Date : 20050322
Dossier : DES-4-02
Référence : 2005 CF 393
DEVANT LA COUR :
AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du
paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la
protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);
ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du
Canada en vertu du paragraphe 77(1) et des
articles 78 et 80 de la Loi;
ET Mohamed HARKAT
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LA JUGE DAWSON
[1] Le Solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (les ministres) ont paraphé un certificat attestant que Mohamed Harkat est un ressortissant étranger interdit de territoire pour raisons de sécurité. Conformément au paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), le certificat a été déposé à la Cour afin qu'elle se prononce sur son caractère raisonnable. Voici les motifs qui m'ont amenée à conclure que le certificat est effectivement raisonnable, et à rejeter la mise en cause, par M. Harkat, de la validité constitutionnelle des dispositions législatives applicables en l'espèce.
[2] Les dispositions de la Loi qui nous concernent ici sont les articles 33 et 34, ainsi que les articles 76 à 81. Ces dispositions sont reproduites en annexe.
[3] Je commence l'exposé de ces motifs en rappelant les mesures procédurales prises pour que puissent être communiquées à M. Harkat le plus d'informations possibles afin de l'informer raisonnablement des faits qui sont à l'origine du certificat de sécurité, et lui permettre de produire devant la Cour les renseignements confidentiels qui lui paraissent pertinents. Je passe ensuite à la mise en cause, par M. Harkat, de la validité constitutionnelle, de l'applicabilité ou de l'effet des articles 78 à 80 de la Loi. Après cela, j'examine l'économie générale de la Loi, la norme de preuve applicable en l'espèce, la question de savoir ce que les ministres sont tenus, au juste, de démontrer, et les principes juridiques qui s'appliquent en l'occurrence. J'expose ensuite les allégations visant M. Harkat, telles qu'énoncées dans le résumé qui lui en a été fourni. Puis, je considère les éléments de preuve versés au dossier, la manière dont la Cour a traité les renseignements confidentiels qui lui étaient soumis et la manière dont j'ai analysé les éléments de preuve. Je me penche enfin sur l'argument développé par M. Harkat lorsqu'il affirme que les ministres ont manqué aux obligations qui leur incombent aux termes de l'arrêt de la Cour suprême du Canada Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3.
Table des matières Numéro du paragraphe
1. Les étapes procédurales régissant la divulgation de renseignements [4]
2. Les questions d'ordre constitutionnel [23]
3. L'économie général de la Loi, la norme de preuve, ce que les
ministres sont tenus de démontrer et les principes juridiques
applicables [35]
4. La nature des allégations visant M. Harkat [48]
5. Les témoignages publics [50]
(i) Le témoignage de M. Harkat [51]
(ii) Le témoignage de Mme Sophie Harkat [65]
(iii) Le témoignage de M. Cretes [68]
(iv) Le témoignage de M. Marchessault [71]
6. Les renseignements confidentiels [80]
(i) La nécessité d'assurer la confidentialité de certains
renseignements touchant à la sécurité [81]
(ii) La divulgation à l'occasion d'autres affaires [90]
(iii) Les principes relatifs à l'évaluation de
renseignements confidentiels [93]
7. L'analyse de la preuve [102]
(i) Le témoignage de M. Harkat et sa crédibilité [105]
(ii) Abu Zubaida [115]
(iii) M. Marchessault et les documents concernant la compétence
et l'efficacité du SCRS [124]
(iv) La participation de Theresa Sullivan à l'enquête menée par
le SCRS [136]
(v) Conclusions relatives à la preuve [142]
8. Les ministres ont-ils effectivement manqué à l'obligation qui leur
leur incombe aux termes de l'arrêt de la Cour suprême
Ruby c. Canada (Solliciteur général)? [145]
9. Conclusion [149]
ÉTAPES PROCÉDURALES RÉGISSANT LA DIVULGATION DE RENSEIGNEMENTS
[4] Les précisions qui suivent, décrivant les mesures prises par la Cour et aboutissant à l'audience publique offrant à M. Harkat l'occasion de faire valoir ses arguments, récapitulent la suite d'ordonnances et de directives émises par la Cour. J'estime utile d'en retracer la chronologie.
[5] Le certificat de sécurité a été déposé à la Cour le 10 décembre 2002. Conformément à l'obligation qu'impose à cet égard l'article 78 de la Loi, je me suis, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat, penchée sur le rapport du renseignement de sécurité le justifiant. Le rapport, sous forme de récit, a été rédigé à l'intention des ministres. Cette narration comprend de nombreuses notes en bas de page renvoyant à d'autres documents qui figurent eux-mêmes dans divers index accompagnant le récit des événements. Les documents joints au rapport contiennent des renseignements détaillés justifiant le rapport du renseignement de sécurité. Le récit et les index occupent au total 10 volumes.
[6] Après cela, j'ai recueilli le témoignage oral d'un représentant du Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) sur la synthèse des renseignements et la préparation du rapport, qui expliquait en outre que la divulgation des renseignements se trouvant à la fois dans le rapport narratif et les index qui l'accompagnent porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Non seulement ai-je pu recueillir ce témoignage, mais j'ai également pu interroger le témoin. Après avoir considéré les éléments livrés dans le cadre de ce témoignage, j'ai fourni à M. Harkat un résumé du rapport narratif, ainsi que copie de certains des documents cités dans les index, documents qui devaient, à mon avis, permettre à M. Harkat d'être raisonnablement bien informé des circonstances à l'origine du certificat de sécurité. Au total, six volumes de documents ont été remis à M. Harkat. Si le résumé et les documents qui y étaient joints ont été remis à M. Harkat, c'est en raison du principe voulant que tous les renseignements et documents déposés devant la Cour soient communiqués à M. Harkat sauf lorsque, au vu des preuves fournies, j'étais persuadée que la divulgation de certains renseignements ou de certains documents porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Dans la suite de ces motifs, je dénommerai « renseignements confidentiels » les parties du rapport narratif et des documents qui n'ont pas été communiqués à M. Harkat.
[7] Par la suite, les ministres ont à trois reprises demandé, au titre de l'alinéa 78e) de la Loi, que la Cour accueille certains renseignements en l'absence de M. Harkat et de son avocat.
[8] La première demande remonte au 24 mars 2003. Suite à cette demande, j'ai reçu, le 2 avril 2003, des renseignements utiles qui, en mars 2003, avaient été, à titre confidentiel, transmis au Service par un service étranger, et recueilli le témoignage d'un représentant du Service venu expliquer pourquoi la divulgation des renseignements en question porterait atteinte à la sécurité nationale. À l'issue de ce témoignage, j'ai exigé du SCRS qu'il demande au service étranger concerné l'autorisation de communiquer le renseignement en cause à M. Harkat, et remis, en attendant le résultat de cette démarche, l'examen de la demande fondée sur l'alinéa 78e). La Cour a repris ses audiences le 22 avril 2003, étant avisée que le service étranger acceptait que soient divulgués la plupart des renseignements en cause. Ces renseignements ont donc été consignés dans un résumé qui, avec l'ordonnance de la Cour en date du 22 avril 2003, a été remis à M. Harkat. Selon ces renseignements, le Service avait été informé par un service étranger que [traduction] « Abu Zubaida avait été à même d'identifier [M. Harkat] au vu de son signalement et de ses activités, y compris le fait qu'au milieu des années 1990, il tenait, à Peshawar, au Pakistan, un lieu d'hébergement pour moudjahiddines se rendant en Tchétchénie » .
[9] La seconde demande date du 21 juillet 2003, à l'ouverture de l'audience qui devait donner à M. Harkat l'occasion d'être entendu sur la question de son interdiction de territoire. Comme elle y était tenue aux termes de l'alinéa 78e) de la Loi, la Cour a ordonné une séance à huis clos, en l'absence de M. Harkat et de son avocat. Les renseignements produits par les avocats comparaissant au nom des ministres concernaient, et décrivaient, deux contacts entre M. Harkat et le Service. Ces renseignements m'ont paru pertinents. Parmi les renseignements remis à la Cour, il y en avaient qui révélaient l'identité de certaines personnes et faisaient état de choses qui ne concernaient que des détails opérationnels. Compte tenu des informations qui m'ont été remises, j'estime que la divulgation de cette partie des renseignements aurait porté atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. C'est pourquoi un résumé en a été fait. Ce résumé, remis à M. Harkat, contenait tous les renseignements fournis à la Cour, à l'exception des renseignements permettant d'identifier certaines personnes et de divers renseignements concernant des détails opérationnels.
[10] À deux reprises, M. Harkat a demandé que lui soient communiqués des renseignements supplémentaires. Le 4 mars 2003, j'ai examiné une requête dans le cadre de laquelle M. Harkat demandait que lui soient divulgués :
[traduction]
a. Une liste des noms de toutes les personnes qui ont eu des contacts directs ou indirects avec M. Harkat et qui travaillaient directement pour le SCRS ou agissait pour le compte du SCRS ou tout autre service de renseignements;
b. L'ensemble du dossier d'immigration de M. Harkat;
c. La preuve se rapportant à M. Abu Zubaida, notamment les déclarations des témoins et les notes d'entrevue;
d. La preuve se rapportant à la présence alléguée de M. Harkat en Afghanistan, notamment les déclarations des témoins, les photographies, les bandes d'écoute électronique et autres interceptions électroniques ou postales ainsi que les notes d'entrevue;
e. La preuve se rapportant aux liens présumés existant entre M. Harkat et les personnes qui appuient les réseaux internationaux d'extrémistes et à l'aide qu'il aurait apportée aux extrémistes islamiques, notamment les déclarations des témoins, les bandes d'écoute électronique ainsi que les notes d'entrevue.
[11] Pour les motifs exposés par écrit le 7 mars 2003, la requête a été rejetée (Harkat (Re) (2003), 231 F.T.R. 19).
[12] Le 23 juillet 2003, alors que M. Harkat avait à nouveau l'occasion de présenter ses observations, il a une nouvelle fois demandé que des renseignements supplémentaires lui soient divulgués afin de préciser les arguments auxquels il allait devoir répondre. Pour les motifs exposés dans Harkat (Re) (2003), 243 F.T.R. 161, j'ai autorisé M. Harkat à transmettre par écrit des questions touchant certains renseignements figurant dans les résumés qui lui avaient été fournis, s'il désirait obtenir sur certains points des éclaircissements. Ces questions devaient être notifiées et déposées au plus tard le 8 août 2003. Or, le conseil de M. Harkat n'a transmis aucune question, et ce n'est que par lettre en date du 8 juillet 2004, ainsi que dans des courriers subséquents, que son nouveau procureur, M. Copeland, a par la suite transmis plus de 231 questions. Les retards accumulés par M. Harkat entre juillet 2003 et juin 2004 sont rappelés au paragraphe 52 des motifs de la Cour, exposés le 10 décembre 2004 et publiés dans Harkat (Re), 2004 CF 1717; [2004] A.C.F. no 2101. Il n'y a pas lieu de les rappeler ici.
[13] Le 30 juin 2004, j'ai, de ma propre initiative, transmis aux parties la directive suivante :
[traduction]
Un certain temps s'est écoulé depuis que la Cour s'est penchée sur les renseignements à l'origine du certificat de sécurité (les renseignements) afin de décider si leur divulgation, en tout ou en partie, porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui.
Les avocats comparaissant au nom des ministres sont priés de faire connaître quand, au cours de la semaine du 19 au 26 juillet, ils seraient libres pour examiner, dans le cadre d'un entretien particulier avec la Cour, en l'absence de M. Harkat et de son conseil, les renseignements en question, afin que l'on décide si, en raison du temps écoulé, il n'y aurait pas lieu de fournir à M. Harkat un résumé complémentaire des renseignements ou des éléments de preuve. Cela ne devrait pas prendre plus d'une journée.
[14] Par conséquent, le 26 juillet 2004, j'ai siégé à huis clos hors de la présence de M. Harkat et de son procureur, et recueilli le témoignage d'un représentant du Service, à qui j'ai demandé s'il serait possible, sans porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui, de divulguer à M. Harkat d'autres renseignements confidentiels. L'audience a été suspendue afin d'obtenir du Service des précisions utiles. Le 27 août 2004, j'ai recueilli d'autres témoignages sur ce point, l'affaire étant à nouveau suspendue. Conformément à une ordonnance de la Cour, en date du 4 octobre 2004, un résumé complémentaire a été fourni à M. Harkat. Ce résumé concernait un certain Odeh, qui avait suivi, en Afghanistan, une formation de terroriste et avait joué un rôle dans l'attentat à la bombe perpétré contre l'ambassade des États-Unis à Nairobi.
[15] En l'occurrence, l'avocat de M. Harkat a trouvé ces précisions complémentaires peu pertinentes et j'ai fait savoir à M. Harkat que je ne tirerais des renseignements provenant d'Odeh aucune conclusion défavorable à M. Harkat. Les renseignements en cause avaient été divulgués à ce dernier car il s'agissait de renseignements confidentiels qui figuraient maintenant dans les documents accessibles au public.
[16] Ce n'est qu'après avoir entamé ce second examen des renseignements confidentiels que la Cour a reçu de M. Copeland les questions évoquées plus haut.
[17] Les questions que posaient M. Copeland allaient au delà de simples éclaircissements sur certains éléments exposés dans le résumé (tel que l'envisageait l'ordonnance de la Cour) et tendaient plutôt à ce que soient produits devant la Cour des renseignements que M. Harkat estimait pertinents. À titre d'illustration, voici certaines des questions posées par M. Copeland :
[traduction]
17. Nous vous prions de porter à la connaissance de la juge Dawson tout élément de preuve détenu par le Service et tendant à confirmer l'allégation voulant que mon client ait procuré une aide aux extrémistes islamiques alors qu'il se trouvait au Pakistan?
[...]
30. Le nombre d'extrémistes islamiques auxquels mon client serait venu en aide au Canada;
31. Je vous prie de me faire savoir les dates et les lieux où cette aide présumée leur aurait été fournie;
32. Je vous prie de communiquer à la juge Dawson le nom des extrémistes islamiques en question;
33. ainsi que tous les éléments de preuve concernant l'aide que mon client leur aurait fournie.
[18] Le champ des questions ainsi posées n'a soulevé aucune objection et M. Harkat, me semble-t-il, pouvait à bon droit les poser afin de s'assurer que les renseignements qu'il estimait pertinents ou nécessaires seraient effectivement produits devant la Cour.
[19] Puis, le 28 juillet 2004, la Cour a reçu des ministres une autre demande fondée sur l'alinéa 78e) de la Loi, appelant la Cour à siéger à huis clos pour recueillir des témoignages ou des preuves hors de la présence de M. Harkat et de son avocat. Les renseignements dont il était demandé qu'ils puissent être produits à huis clos étaient censés décrire de manière détaillée le genre d'atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui que pourrait entraîner le fait de fournir à M. Harkat ou à son avocat des réponses à certains des questions posées par M. Copeland.
[20] Suite à la demande ainsi formulée, j'ai, le 27 août 2004, siégé à huis clos en l'absence de M. Harkat et de son avocat afin de recevoir des réponses écrites aux questions posées par M. Harkat, de recueillir le témoignage de vive voix d'un représentant du Service et de l'interroger sous la foi du serment. Lorsque les renseignements demandés par M. Harkat figuraient déjà parmi les renseignements confidentiels, le représentant m'indiquait l'endroit où ils se trouvaient dans le dossier. Lorsqu'il s'agissait de renseignements qui n'avaient pas encore été produits devant la Cour, le représentant confirmait l'exactitude des réponses fournies par écrit à la Cour, apportait des précisions sur certains points afin de compléter les réponses qui m'avaient été données, et témoignait (tout en répondant aux questions que je lui posais) au sujet des motifs permettant d'affirmer que la divulgation de bon nombre des réponses fournies à la Cour porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. L'audience a alors été suspendue en attente de renseignements complémentaires permettant de répondre de manière plus complète aux questions ainsi posées.
[21] Le 19 octobre 2004, j'ai siégé afin de recueillir ces renseignements confidentiels. Le 20 octobre 2004, dans une directive aux parties, je confirmais avoir reçu les réponses à toutes les questions posées par M. Harkat, à qui ces mêmes réponses n'avaient pas pu être communiquées pour des raisons touchant à la sécurité nationale. À mon avis, tous les renseignements qu'il était possible de donner à M. Harkat lui avaient été fournis. Les réponses confidentielles transmises à la Cour par écrit ont été par deux fois réexaminées afin de pouvoir répondre de manière plus complète aux questions de M. Harkat.
[22] J'ai en outre aidé M. Harkat à préciser les arguments auxquels il serait tenu de répondre en rendant, par une directive en date du 4 octobre 2004, une décision provisoire selon laquelle, après examen des renseignements confidentiels, je n'entendais [traduction] « parvenir à aucune conclusion défavorable à M. Harkat au vu de renseignements qui auraient pu être fournis à son égard par Ahmed Ressam ou Maher Arar » . Plus tard, le 20 octobre 2004, une directive analogue a été émise en ce qui concerne Odeh. La directive en date du 20 octobre 2004 évoquait également la question no 82, posée par M. Copeland qui sollicitait des renseignements confidentiels concernant la ou les allégations voulant que M. Harkat ait subi un entraînement en Afghanistan. Pour des raisons touchant à la sécurité nationale, cette question n'a pas reçu de réponse publique. Je donnais pour instruction que [traduction] « étant donné les allégations selon lesquelles M. Harkat s'est trouvé en Afghanistan et qu'il a dissimulé ce fait, il y a lieu pour lui de produire les preuves dont il dispose concernant la question de savoir, justement, s'il s'est jamais trouvé en Afghanistan (soit dans un camp d'entraînement soit dans d'autres circonstances) et s'il a dissimulé ce fait » .
LES QUESTIONS CONSTITUTIONNELLES
[23] Selon l'avis de question constitutionnelle déposé au nom de M. Harkat, ce dernier sollicitait : une ordonnance annulant pour cause d'inconstitutionnalité les articles 77 à 81 de la Loi; ou, subsidiairement, une ordonnance permettant à M. Harkat [traduction] « de connaître de manière suffisamment précise les arguments auxquels il va devoir répondre, et reconnaissant qu'il est effectivement en droit de les connaître » .
[24] Dans les conclusions écrites déposées dans le cadre de cette affaire, et aussi lors des plaidoiries, le recours invoqué par M. Harkat a été plus avant précisé. M. Harkat sollicite de la Cour un jugement déclaratoire affirmant que les articles 78 à 80 de la Loi sont contraires aux principes de justice fondamentale garantis à l'article 7 de la Charte. Subsidiairement, M. Harkat demande à la Cour [traduction] « de modifier la mise en application des dispositions en cause en exigeant qu'un défenseur spécial soit nommé, à l'instar du Special Advocate prévu dans le cadre de la procédure de la SIAC [Special Immigration Appeals Commission] du Royaume-Uni, pour représenter [M. Harkat] lors des séances tenues à huis clos hors de sa présence et de celle de son avocat » .
[25] En réponse, les ministres font valoir que les juges désignés pour enquêter sur le caractère raisonnable d'un certificat de sécurité n'ont pas la compétence voulu pour se prononcer sur la constitutionnalité des dispositions législatives applicables. Les ministres font subsidiairement valoir que, à supposer que l'article 7 de la Charte puisse être invoqué en l'espèce, les dispositions en cause sont conformes aux principes de justice fondamentale garantis par la Charte.
[26] Ces questions ont été débattues avant que ne soit rendu public, le vendredi 10 décembre 2004, l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Charkaoui c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CAF 421; [2004] A.C.F. no 2060. Par conséquent, le lundi 13 décembre 2004, j'ai émis une directive accordant aux avocats des deux parties la possibilité d'adresser à la Cour des observations écrites vu l'arrêt qui venait d'être rendu. La directive fixait les délais pour l'envoi de ces observations. Des observations complémentaires ont effectivement été déposées au nom des ministres, mais aucune au nom de M. Harkat.
[27] Outre ces observations complémentaires, les avocats comparaissant au nom des ministres ont reconnu qu'il ressortait clairement de l'arrêt Charkaoui que les juges désignés sont effectivement compétents pour se prononcer sur des questions d'ordre constitutionnel. Ils ont en même temps fait valoir qu'au vu de cet arrêt, les arguments constitutionnels avancés par M. Harkat devaient être rejetés.
[28] Je considère, moi aussi, que l'arrêt rendu par la Cour d'appel dans l'affaire Charkaoui règle la question de la compétence, et confirme que les juges désignés peuvent, sur requête, se prononcer sur les questions constitutionnelles soulevées lors de l'examen du caractère raisonnable d'un certificat de sécurité. Il m'appartient donc de me pencher sur les questions constitutionnelles soulevées par M. Harkat.
[29] Quant à la question de savoir si les articles 77, 78 et 80 de la Loi sont contraires aux principes de justice fondamentale garantis par l'article 7 de la Charte, l'avocat de M. Harkat a reconnu, au cours des plaidoiries, que ces dispositions ressemblent aux dispositions de l'article 40.1 de l'ancienne Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi), au point où je serais liée par l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Ahani c. Canada (1996), 201 N.R. 233 (refus d'autorisation de pourvoi devant la Cour suprême, [1996] S.C.C.A. no 496), comme je serais liée par l'arrêt que la Cour d'appel devait rendre dans l'affaire Charkaoui.
[30] Dans l'arrêt Ahani, la Cour d'appel fédérale a confirmé la décision de la juge McGillis, publiée dans [1995] 3 C.F. 669, selon laquelle la procédure prévue à l'article 40.1 de l'ancienne Loi était conforme aux principes de justice fondamentale.
[31] Dans l'arrêt Charkaoui, la Cour d'appel fédérale a estimé que la procédure prévue aux articles 77 et 78 de la Loi respecte les impératifs minimums des principes de justice fondamentale (voir le paragraphe122).
[32] La Cour d'appel fédérale a donc jugé, dans un arrêt qui fait autorité, que le dispositif législatif contesté en l'espèce par M. Harkat est constitutionnel et conforme aux droits garantis à l'article 7 de la Charte.
[33] Quant à l'argument avancé par M. Harkat qui prétend que l'article 7 de la Charte impose la nomination d'un défenseur spécial, ou amicus curiae, la Cour d'appel, dans l'arrêt Charkaoui, aux paragraphes 123 à 126, a jugé que la nomination d'un défenseur spécial n'est pas indispensable pour assurer que les audiences de la Cour se déroulent conformément aux principes de justice fondamentale. Dans les motifs du rejet de la requête présentée par M. Harkat, et tendant à la nomination d'un amicus curiae (exposés par écrit le 10 décembre 2004 et publiés sous Harkat (Re), 2004 CF 1717), je motivais ma conclusion voulant qu'il n'y ait, en l'espèce, aucune circonstance particulière empêchant la Cour de jauger pondérer correctement et de défendre les droits de M. Harkat en entendant sa cause dans le respect des principes de justice fondamentale.
[34] Le recours constitutionnel que réclame M. Harkat est par conséquent rejeté.
L'ÉCONOMIE DE LA LOI, LA NORME DE PREUVE, CE QUE LES MINISTRES SONT TENUS DE DÉMONTRER ET LES PRINCIPES JURIDIQUES APPLICABLES
[35] Avant d'exposer les principes juridiques au vu desquels la Cour doit se prononcer sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité, il pourrait être utile d'évoquer brièvement l'économie de la Loi et la jurisprudence pertinente en l'espèce. Dans Chiarelli c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 733, la Cour suprême estime que le « principe le plus fondamental du droit de l'immigration » veut que « les non-citoyens n'aient pas un droit absolu d'entrer au pays ou d'y demeurer » . La Cour cite ensuite un de ses arrêts précédents, Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, selon lequel « [l]e gouvernement a le droit et le devoir d'empêcher des étrangers d'entrer dans notre pays et de les en expulser s'il le juge à propos » .
[36] Le législateur est ainsi en droit d'édicter des lois fixant les conditions en vertu desquelles les non-citoyens sont autorisés à entrer et à demeurer au Canada, et c'est effectivement ce que le Parlement a fait dans la Loi. Celle-ci prévoit expressément que les citoyens canadiens ont le droit absolu d'entrer au Canada et d'y séjourner s'ils présentent à l'officier d'immigration la preuve de leur qualité de citoyen (paragraphe 19(1) de la Loi). Les résidents permanents ne possèdent, eux, qu'un droit conditionnel d'entrer au Canada et d'y séjourner; c'est ainsi qu'ils doivent, par exemple, répondre aux conditions prévues dans le règlement pris en vertu de la Loi (article 27). Les ressortissants étrangers qui ne sont pas résidents permanents ne possèdent aucun droit absolu d'entrer au Canada et d'y séjourner; ceux qui se sont vu accorder le statut de résident temporaire peuvent entrer au Canada et y séjourner à titre temporaire, mais doivent satisfaire à toutes les conditions prévues, quitter le pays lorsque les autorités leur demandent, et ne revenir au Canada que si l'autorisation qui leur a été délivrée prévoit ce retour (article 29). Les résidents permanents et les ressortissants étrangers peuvent être interdits de territoire pour divers motifs tels l'appartenance à une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle se livre à des actes de terrorisme (article 34). Un certificat de sécurité ne peut être déposé qu'à l'égard d'un résident permanent ou d'un ressortissant étranger (paragraphe 77(1)).
[37] Les résidents permanents qui font l'objet d'un certificat de sécurité se voient reconnaître des droits procéduraux dont ne bénéficient pas les ressortissants étrangers. Les résidents permanents, par exemple, contrairement aux ressortissants étrangers (article 82), ne peuvent pas faire l'objet d'une détention obligatoire. Les résidents permanents mis en détention ont le droit de voir leur détention soumise à des examens réguliers (articles 83 et 84).
[38] Dans ce contexte, l'audience accordée par l'alinéa 78i) à une personne nommée dans un certificat de sécurité doit permettre à celle-ci de répondre à l'allégation retenue à son encontre par l'État pour prononcer son interdiction de territoire et lui refuser le droit de séjourner au Canada.
[39] En ce qui concerne les principes en vertu desquels la Cour va se prononcer sur le caractère raisonnable d'un certificat, les ministres, en vertu d'une règle de droit incontestable, sont tenus de démontrer l'existence de motifs raisonnables de croire à certains faits. Les ministres ne sont pas, toutefois, tenus de prouver l'existence de ces faits. Voir, par exemple, Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Singh (1998), 151 F.T.R. 101, au paragraphe 2. Il s'agit en l'espèce de savoir s'il existe des motifs raisonnables de croire que M. Harkat est interdit de territoire du fait :
(i) qu'il se serait livré à des activités terroristes; ou
(ii) qu'il serait membre d'une organisation dont il existe des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteure ou l'instigatrice d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force.
[40] Pour démontrer l'existence de ces « motifs raisonnables de croire » la preuve doit établir que ces motifs ont un fondement objectif. Ainsi que la Cour d'appel l'a précisé dans l'arrêt Charkaoui, précité, au paragraphe 103, des « motifs raisonnables » ne sauraient se fonder sur de simples soupçons ou croyances subjectives.
[41] Dans l'arrêt Chiau c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2001] 2 C.F. 297, la Cour d'appel fédérale précise, au paragraphe 60, que la norme des motifs raisonnables, « sans être une prépondérance des probabilités, suggère néanmoins la croyance légitime à une possibilité sérieuse en raison de preuves dignes de foi » .
[42] Il convient cependant de faire une distinction entre la norme juridique applicable et la norme de preuve. La norme de preuve est en effet une preuve selon la prépondérance des probabilités. Voir Singh au paragraphe 3 et la jurisprudence qui y est citée.
[43] Lorsqu'un certificat de sécurité invoque à l'appui d'une interdiction de territoire plusieurs motifs, chaque motif doit être évalué séparément. Si l'existence d'un seul d'entre eux est établie, le certificat sera jugé raisonnable. Voir Singh, au paragraphe 4, et Zundel (Re), 2005 CF 295, aux paragraphes 16 et 17.
[44] En ce qui concerne les termes « terrorisme » et « membre » d'un groupe, la Cour suprême, dans l'arrêt Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 98, a jugé que le « terrorisme » comprend un « acte destiné à tuer ou blesser grièvement un civil, ou toute autre personne qui ne participe pas directement aux hostilités dans une situation de conflit armé, lorsque, par sa nature ou son contexte, cet acte vise à intimider une population ou à contraindre un gouvernement ou une organisation internationale à accomplir ou à s'abstenir d'accomplir un acte quelconque » .
[45] Le mot « membre » doit être interprété de manière large et non limitative. Voir Singh, au paragraphe 52. Le mot « membre » équivaut à la notion d' « appartenance » à une organisation. Voir Chiau, précité, au paragraphe 57. Voir également : Poshteh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2005 CAF 85; [2005] A.C.F. no 381, aux paragraphes 27 à 29.
[46] Enfin, je relève qu'aux termes de l'article 33 de la Loi « les faits -- actes ou omissions -- [entraînant interdiction de territoire] sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir » .
[47] Ayant ainsi exposé les principes juridiques qui doivent guider notre recherche sur le caractère raisonnable du certificat de sécurité, je passe aux allégations formulées à l'encontre de M. Harkat.
LA NATURE DES ALLÉGATIONS VISANT M. HARKAT
[48] Nous avons vu que le certificat de sécurité visant M. Harkat indique qu'en application des alinéas 34(1)c) et 34(1)f) de la Loi, les ministres estiment que pour des motifs de sécurité M. Harkat doit être interdit de territoire. Selon ces dispositions, en effet, sera interdite de territoire toute personne dont il existe des motifs raisonnables de croire qu'elle :
(i) s'est livrée ou se livrera au terrorisme; et
(ii) a été ou est actuellement membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur ou l'instigatrice d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force.
[49] Le Service considère, comme l'indique le résumé des renseignements confidentiels que :
1. Avant de venir au Canada, M. Harkat s'est livré en terrorisme en soutenant des activités terroristes, mais qu'il a dissimulé aux autorités canadiennes le fait qu'il avait effectivement soutenu des islamistes extrémistes et s'était rendu en Afghanistan.
2. Qu'il soutient l'action d'extrémistes afghans, pakistanais et tchétchènes.
3. Que M. Harkat a soutenu des activités terroristes en tant que membre du groupe terroriste connu sous l'appellation de Réseau ben Laden, ce qui comprend al-Qaïda. Avant et après son arrivée au Canada, M. Harkat était et est actuellement lié à des individus qui paraissent appartenir à ce réseau.
4. M. Harkat est lié à des organisations qui prônent le recours à la violence politique et au terrorisme.
5. Le Réseau ben Laden se livre à des actes de terrorisme dans la poursuite de son objectif déclaré qui est de fonder des États islamiques basés sur une interprétation intégriste de la loi coranique. Le Réseau ben Laden a participé de manière directe ou indirecte à des actes de terrorisme dans plusieurs pays, y compris l'attentat à la bombe perpétré, le 7 août 1998, contre les ambassades des États-Unis au Kenya et en Tanzanie, l'attentat aux explosifs qui a, le 12 octobre 2000, au Yémen, endommagé une unité de la marine de guerre américaine, le destroyer U.S.S. Cole. Il est en outre soupçonné d'avoir pris part à la planification et à l'exécution des attentats menés, le 11 septembre 2001, contre le World Trade Center et le Pentagone.
6. Par le truchement d'al-Qaïda, le Réseau ben Laden a dirigé, et dans une certaine mesure continue d'organiser des camps d'entraînement et des lieux d'hébergement pour terroristes en Afghanistan, au Pakistan et au Soudan. Ces camps offrent un abri, des moyens financiers et une formation à l'action armée et au contre-espionnage, ainsi qu'une initiation aux techniques du terrorisme et de la guérilla. On y apprend également à fabriquer des engins explosifs. Il semblerait que quelque 5 000 militants y aient subi un entraînement avant d'essaimer dans une cinquantaine de pays. Ahmed Ressam y a suivi ce type d'entraînement. Selon M. Ressam, lors de son entraînement, Abu Zubaida dirigeait, en Afghanistan, les camps de formation de Khaldun et de Darunta. Selon M. Ressam, Abu Zubaida s'était occupé de son voyage en Afghanistan, lui fournissant des vêtements afghans et un guide local pour le mener du Pakistan au camp de Khaldun.
7. Pour ses opérations de terrorisme international, le Réseau Ben Laden a recours à des « agents dormants » ainsi qu'à des commandos suicides. Les « agents dormants » s'installent dans des pays étrangers longtemps avant que n'y soit lancée une opération.
8. En Algérie, M. Harkat était un partisan du Front islamique du salut (FIS).
9. Lorsque le FIS a rompu avec le Groupe islamique armé (GIA), M. Harkat a manifesté son soutien au GIA. Le GIA a pour objectif l'établissement par la violence terroriste d'un État islamiste en Algérie. Ce groupe s'est livré à des massacres de civils. En décidant de se mettre du côté du GIA, M. Harkat a montré qu'il est pour le recours à la violence terroriste.
10. M. Harkat a menti aux autorités canadiennes sur les points suivants :
1. le temps qu'il a passé à travailler au Pakistan pour un organisme de secours;
2. son séjour en Afghanistan;
3. ses liens avec des personnes soutenant des réseaux internationaux d'extrémistes;
4. son utilisation de noms d'emprunt; et
5. l'aide qu'il a fournie à des extrémistes islamiques.
S'il a menti, c'est en partie pour tenter de se dissocier des personnes ou des groupes qui soutiennent le terrorisme ou qui ont pu faire partie du Réseau Ben Laden.
11. M. Harkat a aidé des extrémistes islamiques qui se sont rendus au Canada.
12. M. Harkat est lié à Abu Zubaida depuis le début des années 1990. Abu Zubaida était, depuis les années 1990, un des principaux lieutenants d'Oussama ben Laden. En mars 2003, le Service a appris que Abu Zubaida avait pu identifier M. Harkat grâce à son signalement et à ses activités, et notamment au fait qu'au milieu des années 1990, M. Harkat dirigeait à Peshawar (Pakistan) un lieu d'hébergement pour moudjahiddines se rendant en Tchétchénie.
13. M. Harkat a été en contact avec d'autres personnes dont on sait qu'elles ont participé à l'action d'islamistes militants.
LES TÉMOIGNAGES PUBLICS
[50] Les avocats représentant les ministres n'ont cité aucune personne à témoigner en public. Le conseil de M. Harkat, lui, a appelé à témoigner M. Harkat, Sophie Harkat, son épouse, M. Warren Cretes et M. Jean-Luc Marchessault. Il a également déposé devant la Cour la déclaration solennelle de Steven Watt (un avocat américain chargé de recherches en droits de l'homme au Center for Constitutional Rights). Depuis novembre 2001, M. Watt s'intéresse particulièrement aux politiques et pratiques que le gouvernement des États-Unis a adoptées, depuis le 11 septembre 2001, en matière de détention et d'interrogatoires. Enfin, le conseil de M. Harkat a déposé plusieurs documents comprenant pour l'essentiel de la correspondance, des articles de journaux, des extraits de rapports annuels du Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité (CSARS) ainsi que des documents émanant des tribunaux.
(i) Le témoignage de M. Harkat
[51] Lors de son témoignage, M. Harkat a nié les faits allégués à son encontre dans le résumé. Il a notamment nié avoir sciemment soutenu ou aidé des extrémistes islamiques, et nié l'existence du moindre lien avec des gens appartenant au Réseau Ben Laden. M. Harkat affirme ne jamais avoir fréquenté, ni même rencontré Abu Zubaida. M. Harkat soutient ne s'être jamais rendu en Afghanistan, ne jamais avoir vécu à Peshawar et ne jamais avoir tenu, à Peshawar, un lieu d'hébergement pour moudjahiddines. M. Harkat a déclaré ne jamais avoir soutenu le GIA.
[52] M. Harkat a décrit ses études secondaires en Algérie, les circonstances entourant ses liens avec le FIS, circonstances qui l'ont poussé à s'enfuir d'Algérie pour se rendre en Arabie saoudite, en avril 1990, sa première année d'études universitaires. Voici maintenant un résumé du reste du témoignage livré par M. Harkat.
[53] Le visa saoudien délivré à M. Harkat ne lui permettait de séjourner que 15 jours dans ce pays. L'argent commençait à lui manquer et il a obtenu le numéro de téléphone de quelqu'un qui, à Djedda, était lié à la Ligue islamique mondiale. Alors qu'il se trouvait à La Mecque, M. Harkat a téléphoné à cette personne pour la mettre au courant de sa situation. Cette personne, dont M. Harkat a oublié le nom, lui a dit de venir à Djedda où l'on tenterait de lui procurer un secours. Dès l'arrivée de M. Harkat à Djedda, la personne en question lui a dit qu'elle contacterait la Ligue islamique mondiale au Pakistan afin de voir s'ils n'auraient pas besoin de quelqu'un, la personne en question s'engageant également à tenter d'obtenir pour M. Harkat un visa pour le Pakistan. En attendant, M. Harkat devait lui confier son passeport, rentrer à La Mecque et lui téléphoner cinq jours plus tard.
[54] Cinq jours plus tard, M. Harkat a appelé à Djedda, la personne en question lui disant de revenir à Djedda car elle lui avait trouvé un travail auprès de la Ligue islamique mondiale. Dès son arrivée à Djedda, M. Harkat a appris qu'il devait partir le jour suivant pour le Pakistan. Il ne savait pas en quoi consistait le travail qu'on lui offrait au Pakistan. On a remis à M. Harkat un billet d'avion et des documents de voyage et, le jour suivant, il a pris le vol Djedda-Islamabad, avant de se rendre, en fourgonnette, à Peshawar. Le matin suivant, M. Harkat a été conduit au bureau de la Ligue islamique mondiale, à Peshawar, où il rencontra Abu Dahr ainsi que son subordonné « l'ingénieur Abdullah » .
[55] Abu Dahr et l'ingénieur Abdullah ont expliqué à M. Harkat qu'on entendait lui confier la direction d'un entrepôt situé à Babbi, entre Islamabad et Peshawar. L'endroit s'appelait Hai Al-Mohajereen (le lieu de passage). Selon la description qu'en a donnée M. Harkat, Al-Mohajereen était un camp de réfugiés abritant quelque 100 000 personnes. M. Harkat serait chargé d'aller, avec un chauffeur, à Peshawar, se procurer des tentes, de l'huile, du riz, des dates et des couvertures et de ramener tout cela à l'entrepôt. Abu Dahr expliqua à M. Harkat que la Ligue islamique mondiale voulait confier ce travail à « quelqu'un d'origine arabe » , par crainte que les fournitures ne soient volées et revendues. M. Harkat avait sous ses ordres trois Afghans.
[56] L'entrepôt était situé à quatre heures et demie de route de la frontière afghane. Pendant tout son séjour au Pakistan, M. Harkat ne s'est jamais rendu jusqu'à la frontière afghane et ne l'a donc jamais franchie.
[57] M. Harkat a travaillé pour la Ligue islamique mondiale de mai 1990 jusqu'au milieu de 1994. Il a quitté son emploi parce qu'il n'avait pas pu obtenir le renouvellement des documents l'autorisant à se déplacer à l'intérieur du Pakistan, et aussi en raison de l'amenuisement des secours envoyés par l'Arabie saoudite.
[58] Pendant sa période d'emploi, M. Harkat portait une carte d'identité qui lui avait été délivrée, en tant qu'employé, par la Ligue islamique mondiale. Cette carte portait sa photo, ainsi que les noms « Muhammad Harkat » et « Abu Muslima » . « Abu Muslima » était le surnom qui lui avait été donné. Plus tard, au Canada, M. Harkat a nié, en présence de représentants du SCRS, avoir jamais employé le nom Abu Muslima. S'il a nié cela, c'est, selon lui, parce que [traduction] « ils cherchaient peut-être quelqu'un d'autre. J'avais peur » .
[59] Afin de pouvoir se rendre au Canada, M. Harkat a acheté un faux passeport saoudien, le Canada n'exigeant aucun visa d'entrée pour les personnes munies d'un titre de voyage délivré par les autorités saoudiennes. Voyageant avec son passeport algérien, il lui aurait fallu obtenir un visa. À la première occasion, M. Harkat tenta de quitter le Pakistan en présentant son passeport falsifié mais les autorités l'ont refoulé après s'être aperçues du faux. Deux ou trois semaines plus tard, M. Harkat a quitté le Pakistan en présentant son passeport algérien. Il s'est rendu en Malaisie, destination n'exigeant pas de visa. Cinq jours plus tard, il a pris un des premiers vols disponibles et, en classe affaires, s'est rendu de Kuala Lumpur à Londres (Angleterre), puis à Toronto. Il a financé ses déplacements avec les 18 000 $US qu'il avait mis de côté alors qu'il travaillait au Pakistan.
[60] Dès son arrivée à Toronto, M. Harkat a revendiqué le statut de réfugié, et a révélé aux autorités qu'il avait à la fois un passeport algérien et un faux passeport saoudien. Il a été autorisé à quitter l'aéroport de Toronto, les autorités lui disant de revenir dans les 21 jours accompagné d'un interprète. M. Harkat a alors appelé « Taher » , un chauffeur de taxi habitant Ottawa, que M. Harkat avait rencontré au Pakistan. Taher s'est engagé à aller le chercher à la gare des autobus lors de son arrivée à Ottawa. M. Harkat a alors pris l'autobus pour Ottawa. Taher est venu à sa rencontre, l'a emmené à une mosquée où M. Harkat a rencontré un certain Ibrahim qui l'a accueilli chez lui une ou deux semaines. Plus tard, lorsque le SCRS a demandé à M. Harkat s'il avait jamais rencontré Taher avant de venir au Canada, ou s'il avait jamais eu auparavant de liens avec Taher, M. Harkat a répondu « non » . Selon M. Harkat, s'il a répondu ainsi c'est parce que Taher lui avait demandé de ne pas donner son nom au SCRS.
[61] M. Harkat a demandé à l'une de ses connaissances de le conduire à Toronto afin qu'il puisse se présenter aux autorités d'immigration comme on lui avait dit de le faire. Au dernier moment, cette connaissance a décidé de ne pas se rendre à Toronto, disant cependant à M. Harkat que le colocataire de celui-ci, Ahmed Berseigi, devait conduire Ahmed Khadr à Toronto, et que par la même occasion il pourrait y conduire M. Harkat. M. Harkat confirme s'être effectivement rendu à Toronto dans une fourgonnette en compagnie de M. Berseigi et de M. Khadr. En ce qui concerne les conversations auxquelles M. Harkat et M. Khadr se seraient livrés en cours de route, M. Harkat affirme que lorsque M. Khadr a appris que M. Harkat avait travaillé au Pakistan, il lui a demandé s'il avait entendu prononcer son nom. M. Khadr a également conseillé à M. Harkat de tout simplement dire la vérité aux autorités d'immigration. Leur conversation s'est limitée à cela et, pendant tout le trajet, M. Berseigi et M. Khadr ont parlé ensemble, la plupart du temps en égyptien, langue que M. Harkat ne comprend pas. Quoi qu'il en soit, M. Harkat ne faisait guère attention à la conversation car son esprit était préoccupé par son rendez-vous avec les autorités d'immigration. M. Harkat n'avait jamais rencontré M. Khadr auparavant, et il ne l'a jamais revu.
[62] M. Harkat a ensuite déclaré avoir été interrogé par le SCRS qui voulait savoir s'il ne connaissait pas un certain M. Al-Shehri. M. Harkat a expliqué qu'il avait un jour rencontré un certain M. Al-Shehri, alors que M. Al-Shehri se trouvait à Ottawa, au centre de détention du chemin Innes. Cette réunion avait eu lieu après que M. Cretes, avocat qui représentait M. Harkat à l'époque, lui eut demandé de s'assurer que M. Al-Shehri retiendrait les services de M. Cretes [traduction] « parce que cela pourrait rapporter » . M. Harkat a alors suggéré que la famille de M. Al-Shehri transmette par télégramme une somme qui serait remise à l'avocat à titre de provision. L'argent devait être versé sur le compte en banque d'un certain Ahmed Derbas. Selon M. Harkat, c'est la seule fois qu'il a rencontré M. Al-Shehri.
[63] M. Khadr a également décrit trois réunions avec Theresa Sullivan, agente du SCRS. Une quatrième réunion n'a pas eu lieu, M. Harkat étant arrivé accompagné de son avocat, M. Cretes.
[64] À la fin de son interrogatoire principal, M. Harkat a décrit les emplois qu'il a occupés pendant son séjour à Ottawa, et aussi sa manie du jeu qui l'a porté à demander de son propre chef à être interdit au Casino de Hull. Le témoignage livré par M. Harkat dans le cadre du contre-interrogatoire sera examiné ultérieurement dans le contexte de l'analyse des éléments de preuve effectuée par la Cour.
(ii) Le témoignage de Mme Sophie Harkat
[65] Selon son témoignage, Sophie Harkat est pour la première fois sortie avec Mohamed Harkat en avril ou en mai 2000. Ils se sont mariés le 2 janvier 2001. Pendant leur vie commune, elle n'a jamais trouvé que, lorsqu'il évoquait son passé, M. Harkat se montrait évasif, hésitant ou inconséquent, et ses propos n'ont jamais éveillé chez elle le moindre soupçon.
[66] Selon Mme Harkat, M. Harkat se serait rendu directement d'Algérie au Pakistan, où il a travaillé dans un camp de réfugiés. Il lui a dit qu'il avait décidé de venir au Canada après avoir mis de côté assez d'argent pour son billet d'avion.
[67] Lors du contre-interrogatoire, Mme Harkat a reconnu qu'avant de l'épouser, elle ne savait pas grand-chose de son mari. Au cours des plaidoiries, l'avocat de M. Harkat a reconnu que le témoignage de Mme Harkat [traduction] « ne va pas, dans un sens ou dans l'autre, beaucoup vous avancer » .
(iii) Le témoignage de M. Cretes
[68] M. Cretes, l'avocat ayant précédemment représenté M. Harkat auprès des autorités d'immigration, a lui aussi témoigné. M. Cretes, qui exerce à Ottawa, est spécialiste du droit de l'immigration et des réfugiés. Il se souvient avoir rencontré M. Harkat une fois au centre de détention d'Ottawa. M. Harkat lui avait dit qu'il connaissait un détenu qui cherchait un avocat, et M. Cretes s'était rendu au centre de détention pour rencontrer l'intéressé. Il a d'abord rencontré M. Harkat dans le terrain de stationnement afin d'obtenir quelques précisions. La personne en question était un certain M. Al-Shehri. M. Cretes ne se souvient pas s'il a effectivement rencontré M. Al-Shehri, et n'a retrouvé dans ses archives aucun dossier ou enregistrement le concernant.
[69] M. Cretes a assisté à un des entretiens entre M. Harkat et des agents du SCRS, et a accepté d'accompagner M. Harkat au Centre Rideau pour un rendez-vous avec un agent du SCRS. Lorsque M. Cretes a été présenté à l'agent, en l'occurrence Theresa Sullivan, celle-ci a décidé de remettre le rendez-vous afin de se faire accompagner d'un avocat du ministère.
[70] Mme Sullivan s'est par la suite rendue au bureau de M. Cretes, lui déclarant qu'elle ne travaillait plus pour le SCRS et qu'elle se cherchait un emploi. M. Cretes a pris une copie de son curriculum vitae mais n'a eu depuis aucune nouvelle d'elle.
(iv) Le témoignage de M. Marchessault
[71] M. Marchessault a travaillé pour le SCRS d'avril 1989 à 1998, date à laquelle le SCRS a mis fin à son emploi. À ses débuts d'agent de renseignement, il était chargé du filtrage de sécurité des employés fédéraux à Ottawa. En juillet 1991, il a été muté à Toronto et chargé d'enquêtes sur le terrain. Au SCRS, il a travaillé à la direction du contre-espionnage ainsi qu'à celle du contre-terrorisme.
[72] Au SCRS, M. Marchessault rédigeait des rapports sur les entrevues opérationnelles, prenait connaissance de rapports rédigés par d'autres et étudiait les dossiers constitués par le SCRS sur des personnes intéressant le Service. Il avait également à traiter avec des informateurs. Selon son témoignage, ces informateurs étaient parfois rémunérés par le SCRS pour les renseignements qu'ils fournissaient au Service. Certains informateurs agissaient par animosité envers la personne sur laquelle ils renseignaient le Service, mais d'autres agissaient dans l'intérêt du pays. Ceux qui, au départ, hésitent à fournir des renseignements au SCRS sont parfois persuadés de le faire par ce qu'ont pu leur dire des agents du Service.
[73] M. Copeland a appelé M. Marchessault à témoigner en tant que spécialiste de la rédaction et de l'évaluation des rapports au SCRS et aussi qu'en tant que personne capable de parler en connaissance de cause des articles et d'un livre portant sur le Service.
[74] Contre-interrogé sur l'état de ses connaissances, M. Marchessault a convenu que ses superviseurs s'étaient plaints de la qualité de ses rapports de renseignement, reconnaissant également qu'ils avaient témoigné en ce sens lorsqu'il avait déposé un grief après son congédiement par le Service. À l'audition du grief, M. Marchessault a tenté d'accréditer la thèse d'un complot au sein du SCRS pour le faire congédier. Selon la décision écrite de la Commission des relations de travail dans la fonction publique (CRTFP) relative au grief de M. Marchessault, décision versée au dossier en l'espèce, [traduction] « rien ne permettait de conclure à l'existence d'un complot visant à se débarrasser » de M. Marchessault. La Commission des relations de travail a également considéré que l'employeur avait, en toute bonne foi, décidé que le travail de M. Marchessault ne correspondait pas aux normes minimums de qualité. Cette conclusion se fondait sur des témoignages et des preuves documentaires, et plus particulièrement sur [traduction] « plusieurs rapports d'évaluation, rédigés par trois superviseurs successifs, après des efforts sérieux de leur part pour expliquer à l'auteur du grief ses insuffisances, et pour tenter d'améliorer la qualité de son travail par une supervision plus soutenue » .
[75] Étant donné les motifs du congédiement de M. Marchessault, tels qu'ils ressortent de la décision de la CRTFP, et le fait qu'il se croyait l'objet, au sein du SCRS, d'un complot prenant pour prétexte son travail, j'estime qu'il n'avait ni la compétence voulue, ni la nécessaire impartialité à l'égard du Service pour témoigner à titre d'expert au sujet du Service. En vertu du pouvoir discrétionnaire reconnu à la Cour par l'alinéa 78j) de la Loi, il a cependant été autorisé à témoigner.
[76] Lors de son témoignage, M. Marchessault a jugé trop « vague » l'information contenue dans le résumé, selon laquelle le Service [traduction] « estime que Harkat, par le soutien qu'il a apporté à des activités terroristes, s'est livré à des actes de terrorisme » . Son expérience le porte à dire que le SCRS ne rend compte que de ce qu'il [traduction] « perçoit comme une menace relevant directement de ses attributions » et ne mentionne pas les éléments périphériques. D'après lui, le paragraphe 10 du résumé aurait dû contenir davantage de renseignements sur la situation politique en Algérie. Il estime qu'il aurait pu y avoir [traduction] « 100 éléments de preuve » qui contredisent un élément de preuve donné, mais le SCRS mettrait tout de même en avant l'unique élément indiquant l'existence d'une menace pour la sécurité nationale.
[77] Son expérience et ses antécédents au SCRS ont porté M. Marchessault à dire que, dans l'ensemble, le rapport de M. Metrovica concernant un porte-document volé en 1991 (pièce 18) est exact. D'après M. Marchessault, sont également exacts les articles de journaux concernant : la perte, par le SCRS en 1996, d'une disquette informatique (pièce 21); la destruction, en 1986, des bandes magnétiques enregistrées dans le cadre de l'enquête sur la tragédie d'Air India (pièce 23); le suicide, en 1995, de Tony Iachetta, un agent du SCRS (pièce 25); les difficultés que Pierre Leduc avait eues avec le SCRS en 1995, lorsque le Service l'avait suspendu (pièce 25); les efforts de Michel Simard en vue d'organiser les employés du SCRS, et sa suspension en l'an 2000, après qu'il eut fait des déclarations publiques, se plaignant des [traduction] « problèmes au SCRS au niveau du moral des employés et des insuffisances de la direction » (pièce 26); le premier rapport « Sidewinder » , rédigé en 1997, et l'édulcoration de ses conclusions dans une seconde version rédigée en 1999 (pièces 27 et 28); les pressions exercées sur l'ancien psychologue en chef du SCRS pour obtenir de lui des renseignements médicaux et psychologiques confidentiels sur certains employés (pièce 29); le fait que Ahmed Ressam ait, en 1999, faussé compagnie au SCRS (pièce 30); et les difficultés éprouvées par le SCRS en 1985 alors que le Service assurait la surveillance de M. Talwinder Singh Parmar (pièce 31). M. Marchessault s'est dit prêt à témoigner à huis clos pour livrer de plus amples détails sur ces diverses affaires.
[78] Lors de son contre-interrogatoire, M. Marchessault a reconnu la déception que lui avait causée la perte de son emploi au SCRS, précisant que, outre son grief devant la CRTFP, il avait écrit au CSARS et au solliciteur général. M. Marchessault continue de croire qu'il y avait, au sein du SCRS, un complot en vue de le faire congédier.
[79] Les preuves documentaires produites au nom de M. Harkat seront examinées dans le contexte de l'analyse des éléments de preuve effectuée par la Cour.
LES RENSEIGNEMENTS CONFIDENTIELS
[80] Je ne peux, dans le cadre de ces motifs, divulguer les renseignements confidentiels qui ont été communiqués à la Cour, car leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. (Rappelons que des résumés de ces renseignements confidentiels ont été remis à M. Harkat). Dans cette partie des motifs, j'explique pourquoi il est indispensable d'assurer la confidentialité de certains renseignements confidentiels. Je réponds en outre à la plainte formulée par l'avocat de M. Harkat qui fait valoir que dans d'autres affaires la divulgation des renseignements a été plus complète, et j'expose les principes généraux applicables à l'évaluation des renseignements confidentiels à laquelle s'est livrée la Cour.
(i) La nécessité d'assurer la confidentialité de certains renseignements de sécurité
[81] Les tribunaux, tant ici qu'à l'étranger, reconnaissent que la sécurité nationale peut exiger que l'on préserve le secret de certaines informations recueillis par le renseignement de sécurité. Voir, par exemple, Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711 (au paragraphe 48); Ruby c. Canada (Solliciteur général), [2002] 4 R.C.S. 3 (aux paragraphes 43 et 44); Charkaoui, précité (aux paragraphes 100 et 101); R. c. Shayler, [2002] 2 All E.R. 477 (H.L.); Halperin c. C.I.A. (1980), 629 F.2d 144 (à la page 150) (D.C.C.C.A.); Murray c. United Kingdom (1995), 19 EHRR 193 (C.E.D.H.) (au paragraphe 58); Vereniging Weekblad Bluf! C. Netherlands (1995), 20 EHRR 189 (C.E.D.H.) (aux paragraphes 34 et 35).
[82] La nécessité de garantir la confidentialité de ce genre de renseignements ne se manifeste pas seulement dans le cas de certificats de sécurité. Ainsi que la Cour d'appel fédérale l'a relevé dans l'arrêt Almrei, précité, au paragraphe 73, les articles 38 et suivants de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5, sont des dispositions d'application générale permettant de ne pas divulguer publiquement, dans le cadre de procédures judiciaires, des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables.
[83] Lors des plaidoiries, le conseil de M. Harkat a reconnu que si la sécurité nationale est en jeu, les personnes ayant fait l'objet d'un certificat de sécurité ne pourront jamais connaître tous les arguments auxquels il leur faudrait répondre, une grande partie des renseignements en question ne pouvant en effet pas être communiqués à l'intéressé ou à son avocat.
[84] S'il est indispensable de préserver le secret des renseignements de sécurité c'est parce que les enquêtes de renseignement de sécurité visent des événements susceptibles de se produire à l'avenir. Il faut tenter de prévoir ce qui pourrait se passer en décelant, à partir d'événements tant passés qu'actuels, des faisceaux de circonstances et de liens. Il faut pour cela recouper des éléments d'information qui, à première vue, n'auraient rien à voir les uns avec les autres.
[85] Un groupe ou une organisation mû par la malveillance tente constamment de monter des opérations. En matière de renseignement de sécurité, les enquêtes ne se terminent donc pas après l'arrestation ou la mise en détention d'un membre du groupe. Au contraire, il s'agit d'enquêtes qui s'inscrivent dans la durée et qui sont appelées à se poursuivre. C'est là un des principaux facteurs permettant de distinguer les enquêtes de renseignement des enquêtes criminelles. On ne se trouve pas, en outre, face à une « infraction » qui permettrait de bien délimiter l'action des enquêteurs. Voilà pourquoi, entre autres, la Cour a, par le passé, estimé que les principes et les politiques applicables en matière de droit criminel ne s'appliquent pas aux affaires de certificats de sécurité (voir, par exemple, madame la juge McGillis dans l'affaire Ahani, précitée, aux paragraphes 40 et 42), et qu'elle a jugé que la transcription d'écoutes électroniques n'a pas à être divulguée si cela devait porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Voir : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Singh (1998), 153 F.T.R. 183.
[86] Lorsque des informations provenant du renseignement de sécurité sont divulguées par la Cour ou par d'autres organismes officiels, il faut présumer que cette information parviendra à des gens qui connaissent la personne faisant l'objet de l'enquête ainsi que ses activités. Aux mains de lecteurs avertis comme ceux-là, des éléments d'information qui ne paraissent a priori pas liés, et qui pris isolément peuvent ne revêtir aucun caractère sensible, pourraient indiquer la portée ou le stade d'avancement d'une opération de renseignement en cours. Des renseignements qui paraissent inoffensifs pourraient ainsi alerter les personnes visées par une enquête, les avertissant de la surveillance dont ils font l'objet ou d'une éventuelle fuite au sein même de leur organisation. Cela peut les amener à agir pour déjouer l'enquête dont ils font l'objet.
[87] De plus, le fait de laisser savoir les points sur lesquels les autorités manquent d'informations peut permettre au lecteur averti d'en apprendre davantage sur l'objet d'une enquête, les méthodes employées et les sources de renseignement, ou de savoir que certaines activités échappent à toute surveillance.
[88] Par l'alinéa 78b) de la Loi, le Parlement a chargé le juge désigné de veiller à la confidentialité des renseignements justifiant la délivrance d'un certificat de sécurité et de tout autre élément de preuve transmis au juge, lorsque la divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui. Cette obligation, à laquelle s'ajoute l'obligation de fournir un résumé à l'intéressé, reflète bien la tension entre l'exigence démocratique de la transparence des instances judiciaires et la nécessité tout aussi contraignante de maintenir le secret des renseignements de sécurité.
[89] Parmi les genres de renseignements dont on doit préserver le caractère confidentiel, citons :
1. Les renseignements provenant de sources humaines, lorsque leur divulgation permettrait d'identifier la source et risquerait de mettre sa vie en danger (voir la décision de madame la juge McGillis dans l'affaire Ahani, précitée, au paragraphe 19, où la juge McGillis se penche sur la question de savoir dans quelles circonstances des renseignements provenant d'une source humaine peuvent être divulgués). La mise en danger d'une source humaine risque en outre de dissuader d'autres sources ou sources potentielles de renseignements, qui auront scrupule à fournir des informations s'ils ne sont pas sûrs que leur identité sera protégée.
2. Les renseignements provenant d'agents du Service, lorsque la divulgation permettrait d'identifier l'agent et mettrait sa vie en péril.
3. Les renseignements concernant des enquêtes en cours lorsque la divulgation de ces renseignements alerterait ceux qui agissent contre les intérêts du Canada, leur permettant de se soustraire aux recherches.
4. Les secrets transmis par des pays étrangers ou des services de renseignement étrangers, lorsque la divulgation non autorisée de ces renseignements porterait ces pays ou ces services à ne plus confier de secrets à un destinataire qui n'est pas digne de confiance ou qui n'est pas à même d'en assurer la confidentialité. (Voir Ruby, précité, aux paragraphes 43 et suivants où est examiné le fait qu'en matière de renseignements de sécurité, le Canada est un importateur net. Les renseignements considérés sont nécessaires à la sécurité et à la défense du Canada et de ses alliés.)
5. Les renseignements concernant les techniques et les moyens de surveillance ainsi que certaines méthodes ou techniques d'enquête employées par le Service, lorsque cette divulgation aiderait à se soustraire à la détection, à la surveillance ou à l'interception de leurs communications, des personnes ayant attiré l'attention du Service.
(ii) La divulgation dans d'autres affaires
[90] Les exemples cités ci-dessus montrent l'importance d'une évaluation attentive de la preuve lorsqu'il s'agit de savoir dans quelle mesure des renseignements pourraient être divulgués sans créer de risque pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui. La question de la divulgation est toujours liée aux faits de l'espèce. Ainsi, par exemple, dans le jugement Ahani, madame la juge McGillis évoque la divulgation de renseignements provenant d'une source humaine. Si plusieurs personnes ont eu accès aux renseignements fournis par cette source, les renseignements en question peuvent probablement être divulgués sans craindre de révéler l'identité de la source. Par contre, dans les cas où il ressort des éléments de preuve que le renseignement en question n'était connu que d'une ou deux personnes, on ne saurait le divulguer sans révéler l'identité de sa source ou sans mettre en danger les personnes concernées. Étant donné que la divulgation dépend des éléments de preuve produits dans une affaire donnée, on voit mal l'utilité ou la pertinence de comparer, comme M. Copeland l'a fait, les résumés publics fournis dans des affaires ayant trait à la sécurité, et de faire remarquer que dans telle ou telle affaire, effectivement, la portée de la divulgation d'informations a pu être différente. La divulgation diffère d'une affaire à l'autre car les considérations touchant la divulgation varient selon les éléments de preuve produits devant la Cour.
[91] Mais il y a aussi une autre raison pour laquelle il n'est guère utile de comparer d'une affaire à une autre les résumés publics. L'avocat de M. Harkat relève en l'espèce que dans le cadre d'une procédure analogue engagée contre M. Adil Charkaoui, la Cour a communiqué la copie d'une photographie de M. Charkaoui qui a permis à Abu Zubaida de reconnaître quelqu'un que M. Zubaida avait vu en Afghanistan. Il n'y a pas eu en l'espèce de divulgation de photos.
[92] S'il n'y a pas eu en l'espèce de divulgation de cet ordre c'est que, comme nous le verrons plus loin, les renseignements confidentiels produits dans ces deux affaires sont différents.
(iii) Les principes applicables à l'évaluation de renseignements confidentiels
[93] Lors de mon évaluation des renseignements confidentiels, j'ai retenu, et appliqué, les principes énoncés par mon confrère le juge Blanchard dans la décision Almrei c. Canada (Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 4 R.C.F. 327; conf. par 2005 CAF 54; [2005] A.C.F. no 213. La décision du juge Blanchard a été rendue dans le contexte du contrôle des motifs de détention au titre du paragraphe 84(2) de la Loi, mais la nature de la tâche confiée à un juge désigné lorsque des renseignements confidentiels ont été remis au juge en l'absence d'une partie et de son conseil, demeure la même que le juge soit appelé à se prononcer sur le caractère raisonnable d'un certificat de sécurité ou à contrôler les motifs de détention au titre du paragraphe 84(2) de la Loi. Aux paragraphes 59 et 60, le juge Blanchard a écrit que :
59. [...] Puisque la preuve doit être reçue en l'absence du demandeur ou de son avocat, il appartient au juge désigné d'examiner rigoureusement et d'un oeil critique cette preuve avant de décider si elle intéresse les points soulevés et si elle est digne de foi et avant de lui accorder la valeur qui lui revient.
60. Lorsqu'il examine la preuve qui ne peut être divulguée pour raisons de sécurité, le juge désigné doit adopter dans cet exercice une approche structurée. Parmi les facteurs qu'il doit considérer, il y a la présence ou l'absence d'éléments concordants, la cohérence de la preuve et le point de savoir s'il s'agit d'une preuve par ouï-dire. Pour dire si la preuve est ou non digne de foi, le juge peut vérifier la crédibilité et la fiabilité de la source de l'information. Pour ce faire, le juge désigné peut interroger directement les déposants et peut-être aussi d'autres personnes. Le juge peut aussi interroger sur ses observations l'avocat représentant le Service.
Les observations de mon confrère le juge S. Noël dans la décision Charkaoui (Re), [2004] 3 R.C.F. 32 (C.F.), aux paragraphes 100 à 102, vont dans le même sens.
[94] Je ne dirai rien des sources à l'origine des renseignements confidentiels communiqués à la Cour en l'espèce, mais j'estime que, d'une manière générale, lorsque les renseignements confidentiels en question proviennent d'une source humaine, on peut légitimement demander à des témoins assermentés l'origine et la durée des rapports entre le Service et cette source humaine; si la source a été rémunérée pour les renseignements fournis; ce qu'on sait des motifs ayant porté la source à fournir les renseignements en cause; si cette source a fourni des renseignements sur d'autres personnes et, si oui, si l'on pourrait obtenir des précisions à cet égard; la mesure dans laquelle les renseignements fournis par cette source ont pu être recoupés; la situation de la source, sur le plan de la citoyenneté ou de l'immigration, et si cette situation a changé à l'époque où elle entretenait des liens avec le Service (au point où cette situation pourrait affecter la sécurité de la source au Canada et sa vulnérabilité vis-à-vis de la contrainte); la question de savoir si c'est en réponse à d'éventuelles pressions que la source a fourni les renseignements, et si oui, d'où émanaient ces pressions; si la source faisait ou fait l'objet d'une enquête du Service ou d'un autre service de renseignement ou de police; si elle a un casier judiciaire ou est visée par une accusation pénale au Canada ou ailleurs; la nature des rapports existant entre la source et la personne faisant l'objet de l'enquête; l'existence réelle ou présumée d'un motif ayant pu porter la source à fournir de faux renseignements ou de quelque autre manière induire les enquêteurs en erreur. Cette liste n'est aucunement exhaustive et les questions qui y sont énumérées ne vont pas toujours se poser.
[95] Dans un même ordre d'idées, s'agissant d'informations confidentielles transmises par un autre service de renseignement, on peut légitimement demander comment le Service évalue la fiabilité des renseignements fournis par cet autre service et quelle a été sa conclusion quant à la fiabilité du renseignement en cause; dans quelle mesure les renseignements fournis par cet autre service ont-ils pu être recoupés; ce service a-t-il pu, pour une raison ou pour une autre, chercher à présenter l'information en cause sous un faux jour; dans quelle mesure ce service respecte-t-il les droits de la personne, et qu'en est-il à cet égard de son gouvernement; le service étranger a-t-il lui-même jugé que le renseignement qu'il a transmis était fiable; ce service n'a-t-il servi que d'intermédiaire pour transmettre des renseignements provenant d'un service moins fiable. Encore une fois, cette liste ne se veut nullement exhaustive.
[96] En cas de renseignements confidentiels provenant de sources techniques telles que les écoutes électroniques, on peut légitimement s'interroger sur l'exactitude d'un document faisant état des renseignements interceptés; l'exactitude des traductions qui en ont été faites; l'objectivité ou, au contraire, la partialité de tout résumé de ces informations interceptées; ainsi que sur la manière dont ont été identifiées les parties prenant part à une conversation.
[97] Quelle que soit la source des éléments de preuve, il convient de s'interroger quant à l'existence éventuelle de preuves exculpatoires.
[98] En somme, le juge désigné doit s'enquérir de la source de tout élément d'information comptant parmi les renseignements confidentiels invoqués par les ministres comme motif raisonnable de croire que la personne en cause doit être interdite de territoire pour des raisons de sécurité. Une fois identifiée la source du renseignement, le juge désigné doit s'interroger sur ce qui ressort au juste de la documentation, et voir ce qu'un témoin peut utilement dire de la fiabilité du renseignement et de la mesure dans laquelle ce renseignement, ou d'autres informations provenant de la même source, peuvent être corroborés. Pendant tout cet examen, le juge doit demeurer très attentif à cette obligation de sonder la fiabilité de chaque élément de preuve. Il doit garder à l'esprit la possibilité d'une méprise, d'une erreur quant à l'identité de telle ou telle personne, de manoeuvres, d'incompétence ou de malveillance. Rappelons combien il est important de demander si le Service ne dispose pas de renseignements disculpatoires.
[99] Seul cet exercice délicat permet à la Cour d'évaluer correctement les preuves produites tant par les ministres que par la personne faisant l'objet du certificat. Il faut parvenir, sur ce point, à une conclusion rigoureuse et objective afin de protéger non seulement les droits de la personne nommée dans le certificat mais également les intérêts légitimes de l'État.
[100] Pour mener à bien cet examen des renseignements confidentiels, après les plaidoiries prononcées le 9 décembre 2004, la Cour a, le mardi 20 décembre 2004, siégé à huis clos hors de la présence de M. Harkat et de son avocat et recueilli la déposition d'un témoin cité au nom des ministres. La Cour a également entendu les arguments avancés par l'avocat représentant les ministres au vu des renseignements confidentiels ainsi fournis. Dans une directive publique, j'avais précédemment fait savoir que j'exigeais des ministres qu'ils s'expliquent sur la source de chaque élément d'information mis en avant par eux, sur la fiabilité de chacune des sources de renseignements, sur la présence, ou l'absence, d'éléments indépendants permettant de confirmer l'exactitude du renseignement en cause, et de répondre aux questions concernant le rôle de Theresa Sullivan dans l'enquête menée par le Service, si tant est qu'elle y ait participé. Le témoin a livré les renseignements voulus et a répondu sous serment aux questions qui lui étaient posées par l'avocat des ministres ainsi que par moi-même. C'est alors que le document a été remis à la Cour à titre de pièce confidentielle. Ce document, identifié par le témoin, indiquait entre autres, sous forme de schéma, la source de chaque élément d'information et indiquait, là encore sous forme de schéma, chaque élément d'information fourni par une source donnée.
[101] Je me suis par la suite livrée à un examen détaillé et complet du dossier pour juger de la fiabilité des renseignements produits devant la Cour. Lors de la préparation des présents motifs, d'autres questions se sont posées et, par une directive publique, j'ai convoqué à nouveau les avocats des ministres et un témoin afin d'obtenir, à huis clos et hors de la présence de M. Harkat et de son avocat, des réponses à ces nouvelles questions. C'était le 18 février 2005. Alors que j'achevais la rédaction de ces motifs, j'ai relevé deux autres sujets d'interrogation et deux cas où l'examen de la transcription de la séance à huis clos précédente soulevait le besoin de poser des questions complémentaires. Une directive demandant aux avocats et au témoin de comparaître à nouveau le 17 mars 2005 a été émise. J'ai, à cette date, posé au témoin des questions complémentaires.
L'ANALYSE DE LA PREUVE
[102] Passons maintenant à une analyse intégrale de la preuve produite devant la Cour tant en séance publique que dans les 10 volumes de renseignements confidentiels et les témoignages livrés à huis clos hors de la présence de M. Harkat et de son avocat. Voici le plan de cette analyse :
(i) Le témoignage de M. Harkat et sa crédibilité;
(ii) Les renseignements transmis par Abu Zubaida;
(iii) Le témoignage de M. Marchessault et les documents versés au dossier concernant la compétence et l'efficacité du SCRS;
(iv) Le rôle joué par Theresa Sullivan dans l'enquête du SCRS; et
(v) Les conclusions concernant la preuve.
[103] Avant d'entreprendre cette analyse, rappelons que dans l'arrêt R. c. Sheppard, [2002] 1 R.C.S. 869, la Cour suprême du Canada a réaffirmé l'importance de jugements motivés, faisant observer qu'au « sens le plus large de la responsabilité judiciaire, la motivation des jugements constitue un aspect fondamental de la légitimité des institutions judiciaires aux yeux du public [...] Les tribunaux s'attirent la critique du public ou obtiennent son appui au moins en partie par la qualité de leurs motifs » . Les motifs d'un jugement doivent permettre de constater que le juge a correctement cerné les questions pertinentes, y a appliqué les principes qui convenaient, a tenu compte des principales preuves et des éventuelles contradictions et a répondu aux arguments avancés. L'obligation de motiver son jugement « amène le juge à centrer son attention sur les difficultés soulevées » .
[104] Les motifs exposés dans le cadre d'une affaire de renseignement de sécurité ne peuvent jamais pleinement justifier et expliquer publiquement un résultat car la Cour fonde son jugement sur des preuves qui ne peuvent pas être divulguées. Afin d'assurer la rigueur de ma démarche, j'ai inscrit, dans mon analyse de la preuve, une série de notes en bas de page. Le dossier confidentiel de la Cour contient, écrit de ma propre main, le texte de chaque note en bas de page avec un renvoi à la partie des renseignements confidentiels ou des témoignages confidentiels sur lesquels je fonde mes conclusions et commentaires pertinents.
(i) Le témoignage de M. Harkat et sa crédibilité
[105] Tout témoignage livré sous serment est présumé véridique, à moins qu'il n'y ait des raisons de douter de sa véracité. Il y a, cependant, trois aspects du témoignage de M. Harkat qui, bien qu'il soit peut-être véridique, portent franchement à se demander si son témoignage est plausible, s'il a l'accent de la vérité. Il s'agit des réponses livrées par M. Harkat au sujet de la manière dont il a obtenu son travail auprès de la Ligue islamique mondiale, du salaire qui lui était versé par la Ligue islamique mondiale au Pakistan, et de son voyage entre Ottawa et Toronto, en fourgonnette avec M. Ahmad Khadr.
[106] En ce qui concerne la manière dont il a obtenu le travail en question, M. Harkat a témoigné que la Ligue islamique mondiale voulait engager « quelqu'un d'origine arabe » pour diriger l'entrepôt car on craignait qu'un employé local ne revende les fournitures de secours qui y étaient stockées. M. Harkat a pourtant témoigné qu'on l'a engagé sans rien savoir de lui. Selon M. Harkat, il avait téléphoné de La Mecque à un représentant de la Ligue islamique mondiale à Djedda, et on lui avait répondu [traduction] « venez, apportez votre passeport et nous allons voir si le Pakistan accepte de vous délivrer un visa ou de vous admettre » . Lorsque M. Harkat est arrivé à Peshawar, son superviseur, Abu Dahr, et Abullah l'ingénieur étaient au courant de la décision d'engager M. Harkat pour s'occuper de l'entrepôt. Dans son témoignage, M. Harkat a déclaré que la Ligue islamique mondiale ne voulait pas confier ce poste à un Pakistanais ou à un Afghan, ajoutant que le poste de superviseur exigeait de l'honnêteté. Le témoignage de M. Harkat n'explique pas comment la Ligue islamique mondiale a pu conclure que M. Harkat avait l'honnêteté nécessaire et, sur ce point, sa déposition ne paraît pas convaincante.
[107] Deuxièmement, M. Harkat a affirmé dans le cadre de son témoignage qu'il était payé 10 000 roupies pakistanaises (soit entre 400 et 500 $US par mois) et que c'est pour cela qu'il a pu économiser 18 000 $US pendant son emploi auprès de la Ligue islamique mondiale. M. Harkat a reconnu que [traduction] « c'était un assez bon salaire pour cette région du monde » . M. Harkat n'a pas expliqué les raisons d'un tel salaire. Encore une fois, il est difficile de croire que quelqu'un se trouvant dans la situation de M. Harkat serait payé 18 000 $US alors qu'il travaillait au Pakistan dans un camp de réfugiés.
[108] Troisièmement, M. Harkat a déclaré s'être rendu d'Ottawa à Toronto, en fourgonnette, en compagnie d'Ahmed Khadr. Or, M. Khadr était l'un des principaux adjoints d'Oussama ben Laden. M. Harkat et M. Khadr ont tous deux travaillé au Pakistan auprès d'organismes caritatifs islamiques, et pourtant M. Harkat déclare n'avoir échangé avec M. Khadr que quelques mots, celui-ci se contentant de lui conseiller de dire la vérité aux autorités d'immigration. Étant donné leurs antécédents communs dans le secours aux réfugiés au Pakistan, et bien que M. Harkat ait expliqué qu'il était préoccupé ce jour-là, il me semble peu plausible qu'au cours d'un trajet de cinq heures ce soient les seuls propos qu'il ait échangés avec un des principaux collaborateurs d'Oussama ben Laden.
[109] Ce sont ces éléments de la déposition de M. Harkat qui sonnaient faux. On ne doit conclure à l'invraisemblance d'un témoignage que lorsque celui-ci va tellement au-delà de ce à quoi on pourrait raisonnablement s'attendre que l'on peut conclure sans risque que la déposition ne peut pas être véridique. Alors que la déposition de M. Harkat sur ces points pourrait être conforme à la vérité, on ne peut pas, si l'on est réaliste, raisonnablement penser que M. Harkat aurait effectivement été engagé et rémunéré dans les conditions qu'il nous a indiquées, ou qu'il n'ait pas eu, avec M. Khadr, au cours d'un trajet de cinq heures, une vraie conversation. Lors même de la déposition de M. Harkat, j'ai trouvé que, sur ces points, son témoignage était tout à fait invraisemblable.
[110] Tout aussi troublants étaient les points sur lesquels les témoignages de Mme Harkat et de M. Cretes ne concordaient pas avec celui de M. Harkat, même si ces divergences ne portaient pas sur les points essentiels du témoignage de M. Harkat. Ainsi, contrairement au récit qu'en a fait son mari, Mme Harkat pense que M. Harkat s'est rendu directement d'Algérie au Pakistan. Ni monsieur ni madame Harkat n'ont cependant été contre-interrogés sur ce point.
[111] Les souvenirs de M. Cretes ne concordent pas avec ceux de M. Harkat sur le point de savoir qui avait demandé l'aide de qui pour une personne se trouvant sous garde au centre de détention du chemin Innes. Selon M. Cretes, bien que ses souvenirs soient vagues sur ce point, [traduction] « je me souviens bien pourtant que [M. Harkat] m'a appelé pour me dire qu'il connaissait un détenu qui se cherchait un avocat » . Selon la déposition de M. Harkat, cependant, c'est M. Cretes qui lui aurait demandé son aide. Ayant pu observer les deux témoins, je privilégie la version de M. Cretes. M. Cretes a témoigné sans détour et a précisé franchement les choses dont il se souvenait ou dont il ne se souvenait pas.
[112] Ce qui a nui aussi à la crédibilité de M. Harkat c'est qu'il a reconnu avoir à deux reprises menti au SCRS, la première fois au sujet de son nom d'emprunt « Abu Muslima » , puis au sujet de ses liens avec Taher.
[113] Alors même qu'on ne conclurait pas à l'invraisemblance du témoignage de M. Harkat sur les trois points importants précités, il ressort très nettement de renseignements confidentiels1 que M. Harkat, qui témoignait sous serment, a menti à la Cour sur plusieurs points importants, notamment lorsqu'il a nié :
(i) avoir sciemment soutenu ou aidé des extrémistes islamiques;
(ii) avoir aidé des extrémistes islamiques arrivés au Canada;
(iii) avoir entretenu des liens avec Abu Zubaida;
(iv) s'être trouvé en Afghanistan; et
(v) avoir séjourné à Peshawar.
[114] En ce qui concerne les renseignements confidentiels sur lesquels je me fonde2 pour conclure au manque de crédibilité de M. Harkat, j'ai fait très attention aux détails des renseignements fournis, posé des questions très précises et reçu des réponses quant à la fiabilité des diverses sources de renseignements. Je me suis également penchée sur le point de savoir si ces renseignements étaient recoupés par une ou plusieurs sources indépendantes. Je conclus de tout cela que des renseignements fiables et crédibles, provenant de plusieurs sources indépendantes, dont bon nombre ont pu être confirmés, contredisent les dénégations de M. Harkat sur chacun de ces points. Mettant en balance les éléments de preuve et le témoignage de M. Harkat, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que les dénégations de M. Harkat ne sont pas crédibles et que, dans sa déposition, il a menti à la Cour.
(ii) Abu Zubaida
[115] M. Harkat fait valoir que les renseignements obtenus de Abu Zubaida, tels que résumés et communiqués à la Cour, ont été obtenus sous l'effet de la torture et qu'ils ne peuvent par conséquent pas être admis en preuve. Il fait subsidiairement valoir, en se fondant sur le résumé qui lui a été fourni, que les informations en cause ne sont pas suffisamment précises et que les éléments de preuve en question ne devraient donc se voir reconnaître aucune force probante.
[116] Les ministres ont répondu que M. Harkat n'avait produit aucune preuve tendant à démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les renseignements avaient été obtenus de Abu Zubaida par l'emploi de la torture. Ils invoquent à l'appui de cet argument un arrêt de la Cour suprême de Colombie-Britannique rendue dans le contexte de la Loi sur l'extradition, L.R.C. 1985, ch. E-23, dans lequel la Cour a estimé que celui qui allègue le recours à la torture doit persuader la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que la torture a effectivement été employée.
[117] M. Harkat fait pour sa part valoir qu'on ne sait pas où se trouve actuellement Abu Zubaida, ni dans quelles conditions il se trouve et que lui, M. Harkat, en est donc réduit à produire devant la Cour les documents accessibles publiquement et à demander que la Cour déduise de ces documents que Abu Zubaida a effectivement été torturé. M. Harkat cite notamment un article du Globe and Mail en date du 28 juin 2004, ainsi qu'un article du New York Times daté du 27 juin 2004, les deux faisant état d'une note interne du ministère américain de la Justice, à l'origine d'ailleurs d'une grande polémique (le « mémorandum Gonzales » ). Selon les journaux, ce document était censé conseiller la CIA sur jusqu'où ses agents pouvaient aller dans l'emploi de techniques musclées d'interrogation, et avait pour origine un débat interne sur la manière d'obliger Abu Zubaida à livrer ce qu'il savait. M. Harkat a versé au dossier un exemplaire du mémorandum Gonzales; un document d'information intitulé « The United States' Disappeared » , publié par Human Rights Watch; la déclaration solennelle de M. Watt, du Centre for Constitutional Rights, ainsi que la réponse qu'il a donnée dans le cadre de son interrogatoire par écrit; et la transcription du témoignage de Ward Elcock, ancien directeur du SCRS, livré avant le début de l'enquête Arar.
[118] Le mémorandum Gonzales est un long document. On peut se faire une idée de son objet en lisant les quelques paragraphes introductifs :
[traduction]
Vous avez demandé à notre bureau un avis concernant les normes de conduite prévues par la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants que mettent en oeuvre les articles 2340 à 2340A du titre 18 du United States Code. Cette question, nous semble-t-il, est soulevée dans le contexte de la conduite des interrogatoires hors du territoire national des États-Unis. Notre conclusion, exposée plus loin, est que l'article 2340A interdit les actes qui font subir et qui sont conçus pour faire subir une grande douleur ou de grandes souffrances, soit psychiques, soit physiques. Pour être considérés comme des actes de torture au sens de l'article 2340A, de tels actes doivent revêtir un caractère extrême. Nous estimons que certains actes peuvent être cruels, inhumains ou dégradants sans pour cela entraîner une douleur ou une souffrance suffisamment intense pour relever de l'interdiction de la torture prévue à l'article 2340A. Nous terminons notre analyse par un examen des moyens de défense qui pourraient être invoqués pour contrer tout argument voulant que certaines méthodes d'interrogation entraîneraient une violation de la loi.
Dans la partie I, nous nous penchons sur le texte même ainsi que sur l'historique de cette disposition de droit pénal. D'après nous, pour qu'un acte soit constitutif de torture au sens de l'article 2340, il doit infliger une douleur difficilement endurable. Pour être considérée comme de la torture, la douleur physique doit être d'une intensité équivalente à la douleur accompagnant de graves blessures physiques, telles que la défaillance d'un organe, le délabrement d'une fonction corporelle, voire la mort. Pour que la douleur ou la souffrance purement psychologique constitue une torture au sens de l'article 2340, il faut qu'elle entraîne d'importants maux psychiques assez durables, c'est-à-dire qui persistent pendant des mois, voire des années. Nous estimons en outre que les maux psychiques doivent avoir été causés par un des actes énumérés dans la loi, c'est-à-dire des menaces de mort imminente, des menaces d'infliger le genre de douleurs qui constitueraient effectivement une torture physique; le fait d'infliger de telles douleurs physiques comme moyens de torture psychologique; l'emploi de drogues ou d'autres moyens de désorienter, ou de modifier profondément la personnalité d'un individu; ou de menacer de faire l'une de ces choses à quelque autre personne. L'histoire législative du texte montre simplement que, dans l'intention du Congrès, la définition inscrite dans la loi devait correspondre à la définition de la torture inscrite dans la Convention, ainsi qu'aux réserves, interprétations et déclarations ayant accompagné la ratification de ce texte par les États-Unis. Selon nous, il ressort clairement du texte pris dans son ensemble que ne sont interdits que les actes à caractère extrême.
À la partie II, nous examinons le texte de la Convention sur la torture, retraçant l'historique de sa négociation et de sa ratification. Nous sommes d'avis que le texte même du traité n'interdit que les actes les plus extrêmes, réservant l'imposition de sanctions pénales aux seuls actes de torture et refusant d'appliquer de telles sanctions aux « peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » . Cela nous confirme dans l'idée que ce texte de droit pénal ne sanctionne que les comportements les plus outrés. Les interprétations que l'exécutif a données de ce texte, et les observations transmises au Sénat à l'époque de sa ratification ne font que confirmer que ce traité ne visait que les comportements les plus extrêmes.
À la partie III, nous analysons la jurisprudence relative au Torture Victims Protection Act, 28 U.S.C. § 1350 note (2000), qui prévoit, pour les victimes d'actes de torture, des recours civils. Il s'agit de voir quelles pourraient être les normes que les tribunaux appliqueraient pour dire quels sont les actes qui, dans un contexte pénal, vont être considérés comme des actes de torture. Nous estimons, au vu de cette jurisprudence, que les tribunaux retiendront probablement une approche fondée sur l'ensemble des circonstances, et que pour dire si certains actes sont contraires à l'article 2340A, ils tiendront compte du contexte dans lequel se situent les actes en question. Il ressort d'ailleurs de la jurisprudence que, le plus souvent, on entend par torture des comportements entraînant d'affreuses douleurs physiques marquées par la cruauté. À la partie IV, nous examinerons les décisions rendues par des instances internationales en matière d'emploi de techniques de privation sensorielle. Il en ressort clairement que si bon nombre de ces techniques peuvent effectivement constituer un traitement cruel, inhumain ou dégradant, elles n'occasionnent pas des douleurs ou des souffrances suffisamment intenses pour équivaloir à de la torture. La jurisprudence nous permet de conclure qu'il existe un large éventail de techniques qui ne seraient pas considérées comme des tortures.
À la partie V, nous examinons la question de savoir si l'application de l'article 2340A aux interrogatoires de combattants ennemis conduits en vertu des pouvoirs du président en tant que commandant en chef des armés ne serait pas inconstitutionnelle. D'après nous, vu les circonstances de la guerre actuellement menée contre Al-Qaïda et ses alliés, des poursuites intentées en vertu de l'article 2340 pourraient être irrecevables étant donné que la mise en application de cette loi entraînerait une atteinte inconstitutionnelle aux pouvoirs de guerre du président. À la partie VI, nous examinons les moyens de défense pouvant être invoqués à l'encontre de tout argument alléguant que telle ou telle méthode d'interrogation serait contraire à la loi. D'après nous, compte tenu des circonstances actuelles, la nécessité ou la légitime défense pourrait justifier des méthodes d'interrogation considérées comme contraires à l'article 2340A. [Non souligné dans l'original.]
[119] M. Watt estime, pour sa part, compte tenu de son expérience au Center for Constitutional Rights et des documents auxquels le public a accès, que :
[traduction]
21. Bref, la documentation à laquelle le public a accès montre que, même si le droit interne des États-Unis interdit la torture et autres mauvais traitements infligés à des détenus, depuis les attentats du 11 septembre, le pouvoir exécutif des États-Unis, par une interprétation forcée des dispositions internes et internationales applicables en ce domaine, a autorisé des mesures de détention et des techniques d'interrogation qui constituent des actes de torture ou autres traitements cruels, inhumains ou dégradants selon la définition qu'en donnent aussi bien le droit international que le droit interne des États-Unis.
[...]
54. Depuis avril 2004, en raison du scandale des traitements abusifs dispensés à la prison d'Abu Ghraib, la presse des États-Unis s'est intéressée de très près au recours systématique ainsi qu'aux origines des actes de torture et des traitements inhumains infligés aux personnes détenues par les forces américaines en Afghanistan et à Guantánamo.
[...]
56. Les rapports de presse, les enquêtes officielles, ainsi que les rapports qu'ont pu faire des prisonniers anciennement détenus par les autorités américaines en Afghanistan et à Guantánamo ont révélé l'existence d'abus graves et généralisés commis par des agents du gouvernement des États-Unis, y compris le recours à des méthodes d'interrogation entraînant pour les détenus de graves atteintes physiques et même la mort, alors que dans certains autres cas les détenus ont été « remis » à d'autres pays qui se chargent de les torturer.
[...]
77. Plus récemment, les médias ont évoqué la pratique qui consiste à « remettre » les détenus à des gouvernements étrangers. Cette pratique, orchestrée par des avocats du Pentagone ou de la CIA et « avalisée par les services du conseiller juridique du ministère de la Justice » , a été appliquée à des centaines - sinon à des milliers - de personnes dans le cadre des interrogatoires menés après les attentats terroristes du 11 septembre. Dana Priest et Joe Stephens, Secret World of U.S. Interrogation : Long History of Tactics in Overseas Prisons is Coming to Light, Wash. Post (11 mai 2004) (avec des descriptions détaillées des « salles d'interrogatoire de services de renseignement étrangers - dont, pour certains, le recours à la torture a pu être documenté - auxquels le gouvernement des États-Unis 'remet' des personnes soupçonnées d'avoir joué un rôle subalterne dans des opérations terroristes, pour qu'elles soient interrogées » ).
78. La « remise » de ces suspects à des gouvernements étrangers exige un effort concerté de la part du renseignement américain, des services d'immigration et des divers services relevant des forces armées. Idem (révélant que le gouvernement saoudien détient et interroge actuellement 800 personnes suspectées de terrorisme dans le cadre d'une opération conjointe de renseignement comprenant des agents de la CIA, du FBI et d'autres organismes policiers américains). La « remise » de ces suspects a été publiquement décrite par l'ancien directeur de la CIA, George Tenet, comme une des principales politiques américaines en matière de contre-terrorisme.
[...]
80. Les témoignages oculaires livrés par des personnes qui à une époque ou à une autre ont été détenues par les autorités américaines en Afghanistan et à Guantánamo révèlent qu'elles ont subi les sévices aussi bien de leurs gardiens que des personnes chargées de les interroger et qu'on leur a appliqué bon nombre des techniques évoquées dans l'avis juridique cité plus haut. Il convient de relever qu'aucune de ces personnes libérées jusqu'ici n'étaient ce que les autorités appellent un détenu « de haut niveau » , la plupart semblent même ne pas avoir appartenu à Al-Qaïda ou aux Talibans. On ne peut par conséquent pas savoir si les méthodes infligées à ces personnes sont caractéristiques des méthodes employées à l'égard de détenus plus importants. Ce qui est tout à fait clair, cependant, c'est que tous les détenus ont subi un traitement qui, à tout le moins, constitue un traitement cruel, inhumain ou dégradant.
[...]
95. Abu Zubaydah est détenu par les autorités des États-Unis. Il a été pris au Pakistan en mars 2002 et au mois de juin de la même année se trouvait, au Pakistan, aux mains des forces américaines. The United States' 'Disappeared' : The CIA's Long-Term 'Ghost Detainees', Human Rights Watch (octobre 2004), à la page 26. Depuis sa capture, il est mis au secret. Au départ, un représentant de l'armée américaine a déclaré que les États-Unis envisageaient de le remettre à un service de renseignement étranger qui utiliserait pour l'interroger des techniques plus « brutales » que celles qu'étaient autorisés à employer les services américains. Le Secrétaire à la défense Donald Rumsfeld a déclaré que Zubaydah était aux mains des forces américaines dès avril 2002. Idem À l'heure actuelle, il semblerait que Zubaydah soit détenu en Jordanie. Yossi Melman, CIA Holding al-Qaida Suspects in Secret Jordanian Lockup, Haaretz (13 octobre 2004). On sait que la Jordanie utilise la force pour obtenir des aveux. CIA Holds Top Al Qaeda Suspects in Jordan, Reuters (13 octobre 2004).
96. Il semblerait qu'Abu Zubaydah ait été blessé par balle lors de sa capture. Il semblerait aussi que, parmi leurs techniques d'interrogation, des représentants américains aient à l'époque refusé de lui donner des analgésiques. The United States' "Disappeared" aux pages 12, 26 et 27; voir également U.S. Decries Abuse, précité.
97. Suite au débat qu'avaient suscité, au sein du gouvernement des États-Unis, les méthodes employées pour interroger Abu Zubaydah, le Bureau du conseiller juridique du département de la Justice des États-Unis rédigea, en août 2002, le mémorandum cité plus haut, qui restreignait sensiblement la définition de la torture applicable aux États-Unis et préparait la voie à l'emploi de techniques d'interrogation musclées. Voir [le paragraphe] 50 ci-dessus, précité; voir également The United States' "Disappeared", à la page 7. En juin 2004, des agents du Federal Bureau of Investigation (FBI) ont critiqué publiquement les techniques employées par la CIA pour interroger Zubaydah. David Johnston et James Risen, Aides Say Memo Backed Coercion Already in Use, N.Y. Times (27 juin 2004).
[Non souligné dans l'original.]
[120] J'estime, compte tenu des éléments produits en l'espèce, qu'il est peu probable que M. Harkat puisse apporter une meilleure preuve des conditions auxquelles a été soumis M. Abu Zubaida. Cela étant, il y a lieu de conclure, comme autorise à le faire le pouvoir discrétionnaire reconnu à la Cour par l'alinéa 78j) de la Loi, que cette documentation, de simples ouï-dire, voire des conjectures, incite néanmoins à se préoccuper des méthodes employées pour interroger Abu Zubaida.
[121] En règle générale, un tribunal doit, avant de dire le poids qu'il convient d'accorder à tel ou tel élément de preuve, se prononcer sur l'admissibilité de ces preuves, mais l'alinéa 78j) de la Loi reconnaît clairement une marge de manoeuvre plus grande au juge appelé à se prononcer sur le caractère raisonnable d'un certificat de sécurité puisqu'il lui est possible de recevoir et d'admettre en preuve tout élément qu'il estime utile - même inadmissible en justice.
[122] En l'espèce, les renseignements obtenus de M. Abu Zubaida inspirent une autre inquiétude. Abstraction faite de la question de la torture ou des sévices, la Cour ne dispose d'aucun élément concernant ce que M. Abu Zubaida a effectivement dit, ni les circonstances dans lesquelles ont été faites ses déclarations. Pour savoir quel poids accorder aux renseignements en cause, il faudrait pourtant que la Cour sache cela. Cette préoccupation est mise en évidence par cet extrait de la plaidoirie du conseil de M. Harkat :
[traduction]
J'ai passé pas mal de temps à m'entretenir de cela avec des représentants des médias, mais ce que je leur dis c'est surtout ceci : Supposez qu'ils aient dit à Abu Zubaida, quelle que soit la situation dans laquelle il se trouve actuellement : « Connaissiez-vous un petit Algérien, plutôt carré, qui boîte, était lié au FIS et tenait, à Peshawar, un lieu d'hébergement accueillant les moudjahiddines se rendant en Tchétchénie? » S'il a répondu « oui » , je pense pouvoir affirmer qu'en tant que preuve de tels propos ne sont presque d'aucune valeur et cela serait particulièrement vrai si au moment où il a livré cette réponse il subissait des pressions, voire des tortures.
Si, par contre, ce qui s'est passé c'est qu'on lui a dit : « Bon, M. Zubaida. Vous nous avez tout dit, vous avez répondu à toutes nos questions. Y a-t-il autre chose qu'il nous faudrait savoir? » Et qu'il ait répondu : « Oui. Il y a ce petit Algérien, qui boîte, qui est lié au FIS et qui, à Peshawar, tenait un lieu d'hébergement accueillant les moudjahiddines se rendant en Tchétchénie » , là, vous disposeriez d'un élément probant.
Vous ont-ils suffisamment expliqué comment ces réponses ont été obtenues? La description qu'ils vous ont donnée de la manière dont ce renseignement a été tiré ou obtenu d'Abou Zubaida vous semble-t-elle raisonnable? Pouvez-vous accorder du poids à ses déclarations compte tenu de ces circonstances? C'est toute la question de la fiabilité des aveux obtenus sous la torture. Dans certains cas, ça ressemble plutôt à de la torture.
[123] Malgré toutes les preuves produites devant la Cour, je ne peux pas être certaine des circonstances dans lesquelles M. Abu Zubaida a fourni des renseignements au sujet de M. Harkat. Je ne sais pas quelle est la photographie sur laquelle il l'a identifié, et je ne sais pas si les informations fournies à la Cour constituent le texte même de ce que M. Abu Zubaida a spontanément déclaré, ou s'il a répondu « oui » à une question tendancieuse. Cela étant, compte tenu des doutes concernant le traitement dont fait l'objet M. Abu Zubaida, je ne peux accorder aucun poids aux renseignements remis à la Cour par le truchement d'Abu Zubaida.
(iii) M. Marchessault et les documents relatifs à la compétence et l'efficacité du SCRS
[124] Aux paragraphes 71 à 78 ci-dessus, j'examine le témoignage livré par M. Marchessault tant lors de l'interrogatoire principal que lors du contre-interrogatoire. Il a reconnu que lorsqu'il travaillait au SCRS, ses superviseurs lui avaient reproché la qualité de ses rapports de renseignement. Il continue à croire qu'il y avait, au sein du SCRS, un complot en vue de le faire congédier. Dans la décision écrite sur le grief déposé par M. Marchessault lorsqu'il a été congédié, la CRTFP n'a relevé aucun indice d'un complot et a estimé que, de bonne foi, le SCRS avait jugé que le travail de M. Marchessault ne correspondait pas aux normes minimums de qualité. Compte tenu des motifs de son congédiement et du fait qu'il persiste à croire au complot, j'estime que M. Marchessault manque d'objectivité envers le SCRS. Je ne peux pas accorder grand poids aux critiques qu'il formule à l'encontre du Service, à qui il reproche de négliger la prépondérance de la preuve et de ne pas tenir compte des éléments périphériques par rapport à ce que le Service peut considérer comme un risque relevant catégoriquement de sa mission. Dans une séance à huis clos en l'absence de la partie adverse, cependant, j'ai posé au représentant du Service un certain nombre de questions concernant l'existence d'éventuelles preuves disculpatoires3, et tenté de déceler l'existence de faits qui viendraient contrarier les dires du Service, ou de points où le Service aurait affirmé quelque chose ne reposant sur aucun fait.
[125] J'admets, au vu du témoignage de M. Marchessault et des documents mentionnés plus haut, au paragraphe 77, que par le passé les agents de renseignement appartenant au SCRS se sont fait voler leurs porte-documents et ont perdu une disquette informatique, et que les autres événements évoqués au paragraphe 77 se sont vraisemblablement produits.
[126] J'accepte aussi que, dans ses rapports pour les années 1998-1999, 1999-2000, et 2002-2003, le CSARS s'est dit préoccupé par un certain nombre de choses. Dans le premier de ces rapports, le CSARS s'est dit préoccupé par la criminalité transnationale et l'espionnage économique : on reprochait au SCRS d'avoir défini trop largement l'idée de « sécurité économique » ; on affirmait au sujet des enquêteurs du SCRS qu'ils n'avaient ni la formation ni l'expérience leur permettant de déceler les types de crimes financiers ou d'entreprise dont ils étaient censés s'occuper; et on prétendait que le SCRS avait recueilli des renseignements sur la criminalité de rue, phénomène sans rapport avec les objectifs stratégiques du Service. Le CSARS a également noté, cependant, dans un passage qui n'est pas cité par M. Harkat, que « la Loi sur le SCRS et les réformes législatives opérées dans son sillage ont permis de réaliser de façon remarquable l'objectif énoncé par le juge McDonald : créer un organisme qui 'remplisse bien son rôle tout en respectant les convenances et la légalité'. Le SCRS s'acquitte de son mandat en cernant les menaces qui pèsent sur le Canada et en conseillant à ce sujet le gouvernement; quant au CSARS et aux autres organismes responsables, dont l'Inspecteur général et les comités parlementaires compétents, ils examinent les activités du Service pour s'assurer qu'elles sont efficaces et conformes à la loi » .
[127] Le second rapport du CSARS cité par M. Harkat enquêtait sur ce qui s'était dit dans la presse au sujet d'un projet conjoint de la GRC et du SCRS, projet dénommé « Sidewinder » . Selon le CSARS, les médias prétendaient essentiellement que :
· le but du projet Sidewinder était de recueillir, aux fins d'analyse, des renseignements sur les efforts du gouvernement chinois et de bandes de criminels asiatiques pour influencer les milieux canadiens des affaires et de la politique;
· le projet a été abandonné avant terme parce que le Service craignait une résistance politique;
· le SCRS a détruit à tort toutes les copies du rapport final sur le projet Sidewinder, de même que les ébauches, la correspondance et les autres documents connexes;
· l'interruption du projet conjoint en 1997 était prématurée et a par la suite entravé la capacité du gouvernement de faire face à de nouvelles menaces qui pesaient sur le pays;
· la suspension du projet et la dissolution de l'équipe ont découlé de la demande de ressources supplémentaires présentée par l'équipe chargée du projet Sidewinder et de sa recommandation, à la direction du SCRS et de la GRC, d'instituer une enquête officielle sur les activités présumées;
· la mauvaise gestion du projet Sidewinder a nui sensiblement aux relations générales entre le SCRS et la GRC.
[128] Voici les principales conclusions auxquelles le CSARS était parvenu au sujet de l'activité du SCRS :
· Le Comité n'a trouvé aucune preuve de la prétendue ingérence politique. Aucun des documents et dossiers examinés, aucune des entrevues menées et des observations recueillies ne permet de croire en une telle ingérence, réelle ou présumée. Le projet Sidewinder n'a pas été abandonné : il a été retardé après qu'on eut jugé le rapport insatisfaisant.
· Quant à la première ébauche du rapport Sidewinder, nous l'avons trouvée très boiteuse à presque tous les égards. Elle dérogeait aux normes de rigueur professionnelle et analytique les plus élémentaires. Les mesures prises par le Service pour rehausser la qualité de ses futurs travaux de collaboration avec la GRC au projet Sidewinder étaient appropriées.
· Le Comité n'a trouvé aucun indice de menace grave et immédiate, comme celle évoquée dans la première ébauche du rapport Sidewinder, ni de menace dont on n'aurait pas tenu compte par négligence ou à dessin, ni de menaces graves dont le gouvernement n'aurait pas été averti comme il le fallait, le cas échéant. Le SCRS et la GRC continuent tous deux d'enquêter séparément sur les menaces semblables.
· Le Comité n'a trouvé aucun signe que les désaccords survenus entre le SCRS et la GRC au cours du projet Sidewinder aient suscité des difficultés sur d'autres plans de leurs relations mutuelles ou soient symptomatiques de telles difficultés.
· Le Service a détruit des documents qu'il jugeait « éphémères » concernant la première ébauche du rapport Sidewinder. Il ne peut en retrouver d'autres que le Comité estime nettement non éphémères et il affirme qu'ils n'ont pas été détruits mais qu'ils sont « mal classés » . D'après le CSARS, cette confusion n'aurait toutefois pas eu de conséquences graves sur les événements entourant le projet Sidewinder. Il n'y a en outre aucun indice qu'on ait détruit ou modifié de quelque manière des renseignements bruts qui étaient conservés dans les dossiers du Service et sur lesquels les analystes de Sidewinder se sont fondés, entre autres, pour rédiger leur premier rapport.
[129] En ce qui concerne la première ébauche du projet, le CSARS a écrit ceci :
[traduction] Selon la GRC, un « comité mixte » des deux organismes devra étudier le document le 9 juin 1997. Le Service effectuera toutefois au préalable son propre examen interne, mettant ensuite le rapport en veilleuse parce que, d'après le directeur général de l'EAP, les conclusions « reposent sur des insinuations et ne sont pas corroborées par les faits » . La GRC s'opposera à voir écarter la procédure du comité mixte et incitera les analystes et auteurs de la première ébauche à préparer un cahier exposant des faits capables d'appuyer les affirmations énoncées dans le rapport. Les travaux relatifs au projet Sidewinder sont suspendus pendant que le Service et la GRC poursuivent leurs discussions sur l'avenir du projet.
[...]
Le Comité estime que le Service avait bien évalué la première ébauche et avait pris des mesures appropriées pour rehausser la qualité de ses futurs travaux de collaboration avec la GRC au projet Sidewinder. À son avis, ces deux actions étaient compatibles avec la responsabilité du SCRS : évaluer avec rigueur et professionnalisme les menaces pour le Canada et pour ses habitants et donner au gouvernement des conseils objectifs fondés sur ces évaluations. La première ébauche du rapport Sidewinder, dans sa version de mai 1997, ne respectait pas ces normes.
[130] Dans le dernier rapport du CSARS produit en preuve par M. Harkat, le CSARS rend compte de son examen de l'enquête menée par le SCRS sur la menace posée par Ahmed Ressam dans le contexte de l'extrémisme sunnite. Voici ce que le CSARS écrivait à cet égard :
[traduction] Après avoir examiné l'ensemble des documents pertinents, le Comité a conclu que le Service n'avait en main aucune information précise présageant les attentats terroristes ourdis par Ressam. À son avis, les mesures prises par le SCRS pour repérer Ressam en 1999 étaient adéquates, compte tenu de l'information qu'il possédait alors. Le CSARS n'a trouvé aucun élément prouvant que c'est un manque de vigilance de la part du Service qui aurait permis à Ressam d'échapper à la surveillance après son retour en 1999.
[...]
Le Comité a constaté que les activités d'enquête du Service à la suite de l'arrestation de Ressam étaient adéquates et proportionnelles à la menace. Le SCRS s'était conformé aux exigences de la loi, aux instructions ministérielles et aux politiques. Tous les renseignements recueillis étaient strictement nécessaires à l'enquête sur une menace imminente à la sécurité du Canada.
[131] Ce que M. Harkat a déposé devant la Cour ce sont des extraits du rapport du CSARS. J'ai examiné ces rapports dans leur intégralité compte tenu de la compétence que confèrent à la Cour les alinéas 78c) et j) de la Loi et l'importance que la question de la compétence du Service revêt à la fois pour M. Harkat et pour la sécurité du Canada.
[132] Relevons que, dans son rapport de 1999-2000, le CSARS évoque la perte de documents du SCRS qui avaient disparu d'un véhicule. (L'incident avait été rapporté par le Globe and Mail dans des articles de M. Metrovica, produits en preuve par M. Harkat à titre de pièces 19 et 22). À la page 10 de son rapport, le CSARS écrivait ceci :
[traduction] Comme on l'a vu plus haut, plusieurs autres employés ont été mêlés à l'incident, quoique indirectement. Même si l'enquête interne du Service a montré que la plupart des allégations médiatiques de dérogation aux procédures n'étaient pas fondées, l'incident révèle, selon le CSARS, que le contrôle exercé par le SCRS sur les documents emportés par les agents hors de ses locaux n'était pas assez rigoureux. Depuis, le Service a pris les mesures nécessaires pour corriger ces points faibles.
[...]
Le Service a mené avec compétence et professionnalisme sa propre enquête sur l'affaire des « documents perdus » , ce qui lui a finalement permis de comprendre comment ses documents classifiés avaient été égarés. Le personnel de la Direction de la sécurité interne a su bien diriger et coordonner l'examen des nombreuses questions soulevées par l'incident. L'Administration centrale du SCRS a donné des directives claires au bureau régional de Toronto, qui a pour sa part réussi à obtenir la coopération fort précieuse des services de police locaux-ce qui était crucial pour déterminer le sort probable des documents. Enfin, les politiques et lignes de conduite applicables à la compilation et à l'évaluation des conséquences par les divers organes opérationnels se sont avérées efficaces.
[133] Dans son rapport pour l'année 2002-2003, le CSARS « a choisi d'examiner en profondeur une série complexe d'enquêtes connexes que deux bureaux régionaux distincts du SCRS avaient dirigées sur l'extrémisme sunnite pendant la période d'avril 2001 à mars 2002 » . Le comité est parvenu aux conclusions suivantes :
Ciblage et enquêtes
Le Comité a prélevé un échantillon de cibles à examiner en détail en se fondant sur le niveau relativement élevé des activités d'enquête visant chacune d'elles. Il a constaté que, dans tous les cas, le Service avait des motifs raisonnables de soupçonner la participation des cibles à des activités menaçant la sécurité du Canada et que le niveau des enquêtes était proportionnel à la menace des activités surveillées.
Dans l'obtention des autorisations et la conduite des enquêtes, le Service s'est conformé à toutes les exigences de la loi, aux instructions ministérielles et à la politique opérationnelle. Il n'a recueilli que l'information strictement nécessaire.
Deux cas ont attiré l'attention du Comité et l'ont obligé à demander des renseignements supplémentaires au Service. Dans le premier cas, le CSARS a examiné des documents au sujet d'un événement inhabituel mettant en cause l'une des cibles sélectionnées. Les renseignements supplémentaires reçus du SCRS l'ont convaincu qu'aucun acte répréhensible de celui-ci n'avait contribué à l'événement et qu'aucun employé du Service n'avait dérogé à la politique opérationnelle.
Le deuxième cas a trait à une erreur que le Service a commise, puis corrigée dès qu'il l'a décelée, soit une erreur sur la personne. Des circonstances atténuantes exceptionnelles ont contribué à cette erreur et le Comité est convaincu que celle-ci n'était pas délibérée. De plus, il a pu confirmer que le SCRS avait pris les mesures administratives et opérationnelles requises pour la rectifier dès qu'elle a été relevée. Le CSARS estime que les autorisations invoquées ultérieurement par le Service étaient adéquates.
[...]
Recrutement et exploitation de sources humaines
[...]
Dans toutes ces affaires, le Comité a constaté que les activités du Service étaient irréprochables et conformes à la loi et que celui-ci avait bien respecté toutes les politiques et procédures entourant le recrutement et l'exploitation de sources humaines. Sur un plan particulièrement délicat du recours à ces sources par le Service, - plan sur lequel le CSARS s'est déjà penché (voir rapport du CSARS pour 2001- 2002, page 8) - le Comité a constaté que le SCRS avait dirigé ses relations avec la source de façon irréprochable.
Le Comité a relevé certaines erreurs et omissions mineures dans la tenue des dossiers de sources humaines par un bureau régional. Même si, à son avis, ces lacunes ne sont pas typiques de la gestion du SCRS à l'égard des dossiers examinés, qui était de qualité élevée dans l'ensemble, l'importance de documenter comme il faut les opérations faisant appel à des sources humaines en général ont obligé le CSARS à porter ces erreurs administratives, même relativement mineures, à l'attention du Service.
[...]
CONCLUSIONS
Les enquêtes examinées dans cette partie chevauchent les mois qui ont précédé et suivi les événements du 11 septembre 2001. Pour le Comité, il est manifeste que les enquêtes du Service sur l'extrémisme islamique sunnite en général, et sur les cibles particulières que nous avons scrutées, étaient bien engagées avant cette date. Le SCRS avait identifié les cibles, demandé et obtenu des pouvoirs conférés par mandat et mis à l'essai des sources humaines utiles; de plus, il entretenait des échanges d'information réguliers et poussés avec les autres organismes canadiens compétents.
Les événements du 11 septembre ont sûrement amené le Service à intensifier ses propres activités et ses échanges avec d'autres organismes. La nature et l'objet de l'enquête globale n'ont cependant pas changé. Avant et après cette date, les enquêtes du SCRS dans les deux régions semblent avoir été minutieuses, bien dirigées et documentées comme il se doit, aux yeux du Comité. Les règles et procédures visant à protéger les libertés civiles individuelles ainsi que les institutions religieuses et sociales ont été suivies scrupuleusement, dans tous les cas. Le CSARS n'a trouvé aucun élément ni information permettant de penser que le Service avait en mains des renseignements qui auraient dû l'alerter quant à l'imminence des événements du 11 septembre et, du même coup, l'amener à en informer le gouvernement.
[134] Je n'ai pas énuméré chacune des pièces produites par M. Harkat au sujet du SCRS, mais je les ai toutes lues attentivement. J'ai également, comme il m'avait demandé de le faire, admis en preuve et lu dans son intégralité le rapport du CSARS sur le rôle du SCRS dans l'affaire Maher Arar. D'une manière générale, ces documents concernent la capacité du service à obtenir et à analyser les renseignements touchant les menaces pesant sur la sécurité du Canada (autre que dans les domaines de la criminalité transnationale et de l'espionnage économique, deux domaines n'ayant rien à voir avec le dossier de M. Harkat). J'accorde davantage de poids aux rapports du CSARS étant donné que leurs auteurs ont accès à toutes les informations pertinentes, y compris les renseignements « très secrets » , et que le rapport du CSARS paraît plus objectif que ce que rapportent les médias. Le CSARS prend soin de noter (à la page 3 de son rapport pour 2002-2003), que les conclusions auxquelles il parvient dans le cadre d'un examen ne doivent pas être considérées comme portant un jugement sur l'ensemble des opérations menées par le Service. Si le CSARS relève effectivement des points sur lesquels le Service pourrait améliorer son action, dans les rapports cités par M. Harkat, le Comité ne reproche aucunement au Service son incompétence ou son manque d'efficacité et je ne trouve, dans la preuve, aucun élément permettant d'affirmer le contraire. Cela ne veut bien sûr pas dire que des erreurs n'ont pas été commises ou qu'il n'y en aura pas à l'avenir.
[135] Malgré les critiques formulées à l'encontre du SCRS par M. Marchessault ainsi que par les médias dans les articles versés au dossier par M. Harkat, j'estime, m'étant informée de la fiabilité des renseignements confidentiels auprès d'un représentant du Service, que les contrôles internes mis en place au SCRS me permettent dans l'ensemble de me fier aux informations figurant dans les renseignements confidentiels. Ces renseignements confidentiels proviennent de sources diverses. Une partie importante des renseignements les plus pertinents se recoupent. Ces renseignements se suffisent à eux-mêmes. Je n'ai pas vraiment éprouvé le besoin de m'en remettre à l'évaluation qu'en a faite le SCRS.
(iv) Le rôle de Theresa Sullivan dans l'enquête du SCRS
[136] Selon le témoignage de M. Cretes, M. Harkat a un jour rencontré une agente du SCRS qui s'est présentée comme étant Theresa Sullivan. Mme Sullivan a déposé un grief après que le SCRS l'eut congédiée en raison de la révocation de son habilitation aux informations classées très secret. La décision à laquelle la CRTFP est parvenue dans cette affaire figure au dossier. Selon les preuves présentées au CRTFP, Mme Sullivan avait été en contact avec une personne ayant attiré l'attention du Service et celui-ci lui a demandé de couper tout contact avec la personne en question. Mme Sullivan, cependant, contrairement aux instructions qui lui étaient données, a maintenu ce contact. Mme Sullivan s'est expliquée sur ce point en déclarant qu'après la rupture de son mariage, elle s'était éprise de la personne en question. Elle a déclaré qu'en 1998 et en 1999 elle traversait une période de crise dans sa vie privée et qu'elle avait en raison de cela manqué de discernement. La CRTFP a estimé que le SCRS avait de bonnes raisons de révoquer l'autorisation de sécurité de Mme Sullivan.
[137] M. Harkat invoque ces faits pour faire valoir que si les renseignements confidentiels contiennent des [traduction] « documents ou rapports émanant [de Mme Sullivan], ou des rapports dans lesquels celle-ci rend compte de ce que des informateurs auraient pu lui dire » , la Cour devrait [traduction] « se méfier encore plus de ce qu'elle a pu déclarer dans le cadre de sa déposition » .
[138] Je reconnais que le comportement de Mme Sullivan, ainsi que ce qu'elle a déclaré à la CRTFP au sujet de son manque de discernement exige de la Cour qu'elle examine très attentivement les renseignements provenant de Mme Sullivan.
[139] C'est ainsi que, le 20 décembre 2004, j'ai recueilli la déposition d'un représentant du Service, que j'ai interrogé concernant : le rôle joué par Mme Sullivan dans l'enquête que le Service a menée sur M. Harkat; le type de supervision dont elle bénéficiait; l'examen mené par le SCRS en raison des difficultés qu'elle avait éprouvées dans son travail; dans quelle mesure les renseignements obtenus par Mme Sullivan avaient pu être recoupés; l'identité de la personne qui avait attiré l'attention du Service et avec qui Mme Sullivan avait maintenu le contact; la date à laquelle Mme Sullivan a cessé de participer à l'enquête Harkat4.
[140] La déposition que j'ai recueillie m'a convaincue que les difficultés éprouvées par Mme Sullivan n'avaient pas compromis les renseignements confidentiels transmis à la Cour.
[141] J'ajoute que même en laissant entièrement de côté les renseignements confidentiels figurant dans des rapports qui ont pu être rédigés par Mme Sullivan, le dossier comprend suffisamment d'informations pour justifier ma conclusion quant au caractère raisonnable du certificat5.
(v) Conclusions au vu des éléments de preuve
[142] Lors des séances à huis clos tenues hors de la présence de M. Harkat et de son avocat, j'ai recueilli des témoignages, posé des questions et reçu des réponses quant à la fiabilité des renseignements confidentiels que j'estime pertinents en l'espèce. J'ai pu vérifier si les renseignements étaient recoupés par des informations provenant d'une ou de plusieurs sources indépendantes. J'ai évalué les éléments de preuve ainsi fournis et les observations présentées au nom de M. Harkat, y compris celles qui ont trait à la compétence du SCRS. À cet égard, j'ai considéré la possibilité de retenir les autres explications avancées au nom de M. Harkat. M. Harkat, par exemple, est-il victime d'un complot? L'a-t-on calomnié? A-t-il fait l'objet d'une erreur d'identité? Existe-t-il un autre Abu Muslima? J'ai demandé au Service s'il n'avait pas eu connaissance de renseignements disculpatoires.
[143] L'examen de l'ensemble des éléments fournis à la Cour démontre de manière objective et au vu de preuves qui me paraissent crédibles, qu'il y a des motifs raisonnables de croire que :
1. Avant d'arriver au Canada, M. Harkat s'est livré au terrorisme en soutenant des activités terroristes6.
2. M. Harkat s'est rendu en Afghanistan, et y a séjourné7.
3. M. Harkat a soutenu des activités terroristes en tant que membre d'un groupe terroriste connu sous le nom de Réseau ben Laden. Avant et après son arrivée au Canada, M. Harkat a été lié à des personnes dont on pense qu'elles font partie de ce réseau8.
4. Le Réseau ben Laden se livre à des actes de terrorisme conformes à son objectif déclaré qui est de mettre en place des États islamiques fondés sur une interprétation fondamentaliste de loi islamique. Le Réseau ben Laden a été de manière directe ou indirecte lié à des actions terroristes dans plusieurs pays. (Je fais remarquer, entre parenthèses, que M. Harkat n'a nullement contesté le fait que le Réseau ben Laden, comme l'affirment les ministres, est une organisation qui s'est livrée ou qui se livrera au terrorisme.)
5. Le Réseau ben Laden avait installé, en Afghanistan et au Pakistan, des camps d'entraînement et des lieux d'hébergement pour terroristes. Ces camps assuraient le logement et le financement des terroristes et dispensaient une formation à la lutte armée et aux techniques de contre-espionnage. En Afghanistan, Abu Zubaida était chargé des camps d'entraînement de Khaldun et de Darunta.
6. M. Harkat reconnaît avoir été un partisan du FIS. Lorsque le FIS s'est séparé du GIA, M. Harkat a fait savoir que sa loyauté était acquise au GIA. Le GIA entend établir en Algérie par la violence terroriste un État islamiste. Le soutien accordé par M. Harkat au GIA s'inscrit dans une logique de soutien à la violence terroriste9.
7. M. Harkat a menti aux autorités canadiennes au sujet de10 :
- son travail, au Pakistan, auprès d'un organisme de secours;
- son séjour en Afghanistan;
- ses liens avec des personnes qui soutiennent des réseaux extrémistes internationaux;
- son utilisation d'un nom d'emprunt, en l'occurrence Abu Muslima; et
- son aide aux extrémistes islamiques.
J'en conclus que s'il a menti c'était, du moins en partie, afin de se distancier des personnes soutenant le terrorisme et de dissimuler aux autorités canadiennes le rôle qu'il avait joué dans ce soutien à des activités terroristes.
8. M. Harkat a aidé des extrémistes islamiques arrivés au Canada 11.
9. M. Harkat est lié à Abu Zubaida depuis le début des années 199012. Entre 1990 et la date de son arrestation, Abu Zubaida était l'un des principaux adjoints d'Oussama ben Laden.
10. Au Canada, M. Harkat a été en contact avec des militants islamistes13.
[144] En tant que personne visée par les alinéas 34(1)c) et 34(1)f) de la Loi, M. Harkat est donc interdit de territoire au Canada car il y a des motifs raisonnables de croire que :
(i) M. Harkat s'est livré au terrorisme en soutenant des activités terroristes; et
(ii) M. Harkat était ou est encore membre du Réseau ben Laden, organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle a été ou sera l'auteur d'actes de terrorisme.
Les ministres ont-ils manqué à l'obligation qui leur incombe aux termes de l'arrêt de la Cour suprême Ruby c. Canada (Solliciteur général)?
[145] Dans l'arrêt Re Charkaoui, précité, la Cour d'appel fédérale rappelle, aux paragraphes 79 et 153, que les ministres et les avocats qui comparaissent en leur nom sont tenus d'exposer de manière complète, franche et impartiale tous les faits pertinents, y compris les renseignements qui permettraient de disculper la personne visée par un certificat de sécurité. Le juge en chef Richard a souligné l'importance de ce principe, rappelant qu'il s'agit d' « un principe de justice fondamentale » .
[146] M. Harkat affirme en l'espèce que les ministres ont doublement manqué au respect de cette obligation et il demande à la Cour de rechercher si cette obligation n'aurait pas été violée à d'autres égards. Aux paragraphes 30 à 34 des motifs rejetant la requête de M. Harkat sollicitant la nomination d'un amicus curiae (voir : Harkat (Re), [2004] A.C.F. no 2101), j'ai écarté l'argument avancé par M. Harkat qui faisait valoir que les ministres n'avaient pas divulgué de manière intégrale la situation politique ayant cours en Algérie et avaient, à tort, affirmé que les faux passeports saoudiens étaient des passeports de prédilection uniquement pour les extrémistes islamiques.
[147] Lors de mon examen des renseignements confidentiels, je me suis toujours assurée que les affirmations figurant dans la partie narrative du rapport de renseignement de sécurité se fondaient sur des faits. Les affirmations qui, dans le résumé, concernaient des choses telles que le « moyen et itinéraire employés pour se rendre au Canada » et le « recours à des techniques de sécurité » sont plus détaillées dans le rapport complet et se fondent sur des faits.
[148] Je considère que les ministres et les avocats comparaissant en leur nom n'ont aucunement manqué à l'obligation d'exposer les faits de manière complète, franche et impartiale.
CONCLUSION
[149] Pour ces motifs, la Cour conclura par ordonnance au caractère raisonnable du certificat de sécurité.
[150] Je termine en notant qu'au paragraphe 12 de ces motifs, j'ai évoqué les retards accumulés par M. Harkat entre juillet 2003 et juin 2004. M. Copeland, le présent avocat de M. Harkat, a repris le dossier le 22 juin 2004 environ lorsqu'il a comparu au nom de M. Harkat devant la Cour d'appel fédérale. Entre sa prise en charge de l'affaire et le 25 octobre 2004, date de reprise des audiences, M. Copeland a représenté M. Harkat avec talent et énergie. Il était prêt à procéder dans les quatre mois suivant son entrée dans ce dossier. En assurant avec diligence et savoir-faire la représentation de M. Harkat, M. Copeland a montré qu'il n'est assurément pas nécessaire de voir une telle affaire traîner en longueur.
« Eleanor R. Dawson »
Juge
Toronto (Ontario)
Le 22 mars 2005
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.
ANNEXE
Les articles 33, 34 et 76 à 81 de la Loi :
33. Les faits - actes ou omissions - mentionnés aux articles 34 à 37 sont, sauf disposition contraire, appréciés sur la base de motifs raisonnables de croire qu'ils sont survenus, surviennent ou peuvent survenir.
34. (1) Emportent interdiction de territoire pour raison de sécurité les faits suivants_: a) être l'auteur d'actes d'espionnage ou se livrer à la subversion contre toute institution démocratique, au sens où cette expression s'entend au Canada; b) être l'instigateur ou l'auteur d'actes visant au renversement d'un gouvernement par la force; c) se livrer au terrorisme; d) constituer un danger pour la sécurité du Canada; e) être l'auteur de tout acte de violence susceptible de mettre en danger la vie ou la sécurité d'autrui au Canada; f) être membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'un acte visé aux alinéas a), b) ou c). 34(2) Ces faits n'emportent pas interdiction de territoire pour le résident permanent ou l'étranger qui convainc le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l'intérêt national.
[...]
76. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente section. 76 « _juge_ » "judge" « _juge_ » Le juge en chef de la Cour fédérale ou le juge de cette juridiction désigné par celui-ci. 76 « _renseignements_ » "information" « _renseignements_ » Les renseignements en matière de sécurité ou de criminalité et ceux obtenus, sous le sceau du secret, de source canadienne ou du gouvernement d'un État étranger, d'une organisation internationale mise sur pied par des États ou de l'un de leurs organismes.
77(1) Le ministre et le solliciteur général du Canada déposent à la Cour fédérale le certificat attestant qu'un résident permanent ou qu'un étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée pour qu'il en soit disposé au titre de l'article 80. 77(2) Il ne peut être procédé à aucune instance visant le résident permanent ou l'étranger au titre de la présente loi tant qu'il n'a pas été statué sur le certificat; n'est pas visée la demande de protection prévue au paragraphe 112(1).
78. Les règles suivantes s'appliquent à l'affaire_:
a) le juge entend l'affaire; b) le juge est tenu de garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve qui pourraient lui être communiqués et dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui; c) il procède, dans la mesure où les circonstances et les considérations d'équité et de justice naturelle le permettent, sans formalisme et selon la procédure expéditive; d) il examine, dans les sept jours suivant le dépôt du certificat et à huis clos, les renseignements et autres éléments de preuve;
e) à chaque demande d'un ministre, il examine, en l'absence du résident permanent ou de l'étranger et de son conseil, tout ou partie des renseignements ou autres éléments de preuve dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;
f) ces renseignements ou éléments de preuve doivent être remis aux ministres et ne peuvent servir de fondement à l'affaire soit si le juge décide qu'ils ne sont pas pertinents ou, l'étant, devraient faire partie du résumé, soit en cas de retrait de la demande;
g) si le juge décide qu'ils sont pertinents, mais que leur divulgation porterait atteinte à la sécurité nationale ou à celle d'autrui, ils ne peuvent faire partie du résumé, mais peuvent servir de fondement à l'affaire;
h) le juge fournit au résident permanent ou à l'étranger, afin de lui permettre d'être suffisamment informé des circonstances ayant donné lieu au certificat, un résumé de la preuve ne comportant aucun élément dont la divulgation porterait atteinte, selon lui, à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui;
i) il donne au résident permanent ou à l'étranger la possibilité d'être entendu sur l'interdiction de territoire le visant; j) il peut recevoir et admettre en preuve tout élément qu'il estime utile - même inadmissible en justice - et peut fonder sa décision sur celui-ci.
79. (1) Le juge suspend l'affaire, à la demande du résident permanent, de l'étranger ou du ministre, pour permettre à ce dernier de disposer d'une demande de protection visée au paragraphe 112(1).
79(2) Le ministre notifie sa décision sur la demande de protection au résident permanent ou à l'étranger et au juge, lequel reprend l'affaire et contrôle la légalité de la décision, compte tenu des motifs visés au paragraphe 18.1(4) de la Loi sur les Cours fédérales.
80(1) Le juge décide du caractère raisonnable du certificat et, le cas échéant, de la légalité de la décision du ministre, compte tenu des renseignements et autres éléments de preuve dont il dispose. 80(2) Il annule le certificat dont il ne peut conclure qu'il est raisonnable; si l'annulation ne vise que la décision du ministre il suspend l'affaire pour permettre au ministre de statuer sur celle-ci.
80(3) La décision du juge est définitive et n'est pas susceptible d'appel ou de contrôle judiciaire.
81. Le certificat jugé raisonnable fait foi de l'interdiction de territoire et constitue une mesure de renvoi en vigueur et sans appel, sans qu'il soit nécessaire de procéder au contrôle ou à l'enquête; la personne visée ne peut dès lors demander la protection au titre du paragraphe 112(1). |
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33. The facts that constitute inadmissibility under sections 34 to 37 include facts arising from omissions and, unless otherwise provided, include facts for which there are reasonable grounds to believe that they have occurred, are occurring or may occur.
34. (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible on security grounds for (a) engaging in an act of espionage or an act of subversion against a democratic government, institution or process as they are understood in Canada; (b) engaging in or instigating the subversion by force of any government; (c) engaging in terrorism; (d) being a danger to the security of Canada; (e) engaging in acts of violence that would or might endanger the lives or safety of persons in Canada; or (f) being a member of an organization that there are reasonable grounds to believe engages, has engaged or will engage in acts referred to in paragraph (a), (b) or (c).
34(2) The matters referred to in subsection (1) do not constitute inadmissibility in respect of a permanent resident or a foreign national who satisfies the Minister that their presence in Canada would not be detrimental to the national interest.
[...]
76. The definitions in this section apply in this Division. 76 "information" « renseignements » "information" means security or criminal intelligence information and information that is obtained in confidence from a source in Canada, from the government of a foreign state, from an international organization of states or from an institution of either of them. 76 "judge" « juge » "judge" means the Chief Justice of the Federal Court or a judge of that Court designated by the Chief Justice.
77(1) The Minister and the Solicitor General of Canada shall sign a certificate stating that a permanent resident or a foreign national is inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality and refer it to the Federal Court, which shall make a determination under section 80. 77(2) When the certificate is referred, a proceeding under this Act respecting the person named in the certificate, other than an application under subsection 112(1), may not be commenced and, if commenced, must be adjourned, until the judge makes the determination.
78. The following provisions govern the determination: (a) the judge shall hear the matter; (b) the judge shall ensure the confidentiality of the information on which the certificate is based and of any other evidence that may be provided to the judge if, in the opinion of the judge, its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person; (c) the judge shall deal with all matters as informally and expeditiously as the circumstances and considerations of fairness and natural justice permit; (d) the judge shall examine the information and any other evidence in private within seven days after the referral of the certificate for determination; (e) on each request of the Minister or the Solicitor General of Canada made at any time during the proceedings, the judge shall hear all or part of the information or evidence in the absence of the permanent resident or the foreign national named in the certificate and their counsel if, in the opinion of the judge, its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person; (f) the information or evidence described in paragraph (e) shall be returned to the Minister and the Solicitor General of Canada and shall not be considered by the judge in deciding whether the certificate is reasonable if either the matter is withdrawn or if the judge determines that the information or evidence is not relevant or, if it is relevant, that it should be part of the summary; (g) the information or evidence described in paragraph (e) shall not be included in the summary but may be considered by the judge in deciding whether the certificate is reasonable if the judge determines that the information or evidence is relevant but that its disclosure would be injurious to national security or to the safety of any person; (h) the judge shall provide the permanent resident or the foreign national with a summary of the information or evidence that enables them to be reasonably informed of the circumstances giving rise to the certificate, but that does not include anything that in the opinion of the judge would be injurious to national security or to the safety of any person if disclosed; (i) the judge shall provide the permanent resident or the foreign national with an opportunity to be heard regarding their inadmissibility; and (j) the judge may receive into evidence anything that, in the opinion of the judge, is appropriate, even if it is inadmissible in a court of law, and may base the decision on that evidence.
79. (1) On the request of the Minister, the permanent resident or the foreign national, a judge shall suspend a proceeding with respect to a certificate in order for the Minister to decide an application for protection made under subsection 112(1). 79(2) If a proceeding is suspended under subsection (1) and the application for protection is decided, the Minister shall give notice of the decision to the permanent resident or the foreign national and to the judge, the judge shall resume the proceeding and the judge shall review the lawfulness of the decision of the Minister, taking into account the grounds referred to in subsection 18.1(4) of the Federal Courts Act.
80(1) The judge shall, on the basis of the information and evidence available, determine whether the certificate is reasonable and whether the decision on the application for protection, if any, is lawfully made. 80(2) The judge shall quash a certificate if the judge is of the opinion that it is not reasonable. If the judge does not quash the certificate but determines that the decision on the application for protection is not lawfully made, the judge shall quash the decision and suspend the proceeding to allow the Minister to make a decision on the application for protection. 80(3) The determination of the judge is final and may not be appealed or judicially reviewed.
81. If a certificate is determined to be reasonable under subsection 80(1), (a) it is conclusive proof that the permanent resident or the foreign national named in it is inadmissible; (b) it is a removal order that may not be appealed against and that is in force without the necessity of holding or continuing an examination or an admissibility hearing; and (c) the person named in it may not apply for protection under subsection 112(1).
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : DES-4-02
INTITULÉ :
AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du
paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la
protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);
ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du
Canada en vertu du paragraphe 77(1) et des
articles 78 et 80 de la Loi;
ET Mohamed HARKAT
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATES DES AUDIENCES : Les 21, 23 et 25 juillet 2003,
25, 26, 27 et 28 octobre, 6, 7, 8 et 9 décembre 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
DATE DES MOTIFS : Le 22 mars 2005
COMPARUTIONS :
Paul Copeland Avocats de Mohamed Harkat
Matthew Webber
James Mathieson Avocats comparaissant au nom des ministres
Michael W. Dale
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
John H. Sims, c.r. POUR LES MINISTRES
Sous-procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
Copeland, Duncan POUR MOHAMED HARKAT
Avocats
31, avenue Prince Arthur
Toronto (Ontario)
Date : 20050322
Dossier : DES-4-02
Toronto (Ontario), le 22 mars 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON
DEVANT LA COUR :
AFFAIRE INTÉRESSANT un certificat signé en vertu du
paragraphe 77(1) de la Loi sur l'immigration et la
protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi);
ET le dépôt de ce certificat à la Cour fédérale du
Canada en vertu du paragraphe 77(1) et des
articles 78 et 80 de la Loi;
ET Mohamed HARKAT
ORDONNANCE
Le certificat concernant Mohamed Harkat, signé par le Solliciteur général du Canada et le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, et déposé à la Cour le 10 décembre 2002 en application de l'article 77 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, est jugé raisonnable.
« Eleanor R. Dawson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christiane Bélanger, LL.L.