Date : 20030424
Dossier : T-1305-01
Ottawa (Ontario), le jeudi 24 avril 2003
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE GIBSON
ENTRE :
PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE RESSOURCES LIMITÉE
demanderesse
et
ROBERT D. NAULT, EN SA QUALITÉ DE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES
ET DU NORD, SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le
DIRECTEUR EXÉCUTIF DU SECTEUR PÉTROLE ET GAZ DES INDIENS DU
CANADA, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
LA PREMIÈRE NATION ERMINESKIN, LA PREMIÈRE NATION LOUIS BULL,
LA PREMIÈRE NATION MONTANA et LA PREMIÈRE NATION CRIE SAMSON
défendeurs
ORDONNANCE
Vu cette demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de Robert D. Nault, en sa qualité de ministre des Affaires indiennes et du Nord, décision dont la teneur se trouve dans une lettre datée du 13 juin 2001, adressée par le ministre à M. K.C. Williams, président de Pétrolière Impériale Ressources Limitée et renfermant les mots suivants :
Après plus ample examen, j'ai décidé de faire, encore une fois, une révision en règle de la décision du directeur exécutif,
ladite décision est annulée parce que, lorsqu'il a pris cette décision, le ministre était dessaisi du dossier.
La demanderesse a droit à ses dépens à l'encontre du ministre, qui seront taxés selon le barème ordinaire, à défaut d'entente préalable.
La Première nation Louis Bull et la Première nation Montana ont droit à un seul ensemble de dépens, à l'encontre du ministre, qui seront taxés selon le barème ordinaire, à défaut d'entente préalable.
La Première nation crie Samson a droit a ses dépens, à l'encontre du ministre, qui seront taxés selon le barème ordinaire, à défaut d'une entente préalable.
Il n'est pas adjugé de dépens en faveur ou à l'encontre de la Première nation Ermineskin.
« Frederick E. Gibson »
Juge
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
Date : 20030424
Dossier : T-1305-01
Référence neutre : 2003 CFPI 478
ENTRE :
PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE RESSOURCES LIMITÉE
demanderesse
et
ROBERT D. NAULT, EN SA QUALITÉ DE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES
ET DU NORD, SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par le
DIRECTEUR EXÉCUTIF DU SECTEUR PÉTROLE ET GAZ DES INDIENS DU
CANADA, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
LA PREMIÈRE NATION ERMINESKIN, LA PREMIÈRE NATION LOUIS BULL,
LA PREMIÈRE NATION MONTANA et LA PREMIÈRE NATION CRIE SAMSON
défendeurs
INTRODUCTION
[1] Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire introduite contre une décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord datée du 13 juin 2001 et portant la mention suivante :
[Traduction] Par ordonnance de la Cour d'appel fédérale datée du 15 janvier 1998 et confirmée le 14 décembre 1999 par la Section d'appel de cette Cour, une partie de la décision du ministre Ron Irwin en date du 25 novembre 1996 a été annulée. La partie annulée de la décision concernait une demande présentée par Pétrolière Impériale Ressources Limitée (PIRL) (lettre datée du 14 février 1995) pour que le ministre réexamine la confirmation du directeur exécutif du secteur Pétrole et Gaz des Indiens du Canada (le secteur PGIC) (lettre datée du 16 décembre 1994) selon laquelle le secteur PGIC procéderait, pour la réserve indienne n ° 138A du lac Pigeon, à une vérification des registres des prix des produits antérieurs à 1986.
Veuillez ignorer ma lettre du 3 mai 2000 dans cette affaire. Après plus ample examen, j'ai décidé de faire, encore une fois, une révision en règle de la décision du directeur exécutif. Les quatre Premières nations sont invitées à me présenter des observations dans cette affaire. Mon bureau communiquera avec l'avocat-conseil de PIRL sur les questions de procédure[1].
[2] La décision du directeur exécutif (le secteur PGIC) mentionnée dans l'extrait précédent figure dans une lettre datée du 16 décembre 1994 adressée par le secteur PGIC à PIRL, et elle est reproduite dans les paragraphes suivants :
[Traduction] Pétrolière Impériale Ressources Limitée (Impériale) est par les présentes informée que le secteur Pétrole et Gaz des Indiens du Canada (le secteur PGIC) entend effectivement vérifier les prix des produits de Bonnie Glen antérieurs à 1986, ainsi que le mentionnaient nos lettres du 14 novembre 1994 et du 2 décembre 1994.
Les prix des produits de Bonnie Glen antérieurs à 1986 n'ont pas été vérifiés dans le passé par le secteur PGIC. Les conclusions de la vérification de la période allant de 1986 à 1988 montrent que des prix inexacts ont été appliqués pour le propane, le butane et le soufre tout au long de cette période. PIRL a reconnu que ces produits étaient tarifés d'une manière inexacte et a présenté des redevances corrigées, non seulement pour la période visée par la vérification, mais également pour une certaine période par la suite; janvier 1986 à février 1992 pour ce qui est du propane et du butane, et janvier 1986 à décembre 1989 pour ce qui est du soufre. Le secteur PGIC a demandé, mais n'a pas reçu, les assurances de PIRL selon lesquelles la tarification systématiquement inexacte de ces produits n'a pas eu lieu avant 1986. Par conséquent, une vérification des prix des produits sera entreprise pour l'année 1985 et les années antérieures, jusqu'à ce que le secteur PGIC soit convaincu d'être arrivé à une date avant laquelle les redevances payées étaient exactes[2].
[3] Dans les présents motifs, Robert D. Nault, en sa qualité de ministre des Affaires indiennes et du Nord, sera appelé le « ministre » . Le directeur exécutif du secteur Pétrole et Gaz des Indiens du Canada sera appelé le « secteur PGIC » . Pétrolière Impériale Ressources Limitée sera appelée la « demanderesse » .
[4] Dans l'exposé des faits et du droit produit au nom de la demanderesse, le sommaire suivant apparaît, sous la rubrique « ORDONNANCE DEMANDÉE » :
[Traduction] ... le ministre des Affaires indiennes n'a pas le pouvoir de réviser de nouveau la décision du directeur exécutif. De plus, il n'y a aucune raison de procéder à une nouvelle révision de la décision du directeur exécutif. Il est tout à fait injuste pour le ministre d'engager un processus de révision dans un cas où les questions ont déjà été résolues, mais où les droits fonciers et contractuels de PIRL pourraient de nouveau être lésés. PIRL demande donc à la Cour de rendre une ordonnance renfermant ce qui suit :
a) une ordonnance interdisant au ministre Nault de procéder de nouveau à une révision en règle de la décision du directeur exécutif;
b) une ordonnance annulant la décision du ministre Nault du 13 juin 2001 de procéder de nouveau à une révision en règle de la décision du directeur exécutif; et
c) les dépens de la présente demande[3].
LES FAITS
[5] Ce n'est pas la première fois que la Cour est amenée à considérer le contexte de cette demande de contrôle judiciaire. La décision susmentionnée du secteur PGIC avait été l'objet d'une révision de la part du ministre de l'époque. Le ministre avait rendu une décision à la suite de cette révision. Cette décision avait été contestée dans une demande de contrôle judiciaire introduite devant la Cour. Dans ses motifs exposés à la suite de cette demande de contrôle judiciaire, le juge Rothstein, à l'époque juge de la Section de première instance de la Cour, avait décrit dans les termes suivants le contexte de la demande dont il était saisi :
... Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision du ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien (le ministre), en date du 25 novembre 1996, prise aux termes du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, DORS/94-753. Le ministre a pris cette décision après qu'une demande lui eut été adressée par la requérante, Pétrolière Impériale Ressources Ltée (PIRL), en vue de réviser les décisions antérieures du directeur exécutif, Pétrole et Gaz des Indiens du Canada (PGIC). ...
La question en litige porte sur des redevances relatives aux dérivés du gaz naturel extrait de certaines terres à Bonnie Glen (Alberta), ou à proximité, sur la Réserve indienne de Pigeon Lake n ° 138A et que la requérante doit payer à Sa Majesté du chef du Canada en tant que fiduciaire des bandes indiennes Samson, Ermineskin, Louis Bull et Montana. La période pertinente s'échelonne du 1er août 1979 au 31 décembre 1985. Au cours de cette période, Texaco Canada Resources Limited (TCRL), prédécesseur en titre de la requérante, louait et exploitait l'usine de production de gaz de Bonnie Glen. TCRL vendait à la sortie de l'usine de Bonnie Glen des dérivés du gaz à une de ses sociétés affiliées, Texaco Canada Incorporated (TCI). En vertu d'une entente entre TCRL et TCI, TCI s'engageait à faire la mise en marché des dérivés du gaz qu'elle achetait de TCRL et à lui payer quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente en aval, net à la sortie de l'usine de Bonnie Glen (c'est-à-dire après déduction des frais de transport et autres engagés au-delà de ce point)... Le paiement de quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente net de TCI tenait compte d'une déduction de cinq pour cent faite par TCI, au titre des frais de commercialisation, sur le prix de vente final. Les redevances étaient calculées sur le prix à la sortie de l'usine, c'est-à-dire sur quatre-vingt-quinze pour cent du prix de vente de TCI, net à la sortie de l'usine.
De l'avis du directeur exécutif de PGIC, les frais de commercialisation de cinq pour cent n'auraient pas dû être déduits avant le calcul des redevances. Par conséquent, il a été décidé d'effectuer une vérification officielle des prix des dérivés du gaz avant le 1er janvier 1986. C'est cette décision qui est à l'origine de l'appel interjeté par la requérante auprès du ministre.
Le ministre a conclu que le directeur exécutif du PGIC avait le droit d'examiner, y compris celui de vérifier, les dossiers de TCRL et de TCI antérieurs à 1986. Le ministre a également statué que les frais de commercialisation de cinq pour cent avaient été déduits à tort et que la déduction devait être totalement éliminée. Les parties pertinentes de la décision du ministre sont les suivantes :
[Traduction] La deuxième révision demandée concernait la décision prise par le directeur exécutif en 1994 de vérifier les prix des dérivés avant 1986. Je conclus que PGIC avait le droit d'examiner, y compris de vérifier, les dossiers de la Pétrolière Impériale et de ses sociétés affiliées, y compris les dossiers de marketing et des ventes, antérieurs à 1986. La demande de la Pétrolière Impériale à cet égard est donc refusée. Dans la suite qu'il donnera à cette affaire, le directeur exécutif pourra en venir à la conclusion que, si la Pétrolière Impériale a communiqué des documents suffisants au cours de l'examen, il n'est plus nécessaire que PGIC fasse la vérification. Le directeur exécutif peut prendre toutes les autres mesures qu'il juge nécessaires pour régler cette affaire.
Dans le cadre de ma révision, j'ai également examiné la question de la déduction des frais de commercialisation. Malgré l'écoulement du temps, le dossier indique clairement que le prédécesseur de la Pétrolière Impériale a déduit à tort des frais de commercialisation de cinq pour cent sur les prix des dérivés du gaz naturel, à l'exception de l'éthane et du pentane plus, pour la période d'août 1979 à décembre 1985. La nature de mes responsabilités à l'égard des Premières nations m'oblige à demander à la Pétrolière Impériale de faire un redressement qui aura pour effet d'éliminer totalement cette déduction.
...
Le ministre a effectué sa révision en vertu du paragraphe 57(2) du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. L'article 57 dispose comme suit[4] :
... [Référence omise, l'article 57 du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes apparaît plus loin dans les présents motifs]
[6] Le juge Rothstein a statué en faveur de PIRL. Son ordonnance était ainsi rédigée :
(1) La décision en date du 25 novembre 1996 du ministre est par les présentes annulée.
(2) Sans préjudice de ce qui précède, il est déclaré, eu égard aux circonstances de la cause et pour la période qui prit fin le 31 décembre 1985 :
a) que rien ne prouve que le prix de vente réel ex-usine était inférieur à la juste valeur marchande;
b) que le Règlement n'habilite pas les défendeurs à assimiler les frais de commercialisation de la société affiliée en aval à une dépense de l'exploitant aux fins de calcul des redevances, ni à assimiler les sociétés affiliées à une seule entité;
c) qu'il n'y a dans le dossier aucune preuve qu'il y ait eu déduction irrégulière de frais de commercialisation de 5 p. 100 aux fins de calcul des redevances;
d) que le pouvoir d'examiner les dossiers d'un exploitant en application de l'alinéa 42(1)b) du Règlement ne s'entend pas du pouvoir de les vérifier; et que ce pouvoir ne s'étend pas non plus aux entreprises affiliées à l'exploitant[5].
[7] Après que la Cour d'appel eut confirmé le jugement du juge Rothstein, le ministre écrivait ce qui suit à PIRL le 3 mai 2000 :
[Traduction] Par ordonnance de la Cour fédérale du Canada datée du 15 janvier 1998 et confirmée le 14 décembre 1999 par la Section d'appel de cette Cour, une partie de la décision du ministre d'alors, M. Irwin, en date du 25 novembre 1996, est annulée. La partie annulée concernait la demande présentée le 14 février 1995 par Pétrolière Impériale Ressources Limitée (PIRL) pour que le ministre réexamine la confirmation donnée le 16 décembre 1994 par le directeur exécutif de Pétrole et Gaz des Indiens du Canada (PGIC) selon laquelle PGIC procéderait à une vérification des registres de PIRL antérieurs à 1986, en ce qui avait trait aux prix des produits de la Réserve indienne n ° 138A du lac Pigeon. Les tribunaux ont par conséquent annulé la confirmation du directeur exécutif portant sur le lancement de la vérification.
Je crois comprendre que les questions sous-jacentes, qui ont conduit à la décision de 1994 du directeur exécutif de PGIC de vérifier la Pétrolière Impériale, demeurent non résolues. Par copie de cette lettre, je demande au directeur exécutif de communiquer dès que possible avec PIRL pour résoudre les questions sous-jacentes, ainsi que la question de la vérification[6].
[8] Le même jour, le ministre écrivait à l'avocat de la Première nation crie Samson, en reprenant essentiellement la teneur de sa lettre adressée à PIRL, mais avec l'ajout suivant :
[Traduction] ... Par copie de cette lettre, je demande au directeur exécutif de communiquer dès que possible avec vous afin que des observations puissent lui être communiquées en cette matière par la Première nation crie Samson, ou en son nom[7].
[9] Le secteur PGIC a donné suite aux lettres du ministre adressées à PIRL et à l'avocat de la Première nation crie Samson. Bref, aucun progrès ne semblerait avoir été accompli[8], et aucune autre décision ne semblerait avoir été prise par le secteur PGIC.
[10] En définitive, les points litigieux entre le secteur PGIC et PIRL, aujourd'hui devant la Cour, des points qui compromettent les intérêts de la Première nation Ermineskin, de la Première nation Louis Bull, de la Première nation Montana et de la Première nation crie Samson, sont revenus devant le ministre. Il en a résulté la décision aujourd'hui contestée.
LE RÉGIME LÉGISLATIF
[11] Le secteur PGIC est une direction générale du ministère des Affaires indiennes et du Nord, qui est chargée de gérer et d'administrer la prospection, la mise en valeur et l'exploitation des réserves de pétrole et de gaz des terres indiennes. L'expression « terres indiennes » est définie dans la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes[9]. Cette définition est la suivante :
2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi. ...
« terres indiennes » Les terres réservées aux Indiens et tous droits y afférents cédés conformément à la Loi sur les Indiens, y compris les terres ou les droits fonciers visés par une concession, un bail, un permis, une licence ou tout autre acte d'aliénation visé à l'article 5. |
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2. In this Act, ...
"Indian lands" means lands reserved for the Indians, including any interests therein, surrendered in accordance with the Indian Act and includes any lands or interests in lands described in any grant, lease, permit, licence or other disposition referred to in section 5; |
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[12] Le Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes[10] a été édicté en application de la Loi sur le pétrole et le gaz des terres indiennes, et du paragraphe 19(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques[11]. Ce Règlement énonce le mandat du secteur PGIC et de son directeur exécutif.
[13] L'article 57 du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes est ainsi rédigé :
57. (1) Quiconque n'est pas satisfait d'une décision ou d'un ordre du directeur exécutif ou de toute mesure prise ou omise par lui selon le présent règlement, peut, dans les 60 jours suivant la décision, l'ordre ou la mesure ou, dans le cas d'une omission, dans les 60 jours suivant le jour où l'omission a été ou aurait dû être découverte, demander par écrit au ministre de réviser la décision, l'ordre, la mesure ou l'omission en cause. (2) Le ministre doit réviser la demande visée au paragraphe (1) et aviser le demandeur par écrit de sa décision finale. |
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57. (1) A person who is dissatisfied with a decision, direction, action or omission of the Executive Director under these Regulations may, within 60 days after the decision, direction or action or, in the case of an omission, within 60 days after the day on which the omission was discovered or ought to have been discovered, apply in writing to the Minister for a review of the decision, direction, action or omission. (2) The Minister shall review an application made pursuant to subsection (1) and advise the applicant in writing of the final decision in the matter. |
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[14] La décision initiale du secteur PGIC de vérifier les prix des produits de Bonnie Glen antérieurs à 1986, décision citée plus haut dans les présents motifs, a censément été prise sous l'autorité du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes. PIRL, mécontente de cette décision, a demandé par écrit au ministre de réviser la décision, conformément à l'article 57 du Règlement. C'est la décision prise par le ministre à la suite de cette révision qui avait été soumise au juge Rothstein et à la Cour d'appel, comme je l'ai dit plus haut dans les présents motifs.
[15] Le point en litige aujourd'hui devant la Cour concerne les mesures ou décisions du ministre, censément prises en application de l'article 57 du Règlement de 1995 sur le pétrole et le gaz des terres indiennes et découlant du même ensemble de faits, depuis la décision de la Cour d'appel fédérale.
POINT EN LITIGE
[16] Dans l'exposé des faits et du droit produit au nom de PIRL, le seul point en litige dans cette demande de contrôle judiciaire est exposé ainsi :
[Traduction] Le ministre des Affaires indiennes a-t-il le pouvoir de faire une nouvelle révision en règle de la décision du directeur exécutif de procéder à la vérification des prix des produits de PIRL antérieurs au 1er janvier 1986, alors que cette décision a déjà été révisée par son prédécesseur et qu'elle a été par la suite invalidée par contrôle judiciaire, invalidation qui fut plus tard confirmée en appel[12]?
[17] Les conclusions de PIRL sont présentées sous deux (2) rubriques, à savoir « compétence » et « dessein illicite » . Dans les propos relatifs à la « compétence » , est soulevée la question du dessaisissement. Le dessaisissement a été plaidé au nom de PIRL le premier jour de l'audition de cette demande de contrôle judiciaire, c'est-à-dire le 4 décembre 2002. Après les conclusions présentées au nom de PIRL ce jour-là, la séance fut levée afin que l'argument du dessaisissement puisse être développé davantage. L'audition de la demande de contrôle judiciaire a ensuite repris, pour prendre fin le 14 mars 2003.
[18] Je suis d'avis que l'issue de cette demande de contrôle judiciaire dépend de l'argument du dessaisissement, et non de l'argument du dessein illicite.
ANALYSE
a) Compétence et dessaisissement
[19] Le fond de l'ordonnance du juge Rothstein sur la demande antérieure de contrôle judiciaire qui avait résulté des mêmes faits ici devant la Cour est reproduit plus haut dans les présents motifs. Le juge Rothstein avait invalidé la décision ministérielle dont il était saisi, c'est-à-dire la décision datée du 25 novembre 1986. Il n'a pas renvoyé au ministre pour nouvelle décision la question qui avait été soumise au ministre. Malgré cela, je suis d'avis que, après le jugement du juge Rothstein, et la confirmation de ce jugement par la Cour d'appel fédérale, il demeurait loisible au ministre de procéder au réexamen de l'objet de la décision qui avait été invalidée.
[20] Le verbe « invalider » est ainsi défini dans The Shorter Oxford English Dictionary on Historical Principles[13] : [Traduction] « annuler, rendre nulle (une loi, une décision, une élection, etc.) : rejeter pour invalidité; mettre fin à (des procédures judiciaires). Réduire à néant; ... » . Dans le même dictionnaire, le mot « invalide » est ainsi défini : « réduit à néant... annulé » . Je suis donc d'avis que l'effet de l'ordonnance du juge Rothstein, confirmée en appel, était de faire savoir que la procédure judiciaire dont il était saisi était arrivée à terme et que la décision qui faisait l'objet de cette procédure était devenu nulle et sans effet.
[21] Dans l'arrêt Brett c. Ontario (Board of Directors of Physiotherapy)[14], dans une mention portée au dossier d'appel, la Cour d'appel de l'Ontario avait écrit : [Traduction] « Par conséquent, même s'il est sans doute techniquement correct de dire qu'une juridiction de contrôle n'a pas le pouvoir discrétionnaire de refuser une nouvelle audition, elle peut refuser d'en ordonner une » , et la Cour s'était référée au passage suivant des motifs de lord Denning dans l'arrêt R. c. Northumberland Compensation Appeal Tribunal[15] :
[Traduction] ... la Cour du banc du Roi a le pouvoir inhérent de contrôler tous les tribunaux inférieurs, non en sa capacité de juridiction d'appel, mais en sa capacité de juridiction de contrôle. ... La Cour du banc du Roi ne substitue pas ses propres vues à celles du tribunal, comme le ferait une cour d'appel. Elle laisse le tribunal décider s'il convient ou non de réentendre l'affaire, et, dans les cas qui le justifient, elle peut lui ordonner de la réentendre.
[22] Dans l'arrêt Chandler c. Alberta Assn. of Architects[16], le juge Sopinka, s'exprimant pour la majorité, écrivait, à la page 597 :
Traditionnellement, le tribunal dont la décision est nulle a été autorisé à réexaminer la question dans son entier et à prononcer une décision valide.
À l'appui de cette proposition, il citait les propos du juge McLachlin, sa fonction à l'époque, dans l'arrêt Re Strizec Equities Ltd. c. Burnaby-New Westminster Area Assessor[17] :
[Traduction] Je suis convaincu, tant sur le plan logique que sur celui de la doctrine et de la jurisprudence, que le tribunal qui, dans le cadre présumé de l'exercice de sa compétence, rend une décision annulée par la suite, peut ensuite tenir une audience régulière et rendre une décision valide : ...
[23] C'est précisément ce que le ministre ici a prétendu faire après que sa première décision fut invalidée par la Cour. Eu égard aux définitions et autorités susmentionnées, je suis d'avis qu'il était fondé à agir comme il l'a fait.
[24] Le ministre a donc de nouveau été saisi de la révision ou de l'appel à l'encontre de la décision du secteur PGIC contenue dans une lettre datée du 16 décembre 1994 qui est citée plus haut dans les présents motifs. Il a décidé, par ses lettres du 3 mai 2000, également reproduites plus haut dans les présents motifs, de renvoyer la question des prix des produits de Bonnie Glen antérieurs à 1986 au secteur PGIC, pour résolution « des questions sous-jacentes ainsi que de la question de la vérification » , en concertation avec PIRL et après prise en compte des observations faites au nom de la Première nation crie Samson et, sans doute, au nom des autres Premières nations concernées qui sont défenderesses dans la présente demande.
[25] Je suis d'avis que le ministre a ainsi disposé de la révision ou de l'appel dont il était saisi. Je suis également d'avis qu'il rendait ainsi une décision finale, en ce sens que les documents soumis à la Cour ne donnent nullement à penser qu'il entendait demeurer saisi de la révision ou de l'appel, ou qu'il voulait que le secteur PGIC en réfère de nouveau à lui pour qu'il examine l'affaire plus avant. Même si ce fut là son intention, je suis d'avis que, vu les mots qu'il a employés lorsqu'il a renvoyé l'affaire au secteur PGIC, son intention n'aurait pu avoir préséance. Une fois qu'il s'est dessaisi de l'affaire comme il l'a fait, le Règlement ne lui conférait tout simplement pas le pouvoir de s'en ressaisir. Seul un autre appel selon l'article 57 du Règlement à l'encontre d'une nouvelle décision du secteur PGIC aurait pu donner ce résultat.
[26] Encore une fois, dans l'arrêt Chandler, précité, le juge Sopinka écrivait, à la page 596 :
En règle générale, lorsqu'un tel tribunal a statué définitivement sur une question dont il était saisi conformément à sa loi habilitante, il ne peut revenir sur sa décision simplement parce qu'il a changé d'avis, parce qu'il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence, ou parce que les circonstances ont changé.
[27] Après que le ministre eut renvoyé au secteur PGIC la question des prix des produits de Bonnie Glen et que le secteur PGIC eut constaté semble-t-il, encore une fois, la difficulté de résoudre les questions, le secteur PGIC est semble-t-il retourné devant le ministre. Il en a résulté la décision ici contestée. Cette décision était, j'en suis convaincu, le résultat d'une reconsidération de la décision du ministre du 3 mai 2000. Ce point de vue est confirmé par le texte de la lettre renfermant la décision ici contestée. Dans cette lettre, le ministre écrivait :
[Traduction] Veuillez ignorer ma lettre du 3 mai 2000 dans cette affaire. Après plus ample examen, j'ai décidé de faire encore une fois une révision en règle de la décision du directeur exécutif...
[28] Par la décision contestée, le ministre prétendait donc faire ce que, « en règle générale » , le juge Sopinka dit qu'il était empêché de faire. Je suis d'avis qu'aucune des exceptions à la « règle générale » qui sont indiquées par le juge Sopinka n'est applicable à la présente espèce.
[29] En définitive, je suis d'avis que le ministre était dessaisi de l'affaire lorsqu'il a prétendu rendre la décision qui est ici contestée. Cette décision sera donc invalidée.
[30] Je ne vois rien dans les documents soumis à la Cour qui permette de conclure que la décision contestée a été rendue dans un dessein illicite.
CONCLUSION
[31] Une ordonnance sera rendue, qui invalidera la décision du ministre ici contestée, énoncée dans la lettre du ministre en date du 13 juin 2001, et reproduite au paragraphe [1] des présents motifs, et qui interdira au ministre de réviser davantage la décision du directeur exécutif du secteur Pétrole et Gaz des Indiens du Canada, reproduite quant à elle au paragraphe [4] des présents motifs.
DÉPENS
[32] La demanderesse a droit à ses dépens à l'encontre du ministre, qui seront taxés selon l'échelle ordinaire, s'il n'y a pas d'entente préalable.
[33] La Première nation Louis Bull et la Première nation Montana ont droit à un ensemble unique de dépens à l'encontre du ministre, dépens qui seront eux aussi taxés selon l'échelle ordinaire sauf entente préalable.
[34] La Première nation crie Samson a droit à ses dépens à l'encontre du ministre, qui seront taxés selon l'échelle ordinaire à défaut d'entente préalable.
[35] Il ne sera pas adjugé de dépens en faveur ou à l'encontre de la Première nation Ermineskin, qui n'a pas produit de documents dans cette demande et qui n'était pas représentée à l'audience.
« Frederick E. Gibson »
Juge
Ottawa (Ontario)
le 24 avril 2003
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1305-01
INTITULÉ : PÉTROLIÈRE IMPÉRIALE RESSOURCES LTÉE c. SA MAJESTÉ LA REINE
LIEU DE L'AUDIENCE : Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE : le 4 décembre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE GIBSON
DATE DES MOTIFS : le 24 avril 2003
COMPARUTIONS :
Mme Heather L. Treacy POUR LA DEMANDERESSE
M. E. David Tavender, c.r.
Mme Lynn Cunningham POUR LE DÉFENDEUR, LE MINISTRE DES AFFAIRES INDIENNES ET DU NORD
M. Doug Rae POUR LA DÉFENDERESSE, LA PREMIÈRE NATION
M. Tibor Osvath CRIE SAMSON
M. Craig Tomalty POUR LES DÉFENDERESSES, LA PREMIÈRE NATION LOUIS BULL et LA PREMIÈRE NATION MONTANA
Absence de représentation POUR LA DÉFENDERESSE, LA PREMIÈRE NATION ERMINESKIN
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Fraser Milner Casgrain LLP POUR LA DEMANDERESSE
Avocats
3000, 5e avenue Place
237 - 4e avenue S.-O.
Calgary (Alberta)
Ministère de la Justice Canada POUR LE DÉFENDEUR,
Bureau régional d'Edmonton Robert D. Nault
211, édifice Banque de Montréal
Edmonton (Alberta)
Miller Thomson POUR LES DÉFENDERESSES,
Avocats la Première nation Louis Bull
3000, 700 - 9e avenue S.-O. et la Première nation Montana
Calgary (Alberta)
Rae et Associés POUR LA DÉFENDERESSE,
Avocats la Première nation crie Samson
2910, 715 - 5e avenue S.-O.
Calgary (Alberta)
Blake, Cassels & Graydon LLP POUR LA DÉFENDERESSE,
Avocats la Première nation Ermineskin
Bureau 2600, Three Bentall Centre
595, rue Burrard
Vancouver (Colombie-Britannique)
[1] Dossier de demande de la demanderesse, onglet 4, page 79.
[2] Dossier de demande de la demanderesse, onglet 2, page 19.
[3] Dossier de demande de la demanderesse, onglet 5, pages 97 et 98.
[4] Voir Pétrolière Impériale Ressources Ltée c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), (1997), 139 F.T.R. 106, aux pages 108-109; confirmé [1999] A.C.F. n ° 1910 (QL) (C.A.).
[5] Ordonnance du juge Rothstein, Pétrolière Impériale Ressources ltée c. Ronald A. Irwin et autres, [1997] A.C.F. n ° 1767 (1re inst.), T-151-97.
[6] Dossier de demande de la demanderesse, onglet 2, page 13.
[7] Affidavit de Margaret L. Smith, produit le 24 décembre 2002, pièce « B » .
[8] Voir l'affidavit de Margaret L. Smith, produit le 24 décembre 2002.
[9] L.R.C. (1985), ch. I-7.
[10] DORS/94-753.
[11] L.R.C. (1985), ch. F-11.
[12] Dossier de demande de la demanderesse, onglet 5, page 88.
[13] Troisième édition, Clarendon Press, Oxford.
[14] (1993), 104 D.L.R. (4th) 421 (C.A. Ont.).
[15] [1952] 1 All E.R. 122.
[16] [1989], 2 R.C.S. 848.
[17] (1983), 147 D.L.R. (3d) 637 (C.S. C.-B.).