Date : 19980202
Dossier : T-1695-96
OTTAWA (Ontario), le 2 février 1998.
EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY
ENTRE :
JOHN BRYCHKA,
Requérant,
- et -
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
Intimé.
VU la demande déposée par le requérant tendant au contrôle judiciaire et à l'annulation, assortie de mesures réparatoires connexes, de la décision en date du 3 avril 1996 du Tribunal des anciens combattants (révision et appel), confirmant une décision du Comité d'examen en date du 21 octobre 1987, selon laquelle la colite ulcéreuse dont est atteint le requérant n'est pas imputable à son service dans les forces actives; et
APRÈS avoir entendu les avocats du requérant et du procureur général du Canada, à Saskatoon le 5 novembre 1997, où la Cour a réservé sa décision, et après examen des arguments exposés;
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE :
La demande est accueillie en partie; la décision attaquée est annulée et l'affaire est renvoyée devant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) pour nouvel examen par une formation autrement constituée.
W. Andrew MacKay
Juge
Traduction certifiée conforme
Laurier Parenteau
Date : 19980202
Dossier : T-1695-96
ENTRE:
JOHN BRYCHKA,
Requérant,
- et -
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,
Intimé.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
Le juge MacKAY
[1] Cette demande de contrôle judiciaire vise une décision du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) en date du 3 avril 1996, notifiée au requérant le 28 mai 1996. La demande, présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch.F-7, modifiée, sollicite de la Cour une ordonnance annulant ou infirmant la décision du Tribunal, une déclaration ou ordonnance donnant au requérant droit à une pension, et une ordonnance accordant au requérant une audition de novo de sa cause. Les présents motifs ont trait à la décision de la Cour d'accueillir la demande en partie.
Contexte
[2] Le requérant, qui a 72 ans, est un ancien combattant qui a servi au cours de la Seconde Guerre mondiale dans la Marine canadienne, dans le cadre de réserve du 3 février 1943 au 27 mars 1943, et au sein de la force active, du 28 mars 1943 jusqu'à sa libération le 21 juin 1946. À partir du 4 janvier 1944, M. Brychka a servi en haute mer à bord du Prince Henry, navire de la Marine canadienne à bord duquel il a servi lors du le débarquement de Normandie, le 6 juin 1944.
[3] Alors que le requérant est encore en service actif, le Prince Henry fait relâche dans le port de Castella Mare, près de Naples, en Italie, afin d'y subir des réparations. Pendant son séjour dans ce port, c'est-à-dire entre juillet et août 1944, l'équipage du navire est durement atteint par la dysenterie. Le requérant est parmi les malades. Selon son certificat de libération pour raisons médicales, le requérant a été jugé en bonne santé au mois d'avril 1946, lorsqu'il est libéré de ses obligations militaires, mais lui-même affirme avoir éprouvé des séquelles de la maladie, et notamment des diarrhées, des crampes et des selles lâches, aussi bien après sa crise de dysenterie en 1944 qu'après sa libération des forces armées. En 1949, il devient serre-frein au Canadien National, en espérant que son état s'améliorera. Or, son état ne s'améliore pas. Les crises que subit le requérant sont traitées par un médecin en 1952 et en 1954 à Dauphin (Manitoba) et, encore, en juin 1959 au Deer Lodge Veterans Hospital à Winnipeg. On finit par diagnostiquer chez le requérant une « colite ulcéreuse » .
[4] Le 6 juin 1959, le requérant dépose une demande de pension conformément aux dispositions de la Loi sur les pensions, en vigueur à l'époque, faisant valoir que son affection intestinale était due à un microbe attrapé lors de son service militaire au Moyen-Orient. La Commission canadienne des pensions, chargée à l'époque de l'examen des demandes, a estimé, par une décision en date du 19 janvier 1960, que cette affection du requérant était postérieure à sa libération de la Marine et ne pouvait pas être attribuée à son service militaire.
[5] Entre le 17 février 1970 et le 4 mars 1970, le requérant subit à nouveau des traitements au Deer Lodge Veterans Hospital à Winnipeg, où l'on diagnostique une oesophagite peptique ainsi qu'une colite ulcéreuse. En 1983, il demande à la Commission canadienne des pensions (CCP) le réexamen de sa demande de pension. Cela donne lieu à la rédaction d'un résumé médical de son cas, daté le 9 août 1983 et dans lequel on trouve, sous le titre [traduction] « Diagnostic définitif : Colite ulcéreuse idiopathique » , la mention [traduction] « Aucune maladie à proprement parler jusqu'en 1952 ... » . En réponse à sa demande de réexamen en vue de l'attribution d'une pension, la Commission des pensions rejette, par une « Décision initiale » en date du 17 octobre 1983, la demande de pension présentée par le requérant. Dans sa décision, la Commission passe en revue les divers éléments du dossier, y compris la demande de pension déposée par le requérant en 1959, dans le cadre de laquelle il affirmait avoir attrapé un microbe pendant son service militaire au Moyen-Orient. La Commission a notamment conclu que le premier accès de colite ulcéreuse du requérant [traduction] « s'est produit longtemps après qu'il eut quitté les Forces armées - le premier accès datant probablement de 1952 » . La Commission a en outre déclaré :
[traduction]
La colite ulcéreuse idiopathique est une maladie chronique, non spécifique du colon, dont la cause n'est pas connue. Cela dit, on sait qu'elle n'est pas due à une bactérie, à un parasite ou autre invasion.
Cette opinion, reprise à son compte par la Commission, provient du résumé médical en date du 9 août 1983 sur l'état du requérant. Selon cette décision initiale, l'état du requérant ne pouvait pas être imputé à son service dans les forces actives.
[6] La décision de la Commission des pensions est portée en appel devant le Comité d'examen qui, le 21 octobre 1987, confirme la décision de la Commission. Le Comité d'examen conclut qu'en 1944 le requérant a effectivement été atteint par l'affection intestinale qui s'est déclarée à bord du Prince Henry, concluant cependant à l'absence de données médicales permettant d'établir un lien entre l'affection intestinale contractée en 1944 et le mal dont le requérant a commencé à souffrir en 1952. La décision citait le rapport, en date du 27 novembre 1986, du docteur W.H. Colborne, versé au dossier par le requérant. Selon ce rapport :
[traduction]
Il est possible que le stress éprouvé par le requérant lors de son service dans la Marine ait fini par provoquer une colite ulcéreuse. On considère qu'il s'agit d'une maladie psychosomatique.
Le Comité n'a pas admis cette opinion, estimant que :
[traduction]
Le docteur Colborne n'offre aucun fondement ou aucune explication et son avis est lui-même rédigé sous forme hypothétique. Le Comité estime qu'en l'absence d'autres preuves étayant la thèse de l'origine de cette maladie dans le stress subi par le demandeur, le lien n'est pas établi et le versement d'une pension en raison de cette maladie ne se justifie pas.
[7] Le 7 février 1995, le requérant fait appel de cette décision. Le 3 avril 1996, le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) décide, encore une fois, que l'affection du requérant est postérieure à sa libération et n'est aucunement due à son service dans les forces actives. Dans le cadre de cet appel, le requérant a produit de nouvelles preuves, y compris des lettres des docteurs Colborne et Willemse. Dans une lettre en date du 16 mai 1991, le docteur Colborne écrivait :
[traduction]
J'ai étudié les dossiers de ce monsieur et j'y trouve de bonnes raisons de penser qu'il aurait pu être frappé de colite alors qu'il se trouvait, en 1944, à bord de son navire dans la Méditerranée. À l'époque, on l'a traité pour des diarrhées qu'on estimait être dues à une gastroentérite. Cinq ans plus tard, sont apparus les symptômes d'une colite ulcéreuse aiguë et j'estime qu'il existe un lien de causalité entre le premier épisode pathologique survenu à bord du navire et l'apparition ultérieure de la maladie. Certains patients chez qui on a diagnostiqué une colite ulcéreuse avaient souffert, dans les années précédant ce diagnostic, de selles lâches, de crampes abdominales, de diarrhées, de sang dans les selles, etc., mais ces symptômes s'étaient aggravés et étaient devenus plus fréquents avant qu'on diagnostique une colite ulcéreuse.
J'estime donc que cette colite ulcéreuse, dont souffre depuis longtemps le patient, remonte à son service militaire.
Dans une lettre en date du 6 février 1996, le docteur Willemse écrivait pour sa part :
[traduction]
Étant donné que ces diarrhées ont commencé pendant la guerre, il est raisonnable de supposer qu'il s'agissait-là, justement, d'un début de colite ulcéreuse qui, à l'époque, était difficile à diagnostiquer. Il est également tout à fait possible que ce soit son service militaire en temps de guerre qui ait déclenché cette affection.
Je suis donc en mesure de confirmer que, comme il le prétend, cette colite ulcéreuse lui ouvrirait le droit à une pension d'invalidité.
[8] Selon le Tribunal d'appel, ces deux attestations médicales ne suffisaient pas à créer un doute quant à la question de savoir si cette affection, ou l'aggravation de cet état, pouvait être imputée à son service dans les forces actives ou avait été contractée au cours de cette période. Sa décision confirmait celle du Comité d'examen en date du 21 octobre 1987. Citant d'abord la conclusion exposée dans la décision de 1983, selon laquelle la maladie en question était due ni à des bactéries, ni à des virus, etc., le Tribunal ajoutait :
[traduction]
...Après examen [de la lettre du docteur Colborne en date du 16 mai 1991], la Commission estime que les données retenues par le docteur W.H. Colborne se fondent uniquement sur les souvenirs de l'appelant. Même à cela, les renseignements dont il est fait état dans cette pièce ne semblent pas exacts, étant donné que l'appelant a contracté une infection intestinale en 1944 et que ce n'est qu'en 1952, soit huit ans plus tard, et non pas cinq ans plus tard comme l'affirme le docteur Colborne, qu'on a diagnostiqué une colite ulcéreuse.
De même, [la lettre du docteur Willemse] se fonde sur les souvenirs de l'appelant, et non sur de nouvelles données médicales.
[9] C'est de cette décision-là que le requérant sollicite en l'espèce le contrôle judiciaire. Dans le dossier soumis à la Cour, le requérant produit de nouvelles preuves médicales qui ne figuraient pas dans le dossier soumis au Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Selon ces nouvelles données, obtenues sur Internet, les causes de la colite ulcéreuse ne sont pas connues, mais, selon une nouvelle théorie qui fait autorité, cette maladie serait causée par un agent d'infection, peut-être un virus, ou un virus à action lente, ou une bactérie atypique.
[10] Le requérant fait valoir que le Tribunal a omis de tenir compte de l'ensemble des circonstances de l'affaire, n'a pas conclu à la non-crédibilité de la preuve produite et, par là même, n'a pas tranché en faveur du requérant au vu du dossier, comme l'article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. (1995), ch. 18 ( « LTAC » ) le prévoit concernant toute incertitude quant au bien-fondé d'une demande formulée par un ancien combattant. Il fait valoir que les données médicales produites en preuve permettent de conclure à l'existence d'un lien entre la colite ulcéreuse dont souffre le requérant et son service au sein des forces actives, bien que ce soit pour des raisons quelque peu différentes. La seule preuve allant à l'encontre des preuves médicales produites par le requérant se trouvait dans le résumé médical en date du mois d'août 1983, dans lequel il était affirmé que [traduction] « la colite ulcéreuse n'est pas due à une bactérie, à un parasite ou autre invasion. » . Le requérant fait valoir que des preuves médicales plus récentes, compatibles avec les preuves produites devant le Tribunal, contredisent l'affirmation de celui-ci quant à la cause du mal dont souffre le requérant. Ainsi, en ne retenant pas des preuves médicales actuelles et non contredites évoquant une réelle possibilité que la maladie en question soit attribuable au service militaire accompli pendant la Seconde Guerre mondiale, ou qu'elle ait été contractée à cette époque, le Tribunal n'a pas fait son devoir.
[11] Selon le requérant, en affirmant que les preuves médicales présentées par les docteurs Colborne et Willemse se [traduction] « fonde[nt] sur les souvenirs de l'appelant, et non sur de nouvelles données médicales. » la Commission a commis une erreur. Il fait valoir que les deux avis médicaux sont fondés en partie sur de nouvelles connaissances concernant sa maladie. Il estime en outre qu'on ne peut pas à bon droit écarter des preuves au simple motif qu'elles sont fondées sur des souvenirs.
[12] L'intimé fait valoir pour sa part que la Cour doit s'en remettre sur ce point à l'avis du Tribunal. Il estime que le Tribunal n'a commis aucune erreur dans le cadre de sa décision en date du 3 avril 1996 et que la question de savoir si une invalidité est imputable au service militaire accompli en temps de guerre, ou si elle a été contractée à cette époque, est une question de fait relevant nettement de la compétence du Tribunal. Le Tribunal a pris en considération et examiné l'ensemble de la preuve, conformément à la Loi sur les pensions et à la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Ses inférences et conclusions étaient raisonnables compte tenu du dossier. La décision n'est pas manifestement déraisonnable, elle n'a pas été prise de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont disposait le Tribunal.
[13] L'intimé fait également valoir que les nouvelles preuves quant à l'origine de la maladie, invoquées par le requérant dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire, ne sont pas régulières. Elles ne faisaient pas partie du dossier sur lequel le Tribunal s'est fondé pour aboutir à sa décision, et elles n'ont pas été produites de la manière prévue à la Règle 1603(1).
Analyse
[14] La demande est accueillie en partie et l'affaire est renvoyée devant une nouvelle formation du Tribunal.
[15] Le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) a été institué par le Parlement en 1995 par la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) ( « LTAC » ). Il venait remplacer l'ancien Tribunal d'appel des anciens combattants, l'ancienne Commission de révision des pensions, ainsi que l'ancienne Commission des allocations aux anciens combattants. Le Tribunal est maintenant l'unique organisme de révision et d'appel en matière de pensions d'anciens combattants.
[16] Selon l'article 39 de la Loi, le Tribunal a l'obligation d'interpréter en faveur du requérant toute preuve crédible présentée au cours d'une procédure. Selon l'interprétation qu'en a donnée mon collègue le juge Teitelbaum dans l'affaire Mackay c. Canada (Procureur général)[1], en matière de demande de pension formulée par des anciens combattants, les articles 3 et 39 obligent le Tribunal à agir en fonction de critères libéraux et à ne pas perdre de vue l'immense dette morale que la nation a contractée envers ceux qui ont servi sous les drapeaux. Ces deux dispositions disposent que :
3. Les dispositions de la présente loi et de tout autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s'interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l'égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.
39. Le Tribunal applique, à l'égard du demandeur ou de l'appelant, les règles suivantes en matière de preuve :
(a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;
(b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l'occurrence;
(c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.
[17] Le Tribunal tient de l'article 38 de la LTAC le pouvoir de solliciter des avis médicaux indépendants sur toute question dont il est saisi. Dans l'affaire Moar c. Canada (Procureur général)[2], le juge Heald a évoqué les pouvoirs analogues prévus au paragraphe 10(3) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants, abrogée depuis, et ce qu'il convenait d'en retenir au niveau de la retenue dont la Cour doit faire preuve envers une décision du Tribunal. Il s'agissait de décider, dans cette affaire, si les blessures du requérant pouvaient être imputées à son service militaire. Voici ce qu'en a dit le juge Heald :
Il est indiscutable que l'affaire en instance met en jeu des questions médicales. Le paragraphe 10(3) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants habilite celui-ci a requérir l'avis d'un expert médical indépendant dans toute matière soumise à sa juridiction. J'en conclus que le Tribunal ne bénéficie pas de la retenue dont les instances judiciaires font habituellement preuve à l'égard des tribunaux spécialisés en raison de leur expertise dans leur domaine de compétence.
Cette démarche doit être interprétée à la lumière de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale Tonner c. Canada[3], fondé sur la proposition voulant que la clause privative inscrite dans la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants impose que l'on s'en remette aux décisions de ce tribunal. Une clause analogue se trouve inscrite à l'article 31 de la LTAC.
[18] Dans l'affaire Moar, le juge Heald a également examiné l'importance du paragraphe 10(5) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants, en vigueur à l'époque, disposition analogue à l'actuel article 39 de la LTAC. La seule différence entre l'actuel article 39 de la LTAC et le paragraphe 10(5) de la Loi sur le Tribunal d'appel des anciens combattants, abrogée depuis, est que le paragraphe 10(5) parle de l' « appelant » , alors que l'article 39 parle du « demandeur ou de l'appelant » . Voici comment sa seigneurie s'est exprimée sur ce point :
L'alinéa 10(5)b) supra est particulièrement pertinent en l'espèce puisqu'il fait au Tribunal l'obligation d'accepter « ...tout élément de preuve non contredit que lui présente l'appelant et qui lui semble vraisemblable ou digne de foi en l'occurrence... »
Cette disposition doit être envisagée à la lumière du paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions.
Le paragraphe 21(3) de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6, crée une présomption voulant qu'une maladie soit imputable au service militaire si elle est contractée au cours de ce service. Voilà ce que prévoit le texte :
21.(3) Pour l'application du paragraphe (2), une blessure ou maladie - ou son aggravation - est réputée, sauf preuve contraire, être consécutive ou rattachée directement au service militaire visé par ce paragraphe si elle est survenue au cours :
...
f) d'une opération, d'un entraînement ou d'une activité administrative militaires, soit par suite d'un ordre précis, soit par suite d'usages ou pratiques militaires établis, que l'omission d'accomplir l'acte qui a entraîné la maladie ou la blessure ou son aggravation eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le membre des forces;
[19] Dans l'affaire Moar, le requérant prétendait avoir reçu un violent choc à la tête au cours de son service militaire, coup à l'origine d'une maladie qui ne s'était manifestée que de nombreuses années plus tard. Le requérant avait fait état d'un certificat médical rédigé par un certain docteur McKenna, selon lequel :
[TRADUCTION] [Le patient] se demande en fait si un coup violent à la tête peut endommager son cou et provoquer une tendance à la dégénérescence des disques cervicaux à l'âge relativement jeune de 48 ans. Je pense que cela est possible puisque le choc sur la tête était assez violent pour lui faire perdre conscience. Le choc devait certainement avoir certaines répercussions et se transmettre jusqu'au cou, et je suis enclin à penser qu'il y a un lien, c'est-à-dire que le cou a pu contribuer à la dégénérescence des disques cervicaux et aux symptômes de brachialgie dans ses membres supérieurs.
En réponse, le Tribunal qui ne niait aucunement la réalité du traumatisme antérieur, a cependant estimé que :
[TRADUCTION] [Le Tribunal] conclut que l'avis médical du docteur McKenna est subordonné au fait que l'appelant ait subi une blessure grave en 1966. Cette blessure n'est pas corroborée par les documents où il n'y a aucune mention de douleurs cervicales avant 1980, année où il est indiqué que la première manifestation s'était produite pendant que l'appelant travaillait chez lui.
En les termes suivants, le juge Heald a pourtant condamné cette conclusion :
[Le Tribunal] diposait seulement du témoignage non contredit du docteur McKenna, qui portait sur la question spécifique de savoir si l'état actuel du requérant, savoir la dégénérescence des disques cervicaux, avait pu être causé par le coup porté à sa tête en 1966. Il n'y avait aucun second avis médical contredisant celui du docteur McKenna. L'alinéa 10(5)b) supra fait au Tribunal obligation d'accepter tout élément de preuve non contredit « qui lui semble vraisemblable ou digne de foi en l'occurrence » .
Le Tribunal ne s'est pas prononcé sur la crédibilité des conclusions du docteur McKenna. S'il avait trouvé son témoignage peu digne de foi, il aurait dû le dire, avec motifs à l'appui. Faute pour lui de conclure au manque de crédibilité, l'alinéa 10(5)b) fait que le Tribunal aurait dû ajouter foi au témoignage du docteur McKenna. Puisqu'il ne l'a pas fait, je conclus que par cette décision, le Tribunal a excédé sa compétence.[4]
[20] Je conviens avec l'intimé que le Tribunal peut écarter une preuve médicale lorsque le dossier renferme des preuves médicales qui sont contradictoires.[5]Je conviens également que les articles 3 et 39 de la LTAC n'imposent pas aux membres du Tribunal d'accepter automatiquement tout argument exposé par un ancien combattant. La preuve produite doit être crédible et raisonnable.[6]Mais l'arrêt rendu par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Chénier c. Canada[7], examinant l'article 108 de la Loi sur les pensions, quasi identique sur tous les points importants à l'article 39 de LTAC, confirme que le Tribunal doit tirer toute conclusion raisonnable favorable au requérant. C'est dire que le Tribunal n'exerce pas la compétence qui est la sienne lorsqu'il conclut sommairement que l'intéressé ne se livrait pas à l'époque des faits à une activité lui ouvrant droit à une pension sans une pension « sans avoir invoqué directement les preuves et témoignages dont il aurait pu tirer une déduction favorable à la requérante » . L'arrêt Moar porte également à dire qu'en l'absence de preuve contraire, c'est à tort que le Tribunal écarte les preuves médicales produites par le requérant, l'erreur ainsi commise équivalant à un vice de compétence.
[21] En l'espèce, le dossier contient des éléments attestant du fait que le requérant a contracté, en 1944, une affection intestinale, cela étant admis par le Comité d'examen dans une décision plus tard portée en appel devant le Tribunal dont la décision est contestée en l'espèce. Certains éléments du dossier portent à penser que cette affection était le premier épisode de la maladie dont souffre actuellement le requérant. La valeur probante de ces éléments a été mise en doute du fait qu'ils se fondaient sur les souvenirs du requérant et que, dans son attestation, le docteur Colborne avait commis une erreur de fait, l'affection du requérant ayant été diagnostiquée cinq, et non pas huit ans, après l'affection contractée en 1944. Pourtant, le Tribunal n'a pas précisé quels étaient les souvenirs qu'il convenait d'écarter ni en quoi ces souvenirs lui déplaisaient.
[22] Le simple fait d'attribuer en l'espèce les preuves produites à de simples souvenirs ne suffit pas, d'après moi, à rendre ces preuves déraisonnables ou non crédibles, à moins de justifier par ailleurs une telle conclusion. Il faut, à mon avis, une conclusion expresse que la preuve fondée sur les souvenirs n'est pas crédible. Cela est d'après moi confirmé par la démarche adoptée par le juge Teitelbaum dans l'affaire MacKay[8]:
En l'espèce, le TAC (R & A) ne s'est pas non plus prononcé sur la crédibilité du rapport du docteur Murdoch; il l'a simplement qualifié de « spéculatif » . Toutefois, selon le juge Heald dans « Moar » , il n'a pas donné de « motifs à l'appui » de cette conclusion. Quelles que puissent avoir été les frustrations du TAC (R & A) (devant le nombre croissant de médecins consultés par le requérant) il n'a pas analysé dans sa décision du 21 juin 1996 l'opinion du docteur Murdoch ni déclaré que cette opinion n'était ni digne de foi ni raisonnable.
Quoi qu'il en soit, j'estime que le dossier contenait des faits concernant le début de la maladie et ses manifestations périodiques, notamment à partir de 1952, ces faits provenant de sources autres que les souvenirs du requérant. Il n'est de plus pas évident que si le docteur Colborne avait précisé que, comme c'est effectivement le cas, huit ans séparaient la maladie contractée à bord du navire et le diagnostic, cela aurait eu la moindre influence sur son avis médical quant au lien de causalité unissant les deux circonstances. À mon avis, en l'absence de solides raisons médicales, le Tribunal ne peut pas écarter la preuve en invoquant l'erreur sur une question accessoire.
[23] Le Tribunal pourrait, à juste titre, conclure que l'affection de 1944 n'était pas la manifestation initiale de la maladie dont souffre le requérant, mais une telle conclusion doit se fonder sur la preuve versée au dossier. Ainsi que je l'ai indiqué plus haut, ce dossier contenait des preuves que le Tribunal n'a pas jugées déraisonnables ou non crédibles, preuves selon lesquelles la maladie dont souffre le requérant remonte au service accompli en temps de guerre. N'a en outre été produite devant le Tribunal, aucune preuve médicale contredisant la thèse du requérant selon laquelle sa maladie remonterait à l'affection contractée en 1944 en Italie. Les preuves médicales qui, selon le Tribunal, vont à l'encontre de cette thèse, proviennent du résumé médical de la CCP en date du 9 août 1983. Ce résumé cite la demande déposée en 1959 par le requérant, dans laquelle celui-ci prétendait que sa maladie était due à un microbe contracté au Moyen-Orient. Cela sous-entend que, dans la mesure où en 1959, on n'a pas estimé que l'affection du requérant était due à un microbe, l'affection ne saurait aujourd'hui être attribuée à une telle cause.
[24] J'estime, en toute déférence, qu'on ne peut pas dire que cette preuve médicale va directement à l'encontre de ce qu'a affirmé le requérant. Elle porte sur les circonstances exposées en 1959, c'est-à-dire la théorie développée par le requérant d'un microbe contracté au Moyen-Orient, qui serait à la source de son affection, et non pas sur l'origine possible de cette affection en Italie ou, plus généralement, au cours de son service militaire. D'après moi, la preuve médicale produite par le requérant dans le cadre de l'appel qu'il a interjeté en 1996 ne se fonde pas uniquement sur la thèse du microbe. Le dossier contient l'avis du docteur Colborne, selon lequel cette affection pourrait être due à une autre cause, le stress subi en temps de guerre. Dans sa décision de 1987, le Comité d'examen a d'ailleurs évoqué cette explication même si elle a fini par la rejeter, non pas en raison de preuves qui l'auraient contredite mais, plutôt, parce que le docteur Colborne n'avait pas explicité ses raisons et avait rédigé son avis sous forme hypothétique. Dans le cadre des arguments médicaux exposés par la suite devant le Tribunal d'appel, la lettre du docteur Colborne, en date de mai 1991, ne reprend pas explicitement cette théorie quant aux sources de l'affection mais, comme le passage cité du résumé médical, cette théorie reste au dossier et demeure compatible avec les nouveaux éléments fournis par les docteurs Colborne et Willemse. Selon ce dernier, il est tout à fait possible que l'affection du requérant puisse remonter aux activités militaires de celui-ci pendant la guerre, activités qui auraient déclenché la maladie, et cet extrait de la lettre du médecin permet de penser que celui-ci ne se fondait pas uniquement sur la théorie du microbe comme source de la maladie.
[25] Comme dans l'affaire Moar, j'estime qu'en l'espèce il appartient au Tribunal soit de conclure explicitement à la non-crédibilité de cette preuve médicale produite à l'appui de la demande du requérant, soit de recueillir ses propres preuves médicales concernant la possibilité que cette affection serait due aux effets du stress, soit encore, compte tenu des articles 3 et 39 de la LTAC, d'accueillir favorablement la preuve non contredite présentée par le requérant. Dans sa décision, le Tribunal déclare qu'il a [traduction] « satisfait intégralement à l'obligation légale de trancher toute incertitude en faveur de l'appelant, conformément aux articles 3 et 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel) » . J'estime qu'en ne se prononçant pas formellement sur la valeur de la preuve produite, le Tribunal a commis une erreur. Il y a donc lieu de renvoyer l'affaire devant une formation autrement constituée du Tribunal, pour nouvel examen.
[26] Examinons maintenant brièvement les autres questions évoquées par les avocats des parties. Tout d'abord, en cas de contrôle judiciaire, la Cour ne peut se fonder que sur les preuves soumises au décideur administratif auteur de la décision et non pas sur de nouvelles preuves.[9]En l'espèce, le requérant entendait verser au dossier de nouveaux renseignements concernant la colite ulcéreuse, renseignements exposant de nouvelles théories sur les causes de cette affection, mais qui n'avaient pas été invoqués devant le Tribunal des anciens combattants (révision et appel). Ces nouvelles données, quelle que puisse être leur pertinence au niveau des questions évoquées devant le décideur, ne faisaient pas partie du dossier sur la base duquel celui-ci a rendu sa décision. La Cour ne saurait, pour cette raison, prendre connaissance des nouvelles preuves médicales que le requérant a pu recueillir sur Internet et qu'il produit dans le cadre de cette demande de contrôle judiciaire. Ces nouveaux éléments pourront, par contre, être soumis au Tribunal lors d'une nouvelle audition de l'affaire.
[27] L'avocat du requérant a sollicité de la Cour une ordonnance ou un jugement déclarant que le requérant avait droit à une pension. Je dois, en toute déférence, préciser qu'il ne s'agit pas ici d'un procès de novo et que, dans une demande de contrôle judiciaire, la Cour est appelée non pas à dire si le requérant a effectivement droit à une pension, mais à décider, au vu des motifs énumérés à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, s'il y a lieu pour la Cour de renvoyer la question pour nouvel examen devant l'organisme chargé par la loi d'examiner les demandes de pension. J'ajoute que la Cour n'a pas la compétence de rendre des jugements déclaratoires sur de simples questions de fait.[10]Il n'y a donc pas lieu de dire si en l'espèce le requérant a droit à une pension.
Conclusion
[28] C'est par un défaut d'exercice de la compétence qui est la sienne que le Tribunal est parvenu à une conclusion qui lui évitait de se prononcer expressément sur des preuves qu'il n'a pas jugées non crédibles et dont il aurait pu tirer une conclusion favorable au requérant. La Cour ordonne donc l'annulation de la décision du Tribunal et renvoie l'affaire devant une formation autrement constituée du Tribunal pour nouvel examen en accord avec les présents motifs.
W. Andrew MacKay
Juge
OTTAWA (Ontario)
2 février 1998.
Traduction certifiée conforme
Laurier Parenteau
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
NUMÉRO DU GREFFE :T-1695-96
INTITULÉ :JOHN BRYCHKA c.
PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
LIEU DE L'AUDIENCE :SASKATOON (SASKATCHEWAN)
DATE DE L'AUDIENCE :LE 5 NOVEMBRE 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE MACKAY
DATE :LE 2 FÉVRIER 1998
ONT COMPARU :
Me BRUCE SLUSARPOUR LE REQUÉRANT
Me MYRA J. YUSAKPOUR L'INTIMÉ
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
SLUSAR & BODNARPOUR LE REQUÉRANT
SASKATOON (SASKATCHEWAN)
GEORGE THOMSONPOUR L'INTIMÉ
SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL
DU CANADA
[5]Voir Re Hornby (1993), 63 F.T.R. 188, contrôle judiciaire d'une décision du Tribunal d'appel des anciens combattants, jugement du juge Cullen.
[6]Tonner c. Canada (Ministre des Anciens combattants) (1995), 94 F.T.R. 146, confirmée supra note 3 (C.A.F.), s'agissant du Tribunal d'appel des anciens combattants.
[9]Voir Franz c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1994), 80 F.T.R. 79; Via Rail Canada Inc. c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne) (re Mills) (19 août 1997), Dossier T-1399-96, [1997] J.C.F. no 1089; Lemiecha c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 72 F.T.R. 49, 24 Imm. L.R. (2d) 95; Ismaili c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), (1995) 100 F.T.R. 139, 29 Imm.L.R. (2d) 1.