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Date : 20010926

Dossier : T-1835-00

Référence neutre : 2001 CFPI 1053

ENTRE :

                                                            JOHN R. PINKNEY

                                                                                                                                         demandeur

                                                                            et

                                      LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                              (Service correctionnel Canada et autre)

                                                                         (no 2)

                                                                                                                                          défendeurs

                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ


[1]                 Au moyen d'une ordonnance en date du 1er août 2001, Monsieur le protonotaire John A. Hargrave a autorisé la présentation de cette demande par écrit en vertu de l'article 369 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles); la demande vise à l'obtention d'une ordonnance de la nature d'une ordonnance de certiorari annulant le document intitulé « Criminal Profile 1996 » qui a influencé la décision prise par le Service correctionnel du Canada le 5 septembre 2000. Le demandeur sollicite également une ordonnance de mandamus enjoignant au Service correctionnel du Canada et à la Commission nationale des libérations conditionnelles de retrancher toute mention du test PCL-R ainsi que le terme [TRADUCTION] « psychopathe » figurant dans son dossier. Troisièmement, le demandeur sollicite une ordonnance de mandamus, conformément au paragraphe 18.4(2) de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi), pour que la demande de contrôle judiciaire ici en cause soit instruite comme s'il s'agissait d'une action intentée contre le procureur général du Canada.

1. Les faits

[2]                 Le demandeur purge actuellement des peines globales de plus de 18 années infligées à l'égard d'infractions commises en 1985 et par la suite. Il finira de purger sa peine le 10 décembre 2003. Le demandeur a été à maintes reprises libéré sous condition; la plupart du temps, il n'a pas observé les conditions imposées. Il a chaque fois été réincarcéré, souvent après avoir été reconnu coupable de nouvelles infractions commises pendant qu'il était en liberté sous condition. Au mois de février 1999 et le 5 septembre 2001, la libération conditionnelle a été suspendue six fois et quatre suspensions ont été annulées.


[3]                 Le 20 octobre 1995, le Service correctionnel du Canada, par l'entremise de son psychologue Terry Gardy, a utilisé un outil de diagnostic appelé PCL-R, Échelle de psychopathie de Hare - Révisée, en vue d'effectuer une évaluation du risque que présentait le demandeur.

[4]                 Le 12 juin 1996, le Service correctionnel du Canada a préparé un rapport sur le profil criminel résumant l'évaluation du risque effectuée par le psychologue Terry Gardy, indiquant que le demandeur était un [TRADUCTEUR] « psychopathe » et [TRADUCTION] qu' « à l'âge de 35 ans, [il] présent[ait] encore un mauvais pronostic quant à une mise en liberté sous condition et un risque élevé de récidive » .

[5]                 Le rapport sur le profil criminel renferme également un résumé d'une évaluation du demandeur effectuée par le docteur Eves, psychiatre, le 24 novembre 1997, selon laquelle un diagnostic de psychopathie a été envisagé, le demandeur présentant un grand nombre des caractéristiques propres à pareil diagnostic.

[6]                 Le demandeur a présenté des griefs internes aux paliers régional et national en vue de tenter de faire annuler les notes attribuées pour le test PCL-R, mais les griefs ont été rejetés.


[7]                 À la suite d'une décision par laquelle la Commission nationale des libérations conditionnelles a refusé d'accorder la semi-liberté au demandeur le 9 juillet 1997, ce dernier a demandé le contrôle judiciaire de cette décision et, à l'appui, des ordonnances de mandamus et de certiorari en ce qui concerne le test PCL-R et le terme [TRADUCTION] « psychopathe » figurant dans le rapport sur le profil criminel du 12 juin 1996.

[8]                 Monsieur le juge MacKay a rejeté la demande pour le motif que le délai dans lequel le demandeur pouvait interjeter appel contre la décision qu'il cherche à faire réviser était expiré. Le juge a en outre fait une remarque incidente, à savoir que « l'évaluation de l'état mental du requérant sans son consentement contrevient aux paragraphes 2 et 6 de la Directive du commissaire no 803 » et qu'il faudrait envisager « d'éviter l'utilisation de tests ou d'évaluations psychologiques douteux dans des situations futures mettant en cause le requérant ou d'autres personnes détenues » .

[9]                 Au mois d'août 2000, le Service correctionnel du Canada a effectué une évaluation aux fins d'une décision concernant la mise à jour des renseignements ayant trait au demandeur et une recommandation de la révocation de la semi-liberté; on a fait remarquer qu'entre le mois de février 1999 et le 5 septembre 2001, la libération conditionnelle avait été suspendue six fois et que quatre suspensions avaient été annulées.


[10]            Le 5 septembre 2000, le Service correctionnel du Canada a rédigé un rapport d'enquête communautaire, dans lequel figuraient des renseignements au sujet d'une décision que le comité de sélection de Miracle Valley (le comité de sélection) avait prise relativement à l'admission du demandeur à titre de résident. Le comité de sélection avait fait remarquer que les commentaires figurant dans le rapport sur le profil criminel du 14 juin 1996 les inquiétaient énormément.

[11]            Toutefois, le comité de sélection croyait que les commentaires figurant dans l'évaluation qui avait été effectuée aux fins de la prise de la décision, au mois d'août 2000 (dans laquelle il n'était pas fait mention de [TRADUCTION] « psychopathie » et de la note attribuée pour le test PCL-R) laissaient entendre que le demandeur n'acceptait toujours pas la responsabilité de ses récidives et que le programme habituel ne lui serait donc pas profitable. Le comité de sélection a ensuite conclu que le centre de traitement de Miracle Valley, qui est un centre de réadaptation des alcooliques et toxicomanes exploité par l'Armée du salut, indépendamment de Service correctionnel Canada, n'avait rien à offrir au demandeur.

2. Les points litigieux


[12]            Premièrement, la Cour fédérale a-t-elle compétence pour examiner la décision en question? Deuxièmement, la demande devrait-elle être rejetée puisque le demandeur ne s'est pas prévalu de la procédure de règlement de griefs prévue par la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la LSC)? Troisièmement, la demande que le demandeur a présentée en vue d'obtenir une réparation de la nature d'ordonnances de mandamus et de certiorari en ce qui concerne la mention de la note obtenue pour le test PCL-R et le terme [TRADUCTION] « psychopathe » devrait-elle être rejetée pour le motif qu'il y a chose jugée? Quatrièmement, la Cour devrait-elle ordonner que la demande de contrôle judiciaire ici en cause soit instruite comme s'il s'agissait d'une action intentée contre le procureur général du Canada?

3. La compétence

[13]            À coup sûr, la Cour fédérale n'a pas compétence pour procéder au contrôle judiciaire d'une décision prise par une entité gouvernementale non fédérale. En vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi, les demandes de contrôle judiciaire peuvent être présentées dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de la décision à la partie concernée. De même, des réparations extraordinaires telles que des ordonnances de certiorari ou de mandamus peuvent être obtenues uniquement si une demande de contrôle judiciaire est présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi.

[14]            Le comité de sélection est un organisme privé relevant de l'Armée du salut, qui est une société privée. De toute évidence, les décisions du comité de sélection ne peuvent pas être contestées au moyen d'un contrôle judiciaire devant la Cour fédérale. Toutefois, la Cour a la compétence voulue pour examiner les décisions du Service correctionnel du Canada et de la Commission nationale des libérations conditionnelles.

[15]            La Cour peut ordonner que ces deux offices retranchent toute mention du terme [TRADUCTION] « psychopathe » lorsque ce terme injurieux est employé sans justification. Dans la décision du 26 février 1998 susmentionnée, mon collègue le juge MacKay s'est expressément penché sur la question de l'utilisation par la Commission nationale des libérations conditionnelles de l'évaluation dans laquelle le demandeur était qualifié de [TRADUCTION] « psychopathe » . Le juge s'est abstenu d'interdire à la Commission nationale des libérations conditionnelles d'utiliser cette évaluation parce que le demandeur n'avait pas interjeté appel contre la décision de la Commission. Toutefois, comme il en a ci-dessus été fait mention, dans une remarque incidente, il priait les parties concernées d'envisager d'éviter l'utilisation de tests ou d'évaluations psychologiques douteux dans des situations futures mettant en cause le requérant. Il a ajouté qu' « [u]n examen adéquat par le Service correctionnel peut être particulièrement important » .


[16]            Le demandeur agit pour son propre compte dans cette instance; il a constitué un dossier volumineux fort bien documenté. Il a soulevé un grand nombre de faits, de points et d'arguments, dont certains n'ont rien à voir avec le contrôle judiciaire, de sorte qu'on ne sait pas trop quelle décision il conteste. De toute évidence, si la décision contestée remonte à plus de 30 jours, le délai dans lequel le demandeur peut solliciter le contrôle judiciaire est prescrit. Si le demandeur se contente de demander une ordonnance interdisant toute mention présente ou future du test PCL-R et toute utilisation du terme [TRADUCTION] « psychopathe » que le juge MacKay déplorait dans sa remarque incidente, je suis prêt à accorder pareille ordonnance.

4. La demande devrait-elle être rejetée pour le motif que le demandeur ne s'est pas prévalu de la procédure de règlement de griefs prévue par la LSC?

[17]            Si le demandeur conteste la communication de renseignements au comité de sélection par le Service correctionnel du Canada et son agent de liberté conditionnelle, il doit utiliser, en vertu de la loi, la procédure de règlement de griefs prévue par la LSC et son règlement d'application, qui établissent un recours adéquat à exercer en tant que solution de rechange, avant de solliciter le contrôle judiciaire.

[18]            L'article 90 de la LSC prévoit ce qui suit :

90. Est établie, conformément aux règlements d'application de l'alinéa 96u), une procédure de règlement juste et expéditif des griefs des délinquants sur des questions relevant du commissaire.

[19]                         Sur ce point, comme dans des décisions antérieures rendues par la Cour en la matière, le demandeur, encore une fois, ne s'est pas prévalu des recours adéquats qui étaient prévus comme solutions de rechange de sorte qu'à cet égard, la demande doit être rejetée.


5. La chose jugée

[20]            La demande que le demandeur a présentée en vue d'obtenir une réparation de la nature d'ordonnances de mandamus et de certiorari en ce qui concerne la mention de la note attribuée pour le test PCL-R et l'emploi du terme [TRADUCTION] « psychopathe » devrait-elle être rejetée pour le motif qu'il y a chose jugée? En fait, une fois qu'une décision définitive a été rendue, l'objet du litige ne peut pas être de nouveau débattu. Comme il en a ci-dessus été fait mention, le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire, en 1997, d'une décision de la Commission nationale des libérations conditionnelles à l'égard de la note qu'il avait obtenue pour le test PCL-R et de l'emploi du terme [TRADUCTION] « psychopathe » dans le rapport sur le profil criminel du 12 juin 1996 et dans d'autres documents du Service correctionnel du Canada. Il ne peut pas solliciter ici la même réparation. La communication récente de ces renseignements au comité de sélection constitue une nouvelle question. Les défendeurs n'auraient pas dû continuer à employer le terme [TRADUCTION] « psychopathe » en se fondant sur une évaluation antérieure douteuse.

[21]            En bonne justice, on ne saurait laisser les défendeurs continuer à employer un terme injurieux.


6. Le demandeur devrait-il être autorisé à intenter une action contre le procureur général du Canada?

[22]            Je souscris aux remarques que les défendeurs ont faites dans leur dossier, qui a été déposé le 11 juin 2001, à savoir que [TRADUCTION] « les questions soulevées dans la présente instance peuvent être examinées d'une façon satisfaisante au moyen d'un contrôle judiciaire sans qu'il soit nécessaire de présenter un témoignage de vive voix en vue d'établir la crédibilité des témoins ou de permettre à la Cour de bien comprendre la preuve » .

[23]            Toutefois, si le demandeur veut intenter une action délictuelle contre le gouvernement, il n'est pas approprié, à mon avis, de transformer la demande de contrôle judiciaire ici en cause en une action en vertu du paragraphe 18.4(2) de la Loi. Le demandeur n'a pas suffisamment mis au point son dossier pour qu'il puisse être utilisé comme document acceptable servant de fondement à une action. Les actions sont intentées au moyen d'une déclaration renfermant des énoncés concis des faits pertinents sur lesquels le demandeur se fonde et la procédure précise prévue à la partie 4 des Règles de la Cour fédérale doit être suivie.


7. Dispositif

[24]            Il est par les présentes ordonné aux défendeurs de s'abstenir de continuer à employer le terme [TRADUCTION] « psychopathe » en ce qui concerne le demandeur, terme qui est tiré du test PCL-R administré dans le cadre de l'évaluation effectuée le 12 juin 1996 par le psychologue Terry Gardy, et que Monsieur le juge MacKay a qualifié de douteux dans sa décision du 26 février 1998. Bien sûr, cette ordonnance ne s'applique pas à l'emploi de ce terme à la suite d'une évaluation valable.

Juge

OTTAWA (Ontario),

le 26 septembre 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


Date : 20010926

Dossier : T-1835-00

OTTAWA (ONTARIO), LE 26 SEPTEMBRE 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE J.E. DUBÉ

ENTRE :

                                                 JOHN R. PINKNEY

                                                                                                                    demandeur

                                                                 et

                          LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                (Service correctionnel Canada et autre)

                                                               (no 2)

                                                                                                                    défendeurs

                                                    ORDONNANCE

Il est par les présentes ordonné aux défendeurs de s'abstenir de continuer à employer le terme [TRADUCTION] « psychopathe » en ce qui concerne le demandeur, terme qui est tiré du test PCL-R administré dans le cadre de l'évaluation effectuée le 12 juin 1996 par le psychologue Terry Gardy, et que Monsieur le juge MacKay a qualifié


                                                                                                                           Page : 2

de douteux dans sa décision du 26 février 1998. Cette ordonnance ne s'applique pas à l'emploi de ce terme à la suite d'une évaluation valable.

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                      T-1835-00

INTITULÉ :                                                                     John R. Pinkney

c.

Procureur général du Canada

(Service correctionnel Canada et autre)

(No 2)

AFFAIRE JUGÉE SUR DOSSIER

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                   le juge Dubé

DATE DES MOTIFS :                                                  le 26 septembre 2001

ARGUMENTATION ÉCRITE :

M. John R. Pinkney                                                           POUR SON PROPRE COMPTE

M. Malcolm Palmer                                                           POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg                                                        POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada                                 

Ottawa (Ontario)

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