Date : 20030826
Dossier : T-1385-97
Référence : 2003 CF 962
ENTRE :
WCC CONTAINERS SALES LIMITED et
WCC REFURB LIMITED
demanderesses
et
HAUL-ALL EQUIPMENT LTD.
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE KELEN
1. Il s'agit d'une demande fondée sur le paragraphe 57(1) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, et ses modifications (la Loi), en vue de radier du registre des marques de commerce l'enregistrement de la marque de commerce de la défenderesse portant le numéro TMA 468,995 à l'égard du SLOPE BIN CONTAINER DISTINGUISHING GUISE DESIGN. L'objet de la marque de commerce est la forme du conteneur pour déchets HID-A-BAG de la défenderesse, qui est une boîte à ordures à l'épreuve des animaux destinée aux parcs nationaux et autres réserves d'espèces sauvages.
2. Les demanderesses sont des sociétés liées et, tout au long des présents motifs, elles seront appelées ensemble WCC ainsi que les sociétés qu'elles remplacent. Les cinq motifs de radiation que WCC invoque sont les suivants :
1. La marque de commerce est invalide et nulle ab initio, parce que la demande d'enregistrement de marque de commerce renfermait une fausse déclaration.
2. La marque de commerce est invalide pour les raisons suivantes :
a) elle n'était pas distinctive lorsqu'elle a été déposée le 12 juin 1995;
b) elle n'était pas distinctive lorsque la présente instance a été engagée le 26 juin 1997.
3. La marque de commerce n'est pas enregistrable à titre de signe distinctif, parce que ses caractéristiques sont principalement fonctionnelles.
4. La marque de commerce est invalide, parce que l'utilisation exclusive du signe distinctif par la défenderesse aura vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement de l'industrie de la fabrication de ces conteneurs.
5. La défenderesse n'a pas respecté la promesse implicite qu'elle a faite en vertu de la Loi sur les dessins industriels, L.R.C. 1985, ch. I-9, soit la promesse de céder le dessin au domaine public, lorsqu'elle a obtenu la marque de commerce après l'expiration de son enregistrement de dessin industriel canadien.
FAITS
[3] Le présent litige concerne la forme du conteneur pour déchets HID-A-BAG de la défenderesse. Selon son concepteur, M. Dennis Neufeldt, le conteneur en question a [traduction] « une forme rectangulaire inclinée vers le haut dans un angle d'environ 30 ° à 35 ° par rapport à la verticale, une partie arrière coupée à la verticale et une base horizontale s'étendant vers l'avant » . Les conteneurs « HID-A-BAG » sont offerts avec un ou deux compartiments et peuvent être dotés de dispositifs de verrouillage à « l'épreuve des animaux » , d'un couvercle pour le recyclage ou d'un couvercle combiné pour ordures et produits recyclables. Le conteneur à deux compartiments comporte aussi une porte de déchargement verrouillable à l'arrière pour faciliter le retrait des sacs à ordure. La représentation graphique du signe distinctif tirée de l'enregistrement de la marque de commerce est reproduite ci-dessous :
[4] Monsieur Neufeldt, qui est ingénieur industriel de formation, a conçu le conteneur HID-A-BAG en 1983 et l'a fabriqué et vendu par l'entremise de Haul-All Equipment Systems, division de sa société Neufeldt Industries Ltd. (Neufeldt Industries), entre 1983 et 1985. Le 11 juillet 1984, le numéro d'enregistrement de dessin industriel canadien 52994 a été attribué à Neufeldt Industries à l'égard du conteneur que M. Neufeldt avait conçu. En 1985, Neufeldt Industries a fait faillite et ses biens, y compris l'enregistrement de dessin industriel, ont été transférés à la société défenderesse, Haul-All Equipment Ltd. M. Neufeldt a été nommé président de cette société et occupe toujours ce poste aujourd'hui. De 1985 jusqu'à la date des présents motifs d'ordonnance, la défenderesse a fabriqué des conteneurs HID-A-BAG et en a vendu à des parcs nationaux, à des administrations provinciales et municipales et à des industries privées. Entre 1983 et 1995, la défenderesse et la société qu'elle a remplacée ont vendu près de 5 000 conteneurs HID-A-BAG au Canada.
[5] Le 11 juillet 1994, l'enregistrement de dessin industriel canadien relatif au conteneur HID-A-BAG a expiré. La demande se rapportant à la marque de commerce « SLOPE BIN CONTAINER DISTINGUISHING GUISE DESIGN » a été déposée le 12 juin 1995 en fonction de l'utilisation de ladite marque par la défenderesse au Canada en liaison avec des [traduction] « conteneurs pour déchets et produits recyclables » depuis novembre 1983. La demande a été publiée à des fins d'opposition le 4 septembre 1996. Aucune déclaration d'opposition n'a été déposée et, le 29 novembre 1996, la demande a été accueillie. La défenderesse a payé les droits d'enregistrement prescrits le 10 décembre 1996 et la procédure d'enregistrement a suivi son cours normal.
[6] Le litige qui oppose les deux parties remonte à trois demandes de soumissions faites en 1996 et 1997. La première demande a été formulée le 20 juin 1996 par Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, qui cherchait à obtenir 45 conteneurs pour déchets et produits recyclables à l'épreuve des ours pour le parc national des Hautes-terres-du-Cap-Breton, en Nouvelle-Écosse. Travaux publics demandait également que les conteneurs soient fabriqués conformément à la conception décrite dans le devis et les photographies jointes. Le conteneur apparaissant sur les photographies comporte les caractéristiques du SLOPE BIN CONTAINER DISTINGUISHING GUISE DESIGN et semble être un des conteneurs HID-A-BAG de la défenderesse. L'offre retenue a été présentée par Winlie Containers (société qu'a remplacée la demanderesse WCC Container Sales Limited) et un contrat relatif à la fourniture de conteneurs a été signé entre Winlie Containers et Travaux publics le 23 juillet 1996. Conformément au contrat, Winlie Containers a fabriqué 45 conteneurs pour déchets dont la conception était presque identique à celle du conteneur HID-A-BAG de la défenderesse.
[7] La deuxième demande a été présentée le 15 janvier 1997 par la Commission de la capitale nationale (CCN), qui voulait obtenir 64 conteneurs à un compartiment et 39 conteneurs à deux compartiments [traduction] « refermables et à l'épreuve des animaux (surtout les ours et les ratons-laveurs), des intempéries et du vandalisme » pour le parc de la Gatineau. Lorsqu'elle a été mise au courant de la demande de la CCN, la défenderesse a demandé au Bureau des marques de commerce d'accélérer la délivrance de la marque de commerce SLOPE BIN CONTAINER DISTINGUISHING GUISE DESIGN. Cette demande a été formulée dans une lettre datée du 17 janvier 1997 et la marque de commerce a été délivrée plus tard le même jour. Dans une lettre datée du 20 janvier 1997, la défenderesse a informé la CCN qu'elle détenait un enregistrement d'un signe distinctif à l'égard de la forme du conteneur HID-A-BAG ainsi que le droit exclusif de vendre tout conteneur dont la forme était identique à la forme visée par l'enregistrement. Même si WCC a présenté une offre inférieure à celle de la défenderesse, le contrat a été adjugé à celle-ci, en raison de l'enregistrement qu'elle détenait.
[8] La troisième demande de soumissions relative à ces conteneurs pour déchets a été formulée le 7 février 1997 par Travaux publics. Il s'agissait d'une demande visant à obtenir 24 conteneurs à deux compartiments et 65 conteneurs à un compartiment pour le parc national des Hautes-Terres-du-Cap-Breton. Travaux publics demandait également que les conteneurs soient construits conformément à la conception illustrée dans les photographies jointes à la demande en annexe A. Les conteneurs figurant dans les photographies en question étaient ceux que WCC avait fabriqués en vertu du contrat qu'elle avait précédemment signé avec Travaux publics. Le 9 avril 1997, WCC a été avisée que les avocats de la défenderesse avaient menacé de poursuivre Travaux publics pour incitation à une contrefaçon de marque de commerce si le contrat devait être adjugé à une personne ou entreprise autre que ladite défenderesse. Par conséquent, même si WCC a à nouveau présenté la soumission la plus basse, le contrat a été adjugé à la défenderesse.
[9] Le 26 juin 1997, les demanderesses ont déposé l'avis introductif de requête à l'égard de la présente demande.
DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES
[10] Un certain nombre de dispositions législatives sont pertinentes quant à la présente demande. La marque de commerce de la défenderesse est un « signe distinctif » défini comme suit à l'article 2 de la Loi :
« signe distinctif » Selon le cas_:
a) façonnement de marchandises ou de leurs contenants; b) mode d'envelopper ou empaqueter des marchandises, dont la présentation est employée par une personne afin de distinguer, ou de façon à distinguer, les marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou les services loués ou exécutés, par elle, des marchandises fabriquées, vendues, données à bail ou louées ou des services loués ou exécutés, par d'autres.
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"distinguishing guise" means
(a) a shaping of wares or their containers, or
(b) a mode of wrapping or packaging wares
the appearance of which is used by a person for the purpose of distinguishing or so as to distinguish wares or services manufactured, sold, leased, hired or performed by him from those manufactured, sold, leased, hired or performed by others;
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[11] La présente demande a été engagée en application du paragraphe 57(1) de la Loi :
Juridiction exclusive de la Cour fédérale 57. (1) La Cour fédérale a une compétence initiale exclusive, sur demande du registraire ou de toute personne intéressée, pour ordonner qu'une inscription dans le registre soit biffée ou modifiée, parce que, à la date de cette demande, l'inscription figurant au registre n'exprime ou ne définit pas exactement les droits existants de la personne paraissant être le propriétaire inscrit de la marque. |
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Exclusive jurisdiction of Federal Court 57. (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, on the application of the Registrar or of any person interested, to order that any entry in the register be struck out or amended on the ground that at the date of the application the entry as it appears on the register does not accurately express or define the existing rights of the person appearing to be the registered owner of the mark.
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[12] L'article 13 de la Loi énonce quelques-uns des motifs de radiation que WCC a allégués :
Signes distinctifs enregistrables
13. (1) Un signe distinctif n'est enregistrable que si, à la fois_: a) le signe a été employé au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenu distinctif à la date de la production d'une demande d'enregistrement le concernant;
b) l'emploi exclusif, par le requérant, de ce signe distinctif en liaison avec les marchandises ou services avec lesquels il a été employé n'a pas vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie.
Effet de l'enregistrement
(2) Aucun enregistrement d'un signe distinctif ne gêne l'emploi de toute particularité utilitaire incorporée dans le signe distinctif.
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When distinguishing guises registrable
13. (1) A distinguishing guise is registrable only if
(a) it has been so used in Canada by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an application for its registration; and
(b) the exclusive use by the applicant of the distinguishing guise in association with the wares or services with which it has been used is not likely unreasonably to limit the development of any art or industry.
Effect of registration
(2) No registration of a distinguishing guise interferes with the use of any utilitarian feature embodied in the distinguishing guise. |
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Aucune restriction à l'art ou à l'industrie
(3) L'enregistrement d'un signe distinctif peut être radié par la Cour fédérale, sur demande de toute personne intéressée, si le tribunal décide que l'enregistrement est vraisemblablement devenu de nature à restreindre d'une façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie.
Not to limit art or industry
(3) The registration of a distinguishing guise may be expunged by the Federal Court on the application of any interested person if the Court decides that the registration has become likely unreasonably to limit the development of any art or industry
[13] Le paragraphe 18(1) de la Loi prévoit d'autres motifs que WCC a invoqués :
Quand l'enregistrement est invalide
18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants_:
a) la marque de commerce n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement;
b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement;
c) la marque de commerce a été abandonnée.
Sous réserve de l'article 17, l'enregistrement est invalide si l'auteur de la demande n'était pas la personne ayant droit de l'obtenir.
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When registration invalid
18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if
(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,
(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or
(c) the trade-mark has been abandoned,
and subject to section 17, it is invalid if the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration. |
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[14] Il convient également de citer l'alinéa 30b) de la Loi :
Contenu d'une demande
30. Quiconque sollicite l'enregistrement d'une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant :
b) dans le cas d'une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande; |
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Contents of application
30. An applicant for the registration of a trade-mark shall file with the Registrar an application containing
(b) in the case of a trade-mark that has been used in Canada, the date from which the applicant or his named predecessors in title, if any, have so used the trade-mark in association with each of the general classes of wares or services described in the application;
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ANALYSE
[15] Dans les procédures de radiation engagées devant la Cour fédérale, il incombe à la partie qui conteste l'enregistrement de prouver que celui-ci devrait être radié. Il existe aussi une présomption correspondante selon laquelle la marque en question est valide et tout doute à ce sujet doit être tranché en faveur de la validité de la marque de commerce en question. Voir Mr P's Mastertune Ignition Services Ltd. c. Tune Masters (1984), 82 C.P.R. (2d) 128, à la page 134 (C.F. 1re inst.); Unitel Communications Inc. c. Bell Canada (1995), 61 C.P.R. (3d) 12, à la page 27 (C.F. 1re inst.); General Motors du Canada c. Moteurs Décarie Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 368, au paragraphe 31 (C.A.F.), et Consorzio del Prosciutto di Parma c. Maple Leaf Meats Inc., [2001] 2 C.F. 536, aux paragraphes 25 et 35 (C.F. 1re inst.), confirmé par (2002), 18 C.P.R. (4th) 414 (C.A.F.). Les demanderesses ont soulevé cinq motifs de radiation et j'examinerai chacun d'eux pour les parties et, en cas d'appel, pour la Cour d'appel.
1. Fausse déclaration dans la demande d'enregistrement
[16] Dans la demande d'enregistrement qu'elle a déposée le 12 juin 1995, Haul-All Equipment Ltd. a soutenu qu'elle utilisait le SLOPE BIN CONTAINER DISTINGUISHING GUISE DESIGN depuis au moins novembre 1983. WCC fait valoir que cette déclaration est manifestement erronée, étant donné que Haul-All Equipment Ltd. n'a été constituée en société que le 22 janvier 1985, de sorte qu'elle n'a pu utiliser la marque de commerce depuis 1983. Par conséquent, la défenderesse n'a pas respecté l'obligation que lui impose l'alinéa 30b) :
Contenu d'une demande
30. Quiconque sollicite l'enregistrement d'une marque de commerce produit au bureau du registraire une demande renfermant_:
b) dans le cas d'une marque de commerce qui a été employée au Canada, la date à compter de laquelle le requérant ou ses prédécesseurs en titre désignés, le cas échéant, ont ainsi employé la marque de commerce en liaison avec chacune des catégories générales de marchandises ou services décrites dans la demande;
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Contents of application
30. An applicant for the registration of a trade-mark shall file with the Registrar an application containing
(b) in the case of a trade-mark that has been used in Canada, the date from which the applicant or his named predecessors in title, if any, have so used the trade-mark in association with each of the general classes of wares or services described in the application; |
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[17] WCC estime qu'en raison de cette fausse déclaration, l'enregistrement est invalide et nul ab initio. Au soutien de son argument, elle invoque la décision Rainsoft Water Conditioning Co. c. Rainsoft (Regina) Ltd. (1987), 14 C.P.R. (3d) 267 (C.F. 1re inst.), où le juge Muldoon s'est exprimé comme suit à la page 269 :
L'intimée, Rainsoft (Regina) Ltd., a été constituée en société en Saskatchewan le 16 janvier 1963. William B. Atnikov en était président en 1979. Puisque la demande d'enregistrement de l'intimée à l'égard de la marque attaquée énonce qu'elle était utilisée par la demanderesse (c'est-à-dire Rainsoft (Regina) Ltd.) depuis au moins 1960, et puisque l'intimée a été constituée en société seulement en 1963, l'affirmation de l'intimée quant à l'utilisation semble fausse.
[18] WCC ajoute qu'il n'est pas nécessaire de prouver la fraude ou l'intention de tromper lorsqu'une demande d'enregistrement ou une déclaration relative à l'utilisation au Canada renferme une assertion erronée relativement à des éléments importants. Au soutien de cette proposition, elle cite les décisions suivantes : Melnor Manufacturing Ltd. c. Lido Industrial Products Ltd. (1969), 56 C.P.R. 212, à la page 225 (C.É.); Marchands Ro-Na Inc. c. Tefal S.A. (1981), 55 C.P.R. (2d) 27, à la page 30 (C.F. 1re inst.), et Unitel Communications, précitée, à la page 54.
[19] L'enregistrement fondé sur une demande qui renferme une fausse déclaration quant à l'utilisation a traditionnellement été jugé invalide et nul ab initio lorsqu'il y a eu assertion inexacte et frauduleuse. En général, les assertions inexactes qui sont innocentes ne suffisent pas en soi à faire invalider un enregistrement. C'est ce qu'a affirmé le Dr Harold Fox dans son traité Canadian Law of Trade Marks and Unfair Competition, 3rd ed. (Toronto : Carswell, 1972), aux pages 252 et 253, où il a cité les décisions Bonus Foods Ltd. c. Essex Packers Ltd. (1964), 43 C.P.R. 165, à la page 180 (C.É.), et W. J. Hughes & Sons "Cornflower" Ltd. c. Morawiec (1970), 62 C.P.R. 21 (C.É.) au soutien de la proposition suivante :
[traduction] Il est prévu, au paragraphe 18(1), que l'enregistrement d'une marque de commerce est invalide lorsque a) la marque de commerce n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement; b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement; c) la marque de commerce a été abandonnée; et, sous réserve de l'article 17, l'enregistrement est invalide si l'auteur de la demande n'était pas la personne ayant le droit de l'obtenir. Cependant, la Loi ne renferme aucune disposition en vertu de laquelle les déclarations erronées contenues dans une demande d'enregistrement ou un ajout de marchandises deviennent des motifs d'invalidation de l'enregistrement, à moins que les déclarations erronées n'aient pour effet de rendre la marque de commerce non enregistrable au sens de l'article 12 ou à moins qu'il n'y ait eu de fausses déclarations frauduleuses. [Non souligné dans l'original.]
[20] Dans la décision Biba Boutique c. Dalmys (Canada) Ltd. (1976), 25 C.P.R. (2d) 278 (C.F. 1re inst.), le juge en chef adjoint Thurlow s'est fondé sur la déclaration du Dr Fox à la page 283 :
Si le demandeur de l'enregistrement ne se tient pas à l'article 29 [maintenant 30], en ne donnant pas la date précise à compter de laquelle il a employé la marque de commerce, il peut fournir un motif d'opposition aux termes du paragraphe 37(2), si le motif est soulevé avant l'enregistrement. Cependant, d'après le paragraphe 18(1), la demande qui ne satisfait pas aux exigences de l'article 29 ne constitue pas un motif d'invalidation de l'enregistrement. Une fois l'enregistrement obtenu, la question, à mon avis, est simplement de savoir si l'inscrivant a le droit de le garder, vu les faits en l'espèce.
[21] Tel qu'il est mentionné plus haut, WCC fait valoir qu'il n'est pas nécessaire de prouver la fraude ou l'intention de tromper lorsqu'une demande d'enregistrement au Canada renferme une déclaration d'utilisation qui est erronée relativement à des éléments importants. Selon WCC, dans la décision Unitel Communications, précitée, le juge Gibson a rejeté la thèse que défendait le Dr Fox et, de ce fait, infirmé la décision Biba Boutique. Je ne suis pas d'accord avec la façon dont WCC interprète la décision du juge Gibson. Au cours de l'année qui a suivi cette décision, le juge Nadon (alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale) s'est fondé sur la décision Biba Boutique pour conclure, dans National Car Rental System, Inc. c. Megill-Stephenson Co. (1996), 70 C.P.R. (3d) 295, à la page 297 (C.F. 1re inst.), « que le fait que la demanderesse ne s'est peut-être pas conformée à l'article 30 n'est pas un motif justifiant l'invalidation des enregistrements » . De plus, cinq ans après cette dernière décision, la juge Desjardins a cité avec approbation l'extrait de l'ouvrage du Dr Fox dans l'arrêt General Motors of Canada c. Moteurs Décarie Inc. (2000), [2001] 1 C.F. 665 (C.A.). Par conséquent, j'estime que tant la décision Biba Boutique que les observations du Dr Fox représentent un exposé exact de l'état du droit.
[22] Il est plus juste de dire, en ce qui concerne la décision Unitel Communications, que le juge Gibson a distingué l'affaire d'avec la tendance jurisprudentielle qui a débuté lors de la décision du juge Cattanach dans Bonus Foods et s'est poursuivie par celle du juge en chef adjoint Thurlow dans Biba Boutique. Voici comment le juge Gibson s'est exprimé à la page 53 :
L'avocat a soutenu qu'il y avait lieu d'établir une distinction entre la présente affaire et la décision rendue dans [Bonus Foods], parce que la déclaration qu'on alléguait être fausse ne se rapportait pas à un élément essentiel de l'enregistrement de la marque de commerce.
Le juge Gibson en est arrivé à la conclusion suivante à la page 54 :
Je conclus que ni la fraude ni l'intention de tromper ne constitue un élément nécessaire lorsqu'une demande d'enregistrement de marque de commerce et une déclaration d'emploi de marque au Canada renferment toutes les deux des déclarations fausses relativement à des éléments importants. Les déclarations d'intention d'employer une marque contenues dans les demandes d'enregistrement des marques de commerce visées en l'espèce et les déclarations d'emploi de marque étaient simplement fausses, peu importe l'intention et la compréhension de l'auteur de la demande d'enregistrement. En outre, la déclaration d'intention quant à l'emploi contenue dans la demande et la déclaration d'emploi de la marque étaient toutes les deux essentielles à l'enregistrement des marques de commerce. [Non souligné dans l'original.]
[23] Lorsque ces observations sont examinées côte à côte, il devient évident que le juge Gibson n'a pas infirmé les décisions Bonus Foods ou Biba Boutique, mais qu'il en a limité l'applicabilité aux cas où la demande renferme des « déclarations fausses relativement à des éléments importants » quant à l'emploi, lesquelles déclarations sont « essentielles à l'enregistrement » de la marque. La conclusion du juge Gibson est également compatible avec le paragraphe précité de l'ouvrage du Dr Fox. De l'avis de celui-ci, un enregistrement peut être invalidé non seulement dans les cas d'assertion inexacte et frauduleuse, mais également lorsque « les déclarations erronées [ont eu] pour effet de rendre la marque de commerce non enregistrable au sens de l'article 12 de la Loi » . En réalité, le juge Gibson a étendu la portée de ce raisonnement au-delà des cas prévus à l'article 12 afin de couvrir d'autres circonstances dans lesquelles un enregistrement n'aurait pu être obtenu en l'absence d'une fausse déclaration.
[24] Les deux autres décisions que WCC a citées ne lui sont pas utiles non plus. La décision Melnor Manufacturing, précitée, portait sur la Loi sur les dessins industriels et les étiquettes syndicales, S.R.C. 1952, ch. 150, et n'est pas pertinente en l'espèce. Même si la demanderesse soutient que la décision Marchands Ro-Na, précitée, concerne une déclaration erronée innocente, j'estime plutôt qu'une intention de tromper existait dans cette affaire. Voici l'analyse et la description des faits pertinents du juge Addy dans Marchands Ro-Na (aux pages 29-30) :
La demande d'enregistrement de la première marque a été faite en 1961 par la société T-Fal Corporation de New York qui faisait valoir son intention d'employer la marque au Canada. Comme indiqué plus haut, les produits dûment marqués T-Fal ont été, depuis 1958 et pendant toute la période qui nous intéresse, expédiés par le fabricant français directement au Canada où les distributeurs canadiens en prenaient livraison. Prié de fournir la preuve de l'emploi effectif au Canada de la marque de commerce à la suite de la demande d'enregistrement fondée en 1961 sur l'intention d'emploi, le président de la T-Fal Corporation de New York a produit un affidavit plutôt artificieux et ambigu, dont voici le passage pertinent : [traduction] « ... que l'emploi de la marque de commerce, visée par la demande d'enregistrement ci-dessus, a commencé au Canada à l'égard de tous les produits visés dans ladite demande » . Même si elle n'est pas contraire à la vérité, cette déclaration passe sous silence un fait dont son auteur était parfaitement au courant, savoir que cette marque de commerce avait été employée au Canada de façon continue pendant les trois années qui précédaient la demande fondée sur l'intention d'emploi; de même qu'elle passe sous silence le fait que ce n'était pas T-Fal Corporation de New York mais Tefal S.A. de France qui l'employait et qui continuait à l'employer. Il ressort maintenant des preuves produites que le distributeur américain n'a jamais employé, ni projeté d'employer la marque au Canada, laquelle doit, en conséquence, être rayée du registre.
L'intimée soutient que la première marque ne devrait pas être rayée puisque, depuis le mois de décembre 1968, elle a été cédée de façon absolue à la compagnie française qui de fait l'employait déjà. Une cession postérieure ne saurait remédier au vice de l'enregistrement parce que le cédant n'avait rien à céder. T-Fal Corporation de New York n'était pas propriétaire d'une marque de commerce validement enregistrée et n'avait absolument aucun droit de propriété sur la marque T-Fal au Canada. L'enregistrement était nul à l'origine parce qu'il a été obtenu sur la foi d'une déclaration trompeuse et que les faits véritables établissent l'absence de tout droit du cédant sur quelque marque que ce soit. Nul ne peut céder ce dont il n'est pas propriétaire. [Non souligné dans l'original.]
[25] En conséquence, il appert de la jurisprudence qu'un enregistrement fondé sur une demande qui renferme une fausse déclaration au sujet de l'utilisation sera jugé invalide et nul ab initio dans deux situations. La première situation est celle qui a été examinée dans les décisions Bonus Foods et Biba Boutique : l'inclusion d'une assertion inexacte et frauduleuse dans la demande. La seconde est celle qui est fondée sur le raisonnement du juge Gibson dans la décision Unitel Communications : l'inclusion de déclarations fausses relativement à des éléments importants au sujet de l'utilisation, lesquelles déclarations sont essentielles à l'enregistrement. Dans ce dernier cas, il n'est pas nécessaire de prouver la fraude ou l'intention de tromper.
[26] Il est évident que l'erreur commise par la défenderesse était une erreur innocente et non une fausse déclaration intentionnelle. De plus, l'erreur que comporte la demande de la défenderesse n'appartient pas à la catégorie d'erreurs que le juge Gibson a décrite dans la décision Unitel Communications. Le fait que c'était Haul-All Equipment Systems et non Haul-All Equipment Ltd. qui a utilisé la marque de commerce entre 1983 et 1985 n'est pas essentiel à l'enregistrement de ladite marque. Contrairement à la situation qui existait dans la décision Standard Brands Ltd. c. Staley (1946), 6 C.P.R. 27 (C.É.), que le juge Gibson a citée aux pages 53 et 54, il ne s'agit pas ici d'un cas où la défenderesse pouvait obtenir l'enregistrement uniquement en faisant la fausse déclaration. La demande a été déposée en 1995 et le fait qu'elle n'était appuyée que par dix ans d'utilisation exclusive par la défenderesse plutôt que douze n'aurait pas empêché l'enregistrement de la marque de commerce en question.
[27] Il est également possible de distinguer la situation de la présente affaire d'avec celle de la décision Rainsoft, précitée, en fonction de l'utilisation. La principale question qui se posait dans cette dernière décision était de savoir si l'intimée avait utilisé la marque de commerce comme elle le soutenait. L'intimée n'a pas comparu à l'audience et il n'a pas été prouvé qu'elle avait utilisé la marque de commerce depuis l'enregistrement de celle-ci. Le juge Muldoon s'est fondé sur la fausse déclaration de l'intimée pour conclure que la marque de commerce n'avait pas été utilisée par ladite intimée ou par son prédécesseur en titre, comme elle l'avait allégué. C'est ce qui ressort des remarques suivantes qu'il a formulées à la page 270 :
Comme il est dit ci-dessus, l'intimée n'aurait pas pu utiliser la marque de commerce RAINSOFT (dessin) depuis 1960, comme l'affirme la demande d'enregistrement, étant donné la date de sa constitution en société, le 16 janvier 1963. L'intimée n'a déposé en l'instance aucune preuve qu'elle (ou son prédécesseur en titre, apparemment inexistant) ait utilisé la marque de commerce attaquée.
[28] Le juge Muldoon semble avoir tranché l'affaire en se fondant sur l'abandon et il y a lieu de se demander s'il aurait radié la marque en raison de la fausse déclaration de l'intimée si une preuve d'utilisation par celle-ci ou son prédécesseur en titre avait été fournie. Contrairement à la situation qui existait dans la décision Rainsoft, il est admis en l'espèce que le signe distinctif a été utilisé entre 1983 et 1985 par le prédécesseur de la défenderesse. C'est pourquoi l'applicabilité de la décision Rainsoft à la présente affaire est restreinte et je préfère le raisonnement établi dans les décisions susmentionnées. Étant donné que l'erreur de la défenderesse était une fausse déclaration innocente qui n'était pas essentielle à l'enregistrement, cette erreur ne suffit pas à rendre celui-ci invalide ou nul ab initio.
2. Caractère distinctif
[29] WCC soutient que la marque de commerce n'est pas enregistrable en vertu de l'alinéa 13(1)a), parce qu'elle n'était pas distinctive à la date de la production de la demande (12 juin 1995). Elle ajoute que la marque de commerce est invalide en vertu de l'alinéa 18(1)b), parce qu'elle n'était pas distinctive à l'époque où les procédures en l'espèce ont été entamées (26 juin 1997). Ces deux dispositions sont reproduites ci-après :
Signes distinctifs enregistrables
13. (1) Un signe distinctif n'est enregistrable que si, à la fois_: a) le signe a été employé au Canada par le requérant ou son prédécesseur en titre de façon à être devenu distinctif à la date de la production d'une demande d'enregistrement le concernant;
[...]
Quand l'enregistrement est invalide
18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants_:
b) la marque de commerce n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement; |
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When distinguishing guises registrable 13. (1) A distinguishing guise is registrable only if
(a) it has been so used in Canada by the applicant or his predecessor in title as to have become distinctive at the date of filing an application for its registration;
[...]
When registration invalid
18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if
(b) the trade-mark is not distinctive at the time proceedings bringing the validity of the registration into question are commenced, or |
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[30] Le mot « distinctive » est défini comme suit à l'article 2 de la Loi :
« distinctive » Relativement à une marque de commerce, celle qui distingue véritablement les marchandises ou services en liaison avec lesquels elle est employée par son propriétaire, des marchandises ou services d'autres propriétaires, ou qui est adaptée à les distinguer ainsi.
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"distinctive", in relation to a trade-mark, means a trade-mark that actually distinguishes the wares or services in association with which it is used by its owner from the wares or services of others or is adapted so to distinguish them; |
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[31] Selon WCC, la marque de commerce n'était pas distinctive aux dates pertinentes, parce qu'elle ne donnait pas un message clair au public en ce qui a trait à son utilisation. WCC fait également valoir que l'utilisation de la marque par la défenderesse n'est pas compatible avec la marque enregistrée, parce que les conteneurs HID-A-BAG de la défenderesse comportent un certain nombre de caractéristiques supplémentaires, notamment l'utilisation de plaques de bois pour couvrir les côtés des conteneurs, l'ajout d'une plate-forme à l'avant, l'existence de deux portes munies de poignées sur le dessus de la surface inclinée et l'utilisation d'une porte de déchargement sans rebord recouvrant les côtés.
[32] La défenderesse répond en invoquant trois arguments. Elle soutient d'abord que la question de savoir si la marque de commerce était distinctive à la date de la production de la demande était une question dont le Bureau des marques de commerce était saisi et non un motif de radiation. En deuxième lieu, même si le caractère distinctif à la date de la production de la demande est un facteur pertinent, il existe une preuve abondante indiquant que la défenderesse a utilisé le signe, lequel était devenu distinctif à cette date. En troisième lieu, le caractère distinctif à la date où les procédures en l'espèce ont été entamées n'est pas contesté dans l'ensemble.
[33] Il est possible de trancher cette question en examinant chacun des arguments de la défenderesse. Contrairement à ce que celle-ci soutient, je ne crois pas que le caractère distinctif à la date de la production de la demande ne soit pas un motif de radiation. L'alinéa 18(1)a) énonce qu'une marque de commerce est invalide si elle n'était pas enregistrable et l'alinéa 13(1)a) dispose qu'un signe distinctif n'est enregistrable que s'il est devenu distinctif par suite de son utilisation à la date de production de la demande d'enregistrement. De plus, la condition de l'alinéa 13(1)a) selon laquelle le caractère distinctif doit être acquis au moyen de l'utilisation n'est pas reproduite à l'alinéa 18(1)b). Une marque de commerce peut être valide en vertu de cette dernière disposition malgré l'absence d'utilisation si elle a été adaptée de manière à distinguer les marchandises du titulaire de la marque de celles d'autres propriétaires : Boston Pizza International Inc. c. Boston Chicken Inc., 2003 CAF 120. Si les signes distinctifs devaient respecter uniquement ce critère, la condition énoncée à l'alinéa 13(1)a) en ce qui a trait à l'utilisation serait effectivement supprimée dans les procédures de radiation.
[34] Cela étant dit, il existe une preuve abondante indiquant que la défenderesse a utilisé la marque de commerce avant le 12 juin 1995. La défenderesse a déposé un affidavit daté du 6 juin 1995 dans lequel M. Neufeldt déclare que près de 5 000 conteneurs HID-A-BAG ont été vendus au Canada entre 1983 et 1995. Il appert d'un tableau joint à cet affidavit qu'entre 1984 et 1994, des conteneurs HID-A-BAG ont été vendus dans chaque région du Canada. La défenderesse a également annoncé le conteneur HID-A-BAG dans le cadre de ses activités de publicité et de promotion. C'est ce qu'indiquent les brochures publicitaires des années 1980 qui portent sur les conteneurs HID-A-BAG et qui sont jointes à l'affidavit de M. Neufeldt daté du 25 juin 2000.
[35] La défenderesse a également présenté à la Cour une preuve indiquant que la forme du conteneur HID-A-BAG permet de distinguer celui-ci des marchandises de ses concurrents. Il est admis de part et d'autre que, à l'exception des 45 conteneurs produits par WCC, la défenderesse a été le seul fabricant et détaillant de conteneurs pour déchets de cette forme au Canada. Dans son affidavit daté du 25 janvier 2000, M. Neufeldt a déclaré que la forme du conteneur HID-A- BAG [traduction] « a été créée et adoptée par Haul-All en raison de l'attrait unique qu'elle exerçait pour l'oeil » . La déclaration de M. Neufeldt est appuyée par un affidavit daté du 27 janvier 2000 dans lequel M. Paul Arato, concepteur industriel qui a participé à la conception d'un certain nombre de produits grand public et produits commerciaux, a affirmé ce qui suit au paragraphe 4 : [traduction] « le conteneur à compartiment incliné Haul-All est un exemple de conception étonnante et inhabituelle qui est exclusive à Haul-All et qui est parfaitement adaptée pour distinguer la société Haul-All et ses marchandises des autres » . M. Arato conclut, au paragraphe 10 de son affidavit, que [traduction] « le refus apparent [du compartiment incliné] de basculer attire l'oeil et est facile à retenir » .
[36] Je ne suis pas d'accord avec WCC lorsqu'elle dit que l'ajout de caractéristiques non mentionnées dans l'enregistrement de la marque de commerce à l'égard des conteneurs HID-A-BAG affaiblit le caractère distinctif de celle-ci. Le critère servant à déterminer si une marque est distinctive ou non est celui du message transmis au public : White Consolidated Industries Inc. c. Beam of Canada Inc. (1991), 39 C.P.R. (3d) 94, à la page 111 (C.F. 1re inst.). L'ajout d'éléments décoratifs ou fonctionnels comme ceux qu'a mentionnés WCC ne devrait pas nier le caractère distinctif de la marque, tant et aussi longtemps que le message transmis au public demeure clair. Les caractéristiques du signe distinctif mises en relief dans l'enregistrement de la marque de commerce en litige demeuraient faciles à repérer sur les conteneurs HID-A-BAG de la défenderesse malgré l'ajout d'autres caractéristiques.
[37] La défenderesse a soutenu en dernier lieu que le caractère distinctif de la marque le 26 juin 1997 n'a pas été contesté dans l'ensemble. La défenderesse a raison à cet égard. Aucune preuve n'indiquait que des changements touchant le marché pertinent sont survenus entre 1995 et 1997. Bien au contraire, le fait que la défenderesse ait été le soumissionnaire retenu dans le cas des appels d'offres de la CCN et de Travaux publics m'incite à croire qu'entre le 12 juin 1995 et le 26 juin 1997, elle a augmenté les ventes générales de ses marchandises.
[38] L'ensemble de la preuve décrite ci-dessus indique que, comme M. Neufeldt l'a déclaré au paragraphe 14 de son affidavit daté du 25 janvier 2000, le conteneur HID-A-BAG est devenu [traduction] « un produit d'identification vital de la société Haul-All » . En conséquence, la marque de commerce de la défenderesse ne peut être radiée du registre pour cause d'absence de caractère distinctif.
3. Caractère fonctionnel des éléments du signe distinctif
a) Le droit
[39] Bien qu'un signe distinctif puisse posséder un élément fonctionnel, une marque qui va au-delà de distinguer les marchandises de son propriétaire et qui porte sur la structure fonctionnelle desdites marchandises transgresse les limites légitimes d'une marque de commerce : Remington Rand Corp. c. Phillips Electronics N.V. (1995), 64 C.P.R. (3d) 467, à la page 478 (C.A.F.). Pour savoir si une marque transgresse cette limite, le tribunal doit décider si le dessin est principalement fonctionnel ou si la fonctionnalité est secondaire au rôle qu'il joue pour distinguer les marchandises du titulaire de celles de ses concurrents; c'est ce qu'a dit le juge MacGuigan dans la décision Remington Rand, à la page 475 :
Si le caractère fonctionnel se rapporte soit à la marque de commerce même (Imperial Tobacco, et Parke, Davis), soit aux marchandises (Elgin Handles), alors il est essentiellement ou principalement incompatible avec un enregistrement. Toutefois, s'il est simplement secondaire ou accessoire, comme un numéro de téléphone n'ayant aucun lien essentiel avec les marchandises, alors il ne fait pas obstacle à l'enregistrement.
puis à la page 476 :
Si une marque est principalement fonctionnelle en tant que « partie des marchandises » , l'enregistrement aurait pour effet de conférer aux requérantes « un monopole sur les éléments ou les caractéristiques fonctionnelles de leurs marchandises » . Il créerait en réalité un brevet ou un dessin industriel plutôt qu'une marque de commerce : « les requérantes auraient en fait obtenu des brevets sous forme de marques de commerce » . À mon avis, ce serait précisément la conséquence de l'enregistrement du dessin-marque dans la présente espèce. Je ne peux donc pas convenir avec le juge de première instance que les dessins-marques « ne contiennent [...] aucun élément ou constituant fonctionnel » . Au contraire, ils ont un rapport intrinsèque avec la principale caractéristique fonctionnelle du rasoir Philips, soit ses têtes de rasage, qu'ils représentent.
[40] Dans l'arrêt Remington Rand, la Cour d'appel n'était pas d'accord avec le juge de première instance, qui avait statué que le dessin-marque ne comportait aucun élément fonctionnel. Elle a plutôt jugé que, lorsque la marque de commerce dessin constitue une « partie des marchandises » , elle a pour effet de conférer un monopole comme un brevet sous le couvert d'une marque de commerce relative au dessin.
[41] Il existe également une restriction législative touchant l'intégration de particularités fonctionnelles dans un signe distinctif. Cette restriction est énoncée au paragraphe 13(2) de la Loi :
Effet de l'enregistrement
(2) Aucun enregistrement d'un signe distinctif ne gêne l'emploi de toute particularité utilitaire incorporée dans le signe distinctif. |
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Effect of registration
(2) No registration of a distinguishing guise interferes with the use of any utilitarian feature embodied in the distinguishing guise. |
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b) La preuve
Témoignage de M. Willam G. Lake
[42] WCC allègue que chaque caractéristique de la marque de commerce SLOPE BIN CONTAINER DISTINGUISHING GUISE DESIGN est fonctionnelle de par sa nature. Elle invoque à cet égard le paragraphe 14 de l'affidavit en date du 30 avril 1997 de M. William G. Lake, président des deux demanderesses :
[traduction] Chaque élément de la marque de commerce sous forme de signe distinctif portant le numéro d'enregistrement TMA 468,995 est fonctionnel. La forme inclinée empêche l'eau de s'accumuler sur le toit du conteneur et les animaux, notamment les ours et les ratons-laveurs, de rester sur la partie supérieure. Il comporte également un rebord inférieur au-dessus duquel les utilisateurs doivent soulever les ordures pour les placer dans le conteneur. La partie arrière est également inclinée par rapport à la verticale, ce qui lui assure un mécanisme de fermeture par gravité nécessitant peu d'entretien.
Cette déclaration n'a pas été contredite ni n'a fait l'objet d'un contre-interrogatoire. La Cour en déduira naturellement que la défenderesse n'a pas contre-interrogé l'auteur de l'affidavit parce qu'elle ne voulait pas que celui-ci explique davantage et étaye des faits défavorables à sa thèse en ce qui a trait à la fonctionnalité du plan incliné. Comme l'a dit le juge Pigeon dans Levesque c. Comeau, [1970] R.C.S. 1010, à la page 1012, (1970), 16 D.L.R. (3d) 425, à la page 432 (C.S.C.), où une partie, comme c'est le cas en l'espèce, n'avait pas fait témoigner un témoin dont le témoignage était manifestement pertinent :
À mon avis, il faut appliquer la règle que dans de telles circonstances un tribunal doit présumer que ces éléments de preuve lui seraient défavorables.
Brochures présentées en preuve
[43] WCC invoque également les brochures de la défenderesse qui font ressortir la fonctionnalité du concept HID-A-BAG de celle-ci, notamment :
· Construction solide visant à empêcher l'accès au conteneur pour les animaux
...
· Facile à utiliser, portes de chargement à l'épreuve du vent et à fermeture automatique
· Retrait facile des sacs à ordures.
[44] Compte tenu des brochures et des photographies qui y sont illustrées, il est évident aux yeux de la Cour que le plan incliné améliore la fonctionnalité du conteneur pour déchets en plus de bloquer l'accès pour les petits animaux et de faciliter le retrait des sacs à ordures.
Appels d'offres présentés en preuve
[45] Les demanderesses invoquent également la demande de propositions de Travaux publics en date du 7 février 1997 [traduction] « à l'égard de la fourniture de conteneurs pour déchets et produits recyclables à l'épreuve des ours » . Selon les exigences imposées, le conteneur devait comporter les caractéristiques de conception du conteneur HID-A-BAG et
[traduction] « ÊTRE INCLINÉ SELON L'ILLUSTRATION DE LA PHOTO »
L'illustration de la photo correspondait à celle du conteneur à compartiment incliné de la défenderesse, qui fait l'objet de la marque de commerce sous forme de signe distinctif. Compte tenu de l'absence de preuve indiquant le contraire, la Cour est d'avis que Travaux publics voulait que le conteneur pour déchets soit incliné comme celui de la défenderesse pour une raison utilitaire ou fonctionnelle. Bien entendu, l'omission de la partie défenderesse de présenter un document ou un témoin de Travaux publics afin d'expliquer l'appel d'offres indique que cette preuve ou ce témoignage concernant la fonctionnalité du plan incliné serait défavorable à la thèse de ladite défenderesse. Voir l'ouvrage Wigmore on Evidence, que le juge Rothstein a cité dans Milliken & Co. c.Interfact Flooring Systems (Canada) Inc. (1999), 5 C.P.R. (4th) 209, au paragraphe 11 (C.A.F.).
[46] Il appert de la preuve que la défenderesse a prévenu Travaux publics et la CCN de ne pas s'interposer dans le différend opposant les parties au sujet de la marque de commerce, faute de quoi une action en justice serait intentée contre eux. C'est la seule raison apparente pour laquelle aucun représentant de ces organisations n'est venu témoigner pour expliquer pourquoi le conteneur à compartiment incliné a été précisé dans les exigences impératives des appels d'offres.
[47] Par conséquent, compte tenu de la preuve, WCC a prouvé à première vue que l'objet du plan incliné est principalement fonctionnel, ce qui a pour effet de réfuter la présomption quant à la validité de la marque-dessin. Il incombe à la défenderesse de réfuter la preuve présentée par les demanderesses. J'examine maintenant la preuve de la défenderesse au sujet de la fonctionnalité.
Témoignage de M. Paul Arato
[48] La preuve d'expert de la défenderesse au sujet de la fonctionnalité a été présentée par M. Paul Arato, concepteur industriel. M. Arato n'était pas en désaccord avec le témoignage de M. Lake selon lequel chaque élément de la marque de commerce correspondant au signe distinctif du conteneur pour déchets à compartiment incliné était fonctionnel. Voici comment il s'est exprimé au paragraphe 7 de son affidavit :
[traduction] À mon avis, cette allégation n'est pas pertinente quant au caractère distinctif de la forme du signe. Il est indéniable que le produit de Haul-All est très bien conçu et est entièrement opérationnel et fonctionnel. D'autres formes de structure pourraient tout aussi bien remplir ces fonctions. L'existence du signe distinctif de Haul-All ne donne lieu à aucune appropriation d'un aspect utilitaire des conteneurs pour déchets. Elle découle simplement de l'adoption d'une sélection unique de formes et d'orientations et laisse un vaste éventail d'options disponibles à toute entité qui désire se lancer dans la conception et la fabrication de conteneurs. Plus précisément, de nombreux conteneurs comportent des surfaces inclinées de différentes formes et configurations. Du point de vue fonctionnel, la plupart des conteneurs comportent des ouvertures à l'entrée et à la sortie simplement en raison de leur objet et de leur utilisation. Toutefois, aucune des caractéristiques que M. Lake a mentionnées n'est unique au conteneur Haul-All, de sorte que les concepteurs des autres conteneurs peuvent les utiliser.
et au paragraphe 8 :
[traduction] D'après mon expérience personnelle, de nombreux conteneurs comportant des surfaces inclinées qui empêchent l'accumulation d'eau ont existé dans le passé et continueront d'exister à l'avenir. De plus, de nombreuses configurations peuvent être utilisées aux fins de la conception de surfaces inclinées pour les conteneurs pour déchets et autres conteneurs extérieurs. On peut en dire autant en ce qui a trait aux configurations destinées à empêcher les ours et les ratons-laveurs de s'asseoir sur les conteneurs. Effectivement, j'ai moi aussi conçu des conteneurs pour déchets ainsi que des distributeurs de journaux extérieurs qui présentent une surface inclinée visant à empêcher les animaux et les personnes de s'asseoir. De plus, tout mécanisme d'ouverture ou porte de conteneur qu'il faut soulever pour ouvrir doit nécessairement pouvoir se refermer par effet de la gravité. Nous le voyons tous les jours lorsque nous utilisons notre poubelle domestique ordinaire. Le conteneur Haul-All ne s'approprie pas ce concept ni n'exclut cet élément d'un concept de conteneur ultérieur.
[49] Monsieur Arato n'a pas dit au cours de ce témoignage que le concept du compartiment incliné ne visait aucun objet fonctionnel. Étant donné que la défenderesse n'a pas obtenu cette déclaration de M. Arato, la Cour peut en déduire que le témoignage de celui-ci sur cette question aurait été défavorable pour ladite défenderesse. Lorsque M. Arato a été contre-interrogé au sujet de la fonctionnalité du plan incliné quant à l'accès pour les petits animaux, l'avocat de la défenderesse s'est opposé à la question, soutenant que M. Arato n'était pas un expert dans le domaine de l'accès pour les animaux, et a demandé au témoin de ne pas y répondre. Toujours en contre-interrogatoire, M. Arato a admis qu'il ne connaissait pas très bien lui-même les conteneurs pour déchets à compartiment incliné, puisqu'il n'avait jamais utilisé ni même vu les produits en question. En conséquence, la Cour n'accordera pas beaucoup de poids au témoignage de M. Arato, sauf pour souligner que cet expert n'a pas déclaré pendant son témoignage, contrairement aux attentes de la Cour, que le plan incliné n'avait aucun objet fonctionnel.
Témoignage de M. Dennis Neufeldt
[50] M. Dennis Neufeldt, l'ingénieur industriel qui a conçu le conteneur pour déchets à compartiment incliné en 1983 et qui est aussi le président de la défenderesse, a déposé un affidavit. De l'avis de la Cour, le témoignage de M. Neufeldt était obscur relativement à la fonctionnalité du compartiment incliné. En réponse à l'affidavit de M. Lake au sujet de la fonctionnalité, M. Neufeldt a déclaré ce qui suit au paragraphe 8 de son affidavit :
[traduction] Le dessus incliné n'est que l'une de six principales surfaces et aucune d'elles n'est horizontale. C'est la coordination et la relation spatiale des surfaces planaires du conteneur HID-A-BAG qui donnent à celui-ci sa forme monolithique inclinée unique et son attrait. Même si elle est inclinée, une surface à elle seule ne donne pas lieu à une appropriation de la seule caractéristique utilitaire possible pour les dessus de conteneur. Bien que la surface inclinée comporte un avantage accessoire et intentionnel, la surface inclinée particulière et la forme générale sont uniques au produit Haul-All. Tout concepteur peut utiliser d'autres inclinaisons et combinaisons de surfaces inclinées pour présenter des configurations fonctionnelles ou purement esthétiques.
Monsieur Neufeldt n'a pas déclaré que le plan incliné n'avait aucun objet fonctionnel, mais la Cour estime qu'il est raisonnable de déduire qu'il aurait fait cette déclaration si tel avait été le cas. Étant donné que c'est lui qui a conçu le conteneur à compartiment incliné et qu'il est le propriétaire et le chef de la direction de la société ayant commercialisé ledit conteneur depuis les vingt dernières années, M. Neufeldt aurait déclaré que le plan incliné n'a aucun objet fonctionnel si tel avait été le cas. Cependant, il a plutôt affirmé que le dessin de la marque de commerce n'empêchait aucun concepteur d'utiliser [TRADUCTION] « d'autres inclinaisons et combinaisons de surfaces inclinées pour présenter des configurations fonctionnelles ou purement esthétiques » .
Conclusion au sujet de la fonctionnalité
[51] La Cour en arrive à la conclusion, selon la prépondérance de la preuve, que le SLOPE BIN CONTAINER DISTINGUISHING GUISE DESIGN est principalement fonctionnel. La défenderesse n'a pas réfuté la preuve des demanderesses à ce sujet ni n'a présenté d'éléments de preuve fiables ou probants établissant que le dessin ne présente pas d'abord et avant tout des éléments fonctionnels.
[52] En conséquence, la marque de commerce sous forme de signe distinctif est invalide au motif qu'elle est principalement fonctionnelle et passible de radiation en raison de la fonctionnalité.
4. Restriction déraisonnable touchant le développement d'un art ou d'une industrie
[53] WCC soutient que la marque de commerce de la défenderesse devrait être radiée, parce que l'utilisation exclusive du signe distinctif par celle-ci aura vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie. WCC reproche à la défenderesse de l'avoir empêchée de soumissionner en réponse à un appel d'offres ouvert en enregistrant une marque comportant les caractéristiques qui sont énumérées dans la demande de soumissions de Travaux publics et de la CCN. L'enregistrement de la marque a permis à la défenderesse de menacer Travaux publics et la CCN de poursuites judiciaires pour incitation à la contrefaçon de marque de commerce, ce qui a freiné le développement de cette industrie.
[54] L'argument de WCC est fondé sur l'alinéa 13(1)b) de la Loi :
Signes distinctifs enregistrables
13. (1) Un signe distinctif n'est enregistrable que si, à la fois_: b) l'emploi exclusif, par le requérant, de ce signe distinctif en liaison avec les marchandises ou services avec lesquels il a été employé n'a pas vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie.
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When distinguishing guises registrable
13. (1) A distinguishing guise is registrable only if
(b) the exclusive use by the applicant of the distinguishing guise in association with the wares or services with which it has been used is not likely unreasonably to limit the development of any art or industry.
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[55] L'alinéa 13(1)b) est formulé en termes d'enregistrabilité, ce qui donne à penser que la question de savoir si l'enregistrement aura vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie doit être évaluée à la date du dépôt. Le paragraphe 13(3) de la Loi, qui concerne la radiation, est rédigé sensiblement de la même façon :
Aucune restriction à l'art ou à l'industrie
(3) L'enregistrement d'un signe distinctif peut être radié par la Cour fédérale, sur demande de toute personne intéressée, si le tribunal décide que l'enregistrement est vraisemblablement devenu de nature à restreindre d'une façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie.
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Not to limit art or industry
(3) The registration of a distinguishing guise may be expunged by the Federal Court on the application of any interested person if the Court decides that the registration has become likely unreasonably to limit the development of any art or industry.
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Cette disposition indique que la question de savoir si l'enregistrement d'un signe distinctif est vraisemblablement de nature à restreindre d'une façon déraisonnable le développement d'un art ou d'une industrie peut également être évaluée à la date à laquelle les procédures de radiation ont été entamées. Je souligne cette disposition parce que les arguments de WCC sont fondés principalement sur des événements qui sont postérieurs à la date du dépôt de la marque de commerce de la défenderesse.
[56] La défenderesse fait valoir quant à elle que l'enregistrement de la marque de commerce n'empêche pas WCC ou ses autres concurrents de créer leur propre gamme de conteneurs qui offrent les mêmes avantages fonctionnels que le conteneur HID-A-BAG. La seule restriction qui touche WCC, c'est que celle-ci ne peut s'approprier la survaleur que la défenderesse a donnée au SLOPE BIN CONTAINER DISTINGUISHING GUISE DESIGN au cours des vingt dernières années. Tout en reconnaissant que Travaux publics et la CCN exigeaient un conteneur comportant la même inclinaison que le conteneur HID-A-BAG, la défenderesse ajoute que cette exigence démontre simplement la survaleur associée à ce dernier conteneur. La défenderesse précise que WCC pouvait soumettre son propre dessin, mais qu'elle ne l'a pas fait.
[57] Dans la décision Remington Rand, l'intimée a invoqué un argument semblable que le juge MacGuigan, de la Cour d'appel, a rejeté comme suit aux pages 476 et 477 :
L'intimée a soutenu que l'impossibilité dans laquelle se trouveraient les appelantes de faire concurrence ne viserait que le marché des rasoirs à trois têtes de rasage, qui représente implicitement une petite part du marché canadien. À mon avis, cet argument n'a rien à voir avec la considération d'intérêt public qu'a invoquée le juge Pratte, J.C.A. Quelle que soit l'étendue du marché en question, l'enregistrement d'une marque essentiellement fonctionnelle constitue une entrave à la fabrication et au commerce, étant donné qu'il équivaut dans les faits à un brevet ou à un dessin industriel sous forme de marque de commerce.
Dans la même veine, la possibilité pour WCC en l'espèce de soumettre son propre dessin de conteneur ne tient pas compte du fait que la défenderesse a créé un marché à l'égard du conteneur pour déchets à compartiment incliné et que l'enregistrement de la marque de commerce sous forme de dessin du signe distinctif que représente le compartiment incliné constitue une entrave à la fabrication et au commerce sur cette partie du marché.
[58] Les demanderesses ont présenté à la Cour une preuve indubitable de l'entrave à la fabrication et au commerce dans la présente affaire. Pour les motifs exposés ci-dessus, la Cour est convaincue que Travaux publics et la CCN ont exigé le plan incliné de la défenderesse dans un but fonctionnel et non esthétique et que la défenderesse a utilisé sa marque de commerce-dessin pour restreindre le développement de l'art ou de l'industrie. En conséquence, la marque de commerce est susceptible de radiation au motif qu'elle a pour effet de restreindre d'une façon déraisonnable le développement de l'art ou de l'industrie.
5. Manquement à une promesse implicite faite en vertu de la Loi sur les dessins industriels
[59] Le dernier argument de WCC est un argument nouveau qui vise à empêcher les parties d'obtenir une marque de commerce sous forme de dessin d'un signe distinctif lorsque le même dessin a précédemment fait l'objet d'un enregistrement de dessin industriel. WCC fait valoir que l'octroi du monopole de dix ans en vertu de la Loi sur les dessins industriels comporte implicitement la promesse de céder le dessin au domaine public après l'expiration dudit enregistrement. La demande visant à enregistrer un dessin à titre de signe distinctif après qu'il a été cédé au domaine public va à l'encontre de l'intention du législateur en ce qui concerne l'octroi d'un monopole restreint.
[60] L'argument de WCC repose sur un article de Me Gordon J. Zimmerman, avocat canadien spécialisé en propriété intellectuelle, intitulé « Extending the Monopoly? The Risks and Benefits of Multiple Forms of Intellectual Property Protection » (2001), 17 C.I.P.R. 345, notamment les pages 347 et 364 à 367. À la page 347 de son article, M. Zimmerman a résumé le raisonnement qu'il invoque au soutien de l'interdiction de délivrer une marque de commerce sous forme de dessin d'un signe distinctif lorsque le même dessin a déjà fait l'objet d'un enregistrement de dessin industriel :
[traduction] Il existe toutefois un très bon argument militant en faveur du refus de la protection inhérente à une marque de commerce à l'égard des caractéristiques esthétiques précédemment protégées par un dessin industriel expiré, parce que l'un comme l'autre visent essentiellement à protéger la même chose. Le propriétaire peut voir sa renommée en liaison avec le dessin grandir sans concurrence pendant la durée de l'enregistrement du dessin, et permettre une protection illimitée par l'enregistrement d'une marque de commerce après l'expiration de l'enregistrement dudit dessin pourrait fort bien restreindre d'une façon déraisonnable le développement de l'art ou de l'industrie concerné. En effet, il pourrait être déraisonnable pour le propriétaire de revenir sur sa promesse de céder le dessin au domaine public après l'expiration de son enregistrement.
[61] Ni la Loi sur les marques de commerce non plus que la Loi sur les dessins industriels ne renferment une disposition interdisant le scénario qu'a décrit Me Zimmerman. En revanche, l'article 64 de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, ch. C-42, sous sa version modifiée, nie aux articles comportant une fonction utilitaire la protection du droit d'auteur et empêche de ce fait un chevauchement avec la protection découlant de la Loi sur les dessins industriels. Me Zimmerman invoque l'alinéa 13(1)b) pour soutenir qu'il est déraisonnable d'étendre la portée du monopole relatif aux dessins industriels au moyen d'un signe distinctif. WCC ajoute que cette interdiction peut également être fondée sur l'alinéa 18(1)b) et que, une fois que l'enregistrement d'un dessin industriel a expiré, le dessin est cédé au domaine public et ne peut être considéré comme un dessin d'un signe distinctif, puisqu'il ne distingue pas véritablement les marchandises du propriétaire de celles d'autres propriétaires ni n'est adapté à les distinguer ainsi. Au soutien de cette proposition, WCC a invoqué un affidavit daté du 15 novembre 2001 dans lequel Me David J. French, avocat canadien spécialisé en propriété intellectuelle, déclare ce qui suit au paragraphe 35 :
[traduction] La simple vente de produits sur une base exclusive pendant le monopole attribué par l'enregistrement d'un dessin industriel n'indiquerait pas nécessairement l'utilisation d'un signe distinctif comme marque de commerce, mais plutôt l'avantage découlant dudit monopole. Effectivement, il se pourrait que l'utilisation exclusive établie au cours d'une période de monopole ne respecte pas l'exigence du caractère distinctif énoncée dans les dispositions législatives sur les marques de commerce, puisqu'à l'expiration de l'enregistrement du dessin industriel, le dessin est cédé au domaine public. De plus, l'utilisation d'un dessin conformément à un monopole d'origine législative ne constituerait pas une utilisation à titre de marque de commerce, mais plutôt à titre de caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d'un objet fini au sens de la définition du dessin qui figure à l'article 2 de la Loi sur les dessins industriels. [Non souligné dans l'original.]
Cette déposition n'est pas une preuve, mais un argument.
[62] La défenderesse n'est pas d'accord avec l'argument de WCC en ce qui concerne la cession au domaine public et soutient que, lorsqu'un dessin industriel peut être utilisé comme signe distinctif et acquiert un caractère distinctif, il peut également être enregistré à titre de marque de commerce. À l'appui de sa position, la défenderesse invoque l'opinion de plusieurs auteurs émérites, dont le Dr Harold Fox et M. Roger T. Hughes. En définitive, l'interprétation qu'invoque la défenderesse remonte à deux décisions anglaises dans lesquelles il a été jugé que l'enregistrement comme marque de commerce n'exclut pas nécessairement l'enregistrement comme dessin, et vice versa, soit les décisions In re United States Playing Card Company's Application (1907), [1908] 1 Ch. 197, et Sobrefina S.A.'s Trademark Application, [1974] R.P.C. 672 (D. Ch.). Dans cette dernière décision, le juge Whitford s'est exprimé comme suit aux pages 680 et 681 :
[traduction] Pour ma part, je ne puis conclure qu'une forme pouvant être enregistrée comme dessin ne peut être utilisée comme marque de commerce... Effectivement, de nombreuses marques de commerce sont de nature telle qu'elles pourraient indubitablement être enregistrées comme dessins... Bon nombre de marques de commerce bénéficient également d'une double protection non seulement au moyen de l'enregistrement comme marques de commerce et comme dessins, mais également en vertu de la Copyright Act. À mon avis, il est important de savoir qu'indépendamment des droits et faiblesses inhérents à la présente demande, les enregistrements que j'ai déjà mentionnés, par exemple, le siphon et la bouteille de Coca Cola, indiquent l'acceptation dans le passé, par le Trade Marks Registry, d'enregistrements de ce qui peut être considéré comme marques formes, soit des représentations de contenants.
[63] S'inspirant de la dernière phrase des remarques précitées du juge Whitford, la défenderesse souligne que l'enregistrement du même dessin comme dessin industriel et signe distinctif est une pratique qui existe depuis longtemps au Canada. À titre d'exemples de dessins de cette nature, la défenderesse mentionne ceux de la bouteille de Coca-Cola traditionnelle, de la bouteille « pinch » Haig & Haig et de la boîte de chiffons-J. De l'avis de la défenderesse, tout changement touchant cette pratique aurait un effet dévastateur dans le secteur manufacturier.
[64] Pour les raisons qui suivent, je ne puis souscrire à l'argument de WCC. D'abord, la responsabilité législative à cet égard incombe au Parlement et celui-ci n'a pas décidé de faire de l'enregistrement des dessins industriels et de l'enregistrement des marques de commerce des protections qui s'excluent l'une l'autre. Étant donné qu'il a plutôt décidé de restreindre explicitement le chevauchement de la protection des dessins industriels avec celle du droit d'auteur, il faut présumer qu'il n'a pas jugé nécessaire de créer un obstacle similaire entre la Loi sur les dessins industriels et la Loi sur les marques de commerce. En deuxième lieu, comme la défenderesse l'a démontré, il appert de la tendance jurisprudentielle établie depuis longtemps que les tribunaux n'interdisent pas l'enregistrement d'un dessin à titre de marque de commerce même lorsque celui-ci a déjà bénéficié de la protection de l'enregistrement à titre de dessin industriel. En troisième lieu, ni l'alinéa 13(1)b) non plus que le concept du caractère distinctif ne créent le fondement nécessaire au soutien de cette restriction. Ils ont pour effet de restreindre la portée de la protection des marques de commerce et son applicabilité aux dessins; cependant, lorsqu'un dessin respecte les restrictions imposées par la Loi sur les marques de commerce, il peut être enregistré. En quatrième lieu, la Cour n'a pas la compétence voulue pour imposer la restriction que les demanderesses sollicitent. J'en arrive donc à la conclusion que la marque de commerce de la défenderesse ne peut être radiée en raison de l'enregistrement antérieur du dessin industriel de celle-ci.
DÉCISION
[65] Voici un résumé de mes conclusions au sujet des cinq moyens invoqués au soutien de la présente demande :
1. La marque de commerce n'est pas invalide ou nulle ab initio en raison de la fausse déclaration que renferme la demande d'enregistrement de la défenderesse.
2. La marque de commerce était distinctive à la date de son dépôt (12 juin 1995) et à la date à laquelle les procédures en l'espèce ont été entamées (26 juin 1997).
3. La marque de commerce est principalement fonctionnelle et susceptible de radiation pour ce motif.
4. L'enregistrement de la marque de commerce a vraisemblablement pour effet de restreindre de façon déraisonnable le développement de l'art ou de l'industrie et est susceptible de radiation pour ce motif.
5. L'enregistrement précédent du même dessin de la défenderesse à titre de dessin industriel n'en invalide pas l'enregistrement comme marque de commerce sous forme de signe distinctif.
[66] Pour les motifs exposés ci-dessus, la présente demande visant à radier la marque de commerce de la défenderesse du registre des marques de commerce est accueillie avec dépens en faveur des demanderesses.
« Michael A. Kelen » ______________________________
Juge
OTTAWA (Ontario)
Le 26 août 2003
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-1385-97
INTITULÉ DE LA CAUSE : WCC CONTAINERS SALES LIMITED ET AL. C. HAUL-ALL EQUIPMENT LTD.
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA
DATE DE L'AUDIENCE : LE 24 JUIN 2003
MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE KELEN
DATE DES MOTIFS : LE 26 AOÛT 2003
COMPARUTIONS :
SCOTT MILLER POUR LES DEMANDERESSES
BRUCE MORGAN POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
MARUSYK MILLER & SWAIN s.r.l. POUR LES DEMANDERESSES
OTTAWA
GOWLING LAFLEUR HENDERSON s.r.l. POUR LA DÉFENDERESSE
OTTAWA
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
Date : 20030826
Dossier : T-1385-97
ENTRE :
WCC CONTAINERS SALES LIMITED et
WCC REFURB LIMITED
demanderesses
et
HAUL-ALL EQUIPMENT LTD.
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE