T-2185-96
Ottawa (Ontario), le vendredi 31 octobre 1997
En présence de : Monsieur le juge Gibson
ENTRE :
LINDSEY HUTTON,
requérante,
- et -
LE MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES,
TERRA INTERNATIONAL, INC. ("Terra"),
INDUSTRIAL RISK INSURERS,
THE INSURANCE COMPANY OF NORTH AMERICA,
STARR TECHNICAL RISKS AGENCY, INC.,
ZURICH COMPAGNIE D'ASSURANCES,
COMMONWEALTH INSURANCE COMPANY,
et FIREMAN'S FUND INSURANCE COMPANY,
intimés.
ORDONNANCE
La demande présentée en vertu de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information est rejetée. Les intimés ont le droit d'être remboursés de leurs dépens par la requérante.
FREDERICK E. GIBSON
Juge
Traduction certifiée conforme : François Blais, LL.L.
T-2185-96
ENTRE :
LINDSEY HUTTON,
requérante,
- et -
LE MINISTRE DES RESSOURCES NATURELLES,
TERRA INTERNATIONAL, INC. ("Terra"),
INDUSTRIAL RISK INSURERS,
THE INSURANCE COMPANY OF NORTH AMERICA,
STARR TECHNICAL RISKS AGENCY, INC.,
ZURICH COMPAGNIE D'ASSURANCES,
COMMONWEALTH INSURANCE COMPANY,
et FIREMAN'S FUND INSURANCE COMPANY,
intimés.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE GIBSON :
Les présents motifs font suite à une demande présentée en vertu de l'article 41 de la Loi sur l'accès à l'information1 (la "Loi"), visant la révision de la décision par laquelle le ministre des Ressources naturelles (le "Ministre") a rejeté la demande présentée par Lindsey Hutton (la "requérante") en vue de la communication de certains documents qui relèvent du Ministre concernant des études menées par le Laboratoire canadien de recherche sur les explosifs ("L.C.R.E."). L'avis de la décision du Ministre est daté du 27 juin 1996.
CONTEXTE
Au moment où la requérante a présenté sa demande de communication des documents en cause (les "documents demandés"), soit le 21 mai 1996, la requérante était une étudiante en droit occupant un emploi d'été pour un grand cabinet d'avocats canadien. Un affidavit déposé en l'espèce par un membre de ce cabinet indique qu'il est le procureur de la requérante. Il n'a pas été contesté devant moi que la requérante est une citoyenne canadienne ou une résidente permanente du Canada. Le paragraphe 4(1) de la Loi prévoit :
4. (1) Subject to this Act, but notwithstanding any other Act of Parliament, every person who is (a) a Canadian citizen, or (b) a permanent resident within the meaning of the Immigration Act, has a right to and shall, on request, be given access to any record under the control of a government institution. |
4. (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi mais nonobstant toute autre loi fédérale, ont droit à l'accès aux documents relevant d'une institution fédérale et peuvent se les faire communiquer sur demande : a) les citoyens canadiens; b) les résidents permanents au sens de la Loi sur l'immigration. |
Ainsi, il n'a pas été vraiment contesté devant moi que la requérante avait le droit de présenter sa demande de communication, bien qu'il ait été implicitement admis qu'elle l'a présentée uniquement en qualité de mandataire et que son mandant n'était pas une personne décrite au paragraphe 4(1) de la Loi.
Les documents demandés ont été décrits dans les termes suivants :
[Traduction] |
(a) Toutes les études menées depuis le mois de décembre 1994 par la Direction canadienne de la recherche sur les explosifs (la "Direction") concernant la question de savoir si le titane sensibilise le nitrate d'ammonium; |
(b) Toutes les études menées par la Direction au nom de Terra International Inc., depuis le mois de décembre 1994. |
Voici le libellé de l'article 41 de la Loi :
41. Any person who has been refused access to a record requested under this Act or a part thereof may, if a complaint has been made to the Information Commissioner in respect of the refusal, apply to the Court for a review of the matter within forty-five days after the time the results of an investigation of the complaint by the Information Commissioner are reported to the complainant under subsection 37(2) or within such further time as the Court may, either before or after the expiration of those forty-five days, fix or allow. |
41. La personne qui s'est vu refuser communication totale ou partielle d'un document demandé en vertu de la présente loi et qui a déposé ou fait déposer une plainte à ce sujet devant le Commissaire à l'information peut, dans un délai de quarante-cinq jours suivant le compte rendu du Commissaire prévu au paragraphe 37(2), exercer un recours en révision de la décision de refus devant la Cour. La Cour peut, avant ou après l'expiration du délai, le proroger ou en autoriser la prorogation. |
Le 15 juillet 1996, la requérante a déposé une plainte officielle devant le Commissaire à l'information relativement au refus du Ministre. Le 23 août 1996, le Commissaire à l'information a informé la requérante qu'il avait décidé d'appuyer le refus du Ministre et de rejeter la plainte de la requérante. En conséquence, toutes les conditions préalables à la présentation par la requérante d'une demande en vertu de l'article 41 de la Loi étaient remplies.
Dans l'avis de requête introductive d'instance, le seul intimé désigné était le Ministre. Terra International Inc., et les sociétés qui assurent ses biens, Industrial Risk Insurers, the Insurance Company of North America, Starr Technical Risks Agency, Inc., Zurich Compagnie d'Assurances, Commonwealth Insurance Company et Fireman's Fund Insurance Company (appelées collectivement "Terra") ont été ajoutées en qualité d'intimées conformément à une ordonnance datée du 14 novembre 1996.
En vertu d'une autre ordonnance, les documents demandés ont été déposés auprès de notre Cour dans une enveloppe scellée afin d'en préserver le caractère confidentiel. Ni la requérante, ni son avocat, ni ses conseillers n'y ont eu accès pour préparer l'audition en l'espèce. Les avocats du Ministre et de Terra ont déposé chacun deux dossiers de l'intimé : le premier est un dossier public qui a été signifié à la requérante selon les modalités habituelles et le deuxième est un dossier confidentiel qui est également conservé dans une enveloppe scellée par notre Cour pour en préserver le caractère confidentiel. J'ai examiné attentivement les documents déposés auprès de notre Cour, et notamment ceux qui ont déposés dans une enveloppe scellée.
LA PRINCIPALE QUESTION EN LITIGE
Bien qu'elle ait été décrite différemment par les parties, la principale question en litige dans le cadre de la demande est celle de savoir si le Ministre, par l'entremise de son représentant, a tiré des conclusions erronées et, le cas échéant, exercé irrégulièrement son pouvoir discrétionnaire, en rejetant la demande de communication des documents demandés présentée par la requérante pour les motifs prévus aux alinéas 18b) et 20(1)b), c) et d) de la Loi. Je traiterai des questions connexes, mais accessoires, dans la section des présents motifs intitulée "Analyse".
ANALYSE
(1) Le régime législatif et la portée de la révision
Le paragraphe 2(1) de la Loi en énonce ainsi l'objet :
2. (1) The purpose of this Act is to extend the present laws of Canada to provide a right of access to information in records under the control of a government institution in accordance with the principles that government information should be available to the public, that necessary exceptions to the right of access should be limited and specific and that decisions on the disclosure of government information should be reviewed independently of government. |
2. (1) La présente loi a pour objet d'élargir l'accès aux documents de l'administration fédérale en consacrant le principe du droit du public à leur communication, les exceptions indispensables à ce droit étant précises et limitées et les décisions quant à la communication étant susceptibles de recours indépendants du pouvoir exécutif. |
Les alinéas 18b) et 20(1)b), c) et d) de la Loi établissent des exceptions, au sens du paragraphe 2(1), au droit d'accès reconnu par la Loi. Voici les dispositions pertinentes de l'article 18 et du paragraphe 20(1) de la Loi :
18. The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains ... (b) information the disclosure of which could reasonably be expected to prejudice the competitive position of a government institution; ... 20. (1) Subject to this section, the head of a government institution shall refuse to disclose any record requested under this Act that contains ... (b) financial, commercial, scientific or technical information that is confidential information supplied to a government institution by a third party and is treated consistently in a confidential manner by the third party; (c) information the disclosure of which could reasonably be expected to result in material financial loss or gain to, or could reasonably be expected to prejudice the competitive position of, a third party; or (d) information the disclosure of which could reasonably be expected to interfere with contractual or other negotiations of a third party. |
18. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant_: ... b) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité d'une institution fédérale; ... 20. (1) Le responsable d'une institution fédérale est tenu, sous réserve des autres dispositions du présent article, de refuser la communication de documents contenant_: ... b) des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis à une institution fédérale par un tiers, qui sont de nature confidentielle et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers; c) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire à sa compétitivité; d) des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou à d'autres fins. |
Le pouvoir du Ministre de refuser la communication sous le régime de l'alinéa 18b) est discrétionnaire. Ainsi, lorsque le Ministre conclut que la divulgation du document demandé risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité d'une institution fédérale, il peut en refuser la communication. Par contre, le refus de communiquer un document sous le régime des alinéas 20(1)b), c) ou d) est obligatoire. Lorsque le Ministre conclut que le document demandé appartient à l'une des catégories décrites dans ces alinéas, il est tenu d'en refuser la communication.
Monsieur le juge Heald a traité de la procédure que notre Cour doit suivre lorsqu'elle est saisie d'une demande semblable à la présente requête dans l'affaire Congrès juif canadien c. Canada (Procureur général)2. Après avoir examiné les propos tenus par le juge Strayer, alors juge de première instance de la Cour fédérale, dans l'affaire Kelly v. Canada (Solicitor General)3 sur la façon d'aborder ce problème, le juge Heald a déclaré :
Dans les cas où la disposition d'exemption est obligatoire, il ne peut y avoir qu'un type de décision : une décision de fait sur la question de savoir si le document demandé est visé par la disposition d'exemption. Il n'existe pas de second type de décision, étant donné que, si l'on conclut que le document demandé est visé par la disposition d'exemption, le responsable de l'institution est tenu d'en refuser la communication. Si elle est saisie d'un recours en révision d'une décision prise en vertu d'une disposition d'exemption obligatoire, notre Cour doit d'abord, ainsi que je l'ai déjà précisé, examiner le document et déterminer si le ministre était justifié ou non d'en refuser la communication. Ce faisant, la Cour révise en réalité la décision de fait. Si elle conclut que le ministre n'était pas en fait justifié de refuser la communication du document demandé, la Cour doit rendre l'ordonnance appropriée. Dans le cas d'une exemption obligatoire, le fait d'enjoindre au responsable de l'institution de communiquer le document demandé constitue une ordonnance appropriée si la Cour conclut que le ministre a commis une erreur dans sa décision de fait. La Loi précise bien en pareil cas que les renseignements ne doivent pas être communiqués s'ils tombent sous le coup de l'exemption, et qu'ils doivent être communiqués s'ils ne sont pas visés par l'exemption. |
Si la disposition d'exemption en question est une disposition discrétionnaire, la Cour a, comme le juge Strayer l'affirme dans le jugement précité, deux décisions à réviser. En premier lieu, tout comme dans le cas de l'exemption obligatoire, la Cour doit examiner le document pour déterminer si le responsable de l'institution a commis une erreur en prenant sa décision de fait sur la question de savoir si les renseignements demandés sont visés par la disposition d'exemption. Si elle conclut que le document est effectivement visé par l'exemption, la Cour doit réviser la décision discrétionnaire prise par le responsable de l'institution. Toutefois, ainsi que le juge Strayer le précise, la Cour doit uniquement se demander si le pouvoir discrétionnaire a été régulièrement exercé et elle ne doit pas essayer d'exercer elle-même de nouveau ce pouvoir discrétionnaire. Si la Cour conclut que le pouvoir discrétionnaire a été régulièrement exercé, une ordonnance appropriée peut consister simplement en une confirmation de la décision par laquelle le responsable de l'institution a refusé la communication. Il est toutefois plus difficile de déterminer quelle ordonnance il convient de rendre lorsque la Cour conclut que le pouvoir discrétionnaire n'a pas été régulièrement exercé. Si la Cour annule la décision discrétionnaire du responsable de l'institution, la question qui se pose alors est celle de savoir si la Cour peut à bon droit rendre elle-même cette décision discrétionnaire, exerçant ainsi elle-même le pouvoir discrétionnaire en question, ou si elle doit renvoyer l'affaire au responsable de l'institution pour qu'il exerce régulièrement son pouvoir discrétionnaire. |
.... |
Je suis d'accord pour dire qu'une fois qu'elle a conclu qu'un pouvoir discrétionnaire a été exercé de façon irrégulière dans une affaire, la Cour peut à bon droit renvoyer l'affaire au responsable de l'institution pour qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire de façon régulière. Il ne convient pas que la Cour exerce ce pouvoir discrétionnaire. Le mandat que l'article 41 donne à la Cour consiste à réviser la décision du responsable de l'institution. [les italiques figurent dans l'original] |
J'appliquerai maintenant ces principes pour examiner les dispositions d'exemption de la Loi invoquées par le Ministre en regard de la preuve produite devant moi, dont les documents demandés.
(2) Alinéa 18b)
L'alinéa 18b), comme je l'ai déjà mentionné, constitue une disposition d'exemption discrétionnaire qui permet de ne pas communiquer "...des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité d'une institution fédérale". J'insiste sur les mots que j'ai soulignés dans la phrase qui précède. La Loi prévoit clairement un critère de vraisemblance du risque; elle n'exige pas la preuve effective d'un préjudice.
Il n'a pas été contesté devant moi que le L.C.R.E. constitue une institution gouvernementale qui relève du Ministre. La principale fonction du L.C.R.E. au cours de ses nombreuses années d'existence a consisté à fournir des services et des conseils techniques à l'Inspecteur en chef des explosifs et à la Division de la réglementation des explosifs du ministère des Ressources naturelles. Depuis le milieu des années 1980, le L.C.R.E. a le pouvoir d'effectuer des essais et d'autres types de recherche, selon une formule étendue de vente de services, pour des personnes et des entités qui ne font pas partie du Gouvernement du Canada. Au cours des dernières années, il a amassé des revenus importants et croissants grâce à la prestation de tels services et il compte de plus en plus sur ces revenus pour compléter son budget qui est constitué à partir des fonds publics et qui devrait diminuer beaucoup dans un avenir rapproché. La preuve non contestée produite devant moi établit qu'une réduction de ces revenus externes aurait un impact important sur sa capacité de conseiller le gouvernement et sur sa compétitivité sur le marché international de la recherche et des conseils scientifiques dans son domaine spécialisé.
Le contrat en vertu duquel les documents demandés ont été produits contient un engagement exprès de confidentialité absolue de la part du L.C.R.E. On a fait valoir devant moi que la nouvelle du non-respect de cet engagement se répandrait et qu'il deviendrait notoire, qu'en conséquence, le L.C.R.E. ne sera plus en mesure d'assurer à l'avenir la confidentialité des documents produits en vertu de contrats semblables. La compétitivité du L.C.R.E. en ce qui a trait à l'exécution de contrats de services rémunérateurs non gouvernementaux s'en trouverait grandement atteinte par rapport à d'autres laboratoires spécialisés reconnus capables de fournir des services équivalents dans le respect de la confidentialité.
Aucun élément ne me permet de conclure que le Ministre a commis une erreur en concluant que la divulgation des documents demandés risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité du L.C.R.E. Comme je l'ai déjà expliqué, le Ministre n'était pas tenu de conclure que la divulgation des documents demandés nuirait effectivement à la compétitivité du L.C.R.E.
J'examinerai maintenant la deuxième question en litige, soit celle de l'exercice du pouvoir discrétionnaire du Ministre. Je suis convaincu que la preuve produite au nom du Ministre est suffisante pour établir que la divulgation des renseignements risquerait vraisemblablement de nuire à la compétitivité du L.C.R.E. Je suis également convaincu que, dans le contexte actuel de restrictions financières, la protection de la compétitivité du L.C.R.E. constitue une préoccupation importante d'intérêt public. En conséquence, je conclus que le Ministre a exercé correctement le pouvoir discrétionnaire dont il est investi.
Compte tenu des principes énoncés dans l'arrêt Congrès juif canadien et cités plus tôt, mes conclusions devraient m'amener à rendre une ordonnance confirmant la décision du Ministre de refuser la divulgation pour les motifs prévus à l'alinéa 8b).
(3) Les alinéas 20(1)b), c) et d)
Les motifs permettant de refuser la divulgation d'un document énoncés aux alinéas 20(1)b), c) et d) sont obligatoires. En d'autres termes, si les documents demandés contiennent des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques qui sont de nature confidentielle, qui ont été fournis au L.C.R.E. par un tiers et qui sont traités comme tels de façon constante par ce tiers (alinéa 20(1)b)); des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers ou de nuire a sa compétitivité (alinéa 20(1)c)); ou des renseignements dont la divulgation risquerait vraisemblablement d'entraver des négociations menées par un tiers en vue de contrats ou d'autres fins (alinéa 20(1)d)); le Ministre est tenu de refuser la divulgation des documents demandés.
La preuve par affidavit déposée au nom des sociétés intimées Terra établissent les faits qui suivent. Terra est une entreprise de fabrication et de distribution de fertilisants, de produits antiparasitaires, de semences et de produits azotés, dont des engrais azotés. Son principal établissement est situé à Sioux City, en Ohio. En décembre 1994, une explosion catastrophique est survenue à l'une de ses usines de fertilisants, causant des dommages importants à ses biens meubles et immeubles. Quatre employés ont été tués et dix-huit autres blessés. En conséquence, Terra est engagée dans d'importantes poursuites judiciaires aux États-Unis. Elle a retenu les services du L.C.R.E. en qualité de consultant qui ne sera pas appelé à témoigner dans le cadre du litige, afin qu'il conseille ses avocats sur des questions touchant l'explosion et les procédures judiciaires qui en découlent. Comme je l'ai déjà précisé, le contrat de services contenait une clause expresse de confidentialité. Dans ce contexte, Terra, et d'autres tiers agissant au nom de Terra, ont fourni au L.C.R.E. [Traduction] "...des renseignements scientifiques et techniques qui sont traités comme confidentiels de façon constante par Terra et les sociétés qui assurent ses biens." La preuve par affidavit émanant d'un praticien ayant quelque dix-sept ans d'expérience devant les tribunaux fédéraux des États-Unis porte que la divulgation des documents demandés ne pourrait être exigée, à l'enquête préalable ou à une autre étape, dans le cadre des instances judiciaires devant les tribunaux américains.
L'application de l'alinéa 20(1)b) est assujettie à quatre conditions : les renseignements demandés doivent être des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques; de nature confidentielle; fournis à une institution gouvernementale par un tiers; et enfin, traités comme confidentiels de façon constante par ce tiers4.
Les documents demandés peuvent être "fondés", plus ou moins, sur des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis au L.C.R.E. par Terra ou un ou plusieurs de ses collaborateurs. Toutefois, à l'examen des documents demandés, je constate qu'ils émanent en fait du L.C.R.E. ou ont été produits par lui. Un examen minutieux des documents demandés ne me permet pas de repérer quelque renseignement que ce soit qui aurait été fourni au L.C.R.E. par Terra ou l'un ou plusieurs de ses collaborateurs. En conséquence, en me fondant sur la preuve produite devant moi, je ne puis conclure que les documents demandés contiennent des renseignements financiers, commerciaux, scientifiques ou techniques fournis au L.C.R.E. par Terra ou par l'un ou plusieurs de ses collaborateurs et qui sont traités comme confidentiels de façon constante par la personne qui les a fournis. En résumé, après avoir examiné les documents demandés, je conclus qu'ils ne font pas partie des documents visés à l'alinéa 20(1)d).
Je suis toutefois convaincu que les alinéas 20(1)c) et d) s'appliquent aux documents demandés. Le critère à appliquer en vertu de ces deux alinéas consiste à se demander si la divulgation des documents "risquerait vraisemblablement"5 de causer des pertes ou profits financiers appréciables à un tiers, en l'occurrence Terra, de nuire à sa compétitivité ou d'entraver des négociations menées par elle en vue de contrats ou à d'autres fins. La preuve suffit à démontrer l'ampleur des montants en jeu dans les procédures judiciaires qui sont en cours devant les tribunaux des États-Unis et qui risqueraient vraisemblablement de faire l'objet de négociations en vue d'un règlement.
(4) L'intérêt public (paragraphe 20(6)) et le prélèvement (article 25)
La requérante soutient que le Ministre a commis une erreur, justifiant qu'on lui accorde réparation, en ne démontrant pas, à la lecture de la lettre énonçant le refus de communication, que le Ministre avait analysé la question de savoir si le paragraphe 20(6) de la Loi devait s'appliquer en faveur de la requérante et celle de savoir si les documents demandés pouvaient donner lieu à un prélèvement, de sorte qu'ils auraient pu être communiqués à tout le moins en partie en vertu de l'article 25 de la Loi. Voici le paragraphe 20(6) et l'article 25 :
(6) The head of a government institution may disclose any record requested under this Act, or any part thereof, that contain information described in paragraph (1)(b), (c) or (d) if that disclosure would be in the public interest as it relates to public health, public safety or protection of the environment and, if the public interest in disclosure clearly outweighs in importance any financial loss or gain to, prejudice to the competitive position of or interference with contractual or other negotiations of a third party. ... 25. Notwithstanding any other provision of this Act, where a request is made to a government institution for access to a record that the head of the institution is authorized to refuse to disclose under this Act by reason of information or other material contained in the record, the head of the institution shall disclose any part of the record that does not contain, and can reasonably be severed from any part that contains, any such information or material. |
(6) Le responsable d'une institution fédérale peut communiquer, en tout ou en partie, tout document contenant les renseignements visés aux alinéas (1)b), c) et d) pour des raisons d'intérêt public concernant la santé et la sécurité publiques ainsi que la protection de l'environnement; les raisons d'intérêt public doivent de plus justifier nettement les conséquences éventuelles de la communication pour un tiers: pertes ou profits financiers, atteintes à sa compétitivité ou entraves aux négociations qu'il mène en vue de contrats ou à d'autres fins. ... 25. Le responsable d'une institution fédérale, dans les cas où il pourrait, vu la nature des renseignements contenus dans le document demandé, s'autoriser de la présente loi pour refuser la communication du document, est cependant tenu, nonobstant les autres dispositions de la présente loi, d'en communiquer les parties dépourvues des renseignements en cause, à condition que le prélèvement de ces parties ne pose pas de problèmes sérieux. |
La lettre adressée à la requérante pour l'informer de la décision du Ministre de ne pas communiquer les documents pour les motifs d'exemption prévus par les alinéas 18(1)b) et 20(1)b), c) et d) ne mentionne ni le paragraphe 20(6) ni l'article 25. Elle ne donne aucune indication sur la question de savoir si l'une ou l'autre de ces dispositions a été prise en compte. Par contre, un affidavit déposé et signé sous serment par la personne représentant le Ministre qui a répondu à la demande de communication contient le paragraphe suivant :
[Traduction] J'ai aussi examiné la question de savoir quelles parties des documents demandés pouvaient en être prélevées et divulguées ou si d'autres dispositions de la Loi sur l'accès à l'information, soit les paragraphes 20(2), (5) et (6) pouvaient permettre la communication. J'ai conclu que ces dispositions n'étaient pas applicables et que tous les documents demandés par la requérante étaient exemptés de communication dans leur totalité en vertu des dispositions de la Loi sur l'accès à l'information que j'ai mentionnées dans le paragraphe 5 de mon affidavit [alinéas 18(1)b) et 20(1)b), c) et d)]. |
Dans le jugement Stevens c. Canada (Premier ministre)6, monsieur le juge Rothstein a examiné l'exemption discrétionnaire prévue à l'article 23 de la Loi concernant une demande de communication d'un document contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client. Il a déclaré :
La mention expresse que l'exemption fondée sur l'article 23 est une exemption discrétionnaire permet de conclure que l'autorité responsable s'est référée à l'article 23 et au fait qu'il prévoit l'exemption discrétionnaire. Le responsable a pris la décision discrétionnaire de ne pas communiquer les renseignements en question. |
Je suis convaincu que cela vaut pour le pouvoir discrétionnaire de divulgation "pour des raisons d'intérêt public" prévu au paragraphe 20(6) et pour l'obligation, établie à l'article 25 de la Loi, d'envisager le prélèvement des parties des documents qui sont dépourvues de renseignements exemptés et de les communiquer, à condition que ce prélèvement ne pose pas de problèmes sérieux. J'en arrive à cette conclusion plus particulièrement en raison du paragraphe tiré de l'affidavit du représentant du Ministre cité plus haut.
La situation dont la Cour est saisie en l'espèce diffère sur le plan des faits de celle en cause dans l'affaire Rubin c. Canada (Société canadienne d'hypothèques et de logement),7 où la demande de communication de toute une série de documents (représentant quelque 13 pieds linéaires) a été reçue par l'institution gouvernementale en cause le 6 mars 1985 et rejetée d'emblée le lendemain. En pareilles circonstances, il était raisonnable de conclure que l'institution gouvernementale n'avait tout simplement pas procédé "... au prélèvement requis par l'article 25 de la Loi." En l'espèce, les documents demandés sont assez peu volumineux. On aurait raisonnablement pu les examiner en regard du paragraphe 20(6), la disposition prévoyant le divulgation pour des raisons d'intérêt public, et vérifier si un prélèvement était possible entre le moment de la demande de communication, le 26 mai 1996 et le rejet de cette demande le 29 juin 1996. La Cour dispose d'une preuve non contestée émanant du représentant du Ministre selon laquelle il a tenu compte de ces deux dispositions. En l'absence de preuve contraire, la preuve du représentant du Ministre doit être retenue.
Une fois encore, j'ai examiné les documents demandés en regard du paragraphe 20(6) et de l'article 25. Rien ne m'autorise à conclure que la décision de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire de communication prévu par le paragraphe 20(6) et de ne pas procéder à un prélèvement en application de l'article 25 n'était pas raisonnable.
(5) Questions additionnelles
L'avocat de Terra a soutenu avec insistance que le Ministre aurait dû rejeter la demande de communication des documents demandés, non seulement pour les motifs qu'il a invoqués, mais aussi par application de l'article 23 de la Loi. Voici l'article 23 :
23. The head of a government institution may refuse to disclose any record requested under this Act that contains information that is subject to solicitor-client privilege. |
23. Le responsable d'une institution fédérale peut refuser la communication de documents contenant des renseignements protégés par le secret professionnel qui lie un avocat à son client. |
Devant moi, les avocats ont fait valoir différentes interprétations du concept du "secret professionnel qui lie un avocat à son client" dans le contexte de la Loi, plus particulièrement, selon les prétentions de l'avocat de la requérante, compte tenu du paragraphe 2(1) de la Loi qui, à son avis, justifierait une interprétation très limitée du concept du secret professionnel de l'avocat.
Étant donné les conclusions que j'ai déjà tirées, il n'est pas nécessaire que je tranche cette question et je m'abstiendrai de le faire.
CONCLUSION
Pour les motifs exposés plus haut, bien que mes conclusions soient favorables à la requérante sur des points très limités, celle-ci n'a pas réussi a établir suffisamment le bien-fondé de ses arguments pour que je prononce une ordonnance portant une disposition autre que le rejet de sa requête. Par conséquent, je rendrai une ordonnance rejetant la requête.
DÉPENS
L'article 53 de la Loi traite expressément des dépens liés à une requête comme celle présentée en l'espèce :
53. (1) Subject to subsection (2), the costs of and incidental to all proceedings in the Court under this Act shall be in the discretion of the Court and shall follow the event unless the Court orders otherwise. (2) Where the Court is of the opinion that an application for review under section 41 or 42 has raised an important new principle in relation to this Act, the Court shall order that costs be awarded to the applicant even if the applicant has not been successful in the result. |
53. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais et dépens sont laissés à l'appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal. (2) Dans les cas où elle estime que l'objet des recours visés aux articles 41 et 42 a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, la Cour accorde les frais et dépens à la personne qui a exercé le recours devant elle, même si cette personne a été déboutée de son recours. |
Je conclus que le paragraphe 53(2) ne s'applique pas. Conformément à ce que prévoit le paragraphe 53(1), les dépens suivront le sort du principal, c'est-à-dire que la requérante remboursera les intimés de leurs dépens.
FREDERICK E. GIBSON Juge
Ottawa (Ontario)
31 octobre 1997
Traduction certifiée conforme François Blais, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
NUMÉRO DU GREFFE : T-2185-96
INTITULÉ DE LA CAUSE : Lindsey Hutton
c. Le ministre des Ressources naturelles, Terra International Inc ("Terra"), Industrial Risk Insurers, The Insurance Company of North America, Starr Technical Risks Agency Inc., Zurich Compagnie d'Assurances, Commonwealth Insurance Company et Fireman's Fund Insurance Company. |
LIEU DE L'AUDITION : Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDITION : 9 octobre 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR
MONSIEUR LE JUGE GIBSON
LE 31 OCTOBRE 1997
ONT COMPARU :
Gary Daniel pour la requérante
Ian Dick pour l'intimé
(le ministre des Ressources naturelles)
Mark J. Freiman pour les cointimées
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Blake, Cassels & Graydon pour la requérante
Toronto (Ontario)
George Thomson pour l'intimé
Sous-procureur du Canada (le ministre des Ressources naturelles)
McCarthy, Tétrault pour les cointimées
Toronto (Ontario)
__________________1 L.R.C. (1985), ch. A-1, modifiée.
2 [1996] 1 C.F. 268, aux pages 280 à 282 (1re inst.).
3 (1992), 6 Admin. LR. (2d) 54 (1re inst.), 53 F.T.R. 147, conf. (1993), 154 N.R. 319 (C.A.F.).
4 Montana Band of Indians v. Canada (Minister of Indian Affairs and Northern Development) (1988), 26 C.P.R. 3d 68, à la page 76 (C.F. 1re inst.) et Air Atonabee Ltd. v. Canada (Minister of Transport) (1989), 27 F.T.R. 194, à la page 207.
5 Canada Packers Inc. c. Canada (Ministre de l'agriculture), [1989] 1 C.F. 47, aux pages 57 à 60 (C.A.).