Date : 20050126
Dossier : T-1411-04
Référence : 2005 CF 123
Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2005
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DANIÈLE TREMBLAY-LAMER
ENTRE :
SPORTS INTERACTION
demanderesse
et
TREVOR JACOBS
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] La demanderesse sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 juin 2004 par un arbitre nommé en vertu du Code canadien du travail, L.R.C. 1985, ch. L-2 (le Code). L'arbitre a jugé que le défendeur avait été congédié injustement et il a ordonné à la demanderesse de le réintégrer, avec avantages afférents, à compter du septième mois suivant son congédiement.
LES FAITS
[2] Sports InterAction, une entreprise de jeux en ligne dûment autorisée par la Commission des jeux de Kahnawake, a un établissement dans le territoire mohawk de Kahnawake, au Québec. Le propriétaire de Sports InterAction est Jim Magner, lequel surveille les activités de l'entreprise en partie depuis Dublin, en Irlande.
[3] Trevor Jacobs, le défendeur, a travaillé pour Sports InterAction du 26 septembre 1999 au 28 mars 2003. Au moment de son congédiement, il occupait un poste de cadre hiérarchique.
[4] Le 27 mars 2003, des transcriptions MSN Messenger de conversations tenues entre le défendeur et un collègue de travail, Donald Phillips, ont été découvertes.
[5] Le lendemain, le 28 mars 2003, le défendeur était congédié par la demanderesse, pour les raisons suivantes, exposées dans une lettre de Tina Stacey, la supérieure immédiate du défendeur à l'emplacement de l'entreprise, sur la réserve :
- M. Jacobs avait abusivement et à tort utilisé la connexion Internet de l'entreprise durant les heures de travail;
- tout en utilisant la connexion Internet de l'employeur, et durant les heures de travail, il avait fait contre sa supérieure immédiate et contre l'entreprise des remarques irrespectueuses, menaçantes, obscènes et déloyales;
- son rendement au travail s'était dégradé considérablement depuis que son amie avait quitté son travail chez Sports InterAction et il était devenu insatisfaisant.
[6] Au 28 mars 2003, Donald Phillips, l'autre employé impliqué dans les conversations MSN Messenger, avait déjà offert sa démission et avait été prié de ne pas revenir pour faire les deux quarts qui lui restaient.
[7] Le 15 avril 2003, le défendeur déposait une plainte auprès de Travail Canada en conformité avec l'article 240 du Code. Il a aussi déposé une plainte auprès de la Commission des normes du travail du Québec. Le 20 octobre 2003, la Commission des normes du travail du Québec se déclarait incompétente et disait que l'affaire était de compétence fédérale.
[8] Avant le 14 janvier 2004, un arbitre a été nommé en vertu du Code et, après avoir reçu de l'arbitre une lettre l'invitant à choisir entre le niveau provincial et le niveau fédéral pour l'instruction de sa plainte, le défendeur a retiré la plainte qu'il avait déposée devant la Commission des normes du travail du Québec.
[9] L'audience qui devait se dérouler devant l'arbitre a eu lieu le 18 mai 2004.
LA DÉCISION DE L'ARBITRE
[10] L'arbitre a conclu que la demanderesse avait [traduction] « des raisons d'être inquiète, mais avait négligé d'enquêter sur l'incident d'une manière adéquate » ; par conséquent, le congédiement du défendeur fut annulé. En raison de la gravité du manquement, le congédiement fut remplacé, comme sanction, par une suspension de quatre mois, et le salaire ainsi que les avantages sociaux du défendeur furent supprimés pour une période additionnelle de deux mois. Toutefois, l'arbitre a ordonné la réintégration du défendeur à compter du septième mois après son congédiement du 28 mars 2003 et il a enjoint à la demanderesse de l'indemniser pour la perte de son salaire et de ses avantages sociaux.
[11] La décision de l'arbitre procédait de plusieurs constats. D'abord, l'arbitre a estimé que le défendeur était plus crédible que les témoins de la demanderesse.
[12] Selon l'arbitre, la preuve avait révélé ce qui suit : les conversations MSN Messenger contenaient [traduction] « des propos offensants, insultants et parfois menaçants » , mais les communications de ce genre étaient la norme parmi les employés de Sports InterAction; malgré le temps passé par le défendeur à clavarder, il n'y avait pas eu de répercussions défavorables sur les activités de l'entreprise et sur ses clients; aucune preuve ne confirmait que le rendement du défendeur au travail s'était dégradé depuis que son amie avait perdu son emploi; enfin l'entreprise n'avait pas averti le défendeur que « son emploi serait compromis s'il ne corrigeait pas son comportement et n'améliorait pas son rendement » .
[13] Le motif principal du congédiement, de l'avis de l'arbitre, était [traduction] « les remarques irrespectueuses, menaçantes, obscènes et déloyales [du défendeur] contre sa supérieure immédiate et contre l'entreprise, par l'entremise de la connexion Internet de l'employeur » . Aucune règle ou ligne de conduite n'interdisait le clavardage durant le travail et Sports InterAction n'avait pas prouvé que le rendement de l'employé en avait souffert. Par ailleurs, la preuve [traduction] « montre clairement que M. Jacobs n'avait pas l'intention de mettre ses menaces à exécution » ; les remarques obscènes faisaient partie d'une plaisanterie qui ne devait être vue par personne si ce n'est Donald Phillips.
[14] L'arbitre a donc estimé que la demanderesse aurait dû recourir à des mesures disciplinaires progressives plutôt qu'à un congédiement immédiat, expliquant que [traduction] « l'entreprise avait l'obligation d'enquêter sur toutes les circonstances qui ont donné lieu au congédiement. Elle aurait dû appliquer des mesures disciplinaires équivalentes pour au moins trois autres employés qui avaient commis des infractions semblables et qui avaient échappé à toute sanction malgré une utilisation semblable de la connexion Internet pour des activités sans rapport avec le travail » . Donald Phillips, en particulier, s'était vu offrir un nouvel emploi dans l'entreprise après sa démission, bien qu'il fût le coauteur des conversations MSN Messenger incriminées.
[15] Néanmoins, compte tenu de la preuve du méfait et puisque le défendeur lui-même avait admis ce méfait, l'arbitre a substitué la sanction susmentionnée, tout en accordant aussi au défendeur sa réintégration.
ANALYSE
[16] Les parties reconnaissent que les points soulevés ici sont de deux ordres : la Cour doit d'abord se demander si l'arbitre avait compétence pour juger le différend et ensuite, à supposer que ce soit le cas, elle doit se demander s'il a négligé de tenir compte d'éléments essentiels, commettant de ce fait un excès de compétence.
[17] Autrement dit, le premier point est celui de savoir si la plainte de l'employé congédié était ou non du ressort de l'arbitre fédéral[1]. Comme l'expliquait récemment la Cour suprême du Canada, « [i]l n'est pas nécessaire de procéder à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer s'il y a eu excès de pouvoir » , parce que « [l]'examen d'une telle question devra toujours se faire selon la norme de la décision correcte » : United Taxi Drivers' Fellowship of Southern Alberta c. Calgary (Ville), [2004] 1 R.C.S. 485, au paragraphe 5[2]. Si l'arbitre s'est fourvoyé en se déclarant compétent, alors sa décision était invalide et elle doit être annulée.
[18] Selon la demanderesse, l'arbitre n'avait pas compétence pour instruire la plainte du défendeur. Ce n'est qu'à titre exceptionnel que la compétence législative fédérale intéresse les conflits du travail. Et, dans la présente affaire, rien ne milite en faveur de l'application de cette exception : les activités de la demanderesse ne sont pas le résultat de pouvoirs exercés par délégation fédérale et elles ne sont pas non plus envisagées par la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5. Il faut donc en déduire que les relations de travail dans l'entreprise de la demanderesse sont du ressort de la province.
[19] Le défendeur, quant à lui, souligne d'emblée que ce point n'a pas jusqu'à maintenant été soulevé. Et, si l'on considère cela dans le contexte d'une demande de contrôle judiciaire, alors la demanderesse n'a pas rempli son obligation de prouver qu'il s'agit là d'une affaire de compétence provinciale. Sans les faits nécessaires qui permettraient de dire de quel niveau d'autorité relève la plainte, cet argument à l'encontre de la compétence fédérale n'est pas recevable.
[20] La question de la compétence (provinciale ou fédérale) en matière de relations de travail s'est posée à de nombreuses reprises. Depuis l'arrêt rendu par le Conseil privé dans l'affaire Toronto Electric Commissioners c. Snider, [1925] A.C. 396, les relations de travail constituent en général un champ de compétence provinciale, en application du paragraphe 92(13) de la Loi constitutionnelle de 1867, (R.-U.), 30 & 31 Vict., ch. 3, reproduite dans L.R.C. 1985, App. II, no 5. L'arrêt sur les débardeurs (Dans l'affaire d'un renvoi relatif à la validité de la Loi sur les relations industrielles et sur les enquêtes visant les différends au travail, [1955] R.C.S. 529) a pour l'essentiel marqué l'apparition d'une exception selon laquelle les relations de travail pouvaient être de compétence fédérale à condition qu'elles fassent en l'occurrence intervenir un élément constituant des compétences législatives fédérales énumérées dans la Loi constitutionnelle de 1867.
[21] La Cour suprême du Canada a plus tard exposé des lignes directrices précises en la matière, dans l'arrêt Construction Montcalm Inc. c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754, lignes directrices qui ont été réaffirmées d'une manière plus succincte dans l'arrêt Four B Manufacturing Ltd. c. Travailleurs unis du vêtement d'Amérique, [1980] 1 R.C.S. 1031 :
En ce qui a trait aux relations de travail, la compétence législative provinciale exclusive est la règle, la compétence fédérale exclusive est l'exception. L'exception comprend, principalement, les relations de travail relatives aux entreprises, services et affaires qui, compte tenu du critère fonctionnel de la nature de leur exploitation et de leur activité normale, peuvent être qualifiés d'entreprises, de services ou d'affaires de compétence fédérale. [Références omises.]
[22] Dans l'arrêt Northern Telecom Ltée c. Travailleurs en communication du Canada, [1980] 1 R.C.S. 115 (l'arrêt Northern Telecom no 1), le juge Dickson (son titre à l'époque) avait habilement résumé les six principes qu'avait formulés le juge Beetz. Ce sont les principes suivants :
(1) Les relations de travail comme telles et les termes d'un contrat de travail ne relèvent pas de la compétence du Parlement; les provinces ont une compétence exclusive dans ce domaine.
(2) Cependant, par dérogation à ce principe, le Parlement peut faire valoir une compétence exclusive dans ces domaines s'il est établi que cette compétence est partie intégrante de sa compétence principale sur un autre sujet.
(3) La compétence principale du fédéral sur un sujet donné peut empêcher l'application des lois provinciales relatives aux relations de travail et aux conditions de travail, mais uniquement s'il est démontré que la compétence du fédéral sur ces matières fait intégralement partie de cette compétence fédérale.
(4) Ainsi, la réglementation des salaires que doit verser une entreprise, un service ou une affaire et la réglementation de ses relations de travail, toutes choses qui sont étroitement liées à l'exploitation d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire, ne relèvent plus de la compétence provinciale et ne sont plus assujetties aux lois provinciales s'il s'agit d'une entreprise, d'un service ou d'une affaire fédérale.
(5) La question de savoir si une entreprise, un service ou une affaire relève de la compétence fédérale dépend de la nature de l'exploitation.
(6) Pour déterminer la nature de l'exploitation, il faut considérer les activités normales ou habituelles de l'affaire en tant qu' « entreprise active » , sans tenir compte de facteurs exceptionnels ou occasionnels; autrement, la Constitution ne pourrait être appliquée de façon continue et régulière.
[23] L'analyse et l'application de ces principes sont évidemment déterminées par le contexte particulier du conflit de travail considéré. Dans l'arrêt Four B Manufacturing, précité, le conflit de travail avait surgi dans un territoire autochtone. Néanmoins, ainsi que le soulignait le juge Beetz, cela ne modifie pas en soi la nature de l'entreprise en cause, au point de la faire relever de l'autorité fédérale. Au contraire :
Rien dans l'affaire ou l'exploitation de Four B ne pourrait permettre de la considérer comme une affaire de compétence fédérale : la couture d'empeignes sur des souliers de sport est une activité industrielle ordinaire qui relève nettement du pouvoir législatif provincial sur les relations de travail. Ni la propriété de l'entreprise par des actionnaires indiens, ni l'embauchage par cette entreprise d'une majorité d'employés indiens, ni l'exploitation de cette entreprise sur une réserve indienne en vertu d'un permis fédéral, ni le prêt et les subventions du fédéral, pris séparément ou ensemble, ne peuvent avoir d'effet sur la nature de l'exploitation de cette entreprise. Donc, compte tenu du critère fonctionnel et traditionnel, The Labour Relations Act s'applique aux faits de l'espèce et la Commission a compétence.
[24] Puis le juge Beetz faisait observer que sa conclusion était également étayée par les dispositions mêmes de la Loi sur les Indiens, L.R.C. 1985, ch. I-5. Cette loi réglemente « certains droits civils des Indiens » et par là usurpe en faveur du Parlement une certaine compétence par ailleurs conférée aux provinces par le paragraphe 92(13), mais « elle ne prévoit pas la réglementation des relations de travail des Indiens entre eux ou avec des non-Indiens » : Four B Manufacturing, précité, paragraphe 37. Le juge Beetz expliquait que la compétence provinciale demeure la règle dans le contexte des peuples des Premières nations, notamment en raison de l'article 88 de la Loi sur les Indiens, ainsi formulé :
Sous réserve des dispositions de quelque traité et de quelque autre loi du Parlement du Canada, toutes lois d'application générale et en vigueur, à l'occasion, dans une province sont applicables aux Indiens qui s'y trouvent et à leur égard, sauf dans la mesure où lesdites lois sont incompatibles avec la présente loi ou quelque arrêté, ordonnance, règle, règlement ou statut administratif établi sous son régime, et sauf dans la mesure où ces lois contiennent des dispositions sur toute question prévue par la présente loi ou y ressortissant.
[25] Plus récemment, dans l'arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010, la Cour suprême expliquait que, bien que le paragraphe 91(24) confère au Parlement la compétence sur les « Indiens » , les provinces peuvent conserver une compétence en application de l'article 88 de la Loi sur les Indiens, à condition que le statut d'Indien ou l' « indianité » ne soit pas modifié.
[26] Il s'ensuit à mon avis que, s'il n'est pas démontré que l'organisation en cause est une entreprise relevant du droit fédéral parce qu'elle intéresse le statut d'Indien ou l' « indianité » (entraînant ainsi l'application du paragraphe 91(24) et mettant en jeu la compétence fédérale), la règle générale s'appliquera. D'ailleurs, selon moi, la décision rendue dans l'affaire SIGA, précitée, apporte un soutien direct à cette proposition. Dans cette affaire, la Cour du banc de la Reine de la Saskatchewan a considéré que l'exploitation de casinos par la SIGA sur les territoires autochtones ne faisait pas pour autant de la SIGA un ouvrage, une entreprise ou une affaire relevant du droit fédéral. Elle est arrivée à cette conclusion en dépit du fait que la SIGA était une [traduction] « société des Premières nations » , dont le mandat était [traduction] « d'exercer des activités pour l'avantage des Premières nations de la Saskatchewan en général, à la fois par le développement de possibilités d'emploi pour les gens des Premières nations et par la production de recettes qui serviraient aux fins légalement définies du fonds en fiducie des Premières nations » : décision SIGA, précitée, au paragraphe 54.
[27] Le juge Smith a souligné que le casino en question était [traduction] « exploité en tant qu'entreprise commerciale afin de procurer à une diversité de gens un divertissement qui ne se limitait nullement aux gens des Premières nations et qui ne leur était pas spécialement destiné, et que les casinos étaient en général soumis à la réglementation provinciale » : décision SIGA, précitée, au paragraphe 65. Par ailleurs, si l'on s'en tient à l'arrêt de la Cour suprême dans l'affaire Four B Manufacturing, précitée, on voit que la notion d' « indianité » est de portée étroite et que, par conséquent, les lois provinciales sur les relations de travail devraient s'appliquer sauf [traduction] « lorsque cela risque de modifier des aspects manifestement régis par les lois fédérales ou d'empiéter sur les droits ou le statut des Indiens » : décision SIGA, précitée, au paragraphe 67.
[28] En l'espèce, Sports Interaction est une entreprise de jeux en ligne dûment autorisée par la Commission des jeux de Kahnawake. Ces faits, à eux seuls, ne montrent nullement que les relations de travail en cause ici intéressent un élément constituant d'une compétence primordiale du fédéral et les lois provinciales devraient donc s'appliquer. La Cour suprême est arrivée à la même conclusion dans l'arrêt Four B Manufacturing, précité, de même que la Cour du banc de la Reine du Manitoba dans la décision Southeast Resource Development Council Corp. (c.o.b. Southeast Medical Referral Services) c. United Food and Commercial Workers Union, Local No. 832, [2004] 8 W.W.R. 633.
[29] Ici, le défendeur fait néanmoins remarquer que cette conclusion, ce critère fonctionnel concernant la nature des activités de Sports InterAction, procède d'un ensemble de « faits constitutionnels » , ainsi que le soulignait le juge Dickson dans l'arrêt Northern Telecom no 1[3]. L'absence de faits constitutionnels au stade actuel, de dire le défendeur, fait nécessairement obstacle à l'octroi d'un contrôle judiciaire pour défaut de compétence. Nonobstant la règle générale de la compétence provinciale sur les relations de travail, c'est à la demanderesse qu'il appartient, dans une procédure de contrôle judiciaire, de prouver, en alléguant les faits constitutionnels requis, que l'arbitre n'avait pas compétence pour juger la plainte.
[30] Malheureusement, je ne partage pas cet argument, pour les raisons suivantes.
[31] D'abord, et plus fondamentalement, il y a ce principe prédominant du droit canadien, inscrit dans l'article 52 de la Loi constitutionnelle de 1867 : la Constitution du Canada est la loi suprême du Canada. En termes généraux, tout exercice d'un pouvoir légal, qu'il soit législatif ou administratif, doit être mesuré à cette aune; dans la mesure où l'exercice d'un pouvoir légal est incompatible avec la Constitution, cet exercice est dépourvu d'effet.
[32] Une procédure de contrôle judiciaire ne modifie aucunement ce principe de la suprématie de la Constitution. Ainsi, le point de savoir si des relations de travail sont du ressort de l'autorité provinciale ou de l'autorité fédérale ne peut (en fait) être décidé uniquement en fonction de celle des parties qui est le demandeur (et qui, par conséquent, assume en général la charge d'établir la preuve prima facie) dans le contexte d'une procédure de contrôle judiciaire. Ce point ne saurait non plus être nécessairement décidé, ou rejeté, selon le principe de la renonciation s'il n'est pas soulevé dès le début devant le tribunal administratif. Comme l'indiquent Brown et Evans, [traduction] « un demandeur qui n'oppose pas une exception de défaut de compétence devant le tribunal administratif ne sera pas nécessairement réputé avoir renoncé au droit de solliciter ultérieurement un contrôle judiciaire en alléguant que le tribunal n'avait pas compétence pour juger l'affaire » : Donald J.M. Brown et John M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada, feuilles mobiles (Toronto, Ontario : Canvasback Publishing, 2004), à la page 3-80.
[33] L'argument du défendeur fait une mauvaise interprétation de la jurisprudence et des solides principes qui régissent le partage constitutionnel des pouvoirs en matière de relations de travail. L'arrêt Northern Telecom no 1 ne s'écarte nullement des principes résumés dans les arrêts Construction Montcalm et Four B Manufacturing, précités. Comme je le disais plus haut, le juge Dickson les a en fait reformulés en les approuvant. En bref, la compétence provinciale est la règle, tandis que la compétence fédérale est l'exception. La réponse donnée à la question de compétence dans l'arrêt Northern Telecom no 1 n'était d'ailleurs pas complexifiée par la Loi sur les Indiens ni par l'application de son article 88, ce qui renforçait encore, dans l'arrêt Four B Manufacturing et la décision SIGA, précitée, la conclusion selon laquelle l'affaire était du ressort de l'autorité provinciale.
[34] Et enfin, la Cour suprême a réaffirmé ces principes ainsi que la règle générale dans l'arrêt Northern Telecom no 2 (Northern Telecom Canada Ltée c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1983] 1 R.C.S. 733). Dans cette seconde version du conflit de travail, essentiellement le même, les juges majoritaires de la Cour étaient convaincus que l'exception à la règle devait s'appliquer et que les relations de travail en cause étaient du ressort de l'autorité fédérale. La divergence de vues entre la décision majoritaire et la décision dissidente (rédigée incidemment par le juge Beetz) concernait le point de savoir si la preuve des activités de l'entreprise appuyait cette conclusion. Toutefois, il n'y avait aucune divergence sur les règles régissant le partage constitutionnel des pouvoirs en matière de relations de travail. Ainsi que l'écrivait si éloquemment le juge Beetz :
Puisque la compétence provinciale est la règle et la compétence fédérale l'exception, il incombe à la partie qui invoque l'exception de prouver les faits constitutionnels nécessaires à l'application de cette exception. À défaut d'une telle démonstration, la compétence provinciale exclusive doit s'appliquer.
[35] Je trouve ce raisonnement convaincant. Contrairement à l'argument du défendeur, et parce que c'est le défendeur qui a invoqué l'exception, c'est à lui qu'il appartient d'établir les faits constitutionnels requis pour que l'exception entre en jeu. En l'espèce, il ne s'est pas acquitté de cette obligation. En l'absence de faits constitutionnels montrant que les activités de la demanderesse intéressent un élément faisant partie intégrante de la compétence fédérale, par exemple l' « indianité » , selon le paragraphe 91(24) de la Loi constitutionnelle de 1867, la Cour doit appliquer la règle générale : les relations de travail échappent à la compétence fédérale.
[36] Je sais fort bien, et je le déplore, que ce jugement retardera encore la solution définitive de ce différend et que l'équité semble militer en faveur du défendeur, étant donné que le tribunal provincial du travail a décidé de ne pas instruire sa plainte. Toutefois, il m'est impossible de passer outre au principe fondamental de droit constitutionnel qui constitue le cadre du contrôle judiciaire des actes administratifs.
[37] Pour ces motifs, je dis que l'arbitre s'est à tort saisi de cette affaire. Sa décision est donc invalide et, pour ce seul motif, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.
ORDONNANCE
[1] La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
[2] La décision de l'arbitre, datée du 30 juin 2004, est déclarée invalide.
« Danièle Tremblay-Lamer »
Juge
Traduction certifiée conforme
Christian Laroche, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1411-04
INTITULÉ: SPORTS INTERACTION
c.
TREVOR JACOBS
LIEU DE L'AUDIENCE : MONTRÉAL (QUÉBEC)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 17 JANVIER 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE TREMBLAY-LAMER
DATE DES MOTIFS : LE 26 JANVIER 2005
COMPARUTIONS:
Dan Goldstein POUR LA DEMANDERESSE
Chantal Poirier POUR LE DÉFENDEUR
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:
Schneider & Gaggino G.P.
Avocats
375, promenade Lakeshore
Dorval (Québec)
H9S 2A5 POUR LA DEMANDERESSE
Brodeur Matteau Poirier
Avocats
194, rue Saint-Paul
Bureau 302
Montréal (Québec)
H2Y 1Z8 POUR LE DÉFENDEUR
[1] Cette question, parfois appelée « véritable question de compétence » , précède logiquement, tout en s'en distinguant sur le plan conceptuel, toute interrogation sur l'existence d'un « excès de compétence » , interrogation qui constitue le second point principal soulevé dans le présent contrôle judiciaire, et elle se réfère aux moyens qui sont énumérés dans la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, et qui fondent un contrôle judiciaire : voir en particulier l'alinéa 18.1(4)a).
[2] Cette norme a d'ailleurs été appliquée, sans qu'intervienne une analyse pragmatique et fonctionnelle, dans la décision Saskatchewan Indian Gaming Authority (SIGA) c. National Automobile, Aerospace, Transportation and General Workers Union of Canada, [2000] S.J. no 266, au paragraphe 23 (C.B.R. Sask.) (QL), conf. par [2000] S.J. no 766 (C.A. Sask.) (QL), autorisation de pourvoi à la C.S.C. refusée [2001] C.S.C.R. no 46 (QL).
[3] Dans la décision SIGA, précitée, et la décision Southeast Resource Development, précitée, laquelle s'appuie sur la décision SIGA, les juridictions provinciales saisies examinent la question de la compétence en s'appuyant sur un fort contenu factuel concernant, par exemple, le caractère de l'organisation, sa structure financière, son mandat et ses fins fiduciaires par rapport aux populations des Premières nations, ainsi que la manière dont ses fiduciaires sont nommés par le gouvernement provincial. Il n'en va pas différemment en ce qui a trait à la décision rendue par le juge McKelvey dans l'affaire Southeast Resource Development Corp., précitée.