Date : 19980126
Dossier : IMM-4428-97
ENTRE :
ORNA FRENKEL, IMANUEL BABAKHANIN,
KHEZAEL BABAKHANIN, YAEZER BABAKHANIN
et YAKOV SHANIN MESHIKHI,
requérants,
- et -
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION,
intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
M. JOHN A. HARGRAVE,
PROTONOTAIRE
[1] Le 8 décembre 1997, Madame le juge McGillis rejetait la demande par laquelle les requérants sollicitaient le contrôle judiciaire d'une décision rendue par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié. La demande d'autorisation déposée par les requérants était rejetée parce qu'ils n'avaient pas déposé de dossier.
[2] Par requête déposée le 12 janvier 1998, les requérants sollicitent une prorogation des délais afin de demander à Mme le juge McGillis de procéder à un nouvel examen de sa décision du 8 décembre 1997, ainsi que le prévoit la règle 337(5)b), faisant valoir que " ...on a négligé ou accidentellement omis de traiter d'une question dont on aurait dû traiter. ".
CONTEXTE DE L'AFFAIRE
[3] Disons, pour situer le contexte de l'affaire, que les requérants, qui assuraient eux-mêmes leur représentation en justice, ont déposé leur demande d'autorisation le 20 octobre 1997 au greffe de Montréal. Le dossier des requérants, qui était dû le 19 novembre 1997, n'a jamais été déposé.
[4] Les requérants, qui ont déménagé de Montréal à Vancouver le 13 ou 14 novembre 1997, et qui ont par la suite consulté un avocat local, affirment que c'est l'avocat qui devait déposer le dossier. Un démenti leur a été opposé sur ce point. Il est clair, cependant, que lorsque l'avocat local a été retenu, le délai prévu pour le dépôt du dossier, à tout le moins, tirait à sa fin.
[5] C'est dans ce contexte là que les requérants demandent à Mme le juge McGillis de procéder à un nouvel examen de sa décision du 8 décembre 1997, mais, pour cela, les requérants doivent d'abord obtenir une prorogation du délai prévu pour le dépôt d'une requête en nouvel examen.
EXAMEN DE LA QUESTION
[6] Pour obtenir une prorogation de délai, un requérant doit à la fois avancer une explication raisonnable du fait qu'il n'ait pas agi dans le délai de 10 jours prévu pour les demandes de nouvel examen par la règle 337(5), et faire valoir l'existence d'une chance raisonnable d'obtenir gain de cause à la suite du nouvel examen : voir, par exemple, Vinogradov c. Canada (1994), 77 F.T.R. à la p. 298 et Kibale c. Canada (1990), 103 N.R. 387 à la p. 388 (C.A.F.).
[7] C'est le 16 décembre 1997, que le greffe de Montréal a transmis notification du rejet de la demande, c'est-à-dire après écoulement de huit des dix jours du délai prévu par les règles. Sans que la faute puisse en être imputée au greffe, la notification du rejet de la demande des requérants a d'abord été envoyée à leur adresse, à Rawdon (Québec). Les requérants, qui se trouvaient déjà en Colombie-Britannique, mais qui n'avaient pas signalé leur changement d'adresse, n'ont reçu cette notification qu'au début du mois de janvier 1998. Le premier affidavit déposé à l'appui de la présente requête date du vendredi, 9 janvier, a été déposé en même temps que la requête, le 12 janvier 1998. Bien que les requérants aient omis de signaler à la Cour en temps utile leur nouvelle adresse, je suis disposé à leur accorder le bénéfice du doute et admettre qu'ils ont fourni, pour leur retard, une explication raisonnable. Passons maintenant, à la question de savoir si leur cause est soutenable, c'est-à-dire, selon le critère généralement retenu, s'ils ont une chance raisonnable d'obtenir gain de cause en cas de nouvel examen.
[8] Il ne faut pas perdre de vue que la règle 337(5) n'est pas là pour permettre à l'une des parties de plaider à nouveau sa cause afin de tenter d'obtenir une issue différente : voir, par exemple, le sommaire de l'arrêt Murray c. Commission des relations de travail dans la fonction publique [1985] F.C.A.D. 3008-01 (C.A.F.). La règle ne permet pas non plus à la Cour d'examiner à nouveau les conclusions qu'elle a tirées des éléments dont elle disposait à l'époque : Chin c. M.E.I. (1994), 69 F.T.R. 77 à la p. 79. Pas plus que la règle 337(5) ne constitue une sorte de mécanisme d'appel permettant à un plaideur de renforcer ou de compléter les arguments qu'il a fait valoir plus tôt : Kibale c. Canada (1989), 103 N.R. 387 à la p. 390 (C.A.F.). La règle ne peut pas non plus être invoquée par une partie qui aurait manqué, dans sa demande initiale, d'inclure un certain nombre d'éléments qui étaient pourtant disponibles : Boateng c. Canada (1990), 112 N.R. 318 à la p. 319 (C.A.F.).
[9] Selon la règle 337(5), deux motifs peuvent être invoqués à l'appui d'une demande de nouvel examen. Un nouvel examen ne se justifie que par les motifs exposés dans la règle, et il ne peut être tenu compte d'aucun autre motif : Asbjorn Horgard c. Gibbs/Nortac Industries Ltd. (1987), 16 C.P.R. (3d) 112 à la p. 113 (C.A.F.). Le premier motif de nouvel examen est que le prononcé n'est pas en accord avec les motifs, mais il ne s'agit pas de cela en espèce. Selon le second motif prévu à la règle 337(5)b), un nouvel examen peut être demandé si " ...on a négligé ou accidentellement omis de traiter une question dont on aurait dû traiter ". L'omission ou l'inadvertance prévue à la règle 337(5) s'entend d'une inadvertance de la Cour, et non pas d'une inadvertance de l'une des parties : Boateng c. Canada (loc.cit.) .
[10] Les requérants font valoir que la situation actuelle est due à l'inadvertance de leur avocat de Vancouver qui a manqué d'assurer le dépôt du dossier en temps utile, et d'obtenir une prorogation des délais : dans l'affaire Jouzichin c. M.E.I., (IMM-1686-94), jugement non publié de Mme le juge Reed en date du 9 décembre 1994, la Cour rappelle à la page 2 de la décision que l'on ne peut pas faire de distinction entre la conduite d'un avocat et celle de son client puisque l'avocat est le mandataire de son client et, aussi sévère que cette idée puisse paraître, et aussi dure que puisse en être son application, le client doit supporter les conséquences d'avoir mal choisi son avocat. Voir également Kumarasamy c. Canada, (IMM-4340-94) décision non publiée du juge Cullen en date du 4 juillet 1995, dans laquelle il reconnaît, à la page 4 du jugement, que cette règle peut paraître trop dure " particulièrement dans le contexte où un requérant parle un peu anglais et ne connaît guère les procédures judiciaires canadiennes; mais il faut se rappeler que le requérant a son choix d'avocat ".
[11] D'une manière générale, il n'appartient pas aux tribunaux de connaître des allégations d'incompétence visant un avocat : voir Williams c. M.E.I. (1994), 74 F.T.R. 34 à la p. 38. Dans certaines circonstances extraordinaires, l'incompétence de l'avocat peut soulever un problème de justice naturelle. Mais c'est au requérant qu'incombe la lourde tâche de démontrer que sa cause s'inscrit dans le cadre de cette exception : voir, par exemple, Sheika c. Canada (1990), 71 D.L.R. (4th) 604 à la p. 611 (C.A.F.); Huynh c. M.E.I. (1994), 21 Imm.L.R. 18 aux p. 21 et suivantes (C.F. 1re inst.); Shirwa c. M.E.T. (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 123 aux p. 128 et suivantes (C.F. 1re inst.); et Drummond c. M.C.I. (A-771-92) décision non publiée rendue le 11 avril 1996 par le juge Rothstein qui a résumé l'état du droit sur la question :
" La jurisprudence dit cependant qu'en règle générale lorsqu'un avocat est librement choisi, c'est l'organisme d'accréditation tel le Barreau du Haut-Canada ..., et non les tribunaux, qui a le mandat de s'occuper de l'incompétence d'un avocat; .... Cependant, dans des cas extraordinaires, la compétence de l'avocat peut soulever une question de justice naturelle. Il faut alors que les faits soient précis et clairement prouvés; ....(page 2). " |
En l'espèce, les affidavits déposés à l'appui de la présente requête laissent beaucoup à désirer. Ces affidavits contiennent diverses déclarations d'ordre général indiquant peut-être que l'avocat de Delta (Colombie-Britannique) retenu par les requérants, n'a pas répondu aux attentes que les requérants auraient fondées sur les instructions qu'ils ont communiquées à l'avocat à la dernière minute. À l'inverse, l'avocat en question nie tout manquement de sa part et affirme que le problème provient du fait que les requérants n'ont pas déposé en temps utile leur dossier à Montréal. Les requérants n'ont pas démontré l'existence en l'espèce de circonstances exceptionnelles dans lesquelles l'incompétence de l'avocat est démontrée avec netteté et précision, justifiant ainsi un nouvel examen du fait d'un manquement à l'une ou l'autre des exigences de la justice naturelle.
[12] Je me suis également penché sur la question de savoir si l'absence de dossier ne pourrait pas être tenue pour une simple irrégularité procédurale et si l'on ne pourrait donc pas réexaminer le rejet de la demande, décision qui, sans cela, serait définitive. La question a, cependant, été examinée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Metodieva c. M.E.I. (1992), 132 N.R. 38. L'affaire a été tranchée en vertu de la règle 9(1) des Règles en matière d'immigration alors en vigueur, règle qui exigeait que toute demande d'autorisation soit accompagnée d'un ou de plusieurs affidavits considérés comme faisant partie intégrante de la demande. L'actuelle règle 10 en matière d'immigration, qui exige le dépôt d'un dossier contenant notamment un ou plusieurs affidavits établissant les faits invoqués à l'appui de la demande, est comparable à l'ancienne règle 9. Dans l'affaire Metodieva, la Cour d'appel a rappelé (p. 39 du N.R.) qu'une ordonnance devient définitive dès qu'un juge y appose sa signature, sous la seule réserve du recours prévu à la règle 337, en son paragraphe 5 par exemple, et qu'il n'appartient pas à la Cour de se pencher à nouveau sur la question dans le cadre d'une nouvelle procédure : une fois que l'affaire a été tranchée, elle ne peut pas être tranchée une deuxième fois (p. 42 et 43 du N.R.). Dans l'affaire Metodieva, la requérante soutenait que, étrangère au Canada, elle ne devait pas avoir à supporter les conséquences d'une erreur procédurale commise par son avocat. La Cour d'appel a rejeté cette thèse, et cela pour trois raisons. D'abord, le fait que la demande ait été rejetée parce qu'elle était entachée d'un vice de procédure " ... ne change en rien le fait que l'ordonnance rendue est définitive et échappe à toute reconsidération, hors des cas permis ". Deuxièmement, la Cour a relevé que l'absence d'affidavit est un vice de procédure considérable puisque, selon les règles en vigueur à l'époque, le dépôt d'un affidavit était considéré comme partie intégrante d'une demande et que les demandes d'autorisation ne comportant pas d'affidavit à l'appui étaient donc incomplètes et ne pouvaient pas être accueillies par la Cour. (loc. cit. ) Troisièmement, le fait que la requérante, une étrangère, n'ait pas été au courant de la procédure applicable, n'accordait aucun statut particulier aux erreurs qu'elle ou son avocat aurait pu faire (ibid page 44). La Cour d'appel a donc, dans l'affaire Metodieva, rejeté une demande de prorogation du délai prévu pour le dépôt d'une demande de nouvel examen de la décision initiale.
CONCLUSION
[13] Comme je l'ai souligné, la règle 337(5)b) subordonne tout nouvel examen d'une décision définitive à une omission ou inadvertance de la Cour. En l'espèce, la seule inadvertance provenait du fait que les requérants, qui tous deux avaient manqué de déposer leur dossier en temps utile et, à l'époque où cela aurait pu se faire, d'obtenir une prorogation du délai prévu pour le dépôt du dossier. Les requérants ont permis à l'affaire de suivre son cours sans avoir déposé de dossier. Étant donné l'absence du dossier qui fait partie intégrante de la procédure de contrôle judiciaire, la Cour n'a pu que rejeter la demande. Ce rejet a pris la forme d'un jugement définitif. Les requérants ne développent, malheureusement, aucun argument raisonnablement susceptible d'obtenir une modification de l'ordonnance rejetant leur demande de contrôle judiciaire. Avec regret, la requête est rejetée.
" John A. Hargrave "
______________________
Protonotaire
Vancouver (Colombie-Britannique)
26 janvier 1998
Traduction certifiée conforme
François Blais, LL.L
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
NUMÉRO DU GREFFE : IMM-4428-97 |
INTITULÉ : ORNA FRENKEL, IMANUEL BABAKHANIN, |
KHEZAEL BABAKHANIN, YAEZER |
BABAKHANIN et YAKOV SHANIN |
MESHIKHI, |
requérants,
- et - |
MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE |
L'IMMIGRATION, |
intimé.
LIEU DE L'AUDIENCE : VANCOUVER (C.-B.) |
DATE DE L'AUDIENCE : LE 19 JANVIER 1998 |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE LA COUR :
LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE
DATE : LE 26 JANVIER 1998
ONT COMPARU :
Orna Frenkel pour les requérants |
requérante |
Barbara Burns pour l'intimé |
Ministère de la Justice du Canada |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
Orna Frenkel pour les requérants |
requérante |
George Thomson pour l'intimé |
Sous-procureur du Canada |