféré d'un propriétaire à un autre une fois le contrat formé, mais avant l'inexécution qui a causé la perte des marchandises ou des avaries à celles-ci, une partie originale au contrat, si telle est la volonté des deux parties, est réputée en common law avoir conclu le contrat à l'avantage de toutes les personnes qui ont ou qui peuvent acquérir un intérêt dans les marchandises avant la perte ou les avaries, et elle est en droit de recouvrer, par voie de dommages-intérêts pour inexécution de contrat, la perte réelle subie par les personnes à l'avantage desquelles le contrat a été conclu.                 
             Depuis l'adoption de la Bill of Lading Act, 1855, le fondement de l'affaire Dunlop v. Lambert ne peut plus s'appliquer dans des affaires où le seul contrat de transport conclu par le propriétaire du navire est celui qui est contenu dans le connaissement et où le consignataire ou l'endosseur nommé dans le connaissement devient propriétaire des marchandises y mentionnées par suite ou en vertu de la consignation ou de l'endossement. Le cas échéant, le droit d'action contre le propriétaire du navire à l'égard des obligations découlant du contrat de transport passe du consignataire à celui-là. De plus, le porteur du connaissement à titre onéreux jouit dans l'exercice de son propre droit d'action, de l'avantage d'une préclusion promissoire que le consignataire n'a pas et selon laquelle le connaissement constitue une preuve péremptoire contre le propriétaire du navire de l'expédition des marchandises y décrites.                 
             À mon avis, le fondement de la règle ne peut pas non plus justifier son extension aux contrats de transport de marchandises, dans lesquels il est convenu que le transporteur conclura aussi des contrats de transport distincts avec toute personne qui peut devenir propriétaire des marchandises transportées en vertu du contrat original.                 

     Comme les réclamations présentées par ces demanderesses, dont la preuve de pertes financières est source d'ennuis pour leur avocate, sont visées par la Loi sur les connaissements, ces dernières ne peuvent, à mon avis, invoquer la règle énoncée dans l'affaire Dunlop v. Lambert. Je suis en outre d'avis que la règle énoncée dans l'affaire Dunlop v. Lambert ne peut être invoquée par une partie demanderesse qui a un recours, mais qui refuse ou est incapable de recueillir une preuve régulière à l'appui de sa réclamation. Les demanderesses susmentionnées ont subi une perte, elles ont été indemnisées par leurs assureurs et des actions ont été intentées en leurs noms. Il ne m'appartient pas de faire des conjectures sur les raisons pour lesquelles ces demanderesses n'ont pu recueillir une preuve satisfaisante, le cas échéant, pour expliquer leur perte.

FEDERAL COMMERCE EST-ELLE LE TRANSPORTEUR?

     Federal Commerce a invoqué comme moyen de défense, entre autres, qu'elle n'était pas partie aux contrats de transport constatés par les connaissements. Plus précisément, Federal Commerce soutient que les connaissements sont des contrats de transport qui lient les propriétaires du HUDSON BAY. Comme je l'ai déjà mentionné, les propriétaires du navire ne sont pas parties à la présente instance. La thèse des demanderesses est tout à fait à l'opposé de celle de Federal Commerce. Les demanderesses soutiennent que les connaissements lient Federal Commerce.

     Federal Commerce a affrété à temps le HUDSON BAY de la société Bona Maritime aux conditions de la charte-partie New York Produce Exchange. Federal Commerce a signé les connaissements au nom du capitaine du HUDSON BAY. La clause 2 du connaissement dispose que le contrat constaté par le connaissement est conclu entre le [TRADUCTION] "commerçant" et le propriétaire du navire y nommés.

     En l'espèce, la Cour doit établir si ces connaissements lient Federal Commerce ou Bona Maritime ou les deux. Il ne s'agit ici d'une question nouvelle. La Cour suprême a en effet établi il y a fort longtemps les principes de droit applicables à cette question dans l'arrêt Paterson Steamships Limited v. Aluminium Company of Canada Limited, [1951] S.C.R. 852. Dans cet arrêt, la Cour suprême devait établir, comme en l'espèce, si les propriétaires du navire ou les affréteurs à temps étaient parties au contrat. Aux pages 853 et 854, le juge Rand énonce ainsi le problème :

         [TRADUCTION]                 
             Les clauses standard de ce type de charte ont été stipulées. Le propriétaire devait recevoir chaque mois un montant précis; le capitaine devait effectuer tous ses voyages avec la plus grande célérité; même s'il était nommé par le propriétaire, il devait être sous les ordres des affréteurs pour toute question d'emploi ou de mandat; et ces derniers étaient tenus de charger et d'arrimer la cargaison à leurs frais, sous la surveillance du capitaine, qui devait signer sur présentation les connaissements relatifs aux chargements effectués conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur. Le propriétaire devait payer toutes les charges estimatives et les salaires du capitaine et de l'équipage et maintenir la cote et l'efficacité du navire. Aux termes de la clause 26, rien dans la présente charte ne doit être interprété comme un transfert de la gestion nautique du navire aux affréteurs à temps, le propriétaire demeurant tenu de payer l'assurance et de répondre de la navigabilité du navire, du fait de l'équipage et de toute autre chose, de la même manière que s'il l'exploitait en son nom personnel.                 
             Aux termes d'une charte-partie de cette nature et en l'absence d'un engagement de la part de l'affréteur, le propriétaire demeure le transporteur à l'égard de l'expéditeur et, quand il délivre des connaissements, le capitaine agit en tant que mandataire du propriétaire. En l'espèce, le connaissement a été signé pour le capitaine par les mandataires nommés par les affréteurs très certainement en leur nom et probablement aussi au nom du navire. Ce fait soulève le premier des deux seuls points qui méritent d'être étudiés.                 
             À mon avis, il est trop tard pour mettre en doute les obligations de l'affréteur à temps ou de son mandataire ou de celui du navire quant à la cargaison. L'affréteur achète le privilège de se servir de l'espace destiné au transport sur le navire, il est la seule personne intéressée à fournir une cargaison; et le capitaine est tenu de signer les connaissements qu'on lui présente, car il doit présumer qu'ils sont conformes aux termes de la charte-partie. Les nécessités d'ordre pratique nées de cette situation ont depuis longtemps été reconnues par les tribunaux et le pouvoir de l'affréteur de signer au nom du capitaine est depuis longtemps confirmé.                 
             Aux fins de remise de la cargaison pour le transport, le capitaine, l'affréteur et le mandataire du navire sont tous des mandataires du propriétaire qui agissent au nom du capitaine; et lorsque l'affréteur a le pouvoir, comme en l'espèce, de signer pour le capitaine, il est indéniable qu'il peut nommer un mandataire et agir par l'intermédiaire de ce dernier. Tenir l'affréteur à une exécution personnelle serait, dans les conditions de trafic contemporaines, une restriction intolérable.                 

     Les clauses 8 et 26 de la charte-partie à temps dans l'arrêt Paterson Steamships sont identiques aux clauses 8 et 26 de la charte-partie en l'espèce. Ce qui n'est pas surprenant puisque la formule de charte-partie New York Produce Exchange est la plus utilisée et ce, depuis très longtemps.

     Dans l'arrêt Paterson Steamship, à la page 854, le juge Rand établit clairement qu'en vertu d'une telle charte-partie à temps, le propriétaire du navire est le transporteur et qu'en délivrant le connaissement, le capitaine est son mandataire. On ne peut s'y opposer que s'il peut être prouvé que l'affréteur à temps s'est expressément engagé à transporter les marchandises. Dans sa conclusion, le juge Rand s'est appuyé sur une série de précédents anglais qui remontaient jusqu'à 1893. Pour reprendre ses propos, auxquels je souscris entièrement, il est maintenant trop tard pour remettre en question la nature de la relation entre l'affréteur à temps, le propriétaire du navire et le propriétaire de la cargaison lorsque les connaissements sont délivrés par l'affréteur à temps au nom du capitaine dans le contexte d'une charte-partie New York Produce Exchange. Cette question a, à mon avis, été réglée et il n'y a pas lieu de la réviser.

     La Cour suprême du Canada a confirmé cette thèse dans l'arrêt Aris Steamship Co. Inc. c. Associated Metals and Minerals Corporation, [1980] 2 R.C.S. 322. Dans cette affaire, la Cour suprême devait encore une fois établir lequel de l'affréteur à temps ou du propriétaire du navire était le transporteur. Le juge de première instance a rendu un jugement en faveur du propriétaire de la cargaison contre l'affréteur à temps et a rejeté l'action contre le propriétaire du navire. Il était d'avis, qu'en signant les connaissements conformément à la clause 8 de la charte-partie, le capitaine du navire agissait en tant que mandataire au nom de l'affréteur à temps et non pas au nom du propriétaire du navire. La décision a été portée en appel devant la Cour d'appel fédérale qui a infirmé la décision du juge de première instance en application de l'arrêt Paterson Steamships. Le juge en chef Jackett, ([1978] 2 C.F. 710) a examiné la question aux pages 717 et 718 :

         Je vais examiner sur le fond le présent appel. Il s'agit, à mon avis, de déterminer si, en l'espèce, le savant juge de première instance a fait erreur en concluant que le contrat de transport de l'appelante n'a pas été un contrat conclu avec l'intimée en tant que propriétaire et exploitante du navire dont le capitaine, préposé de ladite propriétaire, a signé les connaissements concernant le transport des marchandises de l'appelante, conformément aux arrangements complexes régissant les contrats avec les affréteurs pour le transport des marchandises par mer. Je ne vois pas en quoi les circonstances de l'espèce diffèrent de celles prises en considération par la Cour suprême du Canada dans Paterson Steamships Ltd c. Aluminum Co. of Canada Ltd. ni pourquoi je devrais en venir à une autre conclusion que celle de la Cour suprême dans l'arrêt précité. À défaut de différence pertinente, je suis d'avis que le savant juge de première instance a fait erreur en concluant que l'appelante n'a pas conclu de contrat de transport avec l'intimée.                 

     En appel, la Cour suprême du Canada a profité de l'occasion pour confirmer les principes établis dans l'arrêt Paterson Steamships. Avant de citer en approbation le passage qui précède tiré de la décision du juge en chef Jackett, le juge Ritchie a déclaré, à la page 328 :

         Le juge de première instance était d'avis qu'il n'existait aucun lien contractuel entre Aris [le propriétaire du navire] et la demanderesse relativement à la livraison de la cargaison et que les connaissements avaient été signés par le capitaine en sa qualité de mandataire de l'affréteur. À l'instar du juge en chef Jackett et pour les motifs qu'il expose, je ne peux souscrire à cette proposition. Par ailleurs, je suis porté à croire que le capitaine et l'affréteur agissaient en leur qualité de mandataires du propriétaire dans l'exécution du contrat constaté par le connaissement.                 

     Je crois qu'il serait utile de faire un bref résumé des faits pertinents qui sous-tendent les décisions rendues dans l'arrêt Aris Steamship. J'adopterai à cette fin le résumé des faits qu'a donné le juge Ritchie de la Cour suprême du Canada, aux pages 325 et 326 :

         Dans son action, la demanderesse réclame des dommages-intérêts à cause du retard qui serait survenu dans l'expédition et la livraison d'une cargaison de fonte en gueuses chargée à bord du navire Evie W, propriété d'Aris qui avait conclu un contrat de charte-partie à temps avec Worldwide. Le dernier paragraphe de ce contrat se lit comme suit :                 
             [TRADUCTION] 26. Rien dans le présent contrat ne doit être interprété comme un transfert de la gestion nautique du navire aux affréteurs à temps. Les propriétaires sont tenu de payer l'assurance et répondent de la navigabilité du navire, du fait des pilotes et des remorqueurs, de l'équipage et de toute autre chose, de la même manière que s'ils exploitaient le navire en leur nom personnel.                 
         Il est donc évident aux termes de ce contrat que jamais la propriété du navire n'a été transférée à Worldwide. Comme le veut l'usage, cette charte-partie prévoit que le navire doit être mis à la disposition de Worldwide qui était chargée de lui trouver une cargaison selon les circonstances et les besoins; le propriétaire Aris devait fournir le capitaine et l'équipage, et les connaissements relatifs à la cargaison à expédier devaient être signés par le capitaine au nom du propriétaire. La clause 8 de la charte-partie définit le rôle du capitaine en ces termes:                 
             [TRADUCTION] 8. Le capitaine effectuera tous ses voyages avec la plus grande célérité et donnera l'assistance coutumière avec l'équipage du navire et les bateaux. Le capitaine, même s'il est nommé par les propriétaires, sera sous les ordres des affréteurs pour toute question d'emploi ou de mandat; les affréteurs sont tenus de charger, d'arrimer et de décharger la cargaison à leurs frais, sous la surveillance du capitaine qui signe sur présentation les connaissements relatifs aux chargements effectués conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur. Le tout sans limiter la portée de la présente charte-partie.                 
         En l'espèce, des dispositions ont été prises par l'intermédiaire de Worldwide et de ses associés commerciaux pour faire charger une cargaison de fonte en gueuses, propriété de la demanderesse, à Koverhar, en Finlande, à destination de Toledo (Ohio) et de Hamilton (Ontario). De toute évidence, le navire devait emprunter la Voie maritime du Saint-Laurent. Conformément aux dispositions dont j'ai parlé, le connaissement portant sur cette cargaison a été signé par le capitaine Skovelis, un administrateur et actionnaire d'Aris. Une cargaison distincte de contreplaqué affiné, dans laquelle la demanderesse n'avait aucun intérêt, a été chargée à bord du même navire en Finlande à destination des ports des Grands lacs.                 
         Le voyage, qui a débuté en Finlande, a connu des difficultés de tous ordres à cause du gros temps et d'autres risques maritimes qu'il n'est pas nécessaire de relater, mais le juge de première instance ne s'est pas prononcé sur la question des événements de mer. Quoi qu'il en soit, à cause du mauvais temps, le navire a dû faire escale à Greenoch, le 19 octobre, pour être réparé; mais à nouveau, des vents d'une violence de quasi-ouragan l'ont forcé à chercher refuge à Plymouth et à Falmouth en Angleterre, port qu'il a finalement quitté le 5 novembre. Tout compte fait, le voyage qui a commencé à Koverhar en Finlande le 4 octobre 1967 ne s'est terminé que le 22 novembre suivant à Montréal (Québec). Il a été jugé nécessaire à ce moment-là de décharger une partie de la cargaison de contreplaqué affiné afin d'alléger le navire, qui était trop chargé pour emprunter la Voie maritime. En raison de ce déchargement et d'une grève, Worldwide a dû aviser les expéditeurs du contreplaqué qu'elle ne pouvait livrer la cargaison comme convenu et qu'elle la déchargeait à Montréal. La question de savoir qui, de Worldwide ou de l'expéditeur, devait défrayer le coût du déchargement a entraîné un différend qui s'est terminé par la saisie du navire par les propriétaires de la cargaison de contreplaqué. Un autre différend est alors survenu entre Aris, Worldwide et l'assureur sur la question de savoir qui allait fournir un cautionnement pour permettre au navire de se rendre à destination. Ceci a causé d'autres retards d'où l'obligation d'organiser le transport de toute la quantité possible de fonte en gueuses sur d'autres navires jusqu'à destination. Une partie importante de cette cargaison ne pouvait toutefois pas être expédiée de cette manière et l'expéditeur a dû organiser le transport du reste de la cargaison par chemin de fer jusqu'à destination. C'est le coût de cette dernière opération que la demanderesse réclame dans la présente action en dommages-intérêts.                 

     Comme le fait remarquer le juge Ritchie, les dispositions pour faire charger une cargaison, propriété de la demanderesse, à Koverhar, en Finlande, à destination de ports dans les Grands Lacs ont été prises par l'intermédiaire de Worlwide Carriers. Plus précisément, comme il ressort clairement des motifs du jugement du juge de première instance, une charte-partie au voyage a été conclue entre Worlwide Carriers, en tant qu'armateur de fait, et la demanderesse, Associated Metals and Minerals Corporation, pour le transport de 10 000 tonnes anglaises de fonte en gueuses.

     À la lecture de la décision du juge de première instance ([1973] J.C.F. no 803 (QL)), il est aussi très clair que la demanderesse a mené toutes ses négociations et discussions avec l'affréteur à temps. La seule intervention du propriétaire de navire se résume à la signature du capitaine sur les connaissements. Voilà pourquoi le juge de première instance a conclu qu'un contrat de transport constaté par les connaissements était intervenu entre la demanderesse et l'affréteur à temps. À la page 32 (QL) de ses motifs, le juge de première instance déclare ce qui suit :

         Il n'y avait aucun rapport contractuel entre l'armateur Aris Steamship Co. Inc. et les demandeurs en ce qui concerne la livraison de la cargaison aux ports des Grands Lacs. Si le capitaine était requis de signer les connaissements, ce qu'il a fait en faisant une réserve sur le chargement, il n'a pas signé ces connaissements en qualité de mandataire de l'armateur-fréteur mais de l'armateur-affréteur Worldwide Carriers Ltd. (voir l'article 8 de la charte-partie supra).                 

     Tant dans l'arrêt Aris Steamship qu'en l'espèce, le chargeur n'a pas négocié avec les propriétaires du navire, mais plutôt avec l'affréteur à temps. Ainsi, le contexte factuel de l'espèce est sensiblement le même que dans les arrêts Aris Steamship ou Paterson Steamships. La Cour suprême était d'avis que dans le contexte d'une charte-partie New York Produce Exchange, l'affréteur à temps agit en sa qualité de mandataire du propriétaire du navire dans l'exécution du contrat constaté par le connaissement. À moins que l'affréteur ne s'engage expressément à transporter les marchandises du chargeur, je conclus que le propriétaire du navire est le transporteur. Dans la présente affaire, Federal Commerce ne s'est pas engagée à transporter les marchandises à Bangkok et à Manille.

     En l'espèce, le vendeur CAF, Union Carbide, a pris toutes les dispositions nécessaires pour exécuter ses obligations en vertu des contrats de vente. Union Carbide a en outre veillé à assurer la cargaison vendue à ses clients.

     Afin d'exécuter ses obligations en vertu des contrats de vente, Union Carbide a signé un engagement de fret avec Federal Commerce. Conformément à cet engagement, Federal Commerce a convenu de réserver, pour la cargaison de Union Carbide, l'espace nécessaire dans un ou deux navires à déterminer. Il s'agit de savoir si Federal Commerce, d'après les conditions de l'engagement de fret et de la délivrance des connaissements, s'est engagée à transporter la cargaison de Union Carbide.

     À mon avis, la réponse à cette question est négative. Premièrement, Federal Commerce ne s'est pas engagée, dans l'engagement de fret, à transporter la cargaison de Union Carbide. La clause 1 de l'engagement de fret stipule simplement que Federal Commerce réservera l'espace nécessaire pour la cargaison de Union Carbide. La clause stipule ensuite que Federal Commerce a le droit, sans y être tenue, de substituer, transborder et d'expédier les marchandises de Union Carbide [TRADUCTION] "conformément aux stipulations de la clause 6 au verso". La clause 6 "au verso", à l'instar de toutes les autres clauses qui figurent "au verso", est tirée de la formule de connaissement standard de Federal Commerce et doit donc être lue dans ce contexte.

     La clause 6 "au verso" est la clause 7 des connaissements délivrés le 5 janvier 1979. Elle est ainsi rédigée :

         [TRADUCTION]                 
             Que des dispositions expresses soient prises à l'avance ou autrement, le transporteur peut transporter les marchandises à leur port de débarquement sur ce navire ou tout autre navire appartenant au transporteur ou à un tiers, ou par d'autres moyens de transport, directement ou indirectement, et transporter tout ou partie des marchandises au-delà de leur port de débarquement, et transborder, débarquer et entreposer les marchandises sur le quai ou sur mer et les embarquer à nouveau et les expédier aux frais du transporteur, mais aux risques du commerçant.                 
             Lorsque les marchandises doivent être expédiées à une destination finale autre que le port de débarquement désigné du navire, le transporteur agit en sa qualité de transitaire du commerçant seulement afin d'effectuer le post-transport vers cette destination finale, sans aucune autre responsabilité de quelque nature que ce soit, même s'il a recouvré le fret pour tout le transport. Le transport par tout intermédiaire, terminal ou navire porte-barges et tout transbordement ou toute expédition est assujetti aux conditions des formules de connaissement, notes de fret, contrats ou autres documents d'expédition standard utilisés à ce moment par ce post-transporteur, qu'ils soient délivrés à l'égard des marchandises ou non, même si ces conditions sont moins avantageuses pour le commerçant que celles du présent connaissement, contiennent des exigences plus strictes quant à la déclaration de réclamation ou à l'introduction d'une action et exonèrent le post-transporteur de toute responsabilité pour négligence.                 
             Le commerçant autorise expressément le transporteur à prendre des dispositions avec un tel intermédiaire, terminal ou navire porte-barges pour que l'évaluation la plus basse des marchandises ou la limitation de la responsabilité contenue dans le connaissement ou les documents d'expédition de ce transporteur s'appliquent, même si elles sont plus basses que les évaluations ou moins avantageuses que la limitation du présent connaissement; en attendant ou pendant le transbordement, les marchandises peuvent être entreposées à quai ou sur mer à ses risques et frais et le transporteur ne saurait être tenu de leur garde.                 
             La responsabilité du transporteur est limitée à la partie du transport effectuée sur le navire y mentionné ou qui y est substitué, et le transporteur ne saurait être tenu des pertes, avaries ou retards qui surviennent au cours d'une autre partie du transport, même s'il a recouvré le fret pour tout le transport.                 

     La clause 6 "au verso" doit obligatoirement être lue en parallèle avec la clause 2 des connaissements qui est ainsi rédigée :

         [TRADUCTION]                 
             Le contrat constaté par le présent connaissement est conclu entre le commerçant et le propriétaire du navire y mentionné (ou qui y est substitué), et il est par conséquent convenu que seul le propriétaire est responsable des avaries ou des pertes imputables à l'inexécution d'une des obligations du contrat de transport, du fait de la navigabilité du navire ou non. Si malgré ce qui précède, il est jugé qu'un tiers est le transporteur ou le dépositaire des marchandises y mentionnées, ce tiers peut se prévaloir de toute limitation ou exonération de responsabilité prévue en common law ou dans le présent connaissement.                 
             Il est en outre entendu et convenu que la société ou le mandataire signataire du présent connaissement au nom du capitaine, n'est pas un mandant dans la présente transaction, et ce dernier ne saurait engager sa responsabilité en vertu du contrat de transport à titre de transporteur ou de dépositaire des marchandises.                 

     Federal Commerce a désigné le HUDSON BAY pour transporter la cargaison de Union Carbide à destination de Manille et de Bangkok. Conformément à la clause 8 de la charte-partie à temps, Federal Commerce était tenue de charger et d'arrimer toute la cargaison à bord du HUDSON BAY à ses frais, sous la surveillance du capitaine. Par conséquent, en ce qui concerne Bona Maritime et Federal Commerce, cette dernière était tenue de retenir les services d'acconiers pour charger la cargaison de Union Carbide à bord du HUDSON BAY à Montréal. À cette fin, Federal Commerce a engagé Federal Marine.

     Une fois la cargaison chargée à Montréal, Federal Commerce a délivré les connaissements, avec l'autorisation du capitaine, en sa qualité de mandataire seulement. Federal Commerce s'est alors appuyée sur la clause 8 de la charte-partie qui autorise le capitaine du navire à signer ou, à la demande des affréteurs, à autoriser ces derniers ou leurs mandataires à signer sur présentation les connaissements relatifs aux chargements effectués conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur. L'avocate des demanderesses a allégué qu'il n'existait aucun élément de preuve montrant que le capitaine du HUDSON BAY a autorisé Federal Commerce à signer les connaissements en son nom. Parmi les éléments de preuve figurait une lettre du capitaine du HUDSON BAY en date du 5 décembre 1978 à l'intention de Fedmar International, le mandataire de Federal Commerce à Detroit, autorisant Fedmar à signer les connaissements en son nom relativement à la cargaison [TRADUCTION] "qui est susceptible d'être reçue pour embarquement ou envoyée sur le présent navire selon les termes C/P-B/N régissant ce voyage (...)".

     Selon l'avocate des demanderesses, cette lettre ne visait que la cargaison de Detroit. Quoi qu'il en soit, en m'appuyant sur l'affaire The Berkshire, [1974] 1 Lloyds Rep. 185 (Q.B.), je suis convaincu que Federal Commerce pouvait valablement signer les connaissements au nom du capitaine. Dans l'affaire The Berkshire, le juge Brandon (tel était alors son titre), après avoir cité la clause 8 de la charte-partie New York Produce Exchange6, a interprété ainsi la clause, aux pages 188 et 189 :

         [TRADUCTION]                 
             L'effet d'une telle clause dans une charte-partie est bien établi. D'une part, la clause permet aux affréteurs de présenter au capitaine pour signature en son nom ou au nom des propriétaires du navire, les connaissements qui contiennent ou constatent des contrats entre les chargeurs des marchandises et les propriétaires du navire, à condition que ces connaissements ne contiennent pas de conditions extraordinaires ou manifestement incompatibles avec la charte-partie; et le capitaine est tenu de signer sur présentation les connaissements au nom des propriétaires du navire.                 
             D'autre part, les affréteurs peuvent signer eux-mêmes les connaissements au nom du capitaine ou des propriétaires du navire, au lieu de les présenter au capitaine à cet effet. Dans les deux cas, que ce soit le capitaine qui les signe selon les instructions des affréteurs ou que ces derniers le court-circuitent en les signant eux-mêmes, la signature lie les propriétaires du navire en leur qualité de mandants dans le contrat contenu ou constaté par les connaissements.                 
             Citons à l'appui de cette thèse l'affaire Tillsman & Co. v. S.S. Knutsford, [1908] 2 K.B. 385; [1909] A.C. 406. Voir aussi, en ce qui concerne les conditions manifestement incompatibles avec la charte-partie, l'affaire Kruger & Co. Ltd. v. Moel Tryvan Ship Co. Ltd., [1907] A.C. 272, aux pp. 278 et 279.                 

     [...]

             Au motif que les affréteurs avaient le pouvoir, aux termes de la clause 8 de la charte-partie, de signer les connaissements au nom des propriétaires du navire, je suis d'avis qu'ils avaient le droit de déléguer cette tâche à Ocean Wide à titre de mandataire et que Ocean Wide avait le droit de la sous-déléguer à Ayers à titre de sous-mandataire. La signature des connaissements est un acte officiel et c'est pour ce motif, entre autres, que j'estime que le principe selon lequel celui qui est délégué ne peut pas déléguer ne vise pas un tel acte.                 

     Dans l'affaire The Rewia, [1991] 2 Lloyd's Rep. 325 (C.A.), le lord juge Leggatt a déclaré que même si les affréteurs n'avaient pas obtenu l'autorisation du capitaine de délivrer les connaissements en son nom, la ratification a lieu lorsque le capitaine, connaissant l'existence des connaissements, entreprend de transporter les marchandises.

     La clause 6 de l'engagement de fret stipule que la formule de connaissement standard de Federal Commerce est utilisée et que toutes les conditions et exceptions de celle-ci font partie de l'engagement de fret. L'une des clauses de la formule de connaissement de Federal Commerce s'intitule [TRADUCTION] "Parties au contrat". La première partie de la clause 27 du connaissement, souvent appelée "clause de dévolution"8, est ainsi rédigée :

         [TRADUCTION]
         2.      Parties au contrat
             Le contrat constaté par le présent connaissement est conclu entre le commerçant et le propriétaire du navire y nommé (ou qui y est substitué) et il est par conséquent convenu que seul le propriétaire du navire est responsable des avaries ou pertes imputables à l'inexécution de l'une des obligations du contrat de transport, du fait de la navigabilité du navire ou non. Si malgré ce qui précède, il est jugé qu'un tiers est le transporteur ou le dépositaire des marchandises y mentionnées, ce tiers peut se prévaloir de toute limitation ou exonération de responsabilité prévue en common law ou dans le présent connaissement.                 
             Il est en outre entendu et convenu que la société ou le mandataire signataire du présent connaissement au nom du capitaine, n'est pas un mandant, dans la présente transaction, et ce dernier ne saurait engager sa responsabilité en vertu du contrat de transport à titre de transporteur ou de dépositaire des marchandises.                 

     En résumé, la clause stipule que le contrat constaté par le connaissement est conclu entre le propriétaire de la cargaison et le propriétaire du navire à bord duquel les marchandises seront transportées. La clause stipule en outre que le propriétaire du navire est la seule partie responsable de la perte de la cargaison et des avaries causées à celle-ci, ou de l'inexécution de l'une des obligations du contrat de transport. La clause stipule enfin que la société ou le mandataire qui délivre le connaissement au nom du capitaine du navire n'est pas un mandant et que cette société ou ce mandataire [TRADUCTION] "ne saurai[t] engager [sa] responsabilité en vertu du contrat de transport à titre de transporteur ou de dépositaire des marchandises".

     Dans l'affaire The Berkshire, précitée, à la page 188, le juge Brandon répond à l'argument des propriétaires du navire selon lequel la clause de dévolution était une clause extraordinaire, en leur déclarant ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
             On a soutenu, au nom des propriétaires du navire, que la clause de dévolution était en soi une clause extraordinaire; que les affréteurs ne pouvaient légalement présenter un connaissement assorti de cette clause au capitaine pour signature en son nom ou au nom des propriétaires du navire; et qu'ils ne pouvaient par conséquent lier les propriétaires du navire en signant eux-mêmes ce connaissement.                 
             Je dois avouer que je ne comprends pas cet argument. Une clause de dévolution ne vise qu'à énoncer en termes non équivoques que le connaissement est censé être un connaissement des propriétaires du navire. La charte-partie permet aux affréteurs de présenter les connaissements au capitaine pour signature en son nom ou au nom des propriétaires du navire, ou de les signer eux-mêmes au nom de ceux-ci. Comment peut-on alors prétendre que la clause de dévolution, d'après le principe énoncé ci-dessus, est une clause extraordinaire? À mon avis, loin d'être extraordinaire, cette clause est tout à fait habituelle et standard.                 

     Je souscris entièrement aux propos du juge Brandon. Dans les arrêts Paterson Steamships et Aris Steamship, la Cour suprême du Canada a conclu que les connaissements signés au nom du capitaine d'un navire liaient les propriétaires de ce navire, mais non les affréteurs à temps. Qu'il soit assorti ou non d'une clause de dévolution, un connaissement délivré dans les circonstances de l'espèce constitue un contrat qui lie les propriétaires du navire et non les affréteurs à temps, à moins, comme l'a déclaré le juge Rand dans l'arrêt Paterson Steamships, que l'affréteur ne se soit engagé à transporter la cargaison.

     Dans l'espèce, la clause de dévolution prévue à la clause 6 de l'engagement de fret, fait partie intégrante de cet engagement de fret et, en conséquence, Union Carbide savait que les connaissements seraient des contrats obligatoires pour le propriétaire du navire transporteur. Je ne vois pas, dans les circonstances de l'espèce, comment les demanderesses peuvent se soustraire à cette conclusion.

     Comme je l'ai mentionné précédemment, les clauses 2 et 7 des connaissements font partie d'un seul et même contrat et doivent être lues ensemble. Autrement dit, on ne peut lire la clause 7 (clause 6 "au verso" de l'engagement de fret) sans tenir compte de la clause 2. Le [TRADUCTION] "transporteur" mentionné dans la clause 7 n'est pas, à mon avis, Federal Commerce, mais bien la personne qui a conclu le contrat de transport. La clause 2 des connaissements qui fait partie intégrante de l'engagement de fret, est claire et stipule que les contrats constatés par les connaissements sont conclus entre le commerçant et le propriétaire du navire transporteur. Il est vrai que, dans l'engagement de fret, Federal Commerce se décrit comme le transporteur. Toutefois, il ressort clairement de l'interprétation rigoureuse du contrat de transport que le propriétaire du navire à bord duquel les marchandises ont été transportées est le "transporteur".

     L'avocate des demanderesses a allégué que le propriétaire du navire et Federal Commerce étaient les transporteurs de la cargaison expédiée par Union Carbide. Elle fonde son argument sur la Loi sur le transport des marchandises par eau, L.C. (1993), ch. C-21, (Annexe I, alinéa Ia) qui définit "transporteur" comme suit :

         "transporteur" comprend le propriétaire du navire ou l'affréteur, partie à un contrat de transport avec un chargeur;                 

     Selon l'avocate des demanderesses, le propriétaire du navire est le "transporteur" au sens des règles de la délivrance des connaissements par Federal Commerce en leur nom. Elle a ajouté que Federal Commerce est aussi un transporteur en vertu des conditions de l'engagement de fret et de la délivrance des connaissements par Federal Commerce. Autrement dit, l'avocate prétend que tant le propriétaire du navire que Federal Commerce peuvent être les "transporteurs". L'avocate fonde son argument sur les propos tenus par le professeur Tetley dans son ouvrage Marine Cargo Claims , précité, à la note 8. La thèse de l'avocate a été accueillie favorablement par ma collègue le juge Reed dans l'affaire Canastrand Industries Ltd. c. Le navire "Lara S", [1993] 2 C.F. 553. Le juge Reed cite avec approbation l'opinion exprimée par le professeur Tetley, aux pages 235, 236 et 242 de son ouvrage Marine Cargo Claims :

             Dans son ouvrage Marine Cargo Claims, 3e éd., 1988, aux pages 233 à 245, le professeur Tetley examine la question de savoir qui est un transporteur sous le régime des Règles de La Haye ou des Règles de La Haye-Visby [Protocole portant modification de la Convention internationale pour l'unification de certaines règles en matière de connaissement signée à Bruxelles, le 25 août 1924 (Bruxelles 23 février 1968)]. Il affirme ce qui suit aux pages 235 et 236:                 
             [TRADUCTION] Traditionnellement, le transporteur était la personne qui contractait avec le chargeur pour transporter les marchandises. Il faut maintenant se demander si le transporteur doit également avoir contracté avec le chargeur sous le régime des Règles de La Haye ou des Règles de La Haye-Visby. La réponse est que l'émetteur du connaissement contracte à la fois en son propre nom et au nom de tiers ayant des responsabilités sous le régime des Règles de La Haye. Autrement dit, le transporteur contractant contracte à deux titres : pour son propre compte et comme mandataire. Par conséquent, l'affréteur qui émet le connaissement contracte également pour tout autre affréteur et pour le propriétaire du navire auxquels les Règles imposent des responsabilités.                 

     * * *

             Le connaissement est généralement signé par le capitaine ou en son nom et un tel connaissement lie normalement le propriétaire du navire pour lequel agit le capitaine. La seule exception semble être le cas où le capitaine est directement à l'emploi d'un affréteur coque nue.                 
             Lorsqu'un affréteur à temps ou au voyage signe comme mandataire du capitaine, le propriétaire demeure lié parce que le capitaine est l'employé, ou en fait, le préposé ou le mandataire du propriétaire. Ceci semble vrai même lorsque la raison sociale de l'affréteur figure à l'en-tête du connaissement, comme l'a jugé la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Paterson SS. Ltd, v. Aluminum, Co. Cette position a également été adoptée par le juge Brandon dans l'arrêt The Berkshire et par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt The Evie W.                 
             Dans les affaires Paterson, SS. Ltd et The Berkshire, et probablement dans l'affaire The Evie W., le propriétaire savait que l'affréteur avait l'habitude d'émettre des connaissements du capitaine rédigés sur des formules de connaissement de l'affréteur. En fait, il s'agit d'une pratique courante dans le monde maritime, si bien qu'il est rare que le propriétaire n'en soit pas informé. [Les renvois ont été omis, soulignements ajoutés.]                 
         L'auteur affirme ce qui suit à la page 242:
             [TRADUCTION] Généralement, l'action peut être intentée contre le propriétaire et l'affréteur. Dans l'arrêt The Quarrington Court, le tribunal a jugé qu'un connaissement émis par un affréteur sur sa propre formule et signé par l'agent de l'affréteur pour le capitaine, conformément à l'autorisation écrite du capitaine, liait à la fois le propriétaire du navire et l'affréteur. Dans d'autres jugements, l'affréteur a été tenu responsable sur le plan contractuel et le propriétaire du navire, responsable sur le plan délictuel.                 
             Le transport de marchandises constitue effectivement une coentreprise de propriétaires et d'affréteurs (sauf dans le cas d'un affrètement coque nue), si bien qu'ils devraient être tenus solidairement responsables comme transporteurs. [Les renvois ont été omis, soulignement ajouté.]                 
             Il semble tout à fait logique de tenir à la fois le propriétaire du navire et l'affréteur responsables en tant que transporteurs en vertu d'un affrètement comme celui qui a été conclu en l'espèce. Le capitaine connaît le navire et les particularités dont il faut tenir compte au moment de l'arrimage. Il surveille cet arrimage. Il assume la responsabilité du voyage et on peut présumer qu'il connaît les conditions météorologiques auxquelles on pourrait normalement s'attendre. Dans un tel cas, il semble tout à fait juste de tenir le capitaine et, par conséquent, son employeur, le propriétaire du navire, solidairement responsables avec l'affréteur des avaries qui découlent d'un arrimage inadéquat.                 

     Madame le juge Reed semble souscrire à la théorie du professeur Tetley selon laquelle, lorsque des marchandises sont chargées à bord d'un navire affrété à temps, le transport de marchandises constitue effectivement une coentreprise des propriétaires de ce navire et des affréteurs à temps. Je ne peux accepter la justesse de cette opinion. Premièrement, une telle conclusion est contraire aux décisions de la Cour suprême dans les arrêts Paterson Steamships et Aris Steamship. Deuxièmement, il ne peut exister de coentreprise entre le propriétaire et les affréteurs que s'il y a eu accord de volontés entre les parties à la coentreprise. Peut-on affirmer qu'en signant une charte-partie New York Produce Exchange, comme c'est le cas en l'espèce, le propriétaire et les affréteurs ont convenu de transporter conjointement les marchandises chargées à bord du navire? À mon avis, non. Troisièmement, pour souscrire à l'opinion du professeur Tetley, il faut oublier que la Cour d'appel fédérale a clairement statué que la question de l'identité du transporteur est liée aux documents et aux circonstances de l'affaire. (Voir Sucre Lantic Limitée. c. Blue Tower Trading Corp. (1994), 163 N.R. 191).

     Dans Scrutton on Charterparties and Bills of Lading, 20th ed. (London : Sweet & Maxwell, 1996), les auteurs interprètent les termes "comprend" et "l'affréteur" à l'alinéa 1a ) des Règles de La Haye, modifiées par le Protocole de Bruxelles de 1968, (les "Règles de La Haye-Visby"), qui figurent en annexe à la Carriage of Goods by Sea Act, 1971 , R.-U. Les auteurs s'expriment ainsi à la page 422 :

         [TRADUCTION]

     Article I

         Dans les présentes règles, les mots suivants sont employés dans le sens précis indiqué ci-dessous :                 
         a) "transporteur" comprend le propriétaire du navire ou l'affréteur, partie à un contrat à un contrat de transport avec un chargeur.                 
         "comprend". L'usage de ce terme sous-entend que la définition n'est pas exhaustive et par conséquent que le "transporteur" peut comprendre un transitaire, un groupeur ou une entreprise de transport qui, en délivrant un connaissement, conclut un contrat de transport avec un chargeur. Il exclut les acconiers. En tout état de cause, il ne s'étend pas au-delà de la personne qui s'engage comme transporteur en vertu du contrat de transport applicable. Il s'agit, en général, d'un connaissement, auquel cas, le transporteur est la personne (le propriétaire du navire ou l'affréteur) qui engage sa responsabilité par ce document. Lorsque le connaissement est incorporé à la charte-partie, le transporteur est le propriétaire du navire ou l'armateur de fait, selon le cas.                 
         "l'affréteur". Ce terme vise sans aucun doute la situation où un affréteur est responsable en vertu du contrat de transport, alors que le propriétaire ne l'est pas. Cette situation peut survenir (1) dans le cas d'un affrètement coque nue; et (2) lorsque l'affréteur délivre et signe son propre connaissement.                 

     D'après la thèse des auteurs, il semble que si l'affréteur est responsable en vertu du contrat de transport, le propriétaire du navire ne l'est pas. Je souscris à cette thèse. Un affréteur délivrera et signera un connaissement soit en son nom ou au nom du capitaine. Lorsqu'il le signe au nom du capitaine, avec l'autorisation de ce dernier, le propriétaire du navire est lié par la délivrance du connaissement, alors que l'affréteur ne l'est pas. Lorsque l'affréteur délivre et signe le connaissement en son propre nom, il est lié par ce connaissement. Par conséquent, dans la plupart des cas, le terme "ou" à l'alinéa 1a ) des Règles de La Haye s'entend en ce sens. Le transporteur peut être soit le propriétaire, soit l'affréteur, mais jamais les deux. Je n'ai pas à examiner la situation où un affréteur délivre et signe un connaissement en son et au nom du capitaine. Ce n'est manifestement pas le cas en l'espèce.

     La clause 26 de la charte-partie revêt une certaine pertinence pour la présente question. Elle stipule que les propriétaires du HUDSON BAY [TRADUCTION] "sont tenus de payer l'assurance et répondent de la navigabilité du navire, du fait des pilotes et des remorqueurs, de l'équipage et de toute autre chose, de la même manière que s'ils exploitaient le navire en leur nom personnel". Dans l'affaire Sucre Lantic Limitée c. Blue Tower Trading Corp. , précitée, le juge McGuigan de la Cour d'appel fédérale a fait droit à l'opinion exprimée par le juge de première instance voulant que l'expression "toute autre chose" qui figure à la clause 26 de la formule de charte-partie New York Produce Exchange pouvait inclure, parmi les choses pour lesquelles le propriétaire, plutôt que l'affréteur, demeurait tenu, les demandes d'indemnité pour avarie de marchandises.

     Dans l'affaire The Rewia, précitée, la Cour d'appel d'Angleterre devait établir si les connaissements délivrés au nom du capitaine du navire étaient des connaissements de l'affréteur ou du propriétaire. Après examen de la jurisprudence pertinente, le lord juge Laggett a conclu que les connaissements signés au nom du capitaine ne pouvaient être des connaissements de l'affréteur que si les contrats sont conclus avec l'affréteur seulement. Le lord juge Laggett a déclaré à la page 333 :

         [TRADUCTION]                 
             L'argument des demandeurs est essentiellement fondé sur l'utilisation des connaissements aux conditions de ligne régulière et sur leur ignorance du fait que le navire était affrété. Toutefois, d'après la preuve actuelle, il n'y a rien qui porte atteinte aux connaissements lesquels, après une interprétation rigoureuse, ont été signés pour le capitaine par des mandataires à qui il avait le pouvoir déléguer cette tâche, et il est présumé les avoir signés, puisqu'il était tenu de le faire sur présentation. Le capitaine était en fait le préposé des propriétaires du navire. Il est inutile de dire qu'une enquête plus poussée pourrait donner des résultats différents puisque la question de savoir si les connaissements étaient des connaissements des propriétaires dépend de l'interprétation rigoureuse des connaissements. Comme M. Gaisman le fait remarquer avec vigueur, les premiers demandeurs dans la présente action étaient les consignataires des marchandises qui ne pouvaient détenir le titre de propriété qu'à titre de cessionnaire des connaissements, et non par voie de cession d'un engagement verbal de fret. L'action est fondée sur les contrats contenus dans les connaissements ou constatés par ceux-ci. Ces contrats ont été conclus pour le premier ou le troisième défendeur et une enquête sur les faits entourant la conclusion de l'engagement de fret ne serait d'aucun secours à la Cour.                 
             Nous sommes tous d'avis qu'en l'espèce, il s'agit d'un affrètement à temps qui n'équivaut pas un affrètement coque nue. Il me semble que le juge Channell a correctement énoncé le droit dans le passage tiré de l'affaire Wehner v. Dene SS. Co., précitée. Cette formulation n'a jamais été contestée. Les faits de l'espèce sont identiques à ceux de l'affaire Wilston v. Andrew Weir, précitée, et cette décision n'a jamais été contestée non plus. L'extrait tiré de Scrutton on Charterparties auquel la note 79 est annexée induit désormais en erreur et, dans le contexte, seules les premières affaires qui y sont citées le sont à bon escient. Si le juge Walton avait pu, en 1905, examiner les décisions subséquentes, il ne les aurait sans doute pas considérées "dans une certaine mesure... incompatibles". Elles s'inscrivent toutes dans un ensemble. À mon avis, elles appuient la conclusion selon laquelle un connaissement signé pour le capitaine ne peut être un connaissement de l'affréteur que si le contrat est conclu avec l'affréteur seulement, le signataire est autorisé à signer et qu'il signe effectivement au nom de l'affréteur et non pas en celui des propriétaires. En conséquence, les connaissements en l'espèce étaient des connaissements des propriétaires.                 

     En l'espèce, je ne peux conclure à la formation d'un contrat de transport avec l'affréteur. Les connaissements délivrés le 5 janvier 1979 sont manifestement des connaissements du propriétaire du navire.

     Une des obligations de Union Carbide en vertu des contrats de vente était de conclure un contrat de transport selon les termes standard pour les marchandises, vers les ports de débarquement. Union Carbide était aussi tenue de fournir aux acheteurs des connaissements nets négociables. Union Carbide a exécuté ces obligations et remis aux consignataires les connaissements délivrés le 5 janvier 1979. Ces connaissements stipulaient clairement, à mon avis, que les contrats y constatés étaient conclus avec le propriétaire du navire à bord duquel les marchandises ont été chargées. Ce sont ces connaissements que Union Carbide a remis à ses clients conformément à ses obligations contractuelles.

     J'aimerais enfin mentionner la distinction entre les contrats pour le transport et les contrats de transport établie par le juge Hobhouse dans l'affaire The Torenia, [1983] Lloyds Rep. 210 (Q.B.), à la page 216. En général, une charte-partie à temps constitue un contrat pour le transport de marchandises et non un contrat de transport. Selon moi, le présent engagement de fret appartient à la catégorie des contrats pour le transport de marchandises et non pas à celle des contrats de transport. Le juge Hobhouse explique la distinction en ces termes :

         [TRADUCTION]                 
         Le lien entre les présentes parties est contractuel. Il s'ensuit (comme en conviennent les deux avocats) que la question de la charge de la preuve ultime doit, en définitive, être tranchée par l'interprétation du contrat. Des précédents comme l'affaire Glendarroch, précitée, ont été tranchés en règle générale par une interprétation du contrat devant la Cour, bien que la question de l'interprétation ait été abordée en tenant bien compte du contexte historique et juridique de ces contrats. Dans l'évaluation des effets du contrat, il faut tenir compte de sa nature. En l'espèce, il s'agit d'un contrat contenu dans un connaissement; c'est un contrat de transport -- c'est-à-dire un genre de contrat de baillement. Il ne s'agit pas, comme l'a allégué antérieurement Me Pollock pour les défenderesses, d'un simple contrat pour le transport de marchandises. Une charte-partie est généralement un contrat pour le transport de marchandises non réalisé qui est censé donner lieu à un baillement (pas nécessairement entre les parties à la charte-partie). Elle peut inclure les conditions du baillement envisagé, mais ne constitue pas un contrat de baillement en soi. Outre la relation entre le baillant et le baillaire, elle couvre d'autres questions. L'affaire Joseph Constantine Steamship Lines v. Imperial Smelting Corporation, (1941) 70 L1.L.Rep. 1; [1942] A.C. 154, illustre ce point. L'inexécution alléguée dans cette affaire était l'omission de charger; c'est-à-dire, l'inexécution de l'obligation non réalisée de procéder au baillement.                 

     Dans l'affaire Grace Plastics Ltd. c. Le Bernd Wesch II, [1971] C.F. 273 (C.A.), le juge en chef Jackett devait établir si la "déclaration d'expédition" constituait un contrat pour le transport ou un contrat de transport. Dans cette affaire, la société demanderesse avait retenu les services d'un expéditeur qui a entrepris, pour un montant forfaitaire, le transport de l'équipement de la demanderesse des ports européens à Cornwall, en Ontario. Afin d'exécuter ses obligations contractuelles, l'expéditeur a conclu, par un document appelé "déclaration d'expédition", un accord avec l'affréteur à temps du navire BERND WESCH II. Le juge en chef Jackett a expliqué cet accord comme suit, à la page 276 :

         L'expéditeur a alors conclu, par un document appelé "déclaration d'expédition" avec le défendeur Hy Car, qui disposait d'un affrètement à temps sur le navire Bernd Wesch II accordé par son propriétaire, le défendeur Jonny Wesch, un accord pour transporter l'équipement industriel et les produits chimiques en question des ports européens à Montréal. Il n'est pas contesté qu'aux termes de l'accord intervenu entre l'expéditeur et Hy Car, deux éléments de l'installation, que l'on nomme "réacteurs", pesant chacun 70 tonnes, devaient être transportés "en pontée" et que le reste du chargement devait être transporté "sous pont".                 

     Une fois les marchandises chargées à bord du navire, un connaissement a été établi qui désignait l'expéditeur comme chargeur et indiquait que les marchandises étaient consignées à l'ordre de l'expéditeur.

     La défenderesse a intenté une action en responsabilité délictuelle et, subsidiairement, sur la base du contrat, contre le propriétaire du navire et l'affréteur. Aux pages 278 et 279, le juge en chef Jackett a examiné la réclamation fondée sur le contrat comme suit :

         Le Bernd Wesch II appartenait à Jonny Wesch qui l'exploitait. Il était loué sous affrètement à temps, et non pas coque nue, à Hy Car. Selon ses propres termes, le contrat de transport, qui prévoyait l'utilisation du " connaissement de la Hy Car line ", était un accord pour le transport de marchandises en vertu d'un contrat en bonne et due forme (le connaissement à venir) qui devait être signé au nom du "capitaine" du bâtiment choisi pour transporter les marchandises. Ce contrat était, au moment de sa signature, un contrat conclu au nom d'un commettant inconnu, à savoir le propriétaire et l'exploitant du navire qui a été choisi par la suite; il ne s'agit pas de contrat par affréteur en qualité de commettant. Voir Paterson Steamship Ltd c. Aluminum Co of Canada [1951] R.C.S. 852. Je suis par conséquent d'avis que la réclamation fondée sur le contrat de transport, s'il en est une, est dirigée contre M. Jonny Wesch et qu'il ne peut y avoir aucune action semblable dirigée contre Hy Car qui a contracté au nom d'un commettant inconnu dont l'identité a depuis été établie par la charte-partie.                 

     J'aimerais aussi citer la décision du juge Smith de la Cour de l'Échiquier dans l'affaire Apex (Trinidad) Oilfields, Ltd. v. Lunham & Moore Shipping, Ltd. (1962), 2 Lloyds Rep. 203. Il s'agissait là encore d'un affréteur qui, conformément à la clause 8 de la formule de charte-partie New York Produce Exchange, a délivré des connaissements au nom du capitaine du navire. La demanderesse a intenté une action fondée sur le contrat contre l'affréteur à temps. La demanderesse soutenait qu'elle avait un contrat d'affrètement avec l'affréteur à temps pour ses marchandises. La défenderesse n'a pas nié l'existence du contrat d'affrètement avec la demanderesse, mais a soutenu en défense qu'elle ne s'était jamais engagée à transporter les marchandises de la demanderesse. Le juge Smith a examiné cet argument comme suit, à la page 206 :

         [TRADUCTION]                 
             La défenderesse a soutenu qu'il n'existait aucun lien contractuel entre elle et la demanderesse relativement au transport de la cargaison depuis Walton (Nouvelle-Écosse) à Port of Spain, et qu'en l'absence d'une allégation de responsabilité civile délictuelle contre la défenderesse, il y a absence totale de lien de droit entre les parties.                 
             Manifestement, la défenderesse n'était ni le propriétaire ni l'affréteur coque nue du navire. (Voir la clause de dévolution de la charte-partie). Le contrat d'affrètement (pièce P-1) entre Canadian Industrial Minerals, Ltd. et la défenderesse n'est qu'un engagement en vertu duquel, d'une part, la défenderesse s'est engagée à fournir un espace à bord du navire pour la cargaison, le voyage et selon une tarification précise et, d'autre part, le chargeur s'est engagé à fournir la cargaison et à payer le fret demandé. Il ne s'agit pas du contrat de transport. L'accord est conclu, comme il est indiqué ci-dessus,                 
             (...) sous réserve des conditions, exceptions et libertés énoncées dans le connaissement du transporteur en usage au moment de l'expédition.                 
         C'est le connaissement qui constitue le contrat de transport et il stipule expressément que tous les accords ou engagements de fret pour l'expédition de marchandises sont remplacés par le connaissement.                 

     Par conséquent, je conclus que Federal Commerce n'est pas partie aux contrats constatés par les connaissements et que, en conséquence, le "transporteur" au sens des Règles de La Haye n'est pas Federal Commerce, mais plutôt Bona Maritime.

     Je ne vois pas comment, dans les circonstances de l'espèce, Bona Maritime a pu prétendre qu'elle n'était pas liée par les contrats constatés dans les connaissements. Je reconnais que le propriétaire n'a pas pris part à la présente procédure et qu'il n'a, en conséquence, présenté aucun élément de preuve, mais je ne vois pas comment sa participation aurait pu changer ma conclusion sur cette question, puisque le propriétaire a affrété son navire à Federal Commerce selon les termes de la formule de charte-partie New York Produce Exchange en vertu de laquelle Federal Commerce était autorisée à délivrer des connaissements au nom du capitaine.

     À la lumière de cette conclusion, Federal Commerce n'est pas responsable sur le plan contractuel envers les demanderesses. J'examinerai maintenant l'allégation des demanderesses selon laquelle Federal Commerce est responsable sur le plan délictuel.

FEDERAL COMMERCE EST-ELLE RESPONSABLE SUR LE PLAN DÉLICTUEL?

     Les demanderesses prétendent que Federal Commerce a la responsabilité délictuelle des avaries causées à leur cargaison. Plus précisément, elles soutiennent que Federal Commerce s'est montrée négligente lorsqu'elle a permis que les palettes soient arrimées sur plus de trois étages et a laissé le HUDSON BAY naviguer avec un arrimage inadéquat.

     Pour trancher cette question, il faut d'examiner les éléments de preuve relatifs aux allégations des demanderesses, tout en gardant à l'esprit que Bona Maritime n'a pas pris part à cette action, nous ne disposons donc pas d'éléments de preuve en ce qui concerne le voyage du HUDSON BAY de Montréal en Extrême-Orient.

     Comme je l'ai déjà signalé, aux termes de la clause 8 de la charte-partie, l'affréteur était tenu de charger, d'arrimer et de décharger la cargaison à ses frais, sous la surveillance du capitaine. Federal Commerce a donc retenu à cette fin les services de Federal Marine pour charger la cargaison des demanderesses à bord du HUDSON BAY à Montréal.

     Le HUDSON BAY a fait une première escale à Detroit. Avant d'y charger la cargaison à bord du HUDSON BAY, Federal Commerce a établi un plan d'arrimage en vertu duquel elle a établi les cales où serait chargée la cargaison destinée à l'Extrême-Orient. C'était à partir de ces renseignements que les acconiers devaient effectuer les opérations de chargement. Par exemple, le capitaine Phiroz Moos, qui était expert chez Federal Marine en 1978-1979, a témoigné que Federal Commerce lui avait indiqué les cales à sa disposition pour les opérations de chargement. Le capitaine Moos a ainsi pu établir la façon de charger la cargaison des demanderesses. Plus particulièrement, le capitaine Moos a pu décider combien de palettes de résine prendraient place dans les cales 1, 3 et 5. Dans sa déposition, le capitaine Moos a affirmé qu'il avait "rempli" le plan de chargement après en avoir pris connaissance, c'est-à-dire qu'il avait inscrit les nombres qui y figuraient. Le capitaine Moos a déclaré qu'après l'arrivée du bateau à Montréal, il est monté à bord pour rencontrer le capitaine et le capitaine en second, après quoi il a conduit ce dernier dans le hangar pour lui montrer la cargaison et l'informer de ses intentions quant aux opérations de chargement. Le capitaine Moos a déclaré que le capitaine en second avait accepté son plan.

     Il va sans dire que le positionnement de la cargaison à bord du navire est fonction de la rotation des opérations portuaires et du tonnage de la cargaison. À l'appui de leur argument selon lequel la véritable cause de leur perte tient au fait que Federal Commerce a permis un chargement trop élevé des palettes, les demanderesses invoquent les témoignages des experts que sont les capitaines Don Angel et Stewart Baker. Commençons par le témoignage du capitaine Angel.

     À la fin d'octobre 1978, UCC a demandé au capitaine Angel de se rendre au hangar 49 du Port de Montréal pour examiner la cargaison qui devait être transportée sur le HUDSON BAY. Plus particulièrement, M. Norman Cunningham, de UCC, a demandé au capitaine Angel d'émettre un avis sur l'empaquetage de la cargaison. Le 3 novembre 1978, le capitaine Angel a écrit ce qui suit à M. Cunnigham :


         [TRADUCTION]                 
             Nous confirmons par la présente avoir visité le hangar 49 du Port de Montréal et examiné un chargement de résine polyéthylène stockée dans le hangar et destinée à l'exportation.                 
             La résine est emballée dans des sacs en papier à cinq épaisseurs, dont la première feuille est recouverte d'un film plastique. Chaque sac contient 25 kilogrammes net. Quarante sacs sont empilés en 8 couches sur chaque palette, ce qui représente une charge de 1 000 kilogrammes par palette. Chaque palette est enveloppée de plusieurs couches de film polyéthylène de 1 mm d'épaisseur afin d'empêcher que les sacs ne glissent. Chaque palette est recouverte sur les côtés et sur le dessus d'un carton ondulé double épaisseur qui est à son tour maintenu en place par plusieurs couches de film polyéthylène. Les palettes sont faites de bois neuf et solide.                 
             À notre avis, cette méthode d'empaquetage est satisfaisante, appropriée pour l'exportation du produit contenu dans les sacs et conforme aux règles de l'art.                 

     Je dois signaler que le capitaine Angel a eu l'occasion, de 1974 à 1988, d'inspecter un très grand nombre de cargaisons de Union Carbide, dont la majorité consistait dans des chargements de 1 000 à 2 000 tonnes, non conteneurisés pour la plupart. En l'espèce, le capitaine Angel a non seulement émis un avis à la demande de UCC quant à l'empaquetage de la cargaison vendue à Union Carbide, mais il a également inspecté, pour et à la demande de Union Carbide, deux gros chargements vers la fin de 1978. Ces "gros" chargements étaient destinés au DUGI OTOK et au HUDSON BAY.

     Le 18 novembre 1978, le capitaine Angel a assisté à une réunion au hangar 49. Étaient présents M. Norman Cunningham, qui était alors superviseur de la distribution chez UCC, M. Ray Greene, un expert agissant pour le compte de Federal Commerce, et Brian Adams, directeur de Federal Marine, entreprise d'experts au Port de Montréal.

     Le but de cette réunion était de discuter de l'empaquetage de la cargaison de Union Carbide, à propos duquel Federal Commerce avait exprimé des inquiétudes. Selon le capitaine Angel, ces inquiétudes ne portaient pas sur les sacs, mais sur l'enveloppe de carton. Federal Commerce s'inquiétait de la protection et de la stabilité offertes par cette enveloppe. Le capitaine Angel a affirmé dans son témoignage n'avoir jamais vraiment compris les inquiétudes de Federal Commerce, mais qu'il avait l'impression que cette dernière craignait que les chariots élévateurs à fourche n'endommagent les sacs de résine en raison du manque de protection. Le capitaine Angel a expliqué que l'enveloppe de carton était destinée à maintenir la palette tout d'un bloc et à empêcher la friction entre les sacs une fois arrimés, et non à fournir un soutien structurel pour surarrimer la marchandise.

     Une discussion s'est alors produite sur la mention "fuite" qui se trouve dans la plupart des reçus de livraison. Le capitaine Angel a expliqué à Federal Commerce que ce n'était pas un problème, puisqu'il n'en résulterait qu'une perte d'approximativement 0,5 kilogramme par palette. Il a témoigné que personne, chez Federal Commerce, n'a proposé de changer l'empaquetage.

     Le capitaine Angel a eu l'occasion d'inspecter la cargaison dans l'entrepôt situé dans la section 49 avant son chargement à bord du navire. Dans un rapport d'expertise en date du 12 janvier 1979, le capitaine Angel décrit ce qu'il a vu comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         [...] Nous avons remarqué qu'un assez grand nombre de palettes présentaient à la base des traces de fuite de résine. Dans la plupart des cas, la quantité était négligeable et ne provenait pas de trous visibles dans les palettes. Nous avons également remarqué que, parmi les palettes entreposées en blocs dans l'entrepôt, celles qui étaient situées le long des allées étaient dans bien des cas éraflées et trouées et présentaient des fuites. Nous avons vu d'assez grandes quantités de résine sur le sol de l'entrepôt, et dans les allées.                 

     Par la suite, le capitaine Angel s'est rendu à la section 49 du Port de Montréal pour inspecter le chargement de la cargaison de Union Carbide. Plus précisément, il était de service du 19 au 23 décembre 1978, du 27 au 30 décembre 1978 et du 3 au 5 janvier 1979.

     Dans son rapport, le capitaine Angel a décrit les opérations de chargement de la cargaison de Union Carbide dans les cales numéros 1, 3 et 5. Il note qu'avant le chargement de la cargaison de Union Carbide, une cargaison de plaques d'acier avait été chargée dans les trois cales et qu'une cargaison de papier avait été chargée dans les cales numéros 2 et 4. Le capitaine Angel a expliqué que les palettes ont été amenées de l'entrepôt au quai par des chariots élévateurs à fourche, déposées dans les cales par des grues de quai et, finalement, arrimées dans les cales par des chariots élévateurs à fourche.

     En ce qui concerne la cale numéro 1, le capitaine Angel a affirmé que les palettes à destination de Manille y étaient arrimées sur trois étages. Une fois le troisième étage mis en place, des plaques d'acier ont été placées sur le dessus des palettes et trois autres étages de palettes à destination de Bangkok y ont été installés. Deux étages supplémentaires ont été placés au-dessus des étages précédents dans le carré de panneau. Dans la cale numéro 3, on a placé tout d'abord, sur des plaques d'acier d'Oshawa, une pile de trois étages de palettes à destination de Manille, puis 4 autres étages de palettes et, enfin, deux autres étages ont été arrimés sur ces 7 étages dans le carré de la cale.

     Les acconiers ont suivi le même arrangement dans la cale numéro 5. Trois étages de palettes à destination de Manille ont été empilés sur des plaques d'acier d'Oshawa, puis deux autres étages de palettes ont été placés sur les étages précédents dans le carré de la cale. Le capitaine Angel a fait remarquer que d'assez grands espaces vides restaient dans les trois cales. À la page 5 de son rapport, il écrit :

         [TRADUCTION]                 
         Le chargement du navire s'est terminé à 11 heures, le 5 janvier 1979. Étant donné que les cales numéros 1, 3 et 5 contenaient toutes des espaces vides dans lesquels les palettes pouvaient tomber si on les laissait détachées, nous avons demandé au capitaine du navire de nous aviser des mesures à prendre pour arrimer la cargaison et étayer les palettes adjacentes aux espaces vides. Il nous a informé que Federal Commerce & Navigation Co. Ltd. avait déclaré être dans l'impossibilité de trouver des charpentiers pour effectuer ce travail dans le port de Montréal et qu'elle l'avait assuré que tout le travail d'étayage et d'arrimage serait fait lors de la prochaine escale du navire, à Québec.                 

     Le capitaine Angel a également noté qu'un certain nombre de palettes en mauvais état avaient été chargées à bord du navire. Il a noté qu'approximativement 184 palettes à destination de Manille [TRADUCTION] "étaient déchirées sur le côté, de sorte qu'un ou plusieurs sacs déversaient leur contenu, et nous avons remarqué qu'approximativement 60 palettes de sacs étaient arrimées soit lâchement, soit sur des palettes dont l'emballage était lâche ou manquant". Quant aux palettes à destination de Bangkok, le capitaine Angel a remarqué qu'approximativement 105 d'entre elles étaient endommagées au moment du chargement [TRADUCTION] "et qu'elles avaient un ou deux sacs ou davantage qui fuyaient et déversaient leur contenu et nous avons remarqué qu'approximativement 40 palettes avaient des sacs arrimés lâchement, ou étaient sur des palettes dont l'emballage était lâche ou manquant".

     Le capitaine Angel a conclu son rapport comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         Les avaries que nous avons notées dans ce rapport ne concernent que les palettes dont nous avons pu constater qu'elles étaient trouées ou déchirées. Dans la majorité des cas, les trous ont été causés par le contact entre les palettes et les chariots élévateurs à fourche ou d'autres objets, pendant le transport par chariot élévateur à fourche. Nous pensons également que les sacs peuvent se fendre, surtout dans les étages inférieurs, à cause de la pression exercée par l'empilement.                 

     Dans son rapport d'expertise, le capitaine Angel n'émet aucun commentaire et ne fait aucune suggestion quant à la question de savoir s'il est recommandable de charger les palettes sur plus de trois étages. Cependant, dans une lettre d'avis envoyée aux avocats des demanderesses le 23 mars 1996, dix-sept ans plus tard, il s'exprime ainsi :


         [TRADUCTION]                 
             J'ai relu ma lettre du 3 novembre 1978 adressée à Union Carbide Canada Ltd. et le rapport d'expertise de Toplis et Harding, dossier numéro 17M78-950A, du 12 janvier 1979, que j'ai rédigé moi-même, et je suis en mesure de confirmer mon avis comme suit :                 
             Le type de matériaux utilisés pour empaqueter les sacs de résine et la manière dont ils étaient fixés sur la palette formaient, à mon avis, un bloc sûr et stable, conforme aux règles de l'art et capable, à condition d'être correctement manipulé et transporté, de résister aux rigueurs normales du voyage prévu.                 
             Le plan d'arrimage et l'arrimage de la cargaison dans le navire était, à mon avis, impropre à en assurer le transport en toute sécurité. Les avaries que l'on a remarquées à l'arrivée de la cargaison à destination correspondent bien à l'effondrement du chargement et à la rupture des palettes à certains endroits et, à mon avis, ont probablement été causés par ces incidents.                 
             Toute avarie causée aux palettes à bord du navire a dû être amplifiée lors du déchargement, quand les palettes ont été soulevées de la cale, manipulées à nouveau sur le quai et entreposées, et pendant l'entreposage, jusqu'à ce que les palettes avariées soient débarrassées de leur enveloppe, que les sacs endommagés soient refaits et que la cargaison soit remise sur des palettes.                 

     Dans sa déposition à l'instance, le capitaine Angel a déclaré avoir informé M. Brian Adams, directeur de Federal Marine, que les palettes ne devraient pas être empilées sur plus de trois étages. Le capitaine Angel a indiqué que quatre étages seraient une possibilité si on disposait un lattage adéquat entre le deuxième et le troisième étage.

     À l'audience, le capitaine Angel a déclaré sans ambiguïté que la hauteur à laquelle les acconiers avaient empilé les palettes était inadéquate pour la cargaison. Selon lui, les conséquences de cet arrimage seraient l'écrasement des palettes, la crevaison des sacs aux niveaux inférieurs et l'affaissement. Le capitaine a témoigné qu'il n'avait jamais vu, au cours de sa carrière, de cargaison de palettes arrimées sur une hauteur de huit ou neuf étages.

     En contre-interrogatoire, le capitaine Angel a déclaré qu'il avait commencé à étudier le dossier en février 1996, deux mois avant le procès, ce qu'il n'avait pas fait depuis la rédaction de son rapport en 1979. Dans sa préparation pour le procès, il n'a pas eu accès au dossier compilé à l'époque ni à ses notes parce que les dossiers de son employeur avaient été détruits au moment du déménagement du siège social de la société. Le capitaine a déclaré avoir été en contact avec M. Norman Cunningham, de UCC, pendant l'inspection. Il se souvient d'avoir appelé M. Cunningham pour l'avertir au sujet de la hauteur de l'arrimage. Apparemment, M. Cunningham a ordonné au capitaine Angel de ne rien dire et de ne rien faire. Selon le capitaine, M. Cunningham lui a donné de telles instructions parce qu'il appartenait au transporteur de prendre une décision concernant la hauteur de l'arrimage et que, par conséquent, il n'avait pas à s'en mêler. Le capitaine a expliqué que le chargement de résine à bord du HUDSON BAY était le plus important dont il avait eu à s'occuper. Il a témoigné que, au moment de la réunion du 8 novembre 1978, il ne s'attendait pas à ce que les palettes soient arrimées sur plus de trois étages. Il s'attendait à ce que Federal Commerce et Federal Marine répartissent les palettes dans les cinq cales.

     Quand M. Colford, avocat de la défenderesse, lui a demandé pourquoi il n'avait fait aucune objection à la manière dont on arrimait les palettes dans les cales du navire, le capitaine a répondu qu'il n'avait pas reçu un tel mandat de son client. Il a déclaré qu'il n'était ni à Bangkok ni à Manille pour examiner l'état de la cargaison au débarquement.

     Passons maintenant à la déposition du capitaine Baker.

     Le capitaine Baker n'était pas présent au moment du chargement de la cargaison de Union Carbide à bord du HUDSON BAY. Il a été engagé par les demanderesses pour émettre un avis à partir d'un certain nombre de documents. La conclusion de son rapport, en date du 16 mars 1996, est ainsi rédigée :


         [TRADUCTION]                 
         La hauteur excessive à laquelle l'arrimage a été porté, l'omission de mesures pour rendre les espaces vides sûrs, la possibilité que les sacs aient été mouillés, l'effondrement des étagères construites pour soutenir la cargaison, le manque de lattage placé dans le bon sens, l'arrimage de sacs séparés pour combler des espaces vides ont pu, individuellement ou collectivement, contribuer à l'effondrement de cette cargaison et aux avaries subséquentes.                 
         Nous croyons que la cause principale en est la hauteur excessive à laquelle la cargaison était arrimée. L'affaissement considérable de la cargaison, survenu en très peu de temps, indique que des problèmes sont apparus rapidement, avant même que le navire ne quitte le port.                 

     Le capitaine Baker a témoigné à l'audience que l'on pouvait arrimer des palettes jusqu'à un maximum de six étages si l'arrimage est fait correctement, mais que quatre étages représentent une hauteur plus raisonnable pour ce type d'arrimage. Selon lui, tout arrimage ayant plus de six étages présente un [TRADUCTION] "grand risque d'avaries importantes".

     Un autre témoin pour les demanderesses, M. Norman Cunningham, a également fait une déposition relativement à la hauteur de l'arrimage. Il a expliqué que, dans l'entrepôt de UCC, la hauteur maximale d'empilage des palettes était de trois étages et que les instructions standard de UCC aux acconiers étaient de ne pas dépasser cette hauteur. Il a ajouté que, dans certains cas, UCC consentait à permettre quatre étages, avec un lattage approprié. M. Cunningham a déclaré ne pas savoir si les instructions standard de UCC avaient été données aux acconiers en l'espèce.

     M. Cunningham a été interrogé au préalable par la défenderesse en mars 1983. À l'audience, M. Cunningham a entrepris de répondre à un certain nombre de questions pour lesquelles il n'avait pu fournir de réponses au moment de l'interrogatoire préalable. La réponse à l'engagement numéro 15 consiste dans une note de service de Union Carbide en date du 11 août 1983, adressée à M. R.D. Toth par M. D.E. Gould. L'engagement traite de l'empaquetage de la cargaison et de la hauteur d'empilage recommandée. Il est rédigé comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         Des tests de résistance à l'empilage effectués dans des conditions normales d'entreposage et de transport ont montré que le sac à cinq épaisseurs en papier kraft d'un grammage de 270 livres, généralement utilisé pour l'exportation de résine plastique aux alentours de 1978, présentait une grande marge de sécurité. Un sac de résine polyéthylène soumis à un test de compression a résisté à un poids de 25 000 livres avant qu'une défaillance ne survienne. Cette pression équivaut à un empilage de 55,5 palettes, ce qui représente un coefficient de sécurité 18,5 fois plus élevé que la hauteur d'entreposage recommandée de trois palettes.                 
         Le papier se mouille facilement au contact de l'humidité ou de l'eau, ce qui lui fait perdre la majeure partie de sa résistance. Les tests montrent que plusieurs types de papier conservent seulement de 1 à 8 % environ de leur résistance à sec quand ils sont complètement imprégnés d'eau. Le papier résistant à l'état humide, qui compose la couche externe de ces sacs d'exportation, conserve 15%, voire davantage, de sa résistance à sec lorsqu'il est complètement imbibé. Le sac d'exportation utilisé aux alentours de 1978 aurait conservé approximativement 8,33% de sa résistance dans des conditions humides. Ce qui donnerait une capacité d'empilage de 4,6 palettes, un coefficient de sécurité, 1,5, encore légèrement au-dessus de l'empilage recommandé de trois palettes.                 
         La faiblesse des emballages de papier est bien connue (on s'en rend compte quotidiennement en utilisant des essuie-mains ou des serviettes en papier, par exemple) et elle est documentée dans bien des livres sur le papier (par exemple, Handbook of Pulp and Paper Technology, Britt (1970) Van Nostrand Reinhold Company, 450 West 33rd Street, New York, NY 10001, et Pulp and Paper, Casey (1950-1962) Interscience Publishers Ltd., 88/90 Chancery Lane, Londres, WC2).                 
         Il est clair que Union Carbide mettait sur chacun des sacs d'exportation une étiquette de mise en garde GARDER AU SEC, comme le montre l'exemplaire ci-joint du texte apparaissant sur les sacs, daté du 23 juillet 1976. On s'attend à ce que les personnes manipulant ces sacs de papier contenant du plastique tiennent compte de la mise en garde et qu'une tenue optimale, seulement possible quand les emballages papier sont secs, en résultera tant dans le transport et dans l'entreposage que dans l'usage qu'en feront les clients en fin de compte.                 
         Des piles de sacs de papier trop hautes sont susceptibles de pencher d'un côté ou de l'autre, que ce soit à cause d'une erreur de manutention des personnes ayant effectué le chargement ou à cause du mouvement occasionné par le transport. Une pile de 10 palettes inclinée ne serait-ce que de 5 degrés par rapport à la verticale fait porter tout le poids sur un des côtés des sacs et des palettes, ce qui réduit la résistance à 10 ou 12 % de ce qu'elle était initialement. La hauteur attendue de défaillance à la compression passe ainsi de 55,5 à 5,5 palettes. Une marge de sécurité existe pour l'empilage recommandé de trois palettes, mais on peut s'attendre à ce que des piles beaucoup plus hautes causent une défaillance des sacs.                 
         L'effet combiné de l'humidité excessive, de l'eau et de la hauteur de la pile réduit la résistance des emballages en papier et augmente les contraintes qu'ils subissent, ce qui conduit parfois à leur destruction et à la perte ou à l'endommagement du produit qu'ils contiennent. La quantification de ces facteurs nuisibles à la bonne tenue des sacs et la preuve d'une mise en garde appropriée seront peut-être utiles dans la présentation juridique concernant l'incident de Bangkok. Si vous avez besoin d'éclaircissements supplémentaires, vous n'avez qu'à nous appeler.                 

     Ainsi, bien que les tests montrent qu'un sac de résine peut résister à presque 25 000 livres de pression, l'équivalent de 55,5 palettes, avant qu'aucune défaillance ne survienne, Union Carbide recommandait, pour les raisons exprimées dans la note de service, que l'arrimage ne dépasse pas trois étages.

     Le seul expert ayant témoigné sur cette question pour la défenderesse est M. Peter Marcotte, un consultant indépendant qui se spécialise dans l'empaquetage industriel pour l'exportation. Il s'occupe d'empaquetage industriel depuis 1974.

     Tout d'abord, M. Marcotte a déclaré que l'on ne peut empiler les palettes sur plus de trois étages [TRADUCTION] "sans une forte probabilité d'inclinaison". Il a ensuite expliqué pourquoi, à son avis, l'emballage de la cargaison était insuffisant pour le but visé. Aux paragraphes 15, 16 et 17 de son affidavit, en date du 21 mars 1996, il déclare:

         [TRADUCTION]                 
         15.      Bien qu'il ait été prévisible que les palettes seraient empilées à différents endroits, c'est-à-dire dans des terminaux portuaires, un navire, peut-être des entrepôts de transit, il ne semble pas que l'on ait pensé à construire un couvercle en bois ou un couvercle en carton ondulé triple cannelure pour créer une surface plane; comme la résistance de l'unité palettisée se situe en son périmètre, un couvercle apporterait plus de stabilité et de résistance et réduirait la tendance à l'inclinaison causée par les sacs posés sur la palette.                         
         16.      Si l'on me demandait de préparer et d'empaqueter ces sacs pour les transporter à bord d'un vraquier jusqu'en Extrême-Orient, sans limitation quant à l'empilement des étages, voici ce que je proposerais :                         
                 a.      je tiendrais pour acquise la nature du produit et des sacs, comme elle est décrite dans la documentation;                         
                 b.      j'utiliserais du film d'emballage extensible de 2 ou 3 mm d'épaisseur, aussi bien comme couche intérieure que comme couche extérieure; une épaisseur plus importante donne plus de stabilité à l'ensemble;                         
                 c.      j'utiliserais une enveloppe triple cannelure, avec un couvercle et une base identiques, d'un minimum de 650 livres, ce qui donne une plus grande résistance à l'empilage ainsi qu'une base plane pour la cargaison;                         
                 En 1978, ces méthodes et ces matériaux étaient disponibles. Leur utilisation aurait fait augmenter le coût de l'empaquetage de façon significative, mais en tant qu'empaqueteur, je n'aurais pas eu à négocier le genre d'arrangement figurant dans l'engagement de fret aux conditions de ligne régulière.                         
                 Je ne m'attendrais pas à ce que les acconiers aillent au-delà de ce que l'on attend d'eux quand ils chargent des palettes de ce genre à bord d'un vraquier. Je ne m'attendrais certainement pas à ce que les acconiers fassent quoi que ce soit pour compenser les faiblesses inhérentes de l'empaquetage, surtout si celles-ci n'étaient pas évidentes à la réception ou au moment du chargement.                         
         17.      Pour ces motifs, je suis d'avis, en tant que spécialiste, que cette cargaison a été empaquetée pour le voyage prévu à bord d'un vraquier, sans aucune limite quant au nombre d'étages et d'une façon tout à fait inadéquate;                         

     En plus de son affidavit du 21 mars 1996, M. Marcotte a déposé un affidavit en réponse aux rapports d'expertise des capitaines Angel et Baker. M. Marcotte a déclaré qu'il était d'accord avec le capitaine Angel que l'empaquetage était adéquat si l'on n'avait pas arrimé pas les palettes sur plus de trois étages et qu'il convenait avec le capitaine Baker qu'il n'était pas bon d'arrimer des sacs séparés pour remplir les espaces vides et de mettre des sacs directement sur les palettes de bois sans revêtement antidérapant.

     Aucun de ces témoins n'était présent au moment du déchargement à Bangkok et à Manille. Ils ont cependant pu consulter les photographies prises par les experts présents aux ports de débarquement.

     À Bangkok, le déchargement de la cargaison a fait l'objet d'une expertise menée par Bayne, Adjustors & Surveyors, Ltd., agissant pour les consignataires. En ce qui concerne la cargaison destinée à Union Carbide Thailand Limited, les experts ont attribué les avaries à l'arrimage inadéquat, au fait que les palettes et leur contenu ont été comprimés par la tension de l'élingue de levage et à la négligence du grutier pendant les opérations de déchargement. L'expert qui a inspecté la cargaison destinée à Sri Thep Thai Ltd. a attribué les avaries au déversement du contenu des sacs causé par une manutention brutale pendant le transit.

     En ce qui a trait à la cargaison de Manille, une expertise a été effectuée pour chaque chargement. J'ai examiné chacun des rapports d'expertise, et je suis d'avis que les commentaires faits par les experts au sujet de la cargaison expédiée à Manila Plastic Products reprennent assez bien les commentaires des experts montés à bord du navire. À la page 7 de l'annexe de son rapport d'expertise en date du 12 septembre 1979, l'expert D.E. Marasigan relate ce qu'il a vu en se rendant à bord du navire :

         [TRADUCTION]                 
         Nous tenons à dire que nous nous sommes rendus à bord du navire à la demande de Union Carbide Philippines, Inc., et que nous avons remarqué que le chargement en cause était mélangé à d'autres lots de résine synthétique, arrimés sur quatre à cinq étages dans les cales numéros 1, 3 et 5. La plupart des revêtements en carton dur des palettes étaient déchirés et tachés d'eau, leur contenu (des sacs de résine synthétique) également taché d'eau, déchiré et crevé, surtout les palettes qui étaient arrimées sur les côtés bâbord et tribord. Des plateformes provisoires d'environ 10 pieds de hauteur à partir des panneaux de plafond et d'environ 4 pieds de largeur, bâties tout le long des côtés bâbord et tribord de la cale numéro 1, s'étaient effondrées à l'avant. L'arrimage de certaines palettes s'était desserré et des sacs étaient déchirés ou crevés. De la résine synthétique de toutes formes et grades s'était déversée sur le sol de chaque cale.                 

     M. Marasigan, qui, en fait, a fait la plupart des expertises à Manille, a été interrogé au préalable par les parties aux Philippines. En réponse à une question de l'avocat de la défenderesse, il a déclaré qu'il ne croyait pas que [TRADUCTION] "l'empilage dans le navire" soit la cause des avaries. À la page 50 de la transcription de sa déposition du 1er avril 1996, apparaissent les questions et réponses suivantes :

         [TRADUCTION]                 
         M. COLFORD                 
         Q -      Évidemment, la conclusion de chacun de vos rapports est identique à celle que nous avons vue au paragraphe B, page 6, de la pièce P-78. Je vous ai questionné tout à l'heure et vous avez parlé d'un déversement de résine non récupérée causé par le déchirement et la crevaison de sacs dont la résistance avait diminué consécutivement à leur humidification et à une manutention inappropriée, etc. Ne croyez-vous pas que l'affaiblissement ait pu être causé par l'empilage dans le navire?                 
         R -      Non.                 
         Q -      D'après ce que vous avez pu voir, était-ce uniquement dû à l'humidité?                 
         R -      À l'humidité et à l'effondrement des palettes parce que le navire a eu du mauvais temps.                 

     Pour replacer ce chargement dans son contexte, il faudrait peut-être ajouter qu'entre 1975 et 1979, Union Carbide expédiait chaque année de Montréal entre six et dix chargements de plus de mille tonnes métriques. Ces chargements étaient tous transportés par des navires réguliers, principalement des navires à entrepont. M. Vincent Wilson, qui était alors le directeur des services de transports maritime chez Union Carbide, a témoigné que le taux de perte de la société dans les chargements de ce genre était satisfaisant à 75-80%, ce qui a été confirmé par des témoins de certains des consignataires, qui ont déclaré qu'ils s'attendaient à ce qu'approximativement 10 % de leur cargaison arrive avariée. C'est M. Wilson qui a signé l'engagement de fret au nom de Union Carbide. Il a déclaré que Federal Commerce n'a pas reçu d'instructions selon lesquelles certains types de navires ne devaient pas être utilisés.

     Au vu de la preuve présentée, je suis d'avis que Federal Commerce n'est pas responsable sur le plan délictuel. J'en arrive à cette conclusion en m'appuyant tout d'abord sur le fait que Union Carbide, UCC et le capitaine Angel connaissaient l'existence d'une restriction sur la hauteur d'empilage des palettes. C'est ce qui ressort de la déposition de M. Cunningham et du capitaine Angel, ainsi que de la note de service émise par les demanderesses pour remplir l'engagement numéro 15 lors de l'interrogatoire préalable de M. Cunningham. Dans ces circonstances, il est quelque peu surprenant que Union Carbide n'ait pas transmis ces renseignements à Federal Commerce au moment de signer l'engagement de fret, au mois d'octobre 1978. Le fait qu'il était possible d'empiler les palettes sur plus de trois étages, mais que l'on ne devait pas le faire, était certainement un renseignement pertinent pour Federal Marine, tout particulièrement en ce qui concerne le type de navire à désigner pour transporter la cargaison; c'était également pertinent pour déterminer l'emplacement de la cargaison dans les cales du navire désigné. Avec une limite de trois étages, le montant de fret payable pour transporter la cargaison aurait pu être plus élevé. Cependant, en l'espèce, Union Carbide n'a informé Federal Commerce d'aucune restriction ni d'aucune limite relativement à l'arrimage des palettes quand elle a signé l'engagement de fret.

     Par conséquent, quand Federal Commerce a préparé son plan d'arrimage pour le HUDSON BAY, elle ne connaissait pas la restriction relative à la hauteur, et, à mon avis, ne pouvait pas la connaître. Comme je l'ai indiqué plus haut, le plan d'arrimage aurait de toute façon été préparé avant le chargement de la cargaison à bord du HUDSON BAY à Detroit.

     La seule preuve que la limite de hauteur a été communiquée à Federal Commerce vient du capitaine Angel. Le témoignage du capitaine sur ce point n'était pas très clair. J'ai surtout retenu qu'il a déclaré, dans son interrogatoire principal, avoir prévenu Federal Commerce à la réunion du 18 novembre 1978 que trois étages représentaient la hauteur maximale et que quatre étages étaient possibles avec un lattage approprié entre le deuxième et le troisième étages.

     Cependant, en contre-interrogatoire, le capitaine Angel a déclaré qu'il n'avait pas soulevé la question de la limite de hauteur à la réunion du 18 novembre 1978 parce qu'il ne s'attendait pas à ce que l'arrimage dépasse trois étages. Il a ajouté qu'il s'attendait à ce que Federal Commerce répartisse les palettes dans les cinq cales, ce qui correspond à 700 tonnes par cale environ. Il a ensuite affirmé qu'il avait prévenu M. Ray Greene, un expert de Federal Commerce, ainsi que M. Brian Adams, directeur général de Federal Marine, à propos de la limite de hauteur.

     À mon avis, le capitaine Angel n'a informé Federal Commerce d'aucune limite de hauteur, en novembre 1978. S'il a dit quelque chose, c'était aux acconiers, quand il s'est rendu compte qu'ils arrimaient les palettes sur plus de trois étages, contrairement à ce que Union Carbide avait recommandé. Le capitaine Angel ne fait mention d'aucun problème relatif à la hauteur de l'arrimage dans son rapport d'expertise du 12 janvier 1979. En fait, il ne mentionne dans sa conclusion que la possibilité d'éclatement de quelques sacs à cause de la pression de l'arrimage. Le rapport ne dit rien au sujet du dépassement de la hauteur d'arrimage recommandée par Union Carbide. En outre, le capitaine n'a formulé aucune objection et n'a pas non plus protesté contre le fait que les acconiers arrimaient les palettes sur une hauteur allant jusqu'à neuf étages dans le carré des cales. Il a déclaré ne pas s'être opposé parce que cela n'était pas son travail. Il a dûment informé M. Cunningham de ses observations, mais celui-ci lui a apparemment ordonné de ne rien faire parce qu'il n'appartient qu'au transporteur de prendre des décisions relativement à l'arrimage de la cargaison. Pendant le contre-interrogatoire, le capitaine Angel a concédé qu'il n'avait pas consulté son dossier et qu'on ne lui avait rien demandé à ce sujet avant le début de 1996. Il ne s'est donc pas préoccupé de cette affaire pendant dix-sept ans. Dans ces circonstances, j'ai du mal à accepter qu'il se souvienne à présent avoir dit à Federal Commerce et à Federal Marine qu'il y avait une limite de hauteur, étant donné que ses notes et son dossier ont été détruits il y a des années et qu'il ne fait mention nulle part dans son rapport de ses inquiétudes au sujet de la hauteur de l'arrimage.

     Il est également pertinent de souligner que le surintendant des cargaisons de Federal Marine de l'époque, M. Phiroz Moos, a témoigné qu'il avait reçu le plan d'arrimage préparé par Federal Commerce pour le HUDSON BAY, qui lui indiquait dans quelles cales la cargaison serait placée et à quel port elle était destinée. Avec ces renseignements, le capitaine Moos a pu préciser certains détails de l'arrimage, c'est-à-dire le tonnage qui irait dans les cales numéros 1, 3 et 5. Tous les détails de l'arrimage (le blocage, la fixation, etc.) devaient être effectués par les acconiers à mesure qu'ils arrimaient la cargaison dans les cales du HUDSON BAY. C'est ce qui ressort clairement du rapport d'expertise du capitaine Angel, surtout du passage où il décrit la fixation de la cargaison dans les cales numéros 1, 3 et 5. Par exemple, à la page 5 de son rapport, il déclare qu'ayant remarqué des espaces vides dans les cales numéros 1, 3, et 5, il s'est adressé au capitaine pour connaître les mesures à prendre afin que la cargaison soit bien fixée. Il poursuit en disant que le capitaine l'a informé que, puisqu'il n'y avait pas de charpentiers pour finir de fixer la cargaison à Montréal, le travail serait fait dans le port de Québec. Il n'y a aucune preuve que ce travail a réellement été effectué à Québec.

     L'examen de la preuve m'amène à conclure que les responsables du chargement de la cargaison des demanderesses à bord du HUDSON BAY à Montréal ne savaient pas et ne pouvaient pas savoir que leur façon d'arrimer les palettes était susceptible d'entraîner des avaries. De toute évidence, la chose n'allait pas de soi pour le capitaine Angel, qui avait beaucoup d'expérience dans ce genre de cargaison. Aux pages 113 et 114 de la transcription du contre-interrogatoire du capitaine Angel, en date du 24 avril 1996, se trouvent les questions et réponses suivantes :

         [TRADUCTION]                 
         Q.      Vous saviez que ce chargement se solderait par un gros problème, n'est-ce pas? En tant que marin professionnel, vous saviez que la cargaison allait s'effondrer?                 
         R.      Non, je ne dirais pas que je le savais. J'avais bien une idée qu'il y aurait un problème avec onze (11) étages, et je peux...                 
         Q.      Quand vous dites "problème", vous voulez dire la possibilité ou une probabilité raisonnable qu'un problème ne survienne?                 
         R.      À mon avis, il y avait une possibilité. Je ne peux prévoir les conditions dans lesquelles le navire effectuera son voyage. Je peux présumer les conditions, donc je ne peux pas dire avec certitude que quelque chose va arriver, mais si on arrime les palettes à cette hauteur, à mon avis, quelque chose va arriver.                 

     L'expert Peter Marcotte était aussi d'avis que la limite de trois étages était loin d'être évidente. Dans son affidavit du 21 mars 1996, au paragraphe 16, il déclare :

         [TRADUCTION]                 
         Je ne m'attendrais pas à ce que les acconiers aillent au-delà de ce que l'on attend d'eux quand ils chargent des palettes de ce genre à bord d'un vraquier. Je ne m'attendrais certainement pas à ce que les acconiers fassent quoi que ce soit pour compenser les faiblesses inhérentes de l'empaquetage, surtout si celles-ci n'étaient pas évidentes à la réception ou au moment du chargement.                 

     Je suis donc d'avis qu'à aucun moment Federal Commerce n'a été avisée d'une restriction quant à la hauteur de l'arrimage et qu'en l'absence d'un avertissement clair, Federal Commerce n'était pas en mesure de savoir que l'arrimage proposé ne présentait pas la sécurité nécessaire pour la cargaison parce que cela n'était pas évident.


     Je suis aussi d'avis que le capitaine Angel n'a pas informé Federal Marine de la limite de hauteur. Le capitaine Angel ne m'a pas convaincu qu'il a averti Federal Marine que l'empaquetage de Union Carbide ne remplirait pas son rôle si l'arrimage dépassait trois étages.

     Dans ces circonstances, je ne vois pas comment on peut blâmer les responsables des opérations de chargement d'avoir arrimé la cargaison comme ils l'ont fait. Comme l'explique le capitaine Moos, puisqu'il avait reçu l'ordre de charger la cargaison dans les cales numéros 1, 3 et 5, le travail ne pouvait pas se faire autrement. D'après l'information dont elle disposait à l'époque en cause, Federal Commerce ne peut être blâmée d'avoir préparé un plan d'arrimage selon lequel la cargaison des demanderesses serait chargée dans les cales numéros 1, 3 et 5 du HUDSON BAY.

     Même si le capitaine Angel avait prévenu les acconiers d'une limite de hauteur, cela ne rendrait Federal Commerce en aucun cas responsable de la perte. Federal Commerce avait retenu les services de Federal Marine pour recevoir la cargaison au quai, la charger à bord du navire et l'arrimer convenablement. Si les acconiers ont été négligents, cette négligence ne saurait être imputée à Federal Commerce. Par rapport à Federal Commerce, Federal Marine était une entreprise indépendante. Les demanderesses auraient pu poursuivre les acconiers, mais elles ne l'ont pas fait. De même, le transporteur aurait été responsable de la négligence des acconiers.

     Aux fins de l'analyse ci-dessus, j'ai présumé que la perte était imputable à la hauteur de l'arrimage mais, au vu de la preuve, je n'en suis pas convaincu. Le capitaine Baker attribue les avaries à une combinaison de facteurs :

         1.      la hauteur de l'arrimage;

         2.      le manque de mesures destinées à rendre sûrs les espaces vides;

         3.      l'humidité de la cargaison;

         4.      l'effondrement des étagères construites pour soutenir la cargaison;

         5.      le manque de lattage;

         6.      l'utilisation de sacs séparés pour remplir les espaces vides.

     Le capitaine Baker déclare que, à son avis, la hauteur de l'arrimage était [TRADUCTION] "la cause principale". Le capitaine Angel partage cet avis.

     M. Marcotte, qui a témoigné pour la défenderesse, est d'accord avec les capitaines Angel et Baker qu'il n'aurait pas fallu arrimer les palettes sur plus de trois étages parce que l'empaquetage de la cargaison n'était pas conçu pour supporter la pression exercée par une hauteur supérieure, étant donné que le transport s'effectuait par mer dans un vraquier. Cependant, d'après M. Marcotte, Union Carbide aurait pu empaqueter sa cargaison d'une manière qui aurait permis l'arrimage sur huit ou neuf étages. Donc, selon M. Marcotte, il faut blâmer Union Carbide pour les avaries causées à la cargaison.

     D'après cette preuve, bien que les avaries aient pu être causées par la hauteur de l'arrimage, la véritable cause de la perte pourrait être le fait que, à l'insu de Federal Commerce, la cargaison n'avait pas été convenablement empaquetée pour le transport par Union Carbide.

     Il faut se rappeler que les experts des ports de débarquement n'étaient pas d'avis que la hauteur même de l'arrimage soit la cause de la perte. Ils semblent mettre l'accent sur le fait que la cargaison était mouillée. Le capitaine Baker en parle comme d'une cause possible. En fait, quatre des six causes mentionnées par le capitaine Baker se rapportent clairement au travail des acconiers. Quant à "l'humidité de la cargaison" comme cause possible, elle a pu survenir au moment du chargement à Montréal ou en mer. Quoi qu'il en soit, "l'humidité de la cargaison" ne peut être attribuée à Federal Commerce.

     L'humidité de la cargaison est également mentionnée dans la note de service de Union Carbide en date du 11 août 1983. L'auteur de la note déclare clairement qu'il est impératif que les sacs de papier restent secs. Or, la preuve montre que la cargaison n'était pas sèche au moment du déchargement.

     La preuve révèle également que les acconiers ont arrimé les palettes sur huit étages dans le carré de la cale numéro 1 et sur neuf étages dans le carré de la cale numéro 3. Dans la cale numéro 5, la hauteur des palettes ne dépassait pas cinq étages.

     Aucun élément de preuve ne montre que les avaries causées à la cargaison arrimée dans les cales numéros 1 et 3 aient été plus importantes que celles causées à la cargaison de la cale numéro 5. En fait, si l'on prend au pied de la lettre les rapports d'expertise de Manille, il semblerait que la cargaison arrimée dans les côtés bâbord et tribord des cales 1 et 3, où la hauteur d'arrimage était moins élevée que dans le carré, a subi les avaries les plus importantes.

     En conclusion, au vu de la preuve présentée, je ne peux affirmer avec certitude que les pertes, en l'espèce, ont été causées par l'empaquetage insuffisant ou par un arrimage inadéquat, y compris l'arrimage sur huit ou neuf étages. Des avaries sont apparues dans les zones des cales numéros 1, 3 et 5 où l'arrimage ne dépassait pas six étages. En ce qui a trait à ces avaries en particulier, la cause de la perte est-elle la hauteur d'arrimage excessive ou le fait que les acconiers n'ont pas arrimé la cargaison convenablement? Federal Commerce ne serait pas responsable si la perte était imputable à la négligence des acconiers.

     Pour ces motifs, je conclus que la défenderesse n'est pas responsable sur le plan délictuel. En l'espèce, Union Carbide devait concevoir un emballage plus résistant pour les palettes ou informer Federal Commerce que l'emballage fourni ne pouvait être empilé sur plus de trois étages. Étant donné que Federal Commerce n'a pas été informée de la limite de hauteur et que cette limite n'était pas évidente, je ne peux conclure à la responsabilité délictuelle de Federal Commerce.

MONTANT DES DOMMAGES-INTÉRÊTS

     Bien que l'action des demanderesses soit rejetée, je tiens néanmoins à tirer certaines conclusions quant à l'indemnité à laquelle elles auraient eu droit si leur action avait été accueillie. Pour le calcul du montant des dommages-intérêts, il faut d'abord répondre à une question relative à la preuve qui a été soulevée au cours du procès, à savoir si les documents préparés pour faire une demande d'indemnité en vertu d'une police d'assurance sont admissibles pour prouver le montant des dommages-intérêts. À mon avis, ils ne le sont pas.

     Les demanderesses doivent me convaincre qu'elles ont subi une perte et en fixer le montant. Elles ne peuvent, pour ce faire, s'appuyer sur aucun accord conclu avec leurs assureurs. (Voir Redpath Industries Ltd. c. Federal Pacific (Liberia) Ltd. (1993), 63 F.T.R. 131 à la page 142 (le juge Rothstein)). Le montant que les assureurs de la cargaison ont versé aux demanderesses n'a rien à voir avec les questions dont je suis saisi et, en particulier, avec le montant de l'indemnité que je dois calculer. Les demanderesses doivent établir leur qualité pour ester en justice, la responsabilité contractuelle ou délictuelle de la défenderesse et, finalement, le montant des dommages-intérêts payables par la défenderesse responsable. Elles doivent, à cette fin, établir que les avaries causées à leur marchandise se sont soldées par une perte financière. Je ne vois pas la pertinence des documents afférents aux règlements d'assurance dans l'évaluation de cette preuve. Les assureurs étaient tenus d'indemniser dans la mesure où la réclamation relevait des termes et conditions de la police applicable.

     Je conclus donc que les documents afférents aux règlements d'assurance ne sont pas admissibles et ne peuvent aider les demanderesses à établir leur perte.

     La défenderesse soulève la question du caractère insuffisant de la preuve apportée par les demanderesses pour établir leur perte. Plus particulièrement, la défenderesse allègue que, comme plusieurs demanderesses n'ont fait témoigner aucun de leurs représentants relativement aux pertes réellement subies, il est impossible d'établir leurs pertes respectives de façon adéquate. Me Tabib répond en disant que :

         [TRADUCTION]                 
         93. La défenderesse prétend que, à moins que les demanderesses ne fassent comparaître un de leurs représentants pour déclarer qu'elles ont en fait subi une perte à cause des avaries causées à leur cargaison, elles n'ont droit à aucune indemnité. Cette prétention est ridicule. Les dommages-intérêts dans les demandes d'indemnisation d'avaries causées à des marchandises correspond à la différence entre la valeur marchande saine à destination et la valeur marchande avariée à destination. Aucune autre perte financière subie par la demanderesse n'est recouvrable, et même lorsqu'il n'y a aucune perte financière (si la demanderesse n'a pas eu à débourser d'argent pour la cargaison, par exemple), le principe de recouvrement reste exactement le même. Que les demanderesses témoignent qu'elles ont subi une perte ou non, de même que la perte ainsi déclarée, ne sont pas des considérations pertinentes, sauf dans la mesure où elles permettent d'établir la valeur marchande de la cargaison, auquel cas le témoignage n'est pas à proprement parler un témoignage sur la perte, mais plutôt sur la valeur marchande.                 

     Avec déférence pour ceux qui sont d'avis contraire, je pense qu'il faut établir une distinction entre les dommages causés aux biens et la perte réellement subie.

     Le principe fondamental qui régit le recouvrement est décrit dans D. Harris, Remedies in Contract and Tort (London : Weidenfeld & Nicolson Ltd., 1988), aux pages 39 et 40 :

         [TRADUCTION]                 
         L'indemnité doit être évaluée de manière à donner à P l'équivalent pécuniaire de la valeur dont il aurait pu profiter si la promesse avait été exécutée par D aux conditions prévues. La notion fondamentale de "perte" découlant de l'inexécution du contrat se définit donc comme la privation pour P d'un avantage futur auquel il s'attendait. Le but n'est pas de remettre P dans l'état où il se trouvait avant la formation du contrat, mais de lui accorder l'équivalent pécuniaire de l'amélioration de sa position promise par D en contrepartie du prix payé ou promis par P. La perte d'un avantage promis (et donc attendu), comme la perte de profits escomptés, est le fondement du droit des contrats : il s'agit normalement d'une tentative de remettre les parties dans l'état où elles devaient être après l'exécution du contrat, ce qui est à l'opposé de la responsabilité civile délictuelle, qui vise à recréer la situation antérieure avant l'incident.                 

     Harris ajoute, à la page 41 :

         [TRADUCTION]                 
         Mais la caractéristique déterminante de la notion de perte, dans ce contexte, est qu'elle renvoie à la perte nette subie par P, c'est-à-dire à l'avantage net qu'il s'attendait à retirer de l'exécution complète du contrat par D. Si, à la suite de l'inexécution, P est libéré de son obligation corrélative, il faut déduire de l'avantage brut qu'il aurait obtenu de l'exécution de D le coût de cette obligation, de manière à ce que les dommages-intérêts ne couvrent que la perte nette.                 

     Ainsi, la production de preuves matérielles, en l'espèce des documents relatifs à la valeur marchande saine à destination et à la valeur marchande avariée à destination, permettra d'établir le montant des avaries causées à la cargaison, mais pas nécessairement la perte subie par les demanderesses. Par exemple, si la cargaison avariée est réemballée par les demanderesses, puis revendue sur le marché au même prix que de la marchandise saine, les demanderesses n'auront subi aucune perte, à part les frais engagés pour réemballer. Je ne dis pas que l'on aurait dû agir ainsi en l'espèce, mais que le témoignage des demanderesses est nécessaire pour établir ce qui s'est passé et les pertes réellement subies.

     La règle de la valeur marchande saine à destination (V.M.S.D.), moins la valeur marchande avariée à destination (V.M.A.D.), ne libère pas le consignataire de son obligation de minimiser sa perte dont parle lord Haldane dans British Westinghouse Electric and Manufacturing Co. Ltd. c. Underground Electric Railway Co., [1912] A.C. 673 (H.L.), à la page 689 :

         [TRADUCTION]                 
         Le principe fondamental est donc la compensation des pertes pécuniaires découlant naturellement de l'inexécution; mais ce principe est limité par un second qui impose au demandeur l'obligation de prendre toutes les mesures raisonnables pour minimiser la perte résultant de l'inexécution et qui l'empêche de réclamer tout dommage né de sa négligence face à de telles mesures.                 

     Ce principe a été réaffirmé par la Cour d'appel fédérale dans Le navire Cisco c. Redpath Industries Ltd., [1994] 2 C.F. 279. Les demanderesses doivent donc témoigner sur la part des dommages qui s'est réellement soldée par une perte.

     Dans ses arguments, Me Tabib prétend, par exemple, que les demanderesses auraient le droit de recouvrer la différence de valeur des marchandises avariées à destination par rapport à la valeur saine, même si elles avaient reçu la cargaison gratuitement. C'est vrai. Dans ce cas, les demanderesses auraient négocié le meilleur marché possible, et elles auraient eu le droit d'en réclamer les avantages. Cependant, les demanderesses doivent prouver à la Cour qu'elles ont la capacité juridique, que les préjudices subis leur ont causé une perte et que la défenderesse est responsable de cette perte. Elles n'auront pas fait cette preuve si elles établissent uniquement qu'elles ont subi un préjudice. Le préjudice matériel ne correspond pas nécessairement au montant de dommages-intérêts que les demanderesses peuvent réclamer de la défenderesse.

     Dans l'affaire Le navire Cisco, une partie d'une cargaison de sucre avait été avariée par de l'eau de mer. Le consignataire de la cargaison, Redpath Industries, et ses assureurs ont convenu d'accepter la cargaison, l'assureur réglant la demande d'indemnité pour une somme représentant 50 % de la valeur marchande saine du sucre, moins les frais engagés pour le décharger. Redpath a incorporé le sucre humide à de grandes quantités de sucre sec, et elle a pu ainsi utiliser toute la marchandise avariée. Le juge de première instance a accordé une indemnité équivalent à la V.M.S.D. moins la V.M.A.D., mais a ensuite déduit le montant de l'indemnité que Redpath avait reçu de la compagnie d'assurance, de manière à ce que la défenderesse n'ait pas à payer pour des pertes qui n'avaient pas été subies. La défenderesse a interjeté appel de la décision devant la Cour d'appel fédérale.

     Le juge Desjardins a écrit ce qui suit, à la page 288 :

         Les appelants prétendent que le juge de première instance a commis une erreur de droit en fondant sa décision sur le règlement intervenu entre l'intimée et les assureurs, car celui-ci n'avait rien à voir avec le manquement dont les appelants étaient responsables. Ils font valoir que le juge de première instance a mal appliqué le concept de l'abandon, l'intimée n'ayant fait aucun abandon en faveur de ses assureurs. Mais, ce qui est plus important, même s'ils acceptent la règle de la V.M.S.D. moins la V.M.A.D., les appelants soutiennent que le juge de première instance aurait dû calculer les dommages-intérêts en fonction de la perte pécuniaire réelle subie par l'intimée.                 

     Finalement, la Cour d'appel a accueilli la thèse des appelants selon laquelle la perte réellement subie était la véritable mesure du montant de dommages-intérêts. Aux pages 292 et 293, le juge Desjardins déclare ce qui suit :

             Il était évident dès le début que l'intimée n'avait nullement l'intention de vendre la marchandise avariée. Elle a décidé qu'elle la garderait et qu'elle la raffinerait.                 

     * * *

             Ce que la formule "V.M.S.D. moins V.M.A.D." nous enseigne est un moyen d'évaluer la perte pour le demandeur à destination. Lorsque les marchandises sont perdues en mer ou qu'elles sont irrécupérables quand elles arrivent à destination, la V.M.A.D. est inexistante. Si, dans l'intervalle, des ventes ont été conclues avec des tiers, elles n'entrent pas en ligne de compte pour établir la perte. Lorsque des marchandises sont endommagées quand elles arrivent à destination mais qu'elles peuvent encore être utilisées, la V.M.A.D. représente la meilleure valeur marchande que l'on peut en tirer. Si le propriétaire ne se donne pas la peine de trouver le meilleur débouché, il est tenu à la différence. Toutefois, lorsque les marchandises avariées ont été remises en bon état sans qu'on ait examiné d'autres solutions, la V.M.A.D. (qui est une valeur marchande) est nulle, car on n'a pas cherché le débouché. En appliquant cette formule en l'espèce, on lui confèrerait un caractère artificiel. Le principe de restitutio in integrum devrait toutefois être appliqué à la lettre.                 
             Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de décider si l'intimée avait "l'obligation" de limiter sa perte comme elle l'a fait, ou de traiter de l'étendue de cette obligation. L'intimée à décidé d'utiliser le sucre brut avarié dans le cours normal de ses activités ordinaires. Une fois traité, le sucre a été incorporé à son produit ordinaire. L'intimée ne peut donc être dédommagée pour plus que sa perte.                 

Ce principe général est repris par le juge Décary, qui s'exprime ainsi, à la page 298 :

             Cette méthode d'évaluation des dommages n'est pas plus absolue qu'elle ne l'est dans les autres domaines du droit; un demandeur ne peut être dédommagé que d'une perte qu'il n'aurait pu raisonnablement éviter.                 

J'ai ensuite examiné les mesures prises par les demanderesses et les frais qu'elles avaient engagés.

     À ce stade, je dois affirmer clairement que je ne considère pas la question soulevée par la défenderesse compatible avec Wood v. Grand Valley Railway Co. (1915), 51 S.C.R. 283, où il a été statué qu'un juge doit faire de son mieux pour établir le montant quand les dommages-intérêts sont difficiles à quantifier. Je ne crois pas non plus que cette affaire présente une analogie avec le problème de preuve dont la Cour d'appel était saisie dans l'affaire Le navire Cisco, où la preuve présentée par le témoin de la demanderesse était ténue. En l'espèce, aucun représentant n'a comparu pour certaines demanderesses, et il n'existe donc aucune preuve en ce qui les concerne.


     Dans l'affaire Le navire Cisco, le juge Décary déclare ce qui suit aux pages 299 et 300 :

         La marchandise était avariée au moment de la livraison. Malgré cela, l'intimée a réussi à l'utiliser à sa raffinerie. L'utilisation par l'intimée de la marchandise indique que celle-ci avait, du moins pour l'intimée, une certaine valeur dans le processus de raffinage, moindre évidemment que sa valeur saine. Pour établir cette valeur, le propriétaire doit évaluer les inconvénients qu'il aura subis en bout en ligne, en ce qui concerne les frais engagés, les problèmes rencontrés et les risques courus, pour parvenir à utiliser les marchandises avariées comme si elles avaient été livrées en état sain. Ces inconvénients seront appelés coûts supplémentaires de production. Il va sans dire que seuls les coûts supplémentaires qui auront été raisonnablement engagés seront admissibles.                 
             Tout se résume à une question de preuve.                 
             Un mot, tout d'abord, sur la charge de la preuve.
         Il n'est pas contesté, dans les affaires d'inexécution de contrat, que la difficulté d'évaluer le montant de la perte ne peut décharger la personne responsable de l'obligation de payer des dommages-intérêts et qu'elle n'est pas un motif pour refuser d'accorder des dommages-intérêts considérables. Dans de telles circonstances, les tribunaux doivent faire de leur mieux même si cela veut dire ne faire que des conjectures. Toutefois, il faut faire attention de ne pas appliquer ce principe lorsque la difficulté résulte non pas de la nature du préjudice ou des faits de l'affaire, mais plutôt de l'omission du demandeur lui-même de produire la preuve disponible.                 

     En l'espèce, aucun représentant n'a comparu pour les demanderesses Glee Chemical Laboratories Inc., Jemiken Enterprises Corp., Producers Packaging Corp. et Sri Thep Thai Ltd. Quant à la demanderesse Lafumar Marketing Corp, un témoin, Dolores Santos, a comparu, mais elle n'était pas compétente pour témoigner. Mme Santos n'avait aucune connaissance personnelle des faits. Elle a seulement pu reconnaître les signatures et les documents de la société. En mars 1979, Mme Santos était chef du personnel. Elle était chargée du personnel de secrétariat. Elle a été informée, par ses supérieurs, en temps utile, qu'une demande de règlement avait été faite en vertu de la police d'assurance. Elle n'a pas pu fournir d'éléments de preuve pertinents relativement à la perte de la société. Il ne faudra donc pas accorder de valeur à son témoignage.

     Les seuls témoignages qui existent relativement aux pertes subies par ces demanderesses sont ceux des experts engagés par les assureurs pour évaluer les pertes indemnisables en vertu des polices applicables. Les rapports rédigés par ces experts et leur témoignage constituent, dans une grande mesure, une preuve par ouï-dire. Dans de nombreux aspects de la demande, les experts ne relatent, dans leur rapports et dans leur témoignages, que des faits dont ils n'avaient manifestement pas connaissance personnellement. Par exemple, en ce qui concerne la demande de Producers Packaging Corporation, le seul témoin à l'égard des avaries était Jesus Victa qui, en 1979, travaillait chez Manila Adjusters and Surveyors Company. Selon le rapport d'expertise rédigé par M. Victa en 1979 relativement à la cargaison destinée à Producers Packaging, 7,39564 tonnes métriques de résine étaient avariées, c'est-à-dire mélangées avec d'autres catégories ou formes de résine et contaminées par des agents étrangers. Le rapport indique, en outre, que le consignataire a demandé une indemnité de 35 % à l'égard de la résine avariée qu'il a gardée. M. Victa déclare ce qui suit à la page 7 de son rapport :

         [TRADUCTION]                 
         Nous sommes d'avis que l'indemnité de 35 % réclamée par le consignataire sur le reliquat des 951 sacs usagés totalisant 7 395,64 kilos net de résine synthétique contaminée est juste et raisonnable et peut servir de base au règlement pour les parties en cause. Cette indemnité couvre aussi les frais engagés pour le reconditionnement et le nettoyage.                 

     Toutefois, comme la Cour d'appel l'a clairement statué dans l'affaire Le navire Cisco, le règlement d'assurance ne constitue pas une preuve de la perte réellement subie par l'assuré. La page 24 de la transcription de la déposition de M. Victa se lit comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         Q.      Pourquoi avez-vous accepté l'indemnité de 35 %?
         R.      Eh bien, vu l'ampleur des avaries et que le consignataire devrait nettoyer et enlever la saleté et la diminution de la qualité de la résine du fait qu'elle a été mélangée à d'autres formes de résine.                 
         Q.      Avez-vous vérifiez s'il était possible de la vendre à un tiers à meilleur prix?                 
         R.      Généralement, nous ne sommes pas autorisés à effectuer une vente de récupération. J'ai cependant vérifié sur le marché la juste valeur marchande saine et la juste valeur marchande avariée. Ainsi, la valeur marchande saine, comme elle est indiquée en l'espèce à l'époque en cause, savoir avril 1979, était de 10 par kilo, alors que la valeur marchande avariée, selon Smith Bell, était de 5,12 par kilo.                 

     À la page 46 de la transcription du contre-interrogatoire, on peut lire ce qui suit :

         [TRADUCTION]                 
         Q.      Au bas de la page 6 de votre rapport, nous pouvons lire que de la résine synthétique hors-catégorie a été mélangée, et j'essaie de comprendre comment on en est arrivé à une indemnité de 35 %?                 
         R.      Comme je l'ai déclaré tout à l'heure, j'ai vérifié sur le marché la juste valeur marchande saine et la juste valeur marchande avariée de la cargaison. C'est pourquoi, lorsque le consignataire a demandé une indemnité de 35 % d'après ma vérification à l'époque en cause, j'ai jugé que c'était raisonnable.                 

     En l'absence d'un témoignage de la part de la demanderesse, tout ce que le témoignage précédent indique, c'est que l'expert estimait raisonnable l'indemnité de 35 %. Il ne révèle que l'opinion d'un tiers et n'indique pas la perte réellement subie par la demanderesse. De plus, si la demanderesse ne témoigne pas sur les mesures qu'elle a prises, tout témoignage relatif à la position de la demanderesse n'est que simple ouï-dire, ce qui n'est pas pertinent, sauf en ce qui concerne le fait que cela ait été dit. La déposition de M. Victa ne constitue pas non plus une preuve suffisante des mesures prises par le consignataire après avoir reçu les marchandises. Pourquoi le consignataire en cause ne pouvait-il plus utiliser les marchandises avariées? Si le consignataire a reçu une indemnité de 35 %, qu'a-t-il fait des marchandises?

     La transcription révèle aussi que M. Victa a ordonné au consignataire de ne pas toucher à la cargaison avariée, mais rien ne prouve que le consignataire ait respecté cette directive. Aux pages 55 et 56 de la transcription, on peut lire :


         [TRADUCTION]                 
         Q.      Comment procéderiez-vous pour vérifier ou noter les avaries causées à une palette saine par les employés du consignataire? Savez-vous s'ils l'endommagent lorsqu'ils la déchargent du camion?                 
         R.      Il existait un accord avec le réceptionnaire des marchandises du consignataire pour qu'il note l'état externe des palettes sur les reçus de livraison.                 

Ce témoignage ne fait que révéler les instructions qui ont été données au consignataire, mais ne prouve pas que les mesures réellement prises sont suffisantes pour permettre aux demanderesses d'avoir gain de cause.

     On pourrait donner encore bien d'autres exemples, mais ce ne sera pas nécessaire. Dans l'ensemble, les demanderesses susmentionnées n'ont pas présenté suffisamment d'éléments de preuve pour que je puisse quantifier leur perte.

     En conclusion, une partie demanderesse, en l'absence d'un aveu de la partie défenderesse, doit comparaître devant la Cour et expliquer la perte qu'elle a subie à la suite d'un dommage causé à son bien. Ainsi, même si j'avais tranché en faveur des demanderesses, que ce soit sous le régime du contrat ou de la responsabilité civile délictuelle, les demanderesses Glee Chemicals Laboratories Inc., Jemiken Enterprises Corp., Producers Packaging Corp., Lafumar Marketing Corp. et Sri Thep Thai Ltd. n'auraient pas eu gain de cause au motif qu'elles n'ont pas prouvé leur perte.

     Examinons maintenant le cas des demanderesses qui ont produit suffisamment d'éléments de preuve. En ce qui concerne leurs réclamations, je suis d'avis qu'elles devraient être indemnisées selon la formule suivante : prix de la facture CAF + 10 % taxe de vente + 30 % droits + 10 % bénéfice. Ainsi, ces demanderesses auraient eu droit à 157 % du prix CAF. Bien que la preuve produite n'ait pas été de la meilleure qualité, je suis néanmoins convaincu que ce montant représente la perte subie par ces demanderesses. Je ne peux toutefois en faire plus pour les indemniser.

     Les représentants des demanderesses qui ont témoigné étaient dans une position délicate du fait qu'ils n'avaient pas accès aux dossiers de leur employeur, lesquels avaient été détruits lorsque les interrogatoires on eu lieu, au printemps de 1996. Les témoins ne pouvaient alors se fier qu'à leurs souvenirs, à leur expérience et aux documents fournis par les avocats. Dans la majorité des cas, ils ne pouvaient se rappeler si leur société avait effectivement payé la taxe de vente de 10 % et les droits de 30 %. Toutefois, ils ont tous affirmé que la cargaison n'aurait pu être enlevée du quai si ces taxes n'avaient pas été acquittées.

     Me Tabib a allégué qu'outre le prix CAF, les droits et les taxes, tout acheteur de résine à Manille ou à Bangkok en 1979 devait payer au moins 10 % de plus pour obtenir la résine. Me Tabib ne s'est cependant pas arrêtée là. Elle a ajouté que les demanderesses avaient droit à un dédommagement fondé sur la valeur marchande équivalant à 200 % du prix CAF de la résine.

     Malgré les prétentions des plus valables et convaincantes de Me Tabib, je ne suis pas prêt à accorder aux demanderesses plus de 10 % au-dessus du prix CAF + 40 %. Premièrement, les représentants des demanderesses qui ont témoigné ont tous déclaré que leur rapport des ventes pour l'année 1979 n'était pas disponible et qu'ils ne pouvaient donc pas confirmer le prix de vente et d'achat de la résine à Manille ou à Bangkok pour cette année. De plus, aucune preuve d'autres sources n'a été présentée en ce qui concerne le prix du marché global de la résine à Manille ou à Bangkok pour l'année 1979. Union Carbide ne m'a pas non plus présenté de preuve relativement au prix qu'elle demandait à ses clients de Manille ou de Bangkok pour la période de mars 1979 à décembre 1979.


     L'expert Marasigan a déclaré avoir rencontré les "consignataires" pour établir le prix du marché de la résine. Les autres experts qui ont témoigné relativement à la cargaison de Manille se sont tous fiés aux renseignements obtenus par M. Marasigan. Toutefois, le témoignage de ce dernier est insatisfaisant. Tout ce que M. Marasigan a pu dire, c'est qu'il a été informé par les "consignataires" des conditions qui prévalaient dans le marché. Il s'agit manifestement là d'une preuve par ouï-dire et je ne suis pas disposé à l'accepter.

     Il n'aurait pas été difficile pour les demanderesses de produire leur rapport des ventes pour l'année 1979. Si l'on m'avait présenté cet élément de preuve, je présume que je n'aurais eu aucune difficulté à trouver la juste valeur marchande à l'époque en cause. On ne m'a pas donné d'explication valable quant à la non-divulgation de ces documents. Il incombe aux demanderesses et aux consignataires de prouver la juste valeur marchande. Ils auraient dû présenter leur rapport des ventes.

     Me Tabib s'est aussi appuyée sur le témoignage du témoin-expert Anthony David Craske. Dans son témoignage, M. Craske s'est reporté aux publications spécialisées, aux journaux et aux statistiques du secteur d'activité. Il s'est aussi, de toute évidence, fié à son expérience personnelle et à son propre réseau de renseignements.

     Il a déclaré que les années 1978 et 1979 ont été des [TRADUCTION] "années extraordinaires" pour le secteur des produits chimiques. Selon lui, en 1979, le prix de la résine en Extrême-Orient était à la hausse. En contre-interrogatoire, il a fait remarquer qu'il ne pouvait pas affirmer si la hausse avait eu lieu au premier trimestre de 1979 ou plus tard.


     D'après la preuve qui m'a été présentée, je ne peux accorder aux demanderesses plus de 10 % au-dessus du prix CAF + 40 %. Il se peut fort bien que la valeur marchande ait été supérieure à ce que je suis prêt à accorder aux demanderesses mais, à la lumière de la preuve, je ne peux aller plus loin au risque de faire des conjectures. Comme je l'ai déjà mentionné ci-dessus, il était facile de prouver la valeur marchande de mars et d'avril 1979 mais, malheureusement, les demanderesses ne l'ont pas fait de façon satisfaisante. Le fait que dix-sept années se soient écoulées entre la perte et le début de l'instruction ne signifie pas que je doive accepter une preuve insatisfaisante.

     Passons maintenant aux réclamations des demanderesses qui ont prouvé une perte financière. Je dois signaler que la clause 5 des connaissements stipule que le [TRADUCTION] "transporteur" n'est pas tenu des pertes ou avaries qui surviennent après le déchargement. La Cour suprême du Canada a maintenu une clause semblable à la clause 5 dans l'arrêt ITO - International Terminal Operators c. Miida Electronics , [1986] 1 R.C.S. 752. Par conséquent, le transporteur n'est pas tenu des pertes ou des avaries qui surviennent après le déchargement. Dans la mesure où il s'agit d'une action en responsabilité délictuelle, les demanderesses doivent prouver un lien de causalité directe entre les avaries survenues après le déchargement et la négligence de la défenderesse.

     La preuve présentée par Union Carbide Thailand relativement aux avaries causées à sa cargaison repose principalement sur la preuve des experts engagés par Bayne, Adjustors and Surveyors, Ltd. Ces experts, Harnchai Vichaithamkhun et Sittichai Kuptimitr, ont témoigné au nom de Union Carbide Thailand. La preuve apportée par ces experts montrait que, lorsque la cargaison a été retirée du quai, 4 480 sacs étaient déchirés et s'étaient déversés pour une perte équivalant à 107 101 kilogrammes. D'après la preuve, je suis convaincu que cette perte existait lorsque la cargaison a été déchargée du navire. Par conséquent, si j'avais conclus à la responsabilité délictuelle de la défenderesse, j'aurais permis à Union Carbide Thailand de recouvrer sa perte résultant d'un déficit de 107 101 kilogrammes. Comme je l'ai déjà mentionné, les demanderesses ont droit à une indemnité de 157 % du prix CAF.

     Passons maintenant au cas des consignataires de Manille. Avant d'examiner les réclamations individuelles, je dois signaler que le déchargement de la cargaison et sa manutention dans le port de Manille ont été faits correctement. Lorsque des marchandises sont déchargées d'un navire à Manille, l'entreprise de manutention, les autorités portuaires et les experts représentant le navire procèdent à une expertise sur l'état des marchandises. L'entreprise de manutention délivre par la suite un certificat de mauvais état qui vise à décrire la condition des marchandises lorsqu'elles sont déchargées du navire. Dans les rapports d'expertise, ces certificats sont appelés les certificats E. Razon Inc.

     Les marchandises sont ensuite séparées en lots. Le premier lot contenant les palettes dites "en mauvais état" a été placé dans le hangar N situé au quai no 15. L'autre lot contenant les palettes dites en bonne condition a été placé dans l'entrepôt no 7 au quai no 3. L'entreprise de manutention a déplacé les palettes depuis les abords du navire jusqu'au hangar N et à l'entrepôt no 7. Ni les représentants du navire ni ceux des consignataires n'ont été autorisés à participer à la manutention de la cargaison ou à l'observer.

     Avant l'enlèvement de la cargaison du port, les différents experts ont demandé à l'entreprise de manutention d'inspecter la cargaison afin de voir si elle avait subi d'autres avaries. Cette demande visait à établir si d'autres marchandises avaient subi des avaries pendant la manutention depuis les abords du navire jusqu'au hangar N et à l'entrepôt no 7. L'entreprise de manutention n'a pas acquiescé à la demande des experts au motif que la cargaison était avariée lorsqu'elle a été déchargée du navire. Il semble que l'entreprise de manutention ne voulait pas délivrer de certificat de mauvais état, à moins que l'on ne prouve qu'elle avait causé les avaries.

     Il s'ensuit que les experts désignés au nom des consignataires n'ont pu inspecter les palettes au port. Un telle expertise ne pouvait avoir lieu, et n'a effectivement eu lieu, qu'une fois la cargaison délivrée dans les locaux des consignataires.

     La défenderesse soutient qu'elle n'est responsable que des avaries remarquées lors de l'expertise du déchargement conjointement menée par l'entreprise de manutention et le représentant du navire, à moins que les demanderesses ne montrent qu'aucune avarie n'est survenue après le déchargement. En revanche, les demanderesses fondent leur action sur les avaries qu'elles ont constatées après la livraison des marchandises à leurs entrepôts.

     La défenderesse prétend, à bon droit selon moi, que les avaries remarquées au moment du déchargement, et constatées dans les certificats E. Razon Inc., constituent une preuve prima facie des avaries causées à la cargaison lorsqu'elle était sous les soins et la garde du navire. La défenderesse soutient en outre que les certificats susmentionnés imposent aux demanderesses l'obligation de prouver un lien de causalité directe entre les autres avaries causées à la cargaison et l'état de la cargaison au moment du déchargement du navire.

     Me Tabib soutient que, d'après la preuve des experts, aucune avarie n'a été causée à la cargaison pendant le transport depuis le port jusqu'aux entrepôts des consignataires. Elle prétend donc que les avaries constatées à l'entrepôt existaient déjà lorsque la cargaison a été chargée à bord des camions au port. D'après la preuve, cette prétention est à mon avis fondée. La question est de savoir si l'aggravation des avaries, évaluée en comparant les avaries remarquées au moment du déchargement et celles que les consignataires ont constatées à leur entrepôt, est attribuable au fait de l'entreprise de manutention ou si elle résulte directement de l'état des marchandises lorsqu'elles ont été déchargées du navire. Aux paragraphes 82 et 83 de son mémoire, Me Tabib énonce les questions comme suit :

         [TRADUCTION]                 
         82.      Les pertes qui peuvent être survenues au port sont de trois types. 1) La perte ou la contamination du produit due au déversement des sacs de résine déjà endommagés; 2) des avaries additionnelles aux sacs dues à la chute des palettes des chariots élévateurs à fourche ou à une manutention brutale des marchandises; et 3) la perte due au vol de sacs ou de résine dans les sacs ou à la livraison de palettes ou de sacs incomplets.                 
         83.      Il existe peu d'éléments de preuve directs de ces pertes, et assurément aucune preuve quant à l'ampleur de ces pertes, bien qu'il y ait des signes que ces types de perte se soient produits. Pour toutes ces pertes, il faut examiner si les avaries sont une conséquence directe et prévisible de la négligence de Fednav en responsabilité civile délictuelle ou de l'inexécution d'une obligation en vertu du connaissement et, par conséquent, la responsabilité de Fednav. Il faut aussi examiner si les avaries ont été causées par la négligence d'un tiers et constituent un élément nouveau qui permettrait à Fednav de se disculper et, enfin, si Fednav peut invoquer les exonérations de responsabilité pour les avaries causées après le déchargement.                 

     Il n'existe aucune preuve en qui concerne la suite des événements entre le déchargement de la cargaison et le moment où elle a été enlevée du port. Les experts ont vu les palettes pour la première fois après qu'elles ont été mises dans le hangar N et l'entrepôt numéro 7 par l'entreprise de manutention.

     Je suis d'accord avec Me Tabib que, vu l'état de la cargaison au déchargement, de plus amples avaries étaient inévitables. Il n'est pas difficile d'imaginer les difficultés auxquelles l'entreprise de manutention a dû faire face en manipulant des palettes et des sacs endommagés. Comme Me Colford l'écrit à la page 33 de sa plaidoirie :


         [TRADUCTION]                 
         Le problème qui se pose dans l'évaluation tient au fait que les pertes ont continué à s'aggraver après le déchargement de la cargaison du navire, à cause de l'état instable des palettes, de la mauvaise manutention ou du vol. Il appartiendra à la Cour d'établir les pertes attribuables à la négligence du transporteur, et celles qui ont pu être causées par des éléments nouveaux.                 

     Et Me Colford poursuit :

         [TRADUCTION]                 
         La défenderesse soumet que le défaut des destinataires de faire preuve de diligence dans la manutention d'une cargaison devenue instable constituait un défaut de minimiser ses pertes. Il n'y a aucune preuve que les destinataires ont pris des mesures correctrices à la suite du déchargement; la cargaison a été manipulée comme si elle était en bon état. Étant donné qu'il est difficile de distinguer les pertes dues à une manutention brutale ou au vol pendant que la cargaison était sous la garde des autorités portuaires, des pertes découlant directement du transport, nous sommes d'avis que le point de départ pour l'évaluation des dommages est le rapport d'expertise collectif rédigé après le déchargement et reproduit dans les rapports d'expertise de Manille, ainsi que le rapport post-déchargement qui se trouve dans le rapport Sittichai.                 

     En outre, Me Colford m'a fait remarquer que la déposition de l'expert Jesus Victa montrait que le vol et la négligence en matière de manutention étaient monnaie courante dans le port de Manille en 1979.

     Dans ces circonstances, après avoir soigneusement examiné la preuve, j'aurais été disposé à accorder aux demanderesses qui ont prouvé qu'elles ont réellement subi une perte, des dommages-intérêts pour les avaries constatées dans le certificat E. Razon, plus 50 % de la différence entre ces avaries et celles qui ont été constatées dans les entrepôts des consignataires.


     Par ces motifs, l'action des demanderesses est rejetée avec dépens.

                             "MARC NADON"     

                                  JUGE

Ottawa (Ontario)

Le 20 mai 1997

Traduction certifiée conforme             
                             Laurier Parenteau

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTI0N DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NE DU GREFFE :                  T-2403-81
INTITULÉ DE LA CAUSE :          UNION CARBIDE CORPORATION
                         ET AL. c. FEDNAV LIMITED
LIEUX DE L'AUDIENCE :          Ottawa et Toronto (Ontario)
DATES DE L'AUDIENCE :          22, 23, 24, 25, 26 et 30 avril 1996
                         29 et 30 mai 1996
                         3 et 4 septembre 1996
                         7 et 8 octobre 1996

     MOTIFS DU JUGEMENT DE MONSIEUR LE JUGE NADON

     RENDU LE 20 MAI 1997

ONT COMPARU :

Me Mireille Tabib                  pour les demanderesses
Me David Colford                  pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stikeman et Elliott                  pour les demanderesses

Montréal (Québec)

Brisset, Bishop                  pour la défenderesse

Montréal (Québec)

__________________

1      Les demanderesses ont introduit la présente action le 27 avril 1981 contre le navire HUDSON BAY et les sociétés Bona Maritime Corp. et Federal Commerce and Navigation Ltd. Vers 1984, Federal Commerce and Navigation Ltd. et Federal Marine Terminals Ltd. ont fusionné pour créer Fednav Limited.

2      La demanderesse Union Carbide Thailand Ltd. était la propriété exclusive de Union Carbide.

3      UCC était une filiale de Union Carbide. UCC commercialisait la résine au Canada, et le surplus était vendu à Union Carbide pour l'exportation.

4      Bien que Bona Maritime ait été nommée à titre de défenderesse dans la déclaration, aucun avis de procédure ne lui a été signifié. Par conséquent, Bona Maritime n"est pas partie à la présente action.

5      Les "Incoterms" sont des règles publiées par la Chambre de commerce internationalepour l'interprétation des termes CAF.

6      La clause devant le juge Brandon était ainsi rédigée :
     [TRADUCTION]      (...) Le capitaine (même s'il est nommé par les propriétaires), sera sous les ordres des affréteurs pour toute question d'emploi ou de mandat; les affréteurs sont tenus de charger, d'arrimer et de décharger la cargaison à leurs frais et risques, sous la surveillance du capitaine qui signe sur présentation les connaissements relatifs à la cargaison conformément aux reçus de bord ou aux reçus du pointeur.

7      La clause 2 du connaissement en cause n'est pas une clause de dévolution "stricte". Le professeur Tetley, à la page 248, donne l'exemple suivant d'une clause de dévolution :
         [TRADUCTION] Si le navire n'appartient pas à la société ou à la ligne qui délivre le connaissement ou n'est pas affrété coque nue par elle (ce qui est possible, malgré toute indication contraire), le connaissement entre en vigueur comme s'il s'agissait d'un contrat avec le propriétaire ou l'affréteur coque nue, selon le cas, à titre de mandant dans le cadre du mandat de la société ou de la ligne qui agit en sa qualité de mandataire seulement et il ne saurait être tenu personnellement responsable de quelque manière que ce soit relativement au connaissement.

8      Pour une explication de la clause de dévolution, voir W. Tetley, Marine Cargo Claims, précité, aux pp. 248 à 259.

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