Date : 20010321
Dossier : T-748-98
Référence neutre : 2001 CFPI 216
ENTRE :
MINNESOTA MINING AND MANUFACTURING COMPANY
demanderesse
- et -
CHEMQUE, INC.
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE HENEGHAN
INTRODUCTION
[1] Minnesota Mining and Manufacturing Company (la demanderesse) cherche à obtenir diverses ordonnances en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles), à la suite de l'ordonnance du protonotaire Lafrenière, datée du 12 juin 2000, qui a autorisé la société Chemque, Inc. (la défenderesse) à modifier de nouveau sa défense et demande reconventionnelle.
[2] La demanderesse cherche à obtenir une ordonnance en vertu de la règle 399(2) des Règles en vue d'annuler l'ordonnance du protonotaire Lafrenière. À titre subsidiaire, elle demande une ordonnance au titre de la règle 221(1) ordonnant la radiation de toutes les modifications de la défense et demande reconventionnelle modifiée à deux reprises, en date du 12 juin 2000, sans autorisation de la modifier. La demanderesse cherche également à obtenir une ordonnance portant que le cabinet d'avocats Sim, Hughes, Ashton & McKay se retire dans sa qualité d'avocats au dossier pour la défenderesse. Enfin, la demanderesse vise à obtenir une ordonnance de ne pas faire, interdisant ce qui suit :
a) chercher à reprendre les modifications apportées à la défense et demande reconventionnelle modifiée à deux reprises;
b) produire, invoquer ou communiquer à ses avocats au dossier ou à tout avocat ou consultant, ou encore utiliser autrement dans la présente action tout document portant la mention [TRADUCTION] « Confidentiel » et/ou [TRADUCTION] « À l'usage exclusif de l'avocat » , conformément à l'ordonnance de confidentialité prononcée dans la procédure A-98-CA241-SHC par la United States District Court du district ouest du Texas, Division d'Austin; ou
c) recourir aux services du cabinet d'avocats Sim, Hughes, Ashton & McKay, ou de l'un de ses membres, en qualité d'avocats ou de consultants
LES FAITS
[3] La demanderesse et la défenderesse ont un litige dans la présente action au sujet du brevet canadien n º 1 312 158 intitulé « Composition d'encapsulation pour lignes de transmission » . La demanderesse allègue que la défenderesse a contrefait son brevet. La défenderesse refuse d'admettre la contrefaçon. La présente action, dans laquelle la demanderesse cherche à obtenir une déclaration portant que son brevet est valide et qu'il a été contrefait par la défenderesse, est engagée en parallèle à une poursuite intentée auprès de la United States District Court du district ouest du Texas, alléguant la contrefaçon du brevet parallèle aux États-Unis. La demanderesse et la défenderesse ont qualité de demanderesse et de première défenderesse dans la procédure engagée au Texas.
[4] Une ordonnance de confidentialité a été prononcée dans la procédure américaine, restreignant la production de certains documents. Elle a été modifiée selon ce qui a été demandé et divers degrés de confidentialité ont été attribués aux documents visés, certains portant la mention [TRADUCTION] « Confidentiel » , d'autres la mention [TRADUCTION] « À l'usage de l'avocat seulement » . Cette ordonnance a été déposée le 23 décembre 1998, puis modifée par des ordonnances postérieures datées du 21 janvier 2000 et du 14 février 2000[1].
[5] L'avocat de la défenderesse a envoyé une lettre à l'avocat de la demanderesse, datée du 27 avril 2000[2], à laquelle il joint un projet de défense et demande reconventionnelle modifiée à deux reprises à déposer dans la présente procédure. Il y demande si la demanderesse donnerait son consentement à la modification proposée et joint à sa lettre un projet d'affidavit de documents. La pièce 70 de l'affidavit de documents est intitulée [TRADUCTION] « Pièces de la procédure aux États-Unis » . La pièce 70 répertorie quelque 220 documents[3].
[6] L'avis de requête pour obtenir l'autorisation de déposer une nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée à deux reprises est daté du 18 mai 2000. Il s'appuie sur l'affidavit de Stephen Lane, avocat du cabinet Sim, Hughes, Ashton & McKay, avocats au dossier pour la défenderesse dans la présente action.
[7] L'affidavit de M. Lane est libellé comme suit :
[TRADUCTION] Je soussigné, Stephen M. Lane, avocat de la Ville de Toronto dans la province de l'Ontario, déclare sous serment :
1. Je suis l'avocat de la défenderesse et demanderesse reconventionnelle dans la présente action et j'ai une connaissance personnelle des faits et des questions au sujet desquels je présente le témoignage qui suit.
2. L'action de la demanderesse porte sur une contrefaçon alléguée du brevet canadienn º 1 312 158 intitulé « Composition d'encapsulation pour lignes de transmission » . La défenderesse,Chemque, a contesté l'action et présenté une demande reconventionnelle. Les détails complets des demandes et défenses sont exposés dans les actes de procédure, qui sont versés au dossier de requête.
3. La demanderesse a également intenté une action contre la défenderesse auprès de la United States District Court du district ouest du Texas, Division d'Austin, dans laquelle elle allègue la contrefaçon du brevet parallèle aux États-Unis (l'action des États-Unis).
4. Le procès relatif à l'action des États-Unis est terminé. Chemque n'a pas été reconnue coupable de contrefaçon à l'égard d'aucune revendication valide du brevet de 3M. Il n'y a pas eu de dommages-intérêts d'accordés.
5. Après le procès relatif à l'action des États-Unis et au terme de la première étape de l'interrogatoire préalable oral dans la présente procédure, j'ai reçu des copies des pièces déposées dans l'action aux États-Unis. Ces pièces comportent environ quatorze relieurs à feuilles mobiles.
6. D'après l'examen que j'ai fait des pièces de l'action aux États-Unis, j'estime que la défense et demande reconventionnelle de la présente procédure doit être modifiée de nouveau de sorte qu'elle comporte expressément une défense fondée sur de nouvelles antériorités ainsi que sur l'ambiguïté, le manque de diligence et l'acquiescement.
7. Je suis convaincu que le refus des modifications causerait un préjudice à la défenderesse, qui se trouverait incapable de présenter exhaustivement à la Cour toutes les défenses au fond[4].
[8] M. Lane a été contre-interrogé sur son affidavit le 6 juin 2000, avant l'audience relative à la requête devant le protonotaire Lafrenière. Il a été spécifiquement interrogé sur la pièce 70 de la [TRADUCTION] « Liste modifiée des documents » , c'est-à-dire la liste des pièces de l'action aux États-Unis. Il a offert des copies des documents à l'avocat de la demanderesse[5]. En réponse à une question, il a dit qu'il a su pour la première fois que la défenderesse était en possession des documents de la [TRADUCTION] « Liste modifiée des documents » après la fin du procès aux États-Unis[6].
[9] L'audience relative à la requête visant l'autorisation de déposer la défense et demande reconventionnelle modifiée à deux reprises et l'affidavit de documents modifié s'est tenue le 12 juin 2000. Le jour même, le protonotaire a rendu une ordonnance en ces termes :
[TRADUCTION]
IL EST STATUÉ QUE :
1. la défenderesse, Chemque, Inc., est autorisée à modifier de nouveau sa défense et demande reconventionnelle, conformément à la défense et demande reconventionnelle modifiée à deux reprises formant l'annexe A ci-jointe.
2. la demanderesse, Minnesota Mining and Manufacturing Company, a droit aux dépens, sans égard à l'issue du procès, correspondant à deux jours d'interrogatoire préalable selon les montants maximaux prévus à la colonne V du tarif B et aux coûts de la comparution du témoin de la demanderesse, dans le cas où la défenderesse demande un nouvel interrogatoire.
3. les dépens de la requête sont adjugés à la demanderesse, sans égard à l'issue du procès.
[10] Le 5 juillet 2000, l'avocat de la défenderesse a envoyé à l'avocat de la demanderesse les copies des documents ajoutés à l'affidavit de documents, accompagnées d'une facture représentant les coûts de la reproduction. Cette lettre renfermait les renseignements suivants :
[TRADUCTION] Je note qu'un grand nombre des documents portent le cachet confidentiel ou à l'usage de l'avocat seulement, dans l'action intentée aux États-Unis. Ils portent des cachets de confidentialité équivalents dans l'action intentée au Canada[7].
[11] Le 9 août 2000, l'avocat de la défenderesse a transmis à l'avocat de la demanderesse la défense et demande reconventionnelle modifiée à deux reprises de la défenderesse aux fins de la signification[8].
[12] Les parties ont alors commencé à préparer un nouvel interrogatoire oral au sujet de la défense modifiée à deux reprises et de l'affidavit de documents modifié. Selon M. Kohji Suzuki, l'un des avocats de la demanderesse dans la présente procédure, celui-ci a rencontré Mme Nicole Stafford les 25 et 26 septembre 2000 en vue de préparer la suite de l'interrogatoire préalable. Au cours de ces rencontres, on a appris que certains des documents fournis par l'avocat de la défenderesse le 9 août 2000 à l'avocat de la demanderesse étaient des documents visés par l'ordonnance de confidentialité prononcée par la United States District Court du district ouest du Texas, Division d'Austin. Selon l'affidavit de M. Suzuki déposé à l'appui de la présente requête, la demanderesse ainsi que ses avocats américain et canadien n'étaient pas au courant, avant les 25 et 26 septembre 2000[9], de la divulgation de ce matériel par la défenderesse à son avocat canadien.
[13] Par la suite, la demanderesse a donc pris des mesures aux États-Unis pour obtenir l'exécution de l'ordonnance de confidentialité du tribunal américain. Le 17 novembre 2000, la United States District Court du district ouest du Texas, Division d'Austin a prononcé une ordonnance au sujet de l'ordonnance de confidentialité et modifié les ordonnances qu'elle avait antérieurement prononcées. Cette ordonnance dispose :
[TRADUCTION] ...au plus tard le lundi, 4 décembre 2000, Chemque et l'avocat de Chemque aux États-Unis sont tenus :
1) de fournir une déclaration d'une personne ayant une connaissance personnelle des faits a) désignant de manière spécifique tous les documents et renseignements visés par l'ordonnance de confidentialité des États-Unis qui ont été divulgués à l'avocat canadien et/ou utilisés par lui à l'intention de toute partie à l'action canadienne ou d'autres personnes à d'autres fins que celles du litige aux États-Unis, et b) d'exposer de manière spécifique toutes les mesures prises pour assurer l'exécution de l'ordonnance;
2) de récupérer auprès des personnes non autorisées tous les documents et renseignements désignés, notamment tous les exemplaires, documents et renseignements qui en sont issus; et
3) de cesser d'utiliser ou d'invoquer tout document des États-Unis divulgué à tort, sauf pour les fins qui sont spécifiquement autorisées par l'ordonnance de confidentialité des États-Unis; en outre,
IL EST ORDONNÉ que la réparation ordonnée ci-dessus n'exige le retrait ou la modification d'aucun acte de procédure ou document déposé dans l'action canadienne qui est fondé sur les documents des États-Unis, qui y renvoie ou qui les inclut, parce que la présente Cour ne peut ordonner aucune mesure à l'égard de l'action canadienne; de même, toute mesure nécessaire dans l'action canadienne visant l'utilisation des documents des États-Unis est une décision relevant des parties à l'action canadienne, de leurs avocats canadiens et de la Cour du Canada;
IL EST ORDONNÉ EN OUTRE que l'avocat américain de 3M ait droit à des honoraires et débours raisonnables pour la présente poursuite, l'avocat américain de 3M devant fournir à la Cour un ou plusieurs affidavits et toute documentation justificative à l'appui de sa demande d'honoraires et débours au plus tard le lundi, 4 décembre 2000 (souligné dans l'original)[10].
[14] Quelque temps après la transmission de l'ordonnance le 17 novembre 2000 et avant l'audience de la présente requête, les documents ont été retournés par la défenderesse conformément à l'ordonnance de la cour du Texas.
[15] Tel est le contexte de la requête déposée par la demanderesse le 22 décembre 2000 dans la présente procédure.
LES OBSERVATIONS DE LA DEMANDERESSE
[16] La demanderesse fait valoir que la défenderesse a agi illégalement en produisant des documents faisant l'objet d'une ordonnance de confidentialité prononcée par le tribunal américain. Elle a dit qu'on ne pouvait raisonnablement pas s'attendre à ce qu'elle sache exactement quels documents la défenderesse avait l'intention de produire, dans l'affidavit de documents modifié, avant que les documents soient produits et qu'elle puisse les examiner.
[17] La demanderesse soutient qu'elle ne pouvait pas prévoir que la défenderesse commettrait un acte illégal. Elle affirme qu'une conclusion de manquement à l'ordonnance des États-Unis est intervenue, qu'on a jugé qu'un acte illégal avait été commis et que la doctrine de la chose jugée s'applique. Par conséquent, il s'agit d'une affaire donnant droit à la réparation en vertu de la règle 399(2) des Règles.
[18] À l'appui de cet argument, la demanderesse se fonde sur l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans Saywack c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 189 (C.A.). Selon le critère exposé dans cette décision, pour obtenir la réparation recherchée, la demanderesse doit établir que des faits nouveaux ont été découverts après le prononcé de l'ordonnance attaquée, que ces faits ne pouvaient pas avoir été découverts plus tôt en exerçant une diligence raisonnable et qu'ils sont de nature telle qu'ils auraient influé sur l'ordonnance s'ils avaient été soulevés plus tôt.
[19] À titre subsidiaire, la demanderesse plaide la règle 221(1) des Règles pour obtenir la radiation de la défense modifiée à deux reprises. Elle soutient en premier lieu que si les documents en question n'étaient pas venus en la possession des avocats de la défenderesse, en l'occurrence Sim, Hughes, Ashton & McKay, il n'y aurait pas eu de raison de demander une modification des actes de procédure en vertu de la règle 221(1). Comme la défenderesse a retourné les documents visés, fait-elle valoir, il n'existe plus de preuve à l'appui des conclusions de la défense modifiée à deux reprises et celle-ci devrait être radiée.
[20] En deuxième lieu, la demanderesse répète que la défenderesse a agi illégalement en divulguant les documents protégés par une ordonnance de confidentialité de la United States District Court du district ouest du Texas, Division d'Austin. La demanderesse déclare que la défenderesse ne devrait pas être autorisée à tirer profit d'un acte illégal et que reconnaître cet acte de procédure comme valable équivaut à un abus de procédure.
[21] La demanderesse dit que la radiation de la défense modifiée à deux reprises ne causerait aucun préjudice à la défenderesse. Au contraire, elle fait valoir que cette mesure replacerait les parties dans la situation où elles se trouvaient avant que la défenderesse s'appuie sur des documents qui n'auraient pas dû venir en sa possession.
[22] Ensuite, s'agissant de la demande de retrait de Sim, Hughes, Ashton & McKay comme avocats au dossier de la défenderesse dans l'instance, la demanderesse prétend que les documents confidentiels sont désormais [TRADUCTION] « imprimés de manière indélébile » dans l'esprit collectif des avocats de la défenderesse, qu'ils n'auraient pas dû y avoir accès de toute façon et que les circonstances appellent une mesure radicale telle que le retrait du cabinet en qualité d'avocats au dossier de la défenderesse. À l'appui de cet argument, la demanderesse invoque l'arrêt de la Cour suprême du Canada Succession MacDonald c. Martin, [1990] 3 R.C.S. 1235 aux pages 1259 et 1260, où la Cour déclare :
...le critère retenu doit tendre à convaincre le public, c'est-à-dire une personne raisonnablement informée, qu'il ne sera fait aucun usage de renseignements confidentiels. Voilà, à mon sens, la ligne directrice primordiale que doit suivre la Cour en répondant à la question : sommes-nous en présence d'un conflit d'intérêts de nature à rendre l'avocat inhabile à agir?
[23] La demanderesse recourt à peu près au même argument pour le quatrième motif de réparation recherchée, soit une ordonnance interdisant à la défenderesse de recourir pour sa défense de quelque manière que ce soit aux conseils du cabinet d'avocats Sim, Hughes, Ashton & McKay ou de tout membre de ce cabinet.
LES OBSERVATIONS DE LA DÉFENDERESSE
[24] La défenderesse conteste le droit de la demanderesse à toute réparation demandée dans l'avis de requête. En premier lieu, selon la défenderesse, toute cette affaire résulte du fait que la demanderesse a manqué à ses engagements d'obtenir une modification de l'ordonnance de confidentialité des États-Unis autorisant la distribution des documents visés par l'ordonnance à l'avocat canadien des parties.
[25] Deuxièmement, tout en concédant que le caractère confidentiel conféré par l'ordonnance de confidentialité du Texas aux documents divulgués est un « fait nouveau » , la défenderesse fait valoir que la demanderesse n'a pas satisfait au deuxième élément du critère exposé dans l'arrêt Saywack, précité. L'intimée déclare que le projet de défense et demande reconventionnelle modifiée à deux reprises et le projet d'affidavit de documents modifié renfermaient suffisamment de renseignements pour informer la demanderesse que les modifications proposées aux actes de procédure et l'ajout de nouveaux documents étaient reliés à l'action en contrefaçon alléguée de brevet engagée en parallèle aux États-Unis.
[26] Eu égard à la requête de la demanderesse de radiation de la défense et demande reconventionnelle modifiée à deux reprises, sans autorisation de la modifier, la défenderesse déclare que cette requête n'est pas nécessaire. La défenderesse affirme que l'acte de procédure est valable, mais qu'en raison du renvoi de la documentation contestée en exécution de l'ordonnance de la United States District Court du district ouest du Texas, Division d'Austin, le 17 novembre 2000, elle pourrait avoir de la difficulté à prouver le bien-fondé de la défense et demande reconventionnelle modifiée à deux reprises. Selon la défenderesse, cela pourrait lui rendre les choses difficiles, mais ce n'est pas un motif suffisant pour justifier la radiation de l'acte de procédure, sans autorisation de le modifier.
[27] En dernier lieu, l'intimée affirme que le recours à la décision Succession MacDonald c. Martin, précitée, n'est pas justifié, car la présente procédure n'intéresse pas un conflit d'intérêts entre un avocat et son client et, en fait, ne remet pas en cause la relation avocat-client. À ce sujet, la défenderesse s'appuie sur la décision du protonotaire-chef adjoint Giles dans l'affaire Merck & Co. c. Interpharm Inc., [1992] 3 C.F. 774. Elle affirme que le critère applicable au cas où l'on demande que l'avocat choisi par une partie se retire du dossier est de savoir si un membre du public, faisant preuve d'objectivité et raisonnablement informé, conclurait que la bonne administration de la justice exige ce retrait.
ANALYSE
[28] La règle 399(2) des Règles dispose :
399.(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l'un ou l'autre des cas suivants: a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue; b) l'ordonnance a été obtenue par fraude. |
399(2) On motion, the Court may set aside or vary an order (a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or (b) where the order was obtained by fraud. |
|
[29] Les parties conviennent que le critère d'application de cette règle a été défini par la Cour fédérale dans l'arrêt Saywack, précité.
[30] Les observations de la demanderesse ne m'ont pas persuadée qu'elle avait droit à une réparation au titre de la règle visée.
[31] Bien que la défenderesse ait concédé que la découverte de la divulgation de documents confidentiels provenant de la procédure aux États-Unis correspondait à un « fait nouveau » , je ne suis pas convaincue que la demanderesse ne connaissait pas la nature de la modification demandée à la défense ou la nature des documents qu'on voulait ajouter à l'affidavit de documents.
[32] M. Lane a été contre-interrogé par l'avocat de la demanderesse avant l'audience relative à la requête en autorisation de modifier la défense. On lui a spécifiquement posé des questions sur certains actes de procédure soulevés dans la défense modifiée à deux reprises, notamment des questions précises sur l'ajout d'éléments en litige dans la procédure des États-Unis. À cet égard, je renvoie à la transcription du contre-interrogatoire de M. Lane, à la question 29 et à la réponse à cette question :
[TRADUCTION]
Q. Monsieur, quand avez-vous été personnellement mis au courant que cette question était en litige dans la procédure aux États-Unis?
R. Peu après la fin du procès aux États-Unis, j'ai été informé du résultat du procès et c'est à cette époque que j'ai pris connaissance du fait que la question avait été soulevée dans la procédure des États-Unis.
[33] De plus, au cours du même contre-interrogatoire, M. Lane a été interrogé spécifiquement sur l'ajout de pièces provenant de la procédure aux États-Unis. La question 63 et la réponse qui suit indiquent :
[TRADUCTION]
Q. Le document 70 est une liste de pièces tirées de la procédure aux États-Unis?
R. C'est exact.
[34] En outre, les avocats de la demanderesse ont reçu un exemplaire du projet d'affidavit de documents modifié dans une lettre datée du 27 avril 2000. Le projet d'affidavit de documents mentionne spécifiquement à la pièce 70 [TRADUCTION] « Pièces de la procédure aux États-Unis » [11]. Le contre-interrogatoire de M. Lane comportait des questions spécifiques sur des points en litige et des actes de procédure du procès aux États-Unis et aussi sur des documents figurant comme pièces dans ce litige.
[35] Il a été suffisamment fait mention du procès aux États-Unis avant l'audience de la requête, le 12 juin 2000, pour au moins sensibiliser la demanderesse et son avocat à la production envisagée, dans l'action canadienne, de certains documents et de certains actes de procédure de l'action aux États-Unis. L'affidavit de M. Lane et les réponses qu'il a données au cours de son contre-interrogatoire ont apporté des éléments suffisants pour informer la demanderesse que la défenderesse avait l'intention de modifier ses actes de procédure et d'ajouter des points et des documents afférents au procès des États-Unis.
[36] En outre, la demanderesse n'a pas établi que même si le protonotaire avait été informé du non-respect de l'ordonnance du Texas, son ordonnance aurait été différente. La demanderesse n'a cité aucune jurisprudence à l'appui de son argumentation portant que le non-respect d'une ordonnance prononcée par un tribunal étranger aurait influé sur l'ordonnance demandée au protonotaire.
[37] La demanderesse n'a pas établi qu'elle a droit à une réparation au titre de la règle 399(2) des Règles.
[38] J'en viens maintenant aux observations de la demanderesse à l'égard de sa requête subsidiaire en vue d'obtenir une ordonnance de radiation de la défense modifiée à deux reprises, sans autorisation de la modifier, aux motifs de l'abus de procédure et du préjudice subi. Ces arguments de la demanderesse sont fondés sur le principe de la chose jugée, faisant valoir que la Cour du Texas a conclu au non-respect de son ordonnance, que sa décision lie les parties aux fins de la requête et qu'un refus de radier les actes de procédure modifiés procurera à la défenderesse un avantage dont elle n'aurait pas bénéficié autrement.
[39] À mon avis, cette argumentation est mal fondée.
[40] L'ordonnance de confidentialité prononcée par la Cour du Texas ne s'appliquait qu'aux questions visées dans la procédure intentée devant ce tribunal. Même s'il y a des ressemblances entre la procédure aux États-Unis et la présente procédure, il n'est pas établi que l'issue du procès des États-Unis est décisive à l'égard de la présente instance. La conclusion de la Cour du Texas sur le non-respect de son ordonnance est une affaire qui ne concerne que cette procédure. C'est une question qui touche vraisemblablement le contrôle que doit exercer la Cour sur sa propre procédure.
[41] La Cour du Texas a reconnu que ses conclusions et la sanction relatives au non-respect de l'ordonnance ne lient pas la présente Cour. Toutefois, tant dans les motifs de cette ordonnance que dans les motifs d'une ordonnance postérieure sur l'attribution des dépens à l'encontre de la défenderesse à la procédure aux États-Unis[12], la Cour du Texas a spécifiquement noté qu'elle ne cherchait pas à influer sur le déroulement de la présente procédure, c'est-à-dire de la procédure canadienne.
[42] La demanderesse prétend que si la défenderesse n'avait pas obtenu les documents qui ne devaient pas être mis à sa disposition, elle n'aurait pas eu de raisons de modifier sa défense et d'en demander l'autorisation. La défenderesse soutient que la demanderesse s'est engagée à obtenir une modification de l'ordonnance américaine en vue de permettre aux parties à la présente action d'avoir toutes les deux accès aux documents produits dans la procédure aux États-Unis.
[43] Je n'estime pas nécessaire de me prononcer sur l'existence ou l'absence d'un tel engagement. Cela n'est pas pertinent par rapport au principe de la chose jugée.
[44] Cependant, il demeure que la Cour ne peut traiter que les affaires qui relèvent de sa compétence. La Cour n'a pas le pouvoir de faire respecter une ordonnance interlocutoire d'un tribunal étranger ni d'imposer des sanctions pour le non-respect apparent de cette ordonnance. Je conclus que la réparation appropriée consiste à autoriser la défense modifiée à deux reprises. Si la défenderesse est incapable d'établir sa preuve parce que certains documents ne sont pas disponibles pour appuyer ses moyens de défense, cela ressortira au procès.
[45] S'agissant de la requête pour que le cabinet Sim, Hughes, Ashton & McKay se retire en qualité d'avocats au dossier, je ne suis pas disposée à accorder cette réparation. Il ne s'agit pas d'une situation de conflit d'intérêts entre l'avocat et son client. Il ne s'agit pas d'une situation comme celle que décrit le protonotaire-chef adjoint Giles dans la décision Merck, précitée, dans laquelle l'intérêt public que représente la relation avocat-client est en jeu[13].
[46] Par conséquent, la dernière demande de réparation de la demanderesse dans sa requête est également refusée. Il n'y a pas de fondement pour prononcer une ordonnance de ne pas faire dans les termes de l'avis de requête.
[47] La requête est rejetée, les dépens étant adjugés à la défenderesse.
« E. Heneghan »
J.C.F.C.
Ottawa (Ontario)
21 mars 2001
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
Date : 20010321
Dossier : T-748-98
Ottawa (Ontario), le 21 mars 2001
EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE HENEGHAN
ENTRE :
MINNESOTA MINING AND MANUFACTURING COMPANY
demanderesse
- et -
CHEMQUE, INC.
défenderesse
ORDONNANCE
La requête est rejetée, les dépens étant adjugés à la défenderesse.
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET AVOCATS AU DOSSIER
DOSSIER : T-748-98
INTITULÉ DE LA CAUSE : MINNESOTA MINING AND MANUFACTURING COMPANY c. CHEMQUE, INC.
LIEU DE L'AUDIENCE : OTTAWA
DATE DE L'AUDIENCE : LE 25 JANVIER 2001
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE HENEGHAN
EN DATE DU : 21 MARS 2001
ONT COMPARU :
A. DAVID MORROW POUR LA DEMANDERESSE
STEVEN B. GARLAND
STEPHEN M. LANE POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS AU DOSSIER :
SMART & BIGGAR POUR LA DEMANDERESSE
OTTAWA
SIM, HUGHES, ASHTON & McKAY POUR LA DÉFENDERESSE
TORONTO
[1] Dossier de requête de la demanderesse, pages 281 à 283.
[2] Dossier de requête de la demanderesse, page 119.
[3] Dossier de requête de la demanderesse, pages 134 à 144.
[4] Dossier de requête de la demanderesse, pages 159 et 160.
[5] Dossier de requête de la demanderesse, pages 177 et 178.
[6] Dossier de requête de la demanderesse, page 204, question 166.
[7] Dossier de requête de la demanderesse, page 232.
[8] Dossier de requête de la demanderesse, page 256.
[9] Dossier de requête de la demanderesse, page 12.
[10] Dossier de requête de la demanderesse, pages 305 et 306.
[11] Dossier de requête de la demanderesse, page 134.
[12] Dossier de requête de la demanderesse, page 306.
[13] Merck and Co. c. Interpharm, [1992] 3 C.F. 774 à la p. 777.