Date : 20050207
Dossier : T-2409-03
Référence : 2005 CF 183
Ottawa (Ontario), le 7 février 2005
Présente : Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer
ENTRE :
PIERRE ARCHAMBAULT
demandeur
et
AGENCE DES DOUANES ET
DU REVENU DU CANADA
défendeur
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre d'une décision de l'arbitre de la Commission des relations de travail dans la fonction publique ( « l'arbitre » ), concluant que les griefs du demandeur ne pouvaient pas être renvoyés à l'arbitrage selon l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-35 ( « LRTFP » ).
[2] Le demandeur a travaillé à l'Agence des douanes et du revenu Canada ( « la défenderesse » ) au poste d'agent de contacts pour les recouvrements du 10 janvier 2000 au 31 mars 2001. La défenderesse avait informé M. Archambault qu'il serait en probation pour une période maximum de 12 mois.
[3] Au cours de cette période, une formation générale a été offerte au demandeur lors des deux premières semaines d'emploi, ainsi qu'une formation complémentaire les 30 et 31 mai et les 6, 7 et 8 juin 2000.
[4] En date du 14 septembre 2000, le demandeur est avisé verbalement et par écrit qu'une nette amélioration de son rendement est exigée, à défaut de quoi son renvoi en période de probation sera envisagé.
[5] Une période d'évaluation suivra au cours de laquelle le demandeur bénéficiera de deux rencontres par semaine, et ce, jusqu'au 30 octobre. Un rapport d'évaluation pour cette période a été remis à Mme Fortier, directrice adjointe de la Division des recouvrements des recettes.
[6] Mme Fortier a avisé le demandeur de son renvoi en période probatoire le 30 octobre 2000. Elle a précisé que différentes évaluations démontrent qu'il ne rencontre pas les attentes de l'employeur et qu'il cessera d'être un employé suite à un préavis de deux semaines, soit le 14 novembre 2000.
[7] Le 16 novembre 2000, le demandeur dépose deux griefs relativement à son renvoi en période probatoire lesquels furent rejetés par l'arbitre pour défaut de compétence puisqu'ils ne peuvent être renvoyés à l'arbitrage que s'ils sont de nature disciplinaire.
Analyse
[8] Les dispositions de la LRTFP qui concernent la compétence de l'arbitre sont ainsi libellées :
92. (1) Après l'avoir porté jusqu'au dernier palier de la procédure applicable sans avoir obtenu satisfaction, un fonctionnaire peut renvoyer à l'arbitrage tout grief portant sur :
a) l'interprétation ou l'application, à son endroit, d'une disposition d'une convention collective ou d'une décision arbitrale;
b) dans le cas d'un fonctionnaire d'un ministère ou secteur de l'administration publique fédérale spécifié à la partie I de l'annexe I ou désigné par décret pris au titre du paragraphe (4), soit une mesure disciplinaire entraînant la suspension ou une sanction pécuniaire, soit un licenciement ou une rétrogradation visé aux alinéas 11(2)f) ou g) de la Loi sur la gestion des finances publiques;
c) dans les autres cas, une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire. |
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92. (1) Where an employee has presented a grievance, up to and including the final level in the grievance process, with respect to
(a) the interpretation or application in respect of the employee of a provision of a collective agreement or an arbitral award,
(b) in the case of an employee in a department or other portion of the public service of Canada specified in Part I of Schedule I or designated pursuant to subsection (4),
(i) disciplinary action resulting in suspension or a financial penalty, or
(ii) termination of employment or demotion pursuant to paragraph 11(2)(f) or (g) of the Financial Administration Act, or
(c) in the case of an employee not described in paragraph (b), disciplinary action resulting in termination of employment, suspension or a financial penalty,
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[9] Ainsi, l'alinéa 92(1)c) de la LRTFP, applicable en l'espèce, prévoit qu'un arbitre nommé en vertu de cette loi a compétence unique en ce qui concerne « une mesure disciplinaire entraînant le licenciement, la suspension ou une sanction pécuniaire » .
[10] Afin de tenter de clarifier la tâche que nécessite l'examen de cette question, la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Penner, [1989] 3 C.F. 429 (C.A.), se basant sur la conclusion qu'a rendue la Cour suprême du Canada dans Jacmain c. Canada (Procureur général), [1978] 2 R.C.S. 15, a déterminé qu'un arbitre nommé sous le régime de la LRTFP est sans compétence à l'égard d'un renvoi en cours de stage « [...] lorsque la preuve présentée le convainc que les représentants de l'employeur ont agi de bonne foi au motif qu'ils ne considéraient pas que l'employé possédait les aptitudes requises pour occuper le poste visé. [...] » , Penner, précitée à la p. 441. En pareil cas, l'arbitre n'a tout simplement pas d'autre choix ; au même effet Altwasser c. Canada (1993), 104 D.L.R. (4th) 256 (C.A.F.).
[11] Il incombe à l'employeur d'établir, avec « un minimum de preuve, que le renvoi est lié à l'emploi et non à un autre motif » ; Canada (Procureur général) c. Leonarduzzi, [2001] A.C.F. no 802 (1re inst.)(QL).
[12] Cependant, il importe de rappeler que la conclusion selon laquelle la décision de l'employeur de renvoyer l'employé était effectivement un congédiement disciplinaire déguisé peut constituer une décision prise de mauvaise foi, de sorte que l'arbitre a compétence sur cette question : Canada (Conseil du Trésor) c. Rinaldi, [1997] A.C.F. no 225 (1re inst.)(QL). Dans cet arrêt, la Cour fédérale a repris les commentaires suivants formulés par le juge Marceau dans l'arrêt Penner, précité à la p. 440 : « [...] L'on ne peut tolérer que, par l'effet d'un camouflage, une personne soit privée de la protection que lui accorde une loi. [...] » . Il incombe à l'employé lésé de prouver que son renvoi constitue un congédiement disciplinaire déguisé ; Rinaldi, précitée.
[13] Dans la présente affaire, l'arbitre a rendu une décision à l'effet que la rupture du lien d'emploi du demandeur n'était pas une mesure disciplinaire déguisée mais bien pour des motifs liés à l'emploi et que par conséquent il était dépourvu de compétence pour entendre le grief. Quelle est donc la norme applicable de cette décision ?
[14] Eu égard aux jugements récents qu'a rendus la Cour suprême du Canada au sujet de l'interprétation pragmatique et fonctionnelle (voir, par exemple, Dr. Q c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 226; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982), la décision de l'arbitre appelle à mon sens une plus grande retenue, même si la clause privative que comportait autrefois la loi en question a depuis été abrogée.
[15] En effet, la nature de la mesure prise par l'employeur à l'encontre de l'employé relève de l'expertise et de l'expérience reconnues des personnes désignées à titre d'arbitres. La question de savoir si l'employeur a agi de bonne foi en mettant fin à la relation de travail pour des raisons d'emploi ou s'il l'a plutôt licencié à titre de mesure disciplinaire sous le couvert de raisons d'emploi est une question qui relève carrément de la compétence dont l'arbitre est investi en vertu de la loi. Même si, en bout de ligne, la question est de nature juridictionnelle, elle repose sur cette recherche approfondie des faits quant aux intentions et à la conduite manifeste de l'employeur.
[16] En termes simples, la compétence fondée sur l'alinéa 92(1)c) de la LRTFP dépend de la question de savoir si le renvoi de l'employé découlait d'une mesure disciplinaire. Il s'agit uniquement d'une conclusion de fait de sorte que la norme de contrôle applicable est à mon avis celle de la décision manifestement déraisonnable.
[17] En l'espèce, la preuve dont l'arbitre était saisi lui permettait de conclure que le défendeur a agi de bonne foi et qu'il a renvoyé le demandeur pour des raisons d'emploi : le demandeur n'a tout simplement pas exercé les fonctions attendues de lui malgré les nombreux avertissements donnés et les efforts visant à améliorer son rendement au travail.
[18] La décision de l'arbitre est fondée sur son appréciation de la preuve et ne peut se qualifier de manifestement déraisonnable. Elle ne peut donc justifier l'intervention de la Cour.
Attaque à la réputation de Me Jennifer Champagne
[19] Le demandeur a accusé Me Jennifer Champagne, procureure de la défenderesse devant la Commission des relations de travail dans la fonction publique de fabrication de preuve, fabrication de faux, usage de faux et parjure.
[20] La preuve au dossier démontre que cette accusation est totalement injustifiée. En effet, la défenderesse a déposé un affidavit supplémentaire à cet effet, soit celui de Isabelle Lajeunesse, conseillère principale en relations de travail à l'Agence des douanes et du revenu du Canada, dans lequel cette dernière explique de façon détaillée les raisons pour lesquelles il y eut différentes versions de l'évaluation de rendement du demandeur et qu'en aucun moment, il n'a été de l'intention de la défenderesse de falsifier ledit document.
[21] Je note que le demandeur a choisi de ne pas procéder au contre-interrogatoire de l'affiante. En conséquence, les faits qui y sont contenus sont tenus pour avérés.
[22] Je retiens également que les représentants de la défenderesse ont communiqué avec le demandeur pour lui mentionner qu'une affirmation de falsification de documents, faite sous serment, risquait d'être lourde de conséquences et qu'il était de la responsabilité du demandeur de fournir toutes les explications nécessaires permettant d'en arriver à une telle conclusion.
[23] Malgré cela, le demandeur a persisté dans son accusation très grave contre la procureure et n'a pu fournir aucun élément de preuve à la Cour qui aurait pu soutenir son allégation de fraude.
[24] Le fait qu'il dépose une plainte privée à un juge de paix ne fait aucunement preuve que l'avocate fasse l'objet, comme il le prétend, d'une procédure judiciaire de nature criminelle.
[25] Comme l'indiquait le juge Cory dans l'arrêt Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130 à la p. 1178 :
[...] La réputation d'un avocat est d'une importance primordiale vis-a-vis des clients, des membres de la profession et de la magistrature. L'avocat monte sa pratique et la maintient grâce à sa réputation d'intégrité et de conscience professionnelles. Elle est la pierre angulaire de sa vie professionnelle. Même doué d'un talent exceptionnel et faisant preuve d'une diligence de tout instant, l'avocat ne peut survivre sans une réputation irréprochable. [...]
[26] Un justifiable n'a pas le droit d'attaquer la réputation d'un avocat impunément, ce qui est le cas en l'espèce. La Cour ne peut sanctionner un tel comportement.
[27] En conséquence, compte tenu de la conduite du demandeur et de la gravité de l'accusation, la Cour ordonne que le demandeur soit condamné aux dépens sur la base du tarif B, colonne V.
[28] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens sur la base du tarif B, colonne V.
« Danièle Tremblay-Lamer »
J.C.F.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2409-03
INTITULÉ : Pierre Archambault
et
Agence des douanes et du revenu du Canada
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Le 2 février 2005
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : Madame le juge Danièle Tremblay-Lamer
DATE DES MOTIFS : Le 7 février 2005
COMPARUTIONS :
M. Pierre Archambault pour le demandeur
Me Raymond Piché pour le défendeur
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
6-345, rue Nobel
Laval (Québec)
H7N 4A2 pour le demandeur
M. John H. Sims, Q.C.
Sous-procureur général du Canada
Montréal (Québec) pour le défendeur