Date : 19980130
Dossier : IMM-1709-97
ENTRE :
PARAMAYOGAMANY MURUGAMOORTHY,
requérante,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE REED :
[1] Ces motifs ont trait à une demande de contrôle judiciaire ainsi qu'à un argument développé par l'avocat de la requérante, tous deux fondés sur un affidavit faux. La requérante sollicitait l'annulation d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), alléguant trois motifs à l'appui: que la Commission 1) a tiré des conclusions de fait abusives; 2) qu'elle a commis une grave erreur en ne reconnaissant pas que la requérante avait subi des sévices pendant sa détention, et 3) qu'elle a fondé sa décision sur une documentation périmée.
[2] C'est en examinant la première question, l'allégation de conclusions de fait abusive, qu'on prend conscience de la fausseté des motifs invoqués. L'avocat de la requérante, dans ses arguments écrits, affirme que la Commission n'a pas tenu compte de la description détaillée que la requérante avait fournie à la Commission du poste de police où elle avait été détenue :
...le Tribunal a entièrement ignoré la description détaillée que la requérante a donnée de l'intérieur du poste de police et de sa cellule lorsqu'il a conclu que la requérante n'avait pas été en mesure de décrire ce poste de police. Nous soutenons que le témoignage de la requérante a montré abondamment qu'elle était effectivement capable de décrire l'intérieure du poste de police, et cela de manière détaillée et méthodique mais qu'elle était incapable d'en décrire l'extérieur. Or, on n'a jamais demandé à la requérante pourquoi elle n'était pas capable de décrire l'extérieur du poste de police et son explication sur ce point, telle qu'exposée dans son affidavit, à savoir qu'on l'avait hâtivement introduite dans le poste, et qu'on l'en avait reconduite de manière expéditive, est raisonnable. Nous soumettons que le Tribunal a tiré une conclusion de fait abusive en ignorant la description que la requérante avait donnée de l'intérieur du poste de police. |
[non souligné dans l'original]
[3] L'affidavit signé par la requérante et au vu duquel lui a été accordée l'autorisation d'engager cette procédure de contrôle judiciaire est ainsi rédigé :
À la page 2 de ses motifs, le Tribunal relève qu'on m'a demandé de décrire le poste de police où, à Colombo, j'ai été détenue pendant quatre jours. Selon la décision rendue, je n'ai pas été capable de le faire. Cela est exact. J'avais compris que l'on me demandait de décrire l'extérieur du poste de police. Étant donné qu'on m'a introduite au poste de manière expéditive lors de ma détention, et qu'on m'en a reconduite hâtivement, j'ai à peine eu le temps d'apercevoir l'extérieur du poste, et je n'ai pas pu en donner une description. Mais, à l'audience, j'ai décrit à l'intention du Tribunal l'intérieur du poste de police, et cela de manière détaillée. J'ai décrit la cellule dans laquelle j'ai été détenue pendant quatre jours, disant qu'elle était petite, indiquant le type de barreaux de fer qui faisaient partie de la porte de ma cellule, le parterre en ciment et d'autres descriptions de l'intérieur du poste de police. J'ai été surprise de voir que, dans les motifs, aucune mention n'est faite de la description détaillée que j'ai donnée de l'intérieur du poste de police. |
[non souligné dans l'original]
[4] Voici ce qu'en dit la partie pertinente de la décision rendue par la Commission :
L'agent d'audience a demandé à la requérante de décrire le poste de police. Elle en a été incapable. La requérante a témoigné qu'elle était seule dans sa cellule. L'agent d'audience a fait remarquer que, selon la preuve documentaire, " la manière dont sont traitées les personnes détenues pour de brèves périodes afin de vérifier leur identité....le principal problème à cet égard est le surpeuplement ". [non souligné dans l'original] La requérante n'a pas su quoi répondre. |
[5] Voici un compte rendu du témoignage de la requérante devant la Commission :
L'AGENT D'AUDIENCE Pouvez-vous nous décrire le bâtiment dans lequel se trouvait le poste de police? |
LA REQUÉRANTE La police, il y avait une pièce, des barreaux de fer, un plancher en ciment, c'est tout. |
L'AGENT D'AUDIENCE Y étiez-vous seule, ou avec d'autres? |
LA REQUÉRANTE J'étais détenue à part, seule. |
L'AGENT D'AUDIENCE D'accord. Vous souvenez-vous si le bâtiment de la police était grand, et combien d'étages il comportait (inaudible)? |
LA REQUÉRANTE Non, je ne sais rien de cela. |
[6] La seconde conclusion abusive qu'on reproche à la Commission d'avoir tirée porte sur les poupées qu'on a trouvées dans la valise de la requérante lors de son arrivée au Canada. Dans ses arguments écrits, l'avocat de la requérante explique cela de la manière suivante :
À notre avis, le Tribunal, en estimant qu'une requérante qui se promène avec des poupées dans sa valise ne saurait être quelqu'un qui craint d'être persécutée, (motifs, page 3), a tiré une conclusion de fait abusive. Dans son témoignage, la requérante a déclaré qu'elle n'avait acheté qu'une poupée à Colombo, pourtant les motifs parlent de plusieurs poupées. D'après nous, le Tribunal devait s'informer auprès de la requérante afin de savoir quelles étaient les circonstances entourant l'achat de poupée(s) par la requérante, avant de tirer à cet égard une conclusion de fait défavorable à la requérante. Nous estimons que l'explication qu'en a donnée la requérante dans son affidavit, à savoir qu'un vendeur ambulant s'était présenté à la porte de l'agent qui devait assurer le voyage de la requérante au Canada, est raisonnable, et montre par ailleurs que la requérante n'a rien fait pour se mettre en péril et n'a rien fait d'incompatible avec la situation de quelqu'un en butte à des persécutions. |
[non souligné dans l'original]
[7] L'affidavit signé par la requérante, et au vu duquel lui a été accordée l'autorisation d'engager cette procédure de contrôle judiciaire, est ainsi rédigé :
À la page 3 de ses motifs, le Tribunal relève que, lorsque je me suis présentée au point d'entrée, j'avais des poupées dans ma valise et que j'avais expliqué avoir acheté ces poupées pour les offrir à mes nièces à Canada. Selon les motifs " cela ne semble pas compatible avec la situation de quelqu'un qui cherche à fuir des persécutions ". Malheureusement le Tribunal n'a pas jugé bon de me demander comment j'avais obtenu ces poupées. Je crois que le Tribunal a simplement pris pour acquis que j'avais pu tout à fait librement sortir dans les rues de Colombo pour faire des courses . En fait, dans la semaine précédant mon départ du Sri Lanka, on m'a installée chez l'agent qui avait organisé mon voyage au Canada. Un jour, un vendeur ambulant a frappé à la porte de la maison, et l'agent a répondu. Je me trouvais dans le salon et j'ai vu que le vendeur allait de porte en porte proposer des poupées usagées. Sachant que je devais bientôt partir pour le Canada, et comme j'y avais des nièces, j'ai décidé d'acheter une poupée pour l'offrir à mes nièces au Canada. À l'audience, j'ai bien dit que j'avais acheté une poupée. Pourtant, on trouve à la page 3 des motifs, à tort, que j'ai acheté des poupées. Pour faire cet achat, je n'ai pas eu à sortir de chez mon agent et, au cours de mes dernières journées à Colombo, je n'ai rien fait qui fût susceptible de me mettre en péril. |
[non souligné dans l'original]
[8] Voici le passage pertinent de décision rendue par la Commission :
Selon les notes prises au point d'entrée, la requérante avait des poupées dans sa valise. La requérante a déclaré les avoir achetées à l'intention de ses nièces habitant le Canada. Le Tribunal estime que cela n'est pas conforme à la situation de quelqu'un qui cherche à fuir des persécutions. |
[9] Voici un extrait du témoignage de la requérante devant la Commission :
L'AGENT D'AUDIENCE Selon le formulaire que vous avez rempli au point d'entrée, vous aviez des poupées dans vos bagages. Comment vous les êtes-vous procurées? |
LA REQUÉRANTE La fille de ma soeur habite ici, et je les ai amenées pour elle. J'ai amené ces poupées pour elle. |
L'AGENT D'AUDIENCE Comment vous êtes-vous procuré ces poupées? |
LA REQUÉRANTE Il y a des gens qui les ont apportées, et j'ai demandé à l'agent de les acheter pour moi. |
L'AGENT D'AUDIENCE Qui, qui les a apportées, et où? |
LA REQUÉRANTE Les colporteurs, ou les personnes qui transportent ces poupées pour les vendre. |
L'AGENT D'AUDIENCE Elles vont de porte en porte? |
[10] Lorsqu'elle accorde l'autorisation d'engager une procédure de contrôle judiciaire, la Cour n'a pas le dossier des procédures qui se sont déroulées devant la Commission. Elle se fie à l'affidavit de la requérante quant à ce qui s'est produit au cours de ces procédures.
[11] Abordons maintenant la question des obligations incombant aux avocats. L'actuel avocat de la requérante n'est pas celui qui l'a représentée devant la Commission. Ainsi, lorsque la requérante a décidé de rédiger un affidavit sous la foi du serment, il est possible qu'il n'ait pas été conscient de la fausseté des déclarations. Il va en devenir conscient, cependant, en prenant connaissance du dossier du Tribunal, et à tout le moins avant de comparaître devant la Cour pour défendre la demande. À partir du moment où l'avocat a connaissance du dossier du Tribunal, et qu'il est donc en mesure de savoir que sa cliente est l'auteure d'un affidavit faux, il a, en tant qu'officier de justice, l'obligation d'en informer la Cour, et non de prolonger la mystification, et non de continuer à tromper la Cour.
[12] Il y a lieu, je pense, de rappeler aux avocats et aux auteurs d'affidavit, que le dépôt d'un affidavit qui est faux, ou le fait de se prêter à ce genre de chose, constitue un outrage au Tribunal. J'ai joint à ces motifs l'extrait d'un ouvrage, de Williston and Rolls, The Law of Civil Procedure (1970) p. 110. Cet ouvrage n'est par récent mais, que je sache, les obligations de l'avocat n'ont guère changé depuis la publication de ce texte.
[13] À tout le moins, lorsqu'une procédure est engagée sur le fondement d'un affidavit faux, les personnes qui s'y prêtent peuvent s'attendre à devoir régler les frais de l'intimé, et à acquitter une amende afin de rembourser le Trésor public des frais occasionnés par la procédure devant le Cour.
[14] Il y a également lieu de noter que les deux autres arguments développés par l'avocat pour soutenir que la Commission n'a pas reconnu que la requérante a dit avoir subi des sévices pendant sa période de détention, et que la Commission s'est fondée sur une documentation périmée, sont tous les deux fallacieux.
[15] Pour ces motifs, la demande est rejetée.
Toronto (Ontario)
Le 30 janvier 1998
Traduction certifiée conforme
Laurier Parenteau
[TRADUCTION]
Dans l'affaire Re Ontario Crime Commission1,on sollicitait de la Cour d'appel une ordonnance enjoignant au commissaire d'exposer ses arguments. L'avocat du requérant avait donné à son client à signer un affidavit faisant uniquement état d'opinions que la Cour a par ailleurs jugées entièrement fausses et dénuées du moindre fondement. La Cour d'appel a estimé que l'avocat était parfaitement au courant du manque de fondement de l'affidavit et doit être considéré comme ayant conscience de l'inexactitude de certaines déclarations faites par le requérant au cours du contre-interrogartoire. La Cour a estimé que l'avocat n'avait pas agi avec bonne foi et loyauté. La Cour a donc ordonné à l'avocat du requérant d'acquitter personnellement les frais de toutes les autres parties comparaissant devant la Cour dans le cadre de la requête. Le juge McLennan, de la Cour d'appel a déclaré :
" L'avocat ne peut pas se contenter de dire qu'il ne faisait qu'exécuter les instructions de son client. Si ces instructions consistent à faire quelque chose de mal, l'avocat se rend complice s'il exécute les instructions. S'il sait que, sous serment, son client fait des fausses déclarations et qu'il ne fait rien pour corriger cela, son silence est, à tout le moins, un grave manquement aux devoirs qu'il lui incombent . Outre les autres sanctions qui pourront lui être imposées, la Cour ordonne à l'avocat du requérant d'acquitter personnellement les frais de toutes les autres parties comparaissant devant la Cour dans le cadre de cette requête. " |
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
NUMÉRO DU GREFFE : IMM-1709-97 |
INTITULÉ : PARAMAYOGAMANY MURUGAMOORTHY |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE |
DATE DE L'AUDIENCE : LE 28 JANVIER 1998 |
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO) |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE REED
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Barristers and Solicitors |
Sous-procureur général du Canada |
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 19980130
Dossier : IMM-1709-97
ENTRE :
PARAMAYOGAMANY MURUGAMOORTHY,
requérante
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
__________________
1 [1963] O.R. 391, à la p. 400, [1963] 1 C.C.C. 117, 37 D.L.R. (2d) 382 (C.A.).