Date : 20040216
Dossier : T-1051-01
Référence : 2004 CF 236
ENTRE :
IMPERIAL TOBACCO CANADA LIMITED et
ROTHMANS, BENSON & HEDGES INC. et
JTI-MACDONALD CORP.
demanderesses
et
LE MINISTRE DE LA SANTÉ et
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
défendeurs
INTRODUCTION
[1] Les demanderesses sont des sociétés qui fabriquent au Canada des produits du tabac; elles ont présenté le 15 décembre 2000 une demande d'exemption aux termes du paragraphe 14(15) du Règlement sur les rapports relatifs au tabac (le Règlement), à l'égard de l'obligation de présenter un rapport au sujet des tests effectués sur les concentrations de plus d'une quarantaine d'émissions contenues dans la fumée principale et dans la fumée latérale dégagée par la combustion d'un produit du tabac désigné, à savoir, le tabac à cigarettes (coupe fine) pour l'année civile 2001, conformément au paragraphe 14(15) du Règlement sur les rapports relatifs au tabac. Le Règlement a été pris par le gouverneur en conseil conformément à la Loi sur le tabac (Canada).
[2] Les demanderesses contestent la validité de cette décision dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire; elles sollicitent une ordonnance annulant le rejet de leur demande qui visait, affirment-elles, une exemption partielle.
[3] Les demanderesses sollicitent en outre l'ordonnance suivante :
[traduction] Une ordonnance déclarant que pour avoir droit à une exemption à l'égard de l'obligation de présenter un rapport conformément au paragraphe 14(11) du Règlement sur les rapports relatifs au tabac concernant les émissions de fumée individuelle énumérées dans les annexes 2 et 3 du Règlement, le fabricant n'est pas tenu de démontrer l'existence d'un lien fonctionnel linéaire entre le goudron et chacune des émissions mentionnées aux annexes 2 et 3, à l'exception de la nicotine, ni d'un lien entre la nicotine et toutes les émissions mentionnées aux annexes 2 et 3 à l'exception du goudron; (non souligné dans l'original)
[4] La partie pertinente de la décision du 22 mars 2001 se lit comme suit :
[traduction] Fumée principale :
Dans le cas de la fumée principale, le lien fonctionnel prédit, selon des probabilités statistiques acceptables, les émissions de fumée dans les conditions ISO pour le tabac à cigarettes, à l'exception des composés suivants :
i) acétone,
ii) ammoniac,
iii) 1,3 - butadiène, et
iv) NNN.
Pour la plupart des émissions obtenues dans des conditions intenses, la relation fonctionnelle a tendance à surévaluer les émissions. [les concentrations dans les émissions de fumée] (non souligné dans l'original)
Fumée latérale :
Dans le cas de la fumée latérale, la relation fonctionnelle prédit moins bien les émissions de fumée provenant du tabac à cigarettes. À l'exception des composés carbonylés (formaldéhyde, acétaldehyde, acétone, acrolien, proprionaldehyde, crotonaldehyde, butyraldehyde) qui sont sensiblement plus élevés que le rapport de prévision, la relation fonctionnelle surévalue les émissions. [c.-à-d. les concentrations dans les émissions de fumée] (non souligné dans l'original)
D'après notre analyse, un lien fonctionnel linéaire satisfaisant n'a pas été établi. Conformément au paragraphe 14(15) du Règlement sur les rapports relatifs au tabac, nous rejetons votre demande d'exemption générale pour le tabac à cigarettes pour l'année civile 2001. Vous devrez donc présenter un rapport sur les émissions toxiques provenant du tabac à cigarettes, conformément au paragraphe 14(1), pour l'année civile 2001. [non souligné dans l'original]
[5] La question centrale que pose la demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si le libellé du paragraphe 14(11) du Règlement autorise l'octroi d'une exemption partielle des obligations déclaratives imposées par le Règlement lorsqu'un lien fonctionnel linéaire a été établi entre le goudron et la nicotine et une ou plusieurs des émissions, mais pas toutes, ou de savoir s'il y a lieu de refuser totalement l'exemption si, à l'égard de certaines émissions, le lien fonctionnel n'a pas été établi même s'il l'a été à l'égard d'autres émissions, voire de la plupart.
[6] Dans leur demande du 15 décembre 2000, présentée par le truchement de leur association commerciale, le Conseil canadien des fabricants des produits du tabac (CCFPT), les demanderesses ont expressément attiré l'attention de Santé Canada sur le fait que leurs analyses, effectuées par des laboratoires indépendants, montraient une surévaluation de certaines émissions de composés chimiques prescrits et elles ont fait remarquer qu'elles ne demandaient pas, pour cette raison, une exemption pour les rapports concernant les émissions à l'égard desquelles un lien fonctionnel linéaire satisfaisant n'avait pas été établi. Cette réserve visait quatre émissions de fumée principale et sept émissions de fumée latérale. L'exemption visait toutes les autres émissions.
[7] M. Michael F. Borgerding, le chercheur principal du Département de la recherche et du développement de la R.J. Reynolds Tobacco Company, a déposé un affidavit à l'appui de la demande de contrôle judiciaire des demanderesses dans lequel il critique de la façon suivante la décision prise par Santé Canada (pages 269 et 270 du dossier de demande, volume 1, paragraphes 63 et 64) :
[traduction] La raison qu'invoque le directeur intérimaire pour rejeter la demande d'exemption à l'égard des analyses du tabac à cigarettes était la suivante : « d'après une analyse, un lien fonctionnel linéaire satisfaisant n'a pas été établi » . Cette affirmation semble refléter une incompréhension fondamentale de la méthode de l'étalonnage. Il y a plus de quarante relations fonctionnelles et non pas une seule. Les fabricants canadiens n'ont pas demandé d'exemption pour les émissions pour lesquelles les liens fonctionnels établis dans l'étude sur 28 marques de cigarettes ne permettaient pas de prédire de façon satisfaisante la concentration des émissions provenant du tabac à cigarettes. Il n'existe aucune raison scientifique pour laquelle le défaut d'établir un lien fonctionnel satisfaisant pour certaines émissions compromet ou vicie la validité des résultats satisfaisants obtenus pour la plupart des émissions.
L'acceptation de chacune des émissions individuelles de fumée et la capacité de prédire de façon satisfaisante les concentrations d'émissions provenant du tabac à cigarettes est un processus fondé sur des données. En fait, on a constaté que les liens fonctionnels établis par l'étude d'étalonnage de 2000 portant sur 28 marques de cigarettes prédisent de façon satisfaisante la plupart des concentrations des émissions de fumée dégagées par la combustion du tabac à cigarettes. Sur le plan scientifique, il n'y a aucune raison de ne pas accorder une exemption pour les émissions individuelles de fumée de tabac à cigarettes qu'un scientifique de Santé Canada a jugé acceptable et pour lesquelles les fabricants ont demandé une exemption. (non souligné dans l'original)
[8] Le directeur intérimaire de Santé Canada, M. Denis Choinière, a déposé deux affidavits à l'appui de la position du défendeur. Il affirme dans l'affidavit du 12 septembre 2001 qu'il a coordonné la mise en oeuvre du Règlement. Il a mentionné qu'il avait examiné les demandes d'exemption déposées par le CCFPT le 15 décembre 2000 pour le tabac à cigarettes (coupe fine).
[9] Il a indiqué que M. Murray Kaiserman, directeur du Bureau de la recherche, de l'évaluation et de la surveillance du Programme de contrôle du tabac de Santé Canada avait examiné les données fournies par le CCFPT en vue d'obtenir une exemption aux termes du paragraphe 14(11) et avait recommandé que l'on accorde aux fabricants une exemption partielle pour le tabac à cigarettes (coupe fine).
[10] Voici ce que mentionne M. Choinière aux paragraphes 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27 et 28 de son affidavit du 12 septembre 2001 :
19. Le rapport de M. Kaiserman recommandait qu'une exemption « partielle » soit accordée aux requérantes et indiquait que bien qu'il existait un lien fonctionnel linéaire entre certaines émissions toxiques du tabac à cigarettes, il n'en existait pas pour toutes;
20. En me basant sur les critères mentionnés à l'article 14(15), j'ai conclu que le libellé de l'article 14, ne me permettait pas d'agréer, au nom du Ministre, à la demande d'exemption partielle des requérantes;
21. En effet, les requérantes n'ont pas démontré l'existence d'un « lien fonctionnel » linéaire : a) d'une part, entre le goudron et chacune des autres émissions - à l'exception de la nicotine - dégagée par la combustion du produit du tabac désigné, en l'occurrence le tabac à cigarettes; b) d'autre part, entre la nicotine et les autres émissions dégagées par la combustion du tabac à cigarettes;
22. Au surplus, tel qu'il appert de la demande d'exemption des requérantes du 15 décembre 2000 produite sous la cote DC-1, la demande n'a pas été présentée le 1er décembre tel que requis en fonction de 14(11), l'échantillon présenté n'était pas conforme aux paragraphes 14(13) ou (14) car il ne comprenait que 6 marques de tabac à cigarettes et n'incorporait aucun échantillon de référence de ce type de produit;
23. J'ai donc fait parvenir à chacune des requérantes, le 22 mars 2001, une lettre rejetant leur demande d'exemption pour leurs marques de tabac à cigarettes, le tout tel qu'il appert desdites lettres produites au soutien des présentes sous la cote DC-3;
24. À l'époque de ma décision, j'avais été informé que le Ministre avait accordé aux requérantes, le 16 janvier 2001, une exemption de l'obligation de présenter le rapport sur les émissions toxiques présentes dans la fumée principale ou dans la fumée latérale dégagées par les cigarettes;
25. Ladite décision était toutefois fondée sur une étude qui démontrait l'existence d'un « lien fonctionnel » linéaire : a) d'une part, entre le goudron et chacune des autres émissions - à l'exception de la nicotine - dégagée par la combustion du produit du tabac désigné, en l'occurrence les cigarettes; b) d'autre part, entre la nicotine et les autres émissions dégagées par la combustion des cigarettes;
26. Pour bénéficier de l'exemption prévue au paragraphe (11) relativement aux cigarettes, les requérantes avaient présenté au Ministre un échantillon d'au moins 28 marques et 2 échantillons de référence de cigarettes;
27. La demande d'exemption des requérantes pour les cigarettes visait l'ensemble des émissions conformément au Règlement;
28. De l'aveu même des requérantes, les conditions prévues au Règlement n'avaient pas été rencontrées dans le cadre de leurs demandes d'exemption concernant le tabac à cigarettes. [non souligné dans l'original]
[11] En résumé, M. Choinière estime que, au-delà de l'inobservation d'autres dispositions législatives comme la taille de l'échantillon, le Règlement, tel que formulé et selon l'interprétation qu'il y a lieu de lui donner, ne prévoit pas la possibilité d'accorder une exemption partielle - une exemption individuelle à l'égard des émissions pour lesquelles un lien fonctionnel satisfaisant a été établi mais en refusant l'exemption pour les émissions pour lesquelles un tel lien n'a pas été établi. Il estime que l'exemption prévue au paragraphe 14(11) ne peut être accordée que si le lien fonctionnel est établi entre le goudron et toutes les émissions énumérées à l'annexe 2 pour la fumée principale et dans l'annexe 3 pour la fumée latérale et de la même façon lorsqu'il existe un tel lien fonctionnel entre la nicotine et toutes les émissions énumérées dans les annexes.
[12] Il a noté que les demanderesses avaient effectivement obtenu, le 16 janvier 2001, une exemption basée sur le paragraphe 14(11) pour les cigarettes mais que la raison en était que chaque demanderesse avait respecté toutes les conditions législatives, notamment l'établissement d'un lien fonctionnel entre le goudron et la nicotine et toutes les autres émissions prescrites.
[13] Le problème soumis à la Cour doit donc être tranché en appliquant les principes d'interprétation législative au paragraphe 14(11) qui, combiné au paragraphe 14(15) du Règlement, précise la portée du pouvoir d'accorder une exemption.
[14] Il est utile de décrire, ici, le régime d'établissement de rapports prévu par le Règlement. Pour ce qui nous intéresse, ce régime est exposé à la partie 3 du Règlement intitulée « Émissions des produits du tabac désignés » . La partie 3 du Règlement contient une seule disposition, à savoir l'article 14 qui comporte cependant quinze paragraphes et de nombreux alinéas et sous-alinéas.
[15] Le paragraphe 14(1) du Règlement oblige tout fabricant d'un produit du tabac désigné à présenter un rapport annuel contenant les renseignements prescrits par type de produit du tabac désigné et par marque au sujet des concentrations des émissions (prescrites) contenues dans la fumée principale et dans la fumée latérale dégagées par la combustion d'un produit du tabac désigné.
[16] Les paragraphes suivants de cet article traite du contenu du rapport, de la façon d'établir un échantillon, des méthodes et des conditions à respecter pour la collecte des données et la date à laquelle le rapport doit être présenté.
[17] Le mot « émission » est défini dans le Règlement et, comme nous l'avons noté, l'article 2 du Règlement contient une liste de 42 composés ou émissions chimiques pour la fumée principale et l'annexe 3 en énumère 41 pour la fumée latérale visée par un rapport.
[18] Les dispositions des paragraphes 14(11) à 14(15) du DORS/2000-273 jouent un rôle essentiel dans la présente demande de contrôle judiciaire :
(11) Le fabricant peut, au plus tard le 1er décembre précédant l'année pour laquelle il demande une exemption, demander au ministre de l'exempter de l'obligation de présenter le rapport aux termes du paragraphe (1) à l'égard des émissions présentes dans la fumée principale ou dans la fumée latérale dégagées par un produit du tabac désigné d'une marque qu'il spécifie, s'il lui fournit le contenu et les résultats d'une analyse statistique effectuée dans les conditions prévues au paragraphe (12), relativement au type d'émission en cause, démontrant à une limite de confiance à 95 % qu'il existe un lien fonctionnel linéaire : a) d'une part, entre le goudron et chacune des autres émissions - à l'exception de la nicotine - dégagée par la combustion du produit du tabac désigné, par application des étapes suivantes : (I) effectuer un calcul selon la formule suivante :
y=mx+b où « y » représente la quantité de l'autre émission, « m » la pente, « x » la quantité moyenne de goudron déterminée à partir de 7 sous-échantillons, « b » le point d'interception, (ii) appliquer une analyse de régression aux résultats obtenus en application du sous-alinéa (I), (iii) soumettre les résultats obtenus en application du sous-alinéa (I) à un essai statistique F; b) d'autre part, entre la nicotine et les autres émissions dégagées par la combustion du produit du tabac désigné, par application des étapes prévues à l'alinéa a), mais où « goudron » est remplacé par « nicotine » , sauf à l'élément y du sous-alinéa (I). (12) Les conditions applicables à l'analyse statistique à fournir pour une demande d'exemption sont les suivantes : a) dans le cas des émissions présentes dans la fumée principale, celles prévues aux alinéas (6)a) et b); b) dans le cas des émissions présentes dans la fumée latérale, celles prévues à l'alinéa (6)a). Importance de l'échantillon (13) Pour bénéficier de l'exemption prévue au paragraphe (11), le fabricant présente au ministre : a) un échantillon d'au moins 28 marques et 2 échantillons de référence d'un même type de produit du tabac désigné, qui couvre toute la gamme des émissions de goudron et de nicotine propres à ce type de produit du tabac, ces émissions étant mesurées : (I) dans le cas de la fumée principale, conformément à la méthode officielle T-115 du ministère de la Santé, intitulée Dosage du « goudron » , de la nicotine et du monoxyde de carbone dans la fumée principale de tabac, dans sa version du 31 décembre 1999, (ii) dans le cas de la fumée latérale, conformément à la méthode officielle T-212 du ministère de la Santé, intitulée Dosage du « goudron » et de la nicotine dans la fumée latérale du tabac, dans sa version du 31 décembre 1999; b) la liste de toutes les marques de ce type de produit du tabac désigné pour lesquelles l'exemption est demandée; c) une liste des propriétés de ce produit du tabac désigné, telles le type de tabac, le type de filtre et les caractéristiques du papier à cigarettes utilisé, qui démontrent l'existence du lien fonctionnel linéaire entre : (I) d'une part, les différentes marques qui forment l'échantillon, (ii) d'autre part, au moins l'une des marques pour lesquelles l'exemption est demandée. Échantillonnage conjoint (14) Pour l'application du paragraphe (13), deux fabricants ou plus peuvent présenter un échantillon conjoint de leurs produits du tabac désignés aux fins d'analyse conformément à ce paragraphe. (15) Le ministre agrée ou rejette sans délai : a) la demande présentée aux termes du paragraphe (11), en se fondant : (i) d'une part, sur la méthode utilisée, (ii) d'autre part, sur la démonstration d'un lien fonctionnel linéaire satisfaisant, fondée sur les renseignements suivants : (A) les moyennes et les écarts-types de la quantité de chacune des émissions, à l'exception du « goudron » et de la nicotine, (B) les estimations et les limites de confiance de 95 _% de la pente « m » et du point d'interception « b » visés au sous-alinéa (11)a)(I), (C) les statistiques relatives à la régression, notamment la marge d'erreur, la marge de régression, la moyenne de régression au carré, l'erreur quadratique moyenne et la statistique F, (D) le fait que les prévisions établies doivent être assujetties à un intervalle de prédiction de 95 %; b) l'échantillon présenté aux termes des paragraphes (13) ou (14), en se fondant sur la méthode utilisée et la représentativité de l'échantillon. [je souligne] |
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(11) A manufacturer may, on or before December 1 of the year preceding the year for which the exemption is sought, apply to the Minister for an exemption from the requirement to submit a report under subsection (1) in respect of the emissions for mainstream or sidestream smoke of a brand of a designated tobacco product specified by the manufacturer, if the manufacturer provides to the Minister the content and results of a statistical analysis done under the conditions referred to in subsection (12), that demonstrates, within a 95% confidence limit and in relation to the type of emission exemption sought, the existence of a functional linear relationship (a) between tar and each of the other emissions, other than nicotine, produced from the combustion of the designated tobacco product (I) by using the following formula:
y=mx+b where y is the amount of the other emission, m is the slope, x is the mean amount of tar as determined by 7 replicates, and b is the intercept, (ii) by applying a regression analysis to the results obtained under subparagraph (I), and (iii) by applying an F-test to the results obtained under that subparagraph; and (b) between nicotine and the other emissions produced from the combustion of the designated tobacco product, by making the calculation and applying the analysis and test described in paragraph (a), except that the references to "tar" in subparagraph (I), other than in the description of "y", shall be read as references to "nicotine". (12) The conditions under which the statistical analysis to be provided in subsection (11) are as follows: (a) in the case of mainstream smoke, under the conditions set out in paragraphs (6)(a) and (b); and (b) in the case of sidestream smoke, under the conditions set out in paragraph (6)(a). Sample size (13) To qualify for an exemption under subsection (11), the manufacturer must submit to the Minister (a) a sample that must be composed of at least 28 different brands and 2 standard samples of a type of the designated tobacco product that represent the range of tar and nicotine deliveries for that type of designated tobacco product as determined (I) in the case of mainstream smoke, in accordance with Official Method T-115, entitled Determination of "Tar", Nicotine and Carbon Monoxide in Mainstream Tobacco Smoke, made by the Department of Health, dated December 31, 1999, and (ii) in the case of sidestream smoke, in accordance with Official Method T-212 entitled Determination of "Tar" and Nicotine in Sidestream Tobacco Smoke, made by the Department of Health, dated December 31, 1999; (b) a list of the brands of the designated tobacco product for which the application for exemption is made; and (c) a list of the properties of the designated tobacco product, such as the type of tobacco, type of filter and characteristics of a cigarette paper, which demonstrate the functional linear relationship between (I) the brands of the designated tobacco product that form the sample, and (ii) one or more of the brands of the designated tobacco product for which the application for exemption is made. Joint Sample (14) For the purpose of subsection (13), two or more manufacturers may combine their designated tobacco products to produce a joint sample for the purpose of analyzing the sample in accordance with that subsection. (15) The Minister shall, without delay, decide to accept or reject (a) an application made under subsection (11), based on the (i) methodology used, and (ii) the demonstration of a satisfactory functional linear relationship based on (A) the mean and standard deviations of the amount of each of the emissions, other than tar and nicotine, (B) the estimates and 95% confidence limits for the slope "m" and the intercept "b" referred to in subparagraph (11)(a)(I), (C) regression statistics, including the degree of freedom for error, degree of freedom for regression, mean square regression, mean square error and the F statistic, and (D) the fact that the data must fall under a 95% prediction interval; and (b) a sample made in accordance with subsection (13) or (14), based on the methodology used and the representativeness of the sample. [emphasis mine]
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AUTRES ÉLÉMENTS
[19] En plus de l'affidavit de M. Borgerding auquel il a déjà été fait allusion, les demanderesses ont déposé, à l'appui de leur demande de contrôle judiciaire, l'affidavit de M. Stewart Massey, directeur des services scientifiques chez Imperial Tobacco et ancien président du comité technique du CCFPT.
[20] La demanderesse, Rothmans, Benson & Hedges Inc., appuie les faits qu'elle invoque sur l'affidavit de Steve Chapman, son directeur des services scientifiques, comme le fait JTI-MacDonald par l'intermédiaire de Bruno Duguay, son conseil interne. Il n'est pas nécessaire de résumer leurs affidavits. Ils exposent aussi le processus de demande d'exemption, en ce qui concerne leur société, et celui-ci reflète le processus décrit par M. Massey.
[21] L'affidavit de M. Massey porte principalement sur la genèse et sur l'historique législatif du Règlement qui, comme il l'a noté, élargit les obligations imposées aux fabricants de tabac en prévoyant la présentation périodique de rapports au ministre sur des questions comme les ventes de produits de tabac à la consommation, les recherches et les activités de promotion des compagnies de tabac ainsi que sur les ingrédients, les éléments constitutifs et les émissions des produits du tabac.
[22] Il indique que le paragraphe 14(11) du Règlement a pour but d'accorder une exemption à l'égard de l'obligation d'effectuer des tests complets sur une partie ou sur la totalité des émissions décrites aux annexes 2 et 3, dans le cas où le fabricant démontre au ministre l'existence de « liens fonctionnels » statistiquement fiables entre les concentrations de goudron et les autres émissions (à l'exception de la nicotine) et entre les concentrations de nicotine et les autres émissions (autres que le goudron).
[23] Il affirme que le paragraphe 14(11) tient compte du fait que dans la plupart des cas, il existe des liens directs et scientifiquement démontrables entre les concentrations de goudron et de nicotine que l'on trouve dans la fumée principale et dans la fumée latérale de tabac et les concentrations des autres émissions énumérées dans les annexes au Règlement. C'est pour cette raison que la mesure des concentrations de goudron et de nicotine dans la fumée du tabac et l'application des liens fonctionnels appropriés permet de prédire avec une bonne certitude les concentrations des autres émissions énumérées dans les annexes 2 et 3 et cela vient du fait que le goudron et la nicotine sont en relation directe avec la quantité de tabac consumée et que le goudron représente la quantité totale des autres émissions des produits énumérés dans ces annexes.
[24] M. Massey note que, lorsque le ministre a fait l'annonce initiale de l'élaboration d'un Règlement, il n'a pas parlé de la possibilité d'accorder des exemptions mais qu'après avoir consulté l'industrie, les intéressés se sont entendus sur le principe d'une exemption en se fondant sur les études menées aux États-Unis, entre 1994 jusqu'à l'étude d'étalonnage du Massachusetts de 1999, qui avaient été effectuées dans le cadre d'un projet de règlement que devait adopter le ministère de la Santé publique de cet État.
[25] Pendant l'élaboration du Règlement au Canada, un groupe de travail technique, composé de scientifiques de Santé Canada, de représentants techniques de l'industrie du tabac et d'autres spécialistes techniques indépendants a été constitué. Dès le départ, s'est posée la question du contenu des rapports proposés qui, tel que conçu au départ, exigeait que l'on effectue des analyses complètes, prévoyant plus de 950 mesures relatives aux émissions de fumée pour chaque marque de cigarette vendue et 120 000 mesures distinctes pour analyser intégralement toutes les cigarettes vendues au Canada.
[26] M. Borgerding a présenté cela de la façon suivante dans son affidavit (pages 264, 265 et 266, vol. 1 du D.D., paragraphes 47, 48, 49 50, 51, 52 et 55) :
[traduction]
47. Dans le souci d'obtenir les meilleures données relatives aux émissions du tabac dans un délai raisonnable et gérable, on a soumis à l'étude du groupe de consultation technique une méthode pratique. Cette méthode était basée sur l'étalonnage.
48. Selon sa définition habituelle, l'étalon est « toute chose qui peut être utilisée comme référence » . Dans le contexte du Règlement, l'étalonnage consiste à générer des données relatives à un ensemble défini de produits du tabac qui seront utilisées comme références pour prévoir les concentrations d'émissions des produits contenus dans la fumée d'autres cigarettes.
49. La quantité de fumée produite par la combustion d'une cigarette peut être évaluée en se basant sur la mesure des concentrations générales de fumée, notamment le « goudron » , la nicotine et le monoxyde de carbone. Étant donné que la composition de la fumée ne varie pas d'une marque de cigarette à une autre lorsque les cigarettes ont des caractéristiques semblables, les concentrations des émissions de chacune des fumées permettent de suivre la quantité de fumée produite par la combustion d'une cigarette donnée. Par conséquent, en principe, il est possible de prévoir les concentrations d'émissions individuelles de fumée à partir des concentrations de « goudron » , de nicotine et de monoxyde de carbone, pourvu que le lien entre les concentrations (ou « les liens fonctionnels » ) des différentes émissions de fumée et le « goudron » , la nicotine ou le monoxyde de carbone aient été établis au préalable par « étalonnage » .
50. En 1999, les fabricants canadiens ont entrepris, en consultation avec des fonctionnaires de Santé Canada, une étude d'étalonnage dans le but de démontrer la viabilité de cette méthode. L'étude a porté sur 28 marques de cigarettes canadiennes. Plus de 40 analyses ont été effectuées sur chacune des cigarettes en utilisant deux systèmes différents d'analyse pour la fumée principale et un autre système pour la fumée latérale. Au total, cette étude a permis d'obtenir plus de 28 000 points de données et a coûté près de 3 millions de dollars.
51. L'étude de 1999 a permis d'établir des « liens fonctionnels » pour chacune des émissions de fumée pertinentes. Le « lien fonctionnel » est la formulation mathématique de la façon dont une émission de fumée est reliée à une autre. Plus précisément, dans le cas de l' « étude d'étalonnage » et selon le Règlement, sous sa forme actuelle, cette description mathématique montre, pour une cigarette donnée, comment une émission pertinente est reliée aux émissions de « goudron » et de nicotine pour cette cigarette...
52. Des liens fonctionnels linéaires satisfaisants ont été établis pour toutes les émissions analysées au cours des études d'étalonnage pour vingt-huit marques de cigarettes effectuées en 1999 et en 2000. Les liens fonctionnels établis dans ces études peuvent être utilisés pour prévoir les concentrations individuelles d'émissions de fumée provenant d'autres cigarettes fabriquées de façon semblable et vendues au Canada.
53. . . .
54. . . .
55. Il est toutefois important de noter que, lorsqu'une relation fonctionnelle individuelle pour l'une des plus de quarante émissions concernées n'est pas satisfaisante aux termes de l'article 14 du Règlement, cela n'a aucune incidence sur le caractère satisfaisant des relations fonctionnelles établies pour les autres douzaines d'émissions.
[27] À ce sujet, M. Massey mentionne, dans son affidavit, un avis publié par Santé Canada dans la partie I de la Gazette du Canada du 22 janvier 2000 qui invitait les intéressés à présenter des commentaires au sujet du projet de règlement. Cet avis faisait référence au Tobacco Testing and Disclosure Regulations de la Colombie-Britannique entré en vigueur en juillet 1998 et notait que ce Règlement prévoyait l'utilisation de méthodes identiques à celles qui étaient proposées et que ces méthodes étaient utilisées depuis plus d'un an. L'avis poursuivait :
Santé Canada a également prévu des exemptions partielles à l'égard des produits chimiques et des produits pour lesquels la preuve a été faite qu'une relation fonctionnelle existe, ce qui réduit dans une large mesure les coûts associés à l'application du projet de règlement.
[28] M. Massey note que, lorsque le Règlement a été publié dans la Gazette du Canada, partie II, le 19 juillet 2000, que le résumé de l'étude d'impact de la réglementation (REIR) contenait le passage suivant :
De plus, lorsqu'il a été démontré en laboratoire que la concentration de constituants choisis dans les émissions de certains produits est identique entre les marques, les fabricants de tabac ont eu le choix de tester un plus petit nombre de marques et de prédire les concentrations de produits chimiques pour la plupart des marques en se servant d'un calcul mathématique. Le fait de se servir de ce repère dans le règlement réduirait de façon significative les coûts des tests pour l'industrie tout en s'assurant que la population canadienne puisse être totalement informée de la gamme et du niveau d'émissions toxiques des produits du tabac.
[29] M. Massey soutient que la disposition relative à l'étalonnage que contient le paragraphe 14(11) est conforme à la politique de réglementation du gouvernement fédéral qui consiste à éviter d'imposer des fardeaux inutiles et à réduire le plus possible les coûts d'observation du Règlement, tout en respectant les objectifs du Règlement.
[30] Dans son affidavit, M. Massey aborde ensuite l'étude d'étalonnage de 2000 et le traitement de leurs deux demandes d'exemption, la première concernant des cigarettes et présentée le 1er décembre 2000, et l'autre, présentée le 15 décembre 2000, concernant le tabac à cigarettes (coupe fine) et sur laquelle porte la présente demande de contrôle judiciaire.
[31] Dans son affidavit, M. Massey note que le 16 janvier 2001, Santé Canada a accordé aux demanderesses l'exemption demandée pour les cigarettes dans leur demande du 1er décembre 2000, à la condition que certaines marques de cigarettes différentes fassent l'objet d'autres analyses.
[32] M. Massey examine ensuite le rapport sur l'analyse préparé par M. Kaiserman qui a examiné les données présentées par les demanderesses pour leur demande d'exemption partielle pour le tabac à cigarettes (coupe fine) présentée le 15 décembre 2000. Il estime que le rapport de M. Kaiserman concluait, à l'exception de quatre composés chimiques, que les liens fonctionnels relatifs aux cigarettes qu'il avait examinés permettait de prévoir les émissions de fumée principale pour le tabac coupe fine et surévaluait les prévisions d'émissions de fumée latérale.
[33] M. Massey a cité le passage suivant du rapport de M. Kaiserman :
[traduction] D'après cette analyse, il est possible de conclure que les cigarettes fabriquées à partir de tabac à cigarettes ou de tabac à coupe fine produisent des concentrations d'émissions semblables aux cigarettes faites à la machine, à l'exception de certains composés chimiques.
Je recommande qu'une exemption soit accordée aux sociétés qui l'ont demandée, à l'exception des produits suivants [M. Kaiserman énumère ensuite les émissions mentionnées dans la lettre de M. Choinière qui faisait état de cette décision].
[34] Le ministre a répondu à ces arguments en présentant les affidavits de Denis Choinière, Murray Kaiserman et Carolyn Ferland.
[35] Dans ces motifs, j'ai déjà reproduit certains passages des affidavits de M. Choinière. Dans l'affidavit qu'il a déposé le 12 septembre 2001, M. Choinière retrace l'historique de l'élaboration de l'exemption prévue au paragraphe 14(11) du Règlement, après avoir répété que la demande d'exemption avait été refusée parce qu'un lien fonctionnel n'avait pas été établi entre le goudron et la nicotine et toutes les autres émissions mentionnées dans les annexes.
[36] Au sujet de l'historique législatif de la disposition relative à l'exemption, il parle des consultations intervenues entre Santé Canada et le CCFPT au sujet de l'élaboration de ce Règlement, de l'étude d'étalonnage de 1999 et de la demande présentée par le CCFPT pour qu'une disposition en matière d'exemption soit ajoutée au Règlement.
[37] M. Choinière déclare au paragraphe 12 de son affidavit que Santé Canada s'est fondé sur les résultats de l'étude d'étalonnage de 1999 pour ajouter au Règlement le paragraphe 14(11) qui prévoit une exemption de l'obligation de produire un rapport relatif aux émissions, pourvu que certaines conditions soient remplies. Il cite la version française de ce paragraphe et indique que le lien fonctionnel doit exister, d'une part, « entre le goudron et chacune des autres émissions » et, d'autre part, « entre la nicotine et les autres émissions » .
[38] M. Choinière note les conditions qu'impose le paragraphe 14(13) au sujet de la taille de l'échantillon pour pouvoir obtenir une exemption. L'échantillon doit être composé d'au moins 28 marques différentes et de deux échantillons de référence d'un même type de produit désigné représentatif des émissions de goudron et de nicotine pour ce type de produit du tabac désigné, tel que prescrit.
[39] L'affidavit de M. Kaiserman a été déposé également le 12 septembre 2001. Il affirme que depuis 1989, il participe, à divers titres et en divers rôles, au « dossier du tabac de Santé Canada » , notamment depuis juin 1998, en tant qu'agent de liaison du ministère avec les représentants de l'industrie canadienne du tabac pour les consultations qui ont débouché sur la mise en oeuvre du Règlement.
[40] Il parle des mesures qu'ont prises les fabricants de tabac canadiens après l'annonce par le ministre de la préparation du Règlement. Il confirme la création d'un groupe de travail technique composé des représentants de Santé Canada et des fabricants chargé d'examiner les aspects scientifiques de la proposition initiale de Santé Canada et [traduction] « d'élaborer des façons de réduire le coût des fabricants, tout en respectant les objectifs de Santé Canada qui consistent à mieux informer les fumeurs et le gouvernement au sujet des quantités des produits chimiques se trouvant dans la fumée du tabac » .
[41] Il confirme le fait que la méthodologie proposée par les fabricants était l' « étude d'étalonnage de 1999 » . Il note les conditions relatives à la taille de l'échantillon.
[42] M. Kaiserman décrit le principe derrière la méthode de l'étalonnage, c'est-à-dire, la possibilité de recueillir des données susceptibles d'être interprétées de façon « à établir un lien statistique entre le goudron et chacun des autres produits chimiques, et d'utiliser ces liens statistiques pour calculer la qualité des produits chimiques se trouvant dans la fumée des marques comparables mais non identiques à celles qui ont été utilisées pour l' « étude d'étalonnage » , et la possibilité d'utiliser le résultat d'un petit nombre de marques pour prédire les résultats relatifs aux produits chimiques contenus dans des cigarettes de marques comparables.
[43] Voici ce que déclare M. Kaiserman au paragraphe 13 de son affidavit :
[traduction] Santé Canada a donné suite à la proposition des fabricants d'ajouter au Règlement une exemption par le biais du paragraphe 14(11).
[44] M. Kaiserman déclare ensuite que le 6 novembre 2000, le groupe de travail sur le tabac s'est rencontré pour parler « entre autres choses, des résultats de "l'étalonnage du tabac coupe fine" » . Il mentionne que les fabricants ont été informés du fait que « l'analyse d'étalonnage du tabac coupe fine » ne respectait pas les dispositions du paragraphe 14(13) du Règlement parce que le nombre des marques de commerce et les échantillons ne répondaient pas aux conditions fixées.
[45] Le 15 décembre 2000, il affirme que les fabricants ont présenté à Santé Canada une « analyse d'étalonnage pour le tabac coupe fine » et ont demandé une exemption pour les cigarettes fabriquées avec ce tabac. Ces données ont été évaluées à l'interne sur le plan de la statistique et il les a ensuite revues. Il a noté encore une fois que l' « analyse d'étalonnage du tabac coupe fine » ne portait encore que sur six marques de tabac à cigarettes et qu'aucun échantillon-type de tabac à cigarettes n'avait été fourni.
[46] Il affirme que les données présentées par les fabricants de tabac canadiens indiquaient que la combinaison des deux « étalonnages » , cigarettes et coupe fine, pouvait être utilisée pour calculer les émissions de fumée principale de tous les produits chimiques exigés sauf quatre. Pour ce qui est de la fumée latérale, la combinaison de ces étalonnages ne permettait pas de prévoir aussi bien ces résultats, puisque cette méthode donnait un résultat supérieur à celui des analyses pour tous les composés chimiques sauf sept, pour lesquels les prévisions étaient trop faibles.
[47] M. Kaiserman conclut son affidavit en déclarant :
[traduction] C'est en me fondant sur cette base statistique que j'ai recommandé, le 20 février 2001, d'accorder une exemption partielle aux trois principaux fabricants. [non souligné dans l'original]
[48] Il n'est pas nécessaire de reprendre en détail l'affidavit de Carolyn Ferland. L'argument présenté dans son affidavit n'a pas été soulevé à l'instruction de la demande des demanderesses.
ANALYSE
[49] L'issue de la demande de contrôle judiciaire dépend de l'application des principes d'interprétation législative, pour ce qui est du jugement déclaratoire sollicité par les demanderesses mais pas pour l'ordonnance portant annulation de la décision qu'elles souhaitent obtenir.
[50] Quelle que soit ma décision sur la question de savoir si le paragraphe 14(11) du Règlement prévoit une exemption partielle, il existe d'autres motifs qui justifient la décision du 22 mars 2001 prise par M. Choinière. Les demandes d'exemption à l'égard du tabac à cigarettes présentées par les diverses demanderesses n'ont pas été présentées en temps utile; elles auraient dû être déposées au plus tard le 1er décembre 2000 et non pas le 15 décembre 2001.
[51] Il y a surtout le libellé du paragraphe 14(13) du Règlement. Ce paragraphe énonce clairement que, pour donner droit à une exemption aux termes du paragraphe 14(11), l'échantillon (l'étalon) doit être composé d'au moins vingt-huit (28) marques différentes et deux (2) échantillons de référence d'un même type de produit du tabac désigné, expression qui comprend, selon la définition de l'article 1 du Règlement, le tabac à cigarettes.
[52] M. Choinière a pris la décision attaquée pour le compte du ministre. Elle a été prise conformément au paragraphe 14(15) du Règlement. Il avait le droit de rejeter les demandes présentées le 15 décembre 2000 parce qu'elles ne respectaient pas l'alinéa 14(15)b) du Règlement qui mentionne expressément que l'échantillon doit être conforme aux paragraphes 14(13) et 14(14) du Règlement.
[53] Cela laisse aux demanderesses comme réparation possible la déclaration recherchée dans leur demande modifiée que je reproduis ici à nouveau pour la commodité du lecteur :
[traduction] Une ordonnance déclarant que pour avoir droit à une exemption à l'égard de l'obligation de présenter un rapport conformément au paragraphe 14(11) du Règlement sur les rapports relatifs au tabac concernant les émissions de fumée individuelle énumérées dans les annexes 2 et 3 du Règlement, le fabricant n'est pas tenu de démontrer l'existence d'un lien fonctionnel linéaire entre le goudron et chacune des émissions mentionnées aux annexes 2 et 3, à l'exception de la nicotine, ni d'un lien entre la nicotine et toutes les émissions mentionnées aux annexes 2 et 3 à l'exception du goudron;
[54] Le libellé de cette déclaration indique clairement que les demanderesses souhaitent que la Cour déclare qu'elles ont le droit d'obtenir une exemption partielle.
[55] Je note que la déclaration ne se limite pas aux demandes d'exemption présentées le 15 décembre 2000 aux termes du paragraphe 14(11) du Règlement, qui concerne uniquement les rapports prévus pour l'année 2001. Le libellé de la déclaration recherchée vise l'avenir, ce qui est l'objet classique d'une demande de jugement déclaratoire.
[56] Comme nous l'avons noté ci-dessus, la solution à la question en litige ici est une question d'interprétation législative. Je vais commencer par faire référence à l'observation souvent citée du juge Iacobucci dans l'arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, aux paragraphes 20, 21, 22 et 23 :
¶ 20 Une question d'interprétation législative est au centre du présent litige. Selon les conclusions de la Cour d'appel, le sens ordinaire des mots utilisés dans les dispositions en cause paraît limiter l'obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d'emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié leurs employés. À première vue, la faillite ne semble pas cadrer très bien avec cette interprétation. Toutefois, en toute déférence, je crois que cette analyse est incomplète.
¶ 21 Bien que l'interprétation législative ait fait couler beaucoup d'encre (voir par ex. Ruth Sullivan, Statutory Interpretation (1997); Ruth Sullivan, Driedger on the Construction of Statutes (3e éd. 1994) (ci-après « Construction of Statutes » ); Pierre-André Côté, Interprétation des lois (2e éd. 1990)), Elmer Driedger dans son ouvrage intitulé Construction of Statutes (2e éd. 1983) résume le mieux la méthode que je privilégie. Il reconnaît que l'interprétation législative ne peut pas être fondée sur le seul libellé du texte de loi. À la p. 87, il dit :
[TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.
¶ 22 Je m'appuie également sur l'art. 10 de la Loi d'interprétation, L.R.O. 1980, ch. 219, qui prévoit que les lois « sont réputées apporter une solution de droit » et doivent « s'interpréter de la manière la plus équitable et la plus large qui soit pour garantir la réalisation de leur objet selon leurs sens, intention et esprit véritables » .
¶ 23 Bien que la Cour d'appel ait examiné le sens ordinaire des dispositions en question dans le présent pourvoi, en toute déférence, je crois que la cour n'a pas accordé suffisamment d'attention à l'économie de la LNE, à son objet ni à l'intention du législateur; le contexte des mots en cause n'a pas non plus été pris en compte adéquatement. Je passe maintenant à l'analyse de ces questions. [non souligné dans l'original]
[57] Dans l'arrêt Rizzo Shoes, précité, les anciens employés d'une société en faillite avaient déposé une preuve de réclamation auprès du syndic de faillite pour les indemnités de licenciement ou de cessation d'emploi qui leur étaient dues aux termes de la Loi ontarienne sur les normes d'emploi (la LNE). Le syndic a rejeté cette réclamation, décision qui a été infirmée par une décision de la Cour divisionnaire de l'Ontario qui a elle-même été infirmée par la Cour d'appel de l'Ontario.
[58] La LNE prévoit qu' « aucun employeur ne doit licencier un employé... » sans lui donner le préavis requis ou lui verser les indemnités prescrites à défaut de préavis.
[59] Les employés de Rizzo Shoes avaient perdu leur emploi à la suite de la délivrance d'une ordonnance de séquestre aux termes de la Loi sur la faillite. La Cour d'appel de l'Ontario a conclu que la LNE ne s'appliquait pas à cette situation parce que Rizzo Shoes n'avait pas congédié ses employés mais que la cessation d'emploi résultait de l'effet de la loi, à savoir la Loi sur la faillite.
[60] La Cour d'appel de l'Ontario a appliqué la règle d'interprétation législative basée sur le sens ordinaire des mots qui paraît, selon le juge Iacobucci « limiter l'obligation de verser une indemnité de licenciement et une indemnité de cessation d'emploi aux employeurs qui ont effectivement licencié leurs employés » et qui a fait remarquer que le licenciement involontaire par l'effet de la faillite « ne semble pas cadrer très bien avec cette interprétation » . Selon lui, cette analyse est incomplète et il a estimé que la Cour d'appel de l'Ontario « n'a pas accordé suffisamment d'attention à l'économie de la LNE, à son objet ni à l'intention du législateur; le contexte des mots en cause n'a pas non plus été pris en compte adéquatement » .
[61] Le juge Iacobucci a basé son analyse sur les considérations suivantes :
(1) la LNE a pour objet de protéger les intérêts des employés;
(2) les dispositions de la LNE en matière d'indemnité de licenciement et de cessation d'emploi recherchent le même but, tout comme le préavis qui donne aux employés la possibilité de se préparer et de chercher un autre emploi ou, à défaut, l'indemnité qui protège les employés des effets néfastes du bouleversement économique causé par le licenciement;
(3) les dispositions en matière d'indemnité de licenciement que contient la LNE visent également à indemniser les employés ayant beaucoup d'ancienneté et à tenir compte des années qu'ils ont investies dans l'entreprise de l'employeur.
[62] À la suite de cette analyse, le juge Iacobucci conclut « les conséquences ou effets qui résultent de l'interprétation que la Cour d'appel a donné des articles 40 et 40a de la LNE ne sont compatibles ni avec l'objet de la Loi ni avec l'objet d'une disposition relative à l'indemnité de licenciement et à l'indemnité de cessation d'emploi elles-mêmes » . Il poursuit au paragraphe 27 :
Selon un principe bien établi en matière d'interprétation législative, le législateur ne peut avoir voulu des conséquences absurdes. D'après Côté, op. cit., on qualifiera d'absurde une interprétation qui mène à des conséquences ridicules ou futiles, si elle est extrêmement déraisonnable ou inéquitable, si elle est illogique ou incohérente, ou si elle est incompatible avec d'autres dispositions ou avec l'objet du texte législatif (aux pages 430 à 432). Sullivan partage cet avis en faisant remarquer qu'on peut qualifier d'absurdes les interprétations qui vont à l'encontre de la fin d'une loi ou en rendre un aspect inutile ou futile (Sullivan, Construction of Statutes, op. cit., à la p. 88).
[63] Le juge Iacobucci a noté que, si la LNE ne s'appliquait pas au licenciement par l'effet de la loi en cas de faillite, les employés qui auraient eu la « chance » d'être congédiés la veille de la faillite auraient droit à ces indemnités alors que ceux qui perdaient leur emploi le jour où la faillite devient définitive n'y auraient pas droit. À son avis, cette conséquence était évidemment absurde dans un milieu syndiqué où les mises à pied se font à l'ancienneté.
[64] En outre, le juge Iacobucci a déclaré que l'interprétation de la Cour d'appel de l'Ontario était arbitraire parce qu'elle établissait une distinction entre les employés en se fondant simplement sur la date de leur congédiement, alors qu'un tel résultat priverait arbitrairement certains employés d'un moyen de faire face au bouleversement économique causé par le chômage. Pour lui, l'interprétation de la Cour d'appel de l'Ontario était déraisonnable parce qu'elle aurait pour effet de limiter les protections accordées par la LNE plutôt que de les étendre.
[65] Il a poursuivi son analyse en examinant l'historique de la loi, les débats devant l'Assemblée législative de l'Ontario et la nature du régime législatif qui peut être qualifié de loi conférant des avantages et qui doit, à ce titre, être interprété de façon libérale et généreuse. Il s'est appuyé sur tous ces éléments pour justifier son interprétation.
[66] Il a conclu que, lorsqu'on examine les termes exprès de la LNE, replacés dans leur contexte global, il est largement permis « de conclure que les mots "l'employeur licencie" doivent être interprétés de manière à inclure la cessation d'emploi résultant de la faillite de l'employeur » .
[67] En l'espèce, la méthode et les observations présentées par l'avocat des demanderesses au sujet de l'interprétation législative sont tout à fait compatibles avec le point de vue exposé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Rizzo Shoes, précité. Son argument comprenait trois parties : la règle du sens ordinaire des mots, la nécessité de concilier les versions française et anglaise et la confirmation de l'interprétation proposée par les demanderesses en faisant référence à l'objet et aux conséquences de la disposition et à la notion d'absurdité.
[68] Il a d'abord présenté un résumé des principes généraux à la base de la règle du sens ordinaire des mots exposée dans le traité de Ruth Sullivan intitulé Driedger on the Construction of Statutes, Butterworths Canada, 3e édition, 1994 :
[traduction]
Résumé de la règle du sens ordinaire des mots : les principes généraux. La règle du sens ordinaire des mots, telle que comprise et appliquée par les tribunaux à l'heure actuelle, comprend les principes suivants.
(1) Il est présumé que le sens ordinaire d'un texte législatif est le sens voulu ou le plus approprié. En l'absence d'un motif tendant à l'écarter, le sens ordinaire des mots est retenu.
(2) Même lorsque le sens ordinaire d'un texte législatif semble être clair, les tribunaux doivent tenir compte du but et de l'objet de la loi, ainsi que des conséquences qu'aurait l'adoption de ce sens. Ils doivent tenir compte de tous les éléments indiquant la nature de l'intention du législateur.
(3) À la lumière de ces considérations supplémentaires, le tribunal peut adopter une interprétation qui modifie ou écarte le sens ordinaire des mots. Cette interprétation doit toutefois être plausible; c'est-à-dire qu'elle doit donner aux mots un sens qu'ils peuvent raisonnablement avoir.
Cette formulation de la règle du sens ordinaire des mots n'est pas très rigide ni contraignante. Elle reconnaît le fait que le sens ordinaire des mots ne fournit pas toujours aux tribunaux la solution et qu'il y a lieu parfois d'écarter ce sens pour tenir compte d'un autre élément. Néanmoins, cette règle indique que l'on peut prendre les mots dans leur sens ordinaire et que ce sens est déterminant, s'il n'y a pas de raison de s'en écarter.
La version moderne de la règle du sens ordinaire des mots évite certains problèmes associés avec l'ancienne règle mais elle soulève néanmoins encore un certain nombre de questions.
[69] Il soutient que le paragraphe 14(11) n'énonce pas qu'il faut démontrer l'existence d'un lien fonctionnel pour « toutes » les émissions, un mot qui n'apparaît pas dans ce paragraphe. En fait, il faut établir une relation fonctionnelle entre le goudron et « chacune des autres émissions... » et entre la nicotine et « les autres émissions... » Il signale que M. Choinière a utilisé le mot « toutes » dans son affidavit.
[70] Il examine la définition du mot « all » (tout, en français) dans le Shorter Oxford Dictionary, troisième édition, qui donne [traduction] « l'ensemble entier, sans exception » et la définition de « each » (chaque en français) qui désigne [traduction] « chaque (élément) considéré séparément » . Il conclut que l'utilisation du mot « each » dans la version anglaise fait référence à l'existence d'une relation fonctionnelle entre les émissions individuelles et non pas à un lien entre toutes les émissions.
[71] Il examine ensuite le contexte immédiat dans lequel paraît le mot « each » dans la version anglaise. Il attire l'attention de la Cour sur les mots « in relation to the type of emission exemption sought » (relativement au type d'émissions en cause) du paragraphe 14(11), comme indiquant qu'il est possible de demander une exemption pour un nombre d'émissions inférieures à celui qui est mentionné dans les annexes 2 et 3. Il soutient qu'il ne serait pas nécessaire d'utiliser l'expression « a type of emission exemption » (relativement au type d'émission en cause), si l'exemption ne pouvait porter que sur l'ensemble des émissions.
[72] Cette interprétation est confortée, affirme-t-il, par le fait que la note marginale du paragraphe 14(11) se lit dans sa version anglaise « Exemption - functional relationship of certain emissions » , titre qui vise, d'après lui, une quantité moindre que la totalité des émissions énumérées aux annexes 2 et 3.
[73] Son deuxième argument principal est la nécessité de concilier les versions anglaise et française de la disposition qui diffèrent, d'après lui, étant donné que la version anglaise utilise l'expression « the type of exemption sought » alors que la version française parle de « relativement au type d'émission en cause » .
[74] Pour l'avocat des demanderesses, le seul sens qui soit commun à ces deux versions est que les émissions dont il est question aux alinéas 14(11)a) et b) sont les émissions examinées dans le cadre de l'exemption, c'est-à-dire celle qui est demandée.
[75] Lorsque l'on combine le principe du sens ordinaire des mots et le sens commun aux versions anglaise et française, on constate que l'expression « each of the other emissions » de la version anglaise fait référence aux émissions visées par la demande d'exemption et pour lesquelles l'existence d'un lien fonctionnel a été établi.
[76] La troisième partie de son argument consiste à examiner les autres principes d'interprétation dans le but de vérifier la validité des résultats obtenus par l'application de la règle du sens ordinaire des mots (la règle du sens ordinaire du mot dans son contexte immédiat combiné au sens commun aux versions anglaise et française). Il soutient qu'il faut examiner les raisons pour lesquelles le paragraphe 14(11) a été inséré dans le Règlement, même s'il reconnaît que le but du Règlement est d'élargir les obligations en matière de rapport par rapport à ce qu'elles étaient auparavant, de façon à donner à Santé Canada des données complètes sur les produits du tabac pour qu'il soit en mesure d'informer les Canadiens au sujet des dangers du tabagisme.
[77] L'exemption a été accordée dans le but de réduire les coûts associés aux analyses, tout en veillant à ce que les Canadiens soient bien informés de la gamme et du niveau des émissions toxiques. Il n'est pas nécessaire de procéder à des analyses, et cela est même en fait inutile, lorsque l'existence d'un lien fonctionnel est établi entre le goudron (ou la nicotine) et chacune des émissions prescrites. Ce lien fonctionnel ne peut être déterminé qu'au niveau de chaque émission prescrite, c'est-à-dire il y a une relation fonctionnelle pour chaque émission.
[78] Une fois un tel lien fonctionnel établi, il permet de prédire la concentration de chaque composé chimique dans des marques comparables.
[79] L'avocat soutient qu'il serait contraire au but recherché par le Règlement et par la disposition relative à l'exemption si l'on interprétait le paragraphe 14(11) comme s'il n'autorisait qu'une seule exemption visant toutes les émissions.
[80] Les demanderesses concluent que l'interprétation retenue par Santé Canada entraîne des conséquences absurdes puisqu'il est démontré que le défaut d'établir un lien fonctionnel entre le goudron (ou la nicotine) et une émission de fumée particulière n'a aucune incidence sur la validité et sur la fiabilité du lien fonctionnel établi pour d'autres émissions.
[81] M. Kaiserman de Santé Canada a même reconnu que ce point de vue était juste.
[82] Avec l'interprétation retenue par Santé Canada, les fabricants seraient obligés de procéder à des analyses coûteuses et tout à fait inutiles pour obtenir les mêmes résultats que celles que l'on peut prévoir avec la méthode actuelle d'étalonnage.
[83] L'avocate du défendeur a abordé la question de l'interprétation législative, tant dans son mémoire que dans sa plaidoirie, tous les deux présentés en français, sous l'angle de la règle du sens ordinaire des mots d'après laquelle, lorsque l'intention de l'auteur du règlement est concrétisée par des mots dont le sens est clair, cela met un terme à la question et il n'est pas nécessaire de recourir à des aides extérieures, comme, par exemple, l'historique réglementaire de l'exemption, les preuves scientifiques postérieures à l'adoption du règlement, comme celles qu'a fournies M. Borgerding dont ne disposait le rédacteur du Règlement ou les conséquences économiques découlant de l'application de termes clairs.
[84] Elle a présenté cet argument dans le cadre d'un examen de l'objet du Règlement qui, a-t-elle affirmé, est plus vaste que celui que lui assignent les demanderesses.
[85] Le Règlement vient renforcer la Loi sur le tabac qui constitue une réponse législative à un problème national de santé d'une grande importance - la nécessité de protéger la santé des Canadiens, de réduire les frais des services de santé reliés au tabagisme et de disposer d'outils pour mieux informer les Canadiens au sujet des dangers du tabagisme.
[86] Le Règlement, soutient-elle, a pour effet d'améliorer les programmes et le cadre réglementaire, la surveillance des produits, l'application de dispositions législatives et réglementaires, tout en réduisant les coûts associés à la maladie et en générant pour le Canada des bénéfices, qui comme l'indique le résumé de l'étude d'impact de la réglementation (REIR), « qui dépassent de loin le coût de ces règlements » [pour les fabricants de tabac et Santé Canada].
[87] Elle soutient que, s'il est vrai que l'exemption a pour but de diminuer les coûts des analyses, l'intention première du Règlement est de veiller à ce que les Canadiens soient bien informés au sujet de la nature et de l'importance des émissions toxiques contenues dans la fumée du tabac.
[88] L'avocate du défendeur soutient que le ministre ne peut accorder une exemption pour certaines émissions seulement. Si tel était le cas, les demanderesses pourraient se contenter d'effectuer des analyses concernant les émissions pour lesquelles aucun lien fonctionnel n'a été établi.
[89] Elle affirme que l'instance devrait principalement porter sur le paragraphe 14(15) du Règlement qui définit les cas dans lesquels le ministre peut accorder une exemption. Elle soutient que les demanderesses ont tort de centrer leur argument sur le paragraphe 14(11).
[90] Aux termes du paragraphe 14(15), elle soutient que le ministre doit être convaincu sur deux points : 1) la méthode utilisée et 2) la démonstration d'un lien fonctionnel linéaire satisfaisant fondé, notamment, sur les moyennes et les écarts-types de la quantité de « chacune des émissions, à l'exception du "goudron" et de la nicotine » pour reprendre la version anglaise « each of the emissions, other than tar and nicotine » .
[91] Elle soutient que le mot « chacune » qui se trouve au paragraphe 14(15) comporte deux aspects : un aspect individuel et un aspect collectif. Ce terme donne à comprendre qu'il faut envisager l'émission de façon individuelle au sein de l'ensemble de toutes les émissions.
[92] Elle conclut que, selon le libellé actuel du Règlement, le ministre doit déterminer s'il existe un lien fonctionnel entre toutes les émissions. Les termes de la disposition, le paragraphe 14(15), sont clairs sur ce point et sont incompatibles avec l'interprétation du paragraphe 14(11) proposée par les demanderesses, à savoir l'existence d'exemptions partielles qui, si c'était le cas, seraient mentionnées au paragraphe 14(15), ce qui n'est pas le cas.
[93] Elle ajoute que l'interprétation proposée par les demanderesses est erronée pour une autre raison. Le paragraphe 14(11) ne prévoit aucunement l'octroi d'une exemption pour les émissions. L'exemption vise l'obligation de produire le rapport qu'exige le paragraphe 14(1).
[94] Elle conclut qu'il faut tenir compte du fait que le Règlement a été rédigé en se basant sur l'étude d'étalonnage de 1999 dans laquelle toutes les émissions de fumée principale et de fumée latérale, sans exception, faisaient apparaître un lien fonctionnel entre le goudron et la nicotine et chacune des autres émissions prescrites, un fait reconnu par les demanderesses. C'est sur cette base que l'exemption a été formulée.
[95] En outre, elle affirme qu'il n'existe au dossier aucun élément qui permette d'affirmer que l'absence de liens fonctionnels établis entre le goudron et la nicotine et toutes les émissions prescrites au cours d'une étude d'étalonnage permettrait néanmoins de prévoir les émissions provenant de marques similaires non incluses dans l'étude d'étalonnage.
CONCLUSIONS
[96] Comme je l'ai laissé déjà entendre dans ces motifs, je considère que la méthode d'interprétation législative adoptée par les demanderesses se rapproche davantage de la méthode moderne que celle qu'a exposée le défendeur.
[97] La méthode moderne est décrite dans Sullivan, précité, aux pages 3 et 4, dans les termes suivants :
[traduction] Aujourd'hui, il faut toujours examiner le sens qui découle de la lecture des mots dans leur contexte immédiat à la lumière d'un contexte plus large et vérifier ce sens à l'aide des autres sources de sens législatif. Il convient de tenir compte de l'objet de la disposition législative, même lorsque le sens semble clair, ainsi que de ses conséquences. En fin de compte, le tribunal peut décider de retenir sa première impression, le sens qui ressort directement de la lecture du texte. Mais de nos jours, aucun tribunal n'estimerait qu'il y a lieu d'adopter ce sens, aussi « simple » soit-il, sans avoir au préalable suivi les différentes étapes de l'interprétation.
[98] J'en suis arrivé à ce que je considère comme étant l'interprétation correcte des dispositions en litige ici en m'appuyant sur plusieurs principes d'interprétation législatifs secondaires qui me paraissent particulièrement pertinents en l'espèce.
[99] Cette question soulève deux présomptions d'interprétation législative : la présomption en faveur de la cohérence et la présomption contre la tautologie.
[100] Ruth Sullivan explique la présomption en faveur de la cohérence à la page 176 de son traité :
[traduction] Les dispositions législatives sont présumées avoir été conçues pour s'appliquer ensemble, tant sur le plan logique que téléologique, à titre de parties d'un ensemble fonctionnel. Ces parties sont présumées s'insérer les unes dans les autres logiquement pour former un cadre rationnel et cohérent sur le plan interne; en outre, étant donné que le cadre a un objectif, on présume également que les parties doivent travailler ensemble, de façon dynamique, et apporter toutes une contribution à la réalisation du but recherché.
[101] Le principe général visant la présomption contre la tautologie est également expliqué par Ruth Sullivan dans son traité à la page 159 :
[traduction] Le législateur est présumé ne pas avoir voulu utiliser des mots superflus ou dépourvus de sens, ni se répéter pour rien ou parler en vain. Chaque mot d'une loi est présumé avoir un sens et jouer un rôle précis dans la réalisation de l'objet législatif... Comme lord Simon le déclare, chaque mot et chaque disposition d'une loi doivent avoir un sens et une fonction. C'est pourquoi les tribunaux devraient toujours tenter d'éviter les interprétations qui auraient pour effet de rendre une partie de loi inutile, redondante ou dépourvue de sens.
[102] Lorsqu'on interprète une loi, il y a une série de choses que l'on ne peut faire : on ne peut supprimer les mots qui figurent dans le texte; on ne peut ajouter des mots qui ne s'y trouvent pas et, en général, le tribunal ne peut pas combler une lacune législative. Par conséquent, l'interprétation adoptée doit être vraisemblable : elle doit être également raisonnable.
[103] L'avocate du défendeur présente deux arguments révélateurs que je retiens. Tout d'abord, elle affirme que la décision du ministre doit se conformer aux conditions énoncées dans le paragraphe 14(15) du Règlement. Cela dit, je note que le paragraphe 14(15) fait référence de façon générale aux paragraphes 14(11) à 14(14) qui énoncent les conditions que doit respecter une méthode d'étalonnage acceptable.
[104] Deuxièmement, elle soutient à juste titre que l'exemption prévue par le paragraphe 14(11) ne vise pas les émissions mais l'obligation de présenter les rapports décrits au paragraphe 14(1). Ces obligations déclaratives exigent que soient fournis les renseignements prescrits, par marque et par type de produits du tabac désignés, concernant les émissions contenues dans la fumée principale et dans la fumée latérale.
[105] Pour pouvoir fournir les renseignements exigés dans le rapport, chaque demanderesse doit effectuer des analyses à cette fin. Elles utilisent des machines à fumer pour effectuer ces analyses. La taille des échantillons, les méthodes de collecte des données et le contenu du rapport sont tous des éléments prescrits par le Règlement.
[106] L'avocat des demanderesses a utilisé le dictionnaire pour déterminer le sens du mot « each » dans la version anglaise. Cependant, comme l'a reconnu lord Greene dans Re Bidie, Bidie v. General Accident, Fire & Life Assurance Corp. [1998] 2 All. E.R. 995, à la p. 998 (C.A.)
[traduction] Il y a peu de mots en anglais qui aient un sens naturel ou ordinaire, dans le sens où il faut leur donner un sens entièrement indépendant du contexte.
[107] Ruth Sullivan souligne les dangers qu'il y a à s'en remettre au sens des mots que donne le dictionnaire (à la page 11 de son traité). Elle parle de la plasticité des mots.
[108] Le Shorter Oxford Dictionary, 5e édition illustre bien ce point : le mot anglais « each » (chaque, en français) peut vouloir dire « each and all, collectively and individually; every » (en français, chacun des éléments, pris collectivement ou individuellement; chaque).
[109] L'avocat des demanderesses soutient à juste titre qu'il faut donner un sens à l'expression « type d'émission en cause » qui se trouve au paragraphe 14(11).
[110] Je ne pense toutefois pas qu'il soit nécessaire de concilier les versions anglaise et française parce que j'estime que la version française a le même sens que la version anglaise.
[111] J'en suis arrivé à cette conclusion en examinant le libellé de la clause d'exemption telle qu'elle figurait dans la première publication du projet de règlement dans la partie I de la Gazette du Canada du 1er avril 2000. La version française se lisait « relativement au type demandé d'exemption pour émission » , formulation que le rédacteur a senti le besoin de raffiner, ce qui explique que la version publiée du Règlement utilise l'expression « au type d'émission en cause » . La structure de la version française n'exigeait pas que l'on reprenne la notion d'exemption, étant donné que l'exemption ne visait pas les émissions mais plutôt l'obligation de présenter un rapport au sujet des émissions.
[112] Si l'on examine tous les mots du paragraphe 14(11), dans le contexte des paragraphes voisins et dans celui de l'article 14, le sens des expressions « type d'émission en cause » et « chacune des autres émissions » apparaît. Comme l'a déclaré l'avocate du défendeur, le Règlement n'envisage que deux types d'émissions : les émissions de fumée principale et les émissions de fumée latérale.
[113] Ce point de départ m'amène à conclure que l'exemption demandée dont parle le paragraphe 14(11) vise un des deux éléments suivants : une exemption à l'égard des obligations déclaratives concernant les émissions de fumée principale et une exemption à l'égard des obligations déclaratives concernant les émissions de fumée latérale.
[114] Il ressort clairement de la partie 3 du Règlement et de l'ensemble des annexes 2 et 3 que le gouverneur en conseil qui a adopté le Règlement a établi une ligne de démarcation très nette entre la fumée principale et la fumée latérale : 1) les émissions énumérées dans les annexes 2 et 3 ne sont pas tout à fait identiques; 2) les méthodes de collecte des données sont différentes; 3) les obligations déclaratives ne sont pas identiques même si elles se recoupent (voir le paragraphe 14(7)).
[115] Le gouverneur en conseil indique clairement au paragraphe 14(1) que le fabricant peut demander une exemption des obligations déclaratives, à savoir « l'obligation de présenter le rapport aux termes du paragraphe (1) à l'égard des émissions présentes dans la fumée principale ou dans la fumée latérale » .
[116] Autrement dit, le ministre peut accorder une exemption à l'égard de la fumée principale ou à l'égard de la fumée latérale, ou à l'égard des deux, à la condition que chacune des émissions contenues dans cette fumée, provenant d'une de ces deux sources de fumée ou des deux, ait un lien fonctionnel satisfaisant.
[117] Il ne ressort aucunement du Règlement que le gouverneur en conseil ait eu l'intention de fragmenter toutes les émissions mentionnées dans les annexes 2 et 3 pour ce qui est de l'analyse et des rapports. C'est ce qui confirme l'emploi des mots « each of the other emissions » , et « each of the emissions » dans la version anglaise et des mots français correspondant « les autres émissions » , « chacune des autres émissions » dans la version française, qui indiquent que le lien fonctionnel entre les deux sources de fumée doit viser toutes les émissions, tant individuellement que collectivement.
[118] L'avocat des demanderesses a insisté sur le fait qu'une telle interprétation aurait des conséquences absurdes, étant donné que les preuves démontraient que le lien fonctionnel visait chaque émission et que les preuves non contredites établissaient, ce que d'ailleurs M. Kaiserman a accepté, qu'une absence de lien n'avait pas pour effet de compromettre le lien établi pour d'autres émissions.
[119] Les parties s'entendent pour reconnaître que l'exemption a été rédigée à partir de l'étude d'étalonnage de 1999. Cette étude démontrait l'existence d'un lien fonctionnel complet pour toutes les émissions de fumée principale et de fumée latérale.
[120] Il est vrai que le défendeur n'a pas réfuté le témoignage de M. Borgerding. M. Choinière a toutefois déclaré que les preuves qui ont amené Santé Canada à recommander l'adoption d'une disposition en matière d'exemption était l'étude d'étalonnage de 1999.
[121] Je ne pense pas qu'il appartienne au tribunal d'apprécier, par le biais de l'interprétation et de l'application de la règle visant à éviter les conséquences absurdes, des éléments de preuve dont ne disposait pas l'auteur du règlement ou qui étaient différents de ceux dont il disposait, en particulier lorsqu'il s'agit de sujets scientifiques complexes. J'estime que, correctement interprétée, la disposition relative à l'exemption n'entraîne pas de conséquences déraisonnables.
[122] Les demanderesses devraient en fait s'adresser à l'auteur du règlement.
[123] Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens. Le jugement déclaratoire sollicité par les demanderesses ne sera pas prononcé.
« François Lemieux »
Juge
Vancouver (Colombie-Britannique)
le 16 février 2004
Traduction certifiée conforme
Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1051-01
INTITULÉ : IMPERIAL TOBACCO CANADA LIMITED
ET AUTRES c.
LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AUTRES
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LES 3 ET 4 SEPTEMBRE 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE: LE JUGE LEMIEUX
DATE DES MOTIFS : LE 16 FÉVRIER 2004
COMPARUTIONS :
David R. Collier POUR LES DEMANDERESSES
Marie Marmet POUR LES DÉFENDEURS
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
OGILVY RENAULT POUR LES DEMANDERESSES
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada POUR LES DÉFENDEURS