Date : 20040909
Dossier : IMM-2228-03
Référence : 2004 CF 1236
Vancouver (Colombie-Britannique), le 9 septembre 2004
EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE JOHANNE GAUTHIER
ENTRE :
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
demandeur
- et -
MANDEEP KAUR BHALRHU
défenderesse
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d'appel de l'immigration (SAI) de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié de ne pas mettre fin à l'appel interjeté par Mme Bhalru pour le motif que l'article 196 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. C-27 (la Loi) ne s'applique pas aux appels interjetés en vertu du paragraphe 77(3) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi), concernant une demande de parrainage, qui ont été déposés avant l'entrée en vigueur de la Loi.
Le contexte factuel et législatif
[2] Mme Bhalrhu est une citoyenne canadienne. Elle a épousé Davinder Pal Bhalrhu, un citoyen de l'Inde, quelque temps après que M. Bhalrhu fut jugé inadmissible au Canada en vertu de la division 19(1)f)(iii)(B) et de l'alinéa 19(2)d) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. 1985, ch. I-2 (l'ancienne Loi) et après que le ministre eut signé un certificat déclarant qu'il serait contraire à l'intérêt public de faire étudier les revendications du statut de réfugié de M. Bhalrhu (paragraphes 46.01(1) et (2) de l'ancienne Loi).
[3] Le 13 janvier 2000, M. Bhalrhu a été expulsé vers l'Inde après que sa demande de sursis à l'exécution de la mesure d'expulsion eut été rejetée par la Cour.
[4] En juin 2000, Mme Bhalrhu a fait une demande de parrainage de la demande d'établissement de son mari. Sa demande a été refusée le 15 février 2001 pour plusieurs motifs, notamment que M. Bhalrhu avait été reconnu comme étant membre d'une organisation dont il y avait des motifs raisonnables de croire qu'elle se livrait à des actes de terrorisme (division 19(1)f)(iii)(B) de l'ancienne Loi).
[5] Le 19 mars 2001, Mme Bhalrhu a interjeté appel de cette décision car elle avait le droit de le faire en vertu du paragraphe 77(3) de l'ancienne Loi.
[6] L'audience de l'appel interjeté par Mme Bhalrhu avait d'abord été prévue pour le 23 avril 2002. Pour des motifs encore inconnus, le 20 juin 2002, l'audience a été reportée au 3 décembre 2002 par l'ancienne Commission de l'immigration et du statut de réfugié. Cette date a été de nouveau modifiée en juillet 2002 alors que la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a reporté l'audience au 17 décembre 2002.
[7] Le 29 novembre 2002, le ministre a déposé un avis de désistement de l'appel auprès de la SAI en vertu de l'article 196 de la Loi et, plus particulièrement, parce que l'appelant était le parrain d'un étranger qui avait été refusé pour des raisons de sécurité au sens du paragraphe 320(1) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2000-227 (le Règlement).
[8] Avant d'accepter l'avis de désistement, la SAI a sollicité de la part des parties d'autres observations sur la question. Mme Bhalrhu a contesté la demande du ministre sur deux fondements. Premièrement, elle a affirmé que la SAI ne pouvait pas appliquer l'article 196 à son cas car cela serait inéquitable compte tenu que toute cette question a été soulevée très tard par le ministre et n'était pertinente qu'en raison du report de sa cause pour des motifs qui lui sont inconnus et sur lesquels elle n'avait aucun contrôle.
[9] Deuxièmement, Mme Bhalrhu a également invoqué la décision d'un autre membre de la SAI dans Manjit Kaur Sohal c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [2002] DASI no 1030, qui a décidé le 29 novembre 2002 que le libellé de l'article 196 n'était pas suffisamment clair pour qu'il s'applique aux appels en matière de parrainage déposés avant l'entrée en vigueur de la Loi.
[10] Le ministre s'est appuyé sur une autre décision de la SAI qui a également été rendue le 29 novembre 2002 dans Sophia Laverne-Williams c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (SAI TA1-21446). Dans cette affaire, le tribunal a accepté les arguments du ministre et a conclu que l'article 196 de la Loi s'applique aux appels en matière de parrainage déposés en vertu de l'ancienne Loi.
[11] La SAI a accepté la position de Mme Bhalrhu et sa décision est succincte. Elle adopte expressément le raisonnement du tribunal dans la décision Bhalrhu, précitée et affirme ce qui suit :
Qu'il me suffise cependant de dire que le texte de cette disposition transitoire n'est pas suffisamment clair pour qu'on puisse l'appliquer aux demandes de parrainage. Il est clair qu'elle s'applique aux demandes faites en vertu de l'article 70 quand un arrêt a été ordonné ou qu'il y a eu violation. Mais conclure qu'elle s'applique à des appels en matière de parrainage interjetés avant le 28 juin 2002 conduirait à des conséquences injustes et déraisonnables que le législateur ne peut pas avoir voulues.
[12] Il faut souligner que les décisions rendues par la SAI dans les décisions Sohal, précitée, et Laverne-Williams, précitée, ont fait l'objet de deux demandes de contrôle judiciaire et elles ont toutes deux été confirmées comme étant justes par la Cour le 6 mai 2004[1].
[13] Avant d'examiner les arguments avancés par les parties, il est utile de reproduire les dispositions pertinentes de la Loi et du Règlement.
63. (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent. |
63. (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa. |
64. (1) L'appel ne peut être interjeté par le résident permanent ou l'étranger qui est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou criminalité organisée, ni par dans le cas de l'étranger, son répondant. |
64. (1) No appeal may be made to the Immigration Appeal Division by a foreign national or their sponsor or by a permanent resident if the foreign national or permanent resident has been found to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality. |
(2) L'interdiction de territoire pour grande criminalité vise l'infraction punie au Canada par un emprisonnement d'au moins deux ans. |
(2) For the purpose of subsection (1), serious criminality must be with respect to a crime that was punished in Canada by a term of imprisonment of at least two years. |
(3) N'est pas susceptible d'appel au titre du paragraphe 63(1) le refus fondé sur l'interdiction de territoire pour fausses déclarations, sauf si l'étranger en cause est l'époux ou le conjoint de fait du répondant ou son enfant.
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(3) No appeal may be made under subsection 63(1) in respect of a decision that was based on a finding of inadmissibility on the ground of misrepresentation, unless the foreign national in question is the sponsor's spouse, common-law partner or child.
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190. La présente loi s'applique, dès l'entrée en vigueur du présent article, aux demandes et procédures présentées ou instruites, ainsi qu'aux autres questions soulevées, dans le cadre de l'ancienne loi avant son entrée en vigueur et pour lesquelles aucune décision n'a été prise. |
190. Every application, proceeding or matter under the former Act that is pending or in progress immediately before the coming into force of this section shall be governed by this Act on that coming into force. |
192. S'il y a eu dépôt d'une demande d'appel à la Section d'appel de l'immigration, à l'entrée en vigueur du présent article, l'appel est continué sous le régime de l'ancienne loi, par la Section d'appel de l'immigration de la Commission. |
192. If a notice of appeal has been filed with the Immigration Appeal Division immediately before the coming into force of this section, the appeal shall be continued under the former Act by the Immigration Appeal Division of the Board. |
196. Malgré l'article 192, il est mis fin à l'affaire portée en appel devant la Section d'appel de l'immigration si l'intéressé est, alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi, visé par la restriction du droit d'appel prévue par l'article 64 de la présente loi. |
196. Despite section 192, an appeal made to the Immigration Appeal Division before the coming into force of this section shall be discontinued if the appellant has not been granted a stay under the former Act and the appeal could not have been made because of section 64 of this Act. |
Le Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2000-227
320. (1) La personne qui, à l'entrée en vigueur du présent article, avait été jugée appartenir à une catégorie visée à l'un des alinéas 19(1)(e) à g) et k) de l'ancienne loi est interdite de territoire pour raison de sécurité sous le régime de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés.
[Non souligné dans l'original] |
320. (1) A person is inadmissible under the Immigration and Refugee Protection Act on security grounds if, on the coming into force of this section, the person had been determined to be a member of an inadmissible class described in paragraph 19(1)(e), (f) to (k) of the former Act.
[My emphasis] |
[14] Ces dispositions sont entrées en vigueur le 28 juin 2002. Comme il est mentionné dans la décision rendue par la Cour dans Sohal, précitée, note 1, paragraphe 12, le décret fixant la date d'entrée en vigueur de la Loi a été délivré le 11 juin 2004 (TR/2002-97).
Les arguments
[15] Invoquant la récente décision de la Cour d'appel fédérale dans Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2004 CAF 84, [2004] A.C.F. no 366 (C.A.F.) (QL), le ministre prétend que la SAI a commis une erreur en interprétant l'article 196 parce qu'elle a adopté une interprétation restrictive fondée sur la présomption que le législateur ne peut avoir voulu porter atteinte à des droits acquis.
[16] Selon le ministre, la SAI n'a pas appliqué correctement la norme reconnue en matière d'interprétation législative telle qu'elle a été énoncée dans Elmer A. Driedger, Construction of Statutes, 2e éd. (Toronto : Butterworths, 1983), page 87 :
Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution; il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.
[17] Le demandeur prétend que le sens grammatical et ordinaire de l'article 196 de la Loi s'applique clairement à tous les appels à la SAI et que l'article 196 renvoie expressément à l'article 64 qui, à première vue, s'applique aux appels en matière de parrainage. Comme il a déjà été discuté dans Medovarski, précitée, ce sens ordinaire est conforme à l'intention qu'avait le législateur lorsqu'il a adopté cette exception à la règle énoncée à l'article 192. Par conséquent, la SAI a commis une erreur en limitant indûment l'application de l'article 196.
[18] Dans Medovarski, précitée, la Cour d'appel fédérale examinait le cas d'un appelante qui avait interjeté appel en vertu de l'article 70 de l'ancienne Loi et non pas un cas d'appel en matière de parrainage interjeté en vertu du paragraphe 77(3) de l'ancienne Loi. Selon Mme Bhalrhu, cette distinction est primordiale et la décision rendue dans Medovarski n'est que de peu d'utilité pour trancher la question en litige dont est saisie la Cour.
[19] Mme Bhalrhu affirme que l'article 196 s'applique manifestement aux appels interjetés en vertu de l'article 70 parce que, en pareils cas, les deux conditions qui y sont expressément mentionnées sont logiques. Elle prétend cependant que le législateur n'a pas pu vouloir appliquer cette disposition aux appels en matière de parrainage parce qu'une personne qui interjette appel en vertu de l'article 77 de l'ancienne Loi ne pourrait tout simplement pas se voir accorder un sursis, que ce soit en vertu des articles 73 ou 49 de l'ancienne Loi. De plus, il n'existe tout simplement aucune raison pour laquelle un citoyen canadien ou un résident permanent devrait être traité plus sévèrement que des étrangers.
[20] Mme Bhalrhu prétend que rien dans l'économie de la Loi ne donne à penser que les objectifs qui consistent à garantir la sécurité des Canadiens et à interdire de territoire les personnes qui sont des criminels ou constituent un danger pour la sécurité, comme il est prévu aux alinéas 3(1)h) et i) de la Loi, devraient prévaloir sur tout autre objectif déclaré de la Loi - c'est-à-dire la réunification des familles (alinéa 3(1)d) de la Loi). Elle prétend que l'interprétation qu'elle propose et qui a été adoptée par la SAI garantit un examen approprié de tous ces objectifs et permet d'atteindre un juste équilibre.
[21] À l'audience, Mme Bhalrhu a déclaré sans équivoque qu'elle acceptait la norme d'interprétation proposée par le ministre et qu'elle acceptait dans l'ensemble son interprétation du régime législatif sous-jacent aux diverses dispositions transitoires en cause. Toutefois, elle a affirmé que même si, compte tenu de Medovarski, précitée, on n'invoquait pas la présomption selon laquelle les droits acquis ne sont pas touchés, il existe toujours une ambiguïté dans l'article 196, laquelle devrait être interprétée en sa faveur parce que cet article constitue une exception à la règle générale prévue à l'article 192 quant aux appels interjetés avant l'entrée en vigueur de la Loi[2].
L'analyse
[22] Il n'est pas contesté que, si on utilise l'approche pragmatique et fonctionnelle, la norme de contrôle applicable à la présente décision quant à l'interprétation correcte de l'article 196 de la Loi est celle de la décision correcte.
[23] J'adopterai la méthode d'interprétation des lois proposée dans Driedger, précité, laquelle a été adoptée par la Cour suprême du Canada (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 1 R.C.S. 84, paragraphe 27; Rizzo c. Rizzo Shoes Ltd., [1998] 1 R.C.S. 27, paragraphe 21) et est régulièrement appliquée par la Cour d'appel fédérale ainsi que par la Cour.
[24] À l'audience, les deux parties ont porté leur attention sur la version anglaise de l'article 196 lorsqu'elles ont discuté de la signification à accorder à cette disposition mais la Cour doit également examiner la version française car elle a la même valeur.
[25] Il est convenu que les mots « an appeal made to the Immigration Appeal Division » et « appellant » dans la version anglaise ont une portée assez large pour viser tous les appels prévus en vertu de l'ancienne Loi, que ce soit en vertu de l'article 70 ou de l'article 77.
[26] À cet égard, les mots français ont une portée aussi large. En fait, le mot « l'intéressé » pourrait même viser, dans les cas d'appels en matière de parrainage, l'étranger qui a demandé la résidence permanente.
[27] Cependant, la version française comporte selon moi une nuance qui n'est pas évidente dans le texte anglais. En effet, le texte anglais ne fait qu'énumérer deux exigences quant à l'application de l'article 196 en mentionnant ce qui suit :
if an appellant has not been granted a stay under the former Act and the appeal could not have been made because of section 64 of this Act.
Alors que dans la version française, l'utilisation des mots « alors qu'il ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne loi » entre guillemets donne à penser que la restriction du droit de l'appelant d'interjeter appel en vertu de l'article 64 est l'élément principal de l'article 196.
[28] Contrairement à Medovarski, précitée, la question de savoir si une version a une portée plus large ou plus étroite que l'autre n'est pas soulevée. Cependant, il s'agit d'un élément du contexte qui doit être examiné lorsque l'on tente de déterminer l'intention du législateur et la signification de cette disposition.
[29] Il n'est pas contesté qu'un appelant dans un appel en matière de parrainage ne peut demander un sursis en vertu de l'ancienne Loi, que ce soit en vertu de l'article 73 ou de l'article 49. Le législateur est présumé avoir connu le droit à cet égard. Malgré cette connaissance, il a choisi de renvoyer expressément à l'article 64 de la Loi dans son intégralité.
[30] Comme le souligne le juge Phelan dans Laverne-Williams, précitée, à la note 1, paragraphe 12, j'estime que ce renvoi à l'article 64 est très significatif. En effet, on peut tenter de concilier un renvoi au paragraphe 64(1) avec l'intention du législateur de n'appliquer l'article 196 qu'aux appels prévus en vertu de l'article 70 de l'ancienne Loi au motif que ce paragraphe traite de ce type d'appel. Cependant, une telle réconciliation est impossible en ce qui concerne le paragraphe 64(3) qui traite exclusivement des appels en matière de parrainage en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi[3].
[31] Dans l'article intitulé « Portée » dans l'analyse clause par clause[4] de l'article 196 citée par la SAI dans la décision qu'elle a rendue dans Laverne-Williams, précitée, page 11, on renvoie précisément à l'interdiction de territoire pour fausse déclaration qui est prévue au paragraphe 64(3).
[32] L'exclusion des appels en matière de parrainage de l'application de l'article 196 aurait pour conséquence de ne pas donner plein effet aux mots utilisés par le législateur pour décrire cette exigence. De plus, cela ne serait pas cohérent avec le fait que, comme je l'ai affirmé, dans la version française, les restrictions mentionnées à l'article 64 de la Loi semblent être l'élément principal.
[33] De plus, le législateur a clairement indiqué aux paragraphes 64(1) et (2) de la Loi qu'il favorisait les objectifs mentionnés aux alinéas 3(1)h) et i) de préférence à l'objectif de la réunion des familles prévu à l'alinéa 3(1)d) (Medovarski, précité, paragraphe 55).
[34] L'article 64 indique clairement que le législateur ne désirait pas que certains étrangers puissent bénéficier du droit d'appel de leur parrain. Il garantit que les personnes qui sont interdites de territoire pour raison de sécurité ou de grande criminalité ne puissent faire indirectement ce qu'elles ne peuvent faire directement (Laverne-Williams, précitée, note 1, paragraphe 12, page 47).
[35] Comme l'a expliqué la Cour d'appel fédérale dans Medovarski, précité, l'économie générale des articles 190, 192, 196 et 197 est que la Loi s'appliquerait à toutes les demandes présentées ou instruites sauf les appels interjetés avant le 28 juin 2002[5]. Cependant, cette exception était elle-même assujettie à deux exceptions prévues aux articles 196 et 197. En ce qui concerne les appels visés par ces articles, le principe général de l'application immédiate de la nouvelle Loi s'applique.
[36] Aux paragraphes 46 à 48 de Medovarski, précité, le juge Evans, s'exprimant au nom de la majorité a conclu que, i) la présomption énoncée à l'alinéa 43 c) de la Loi d'interprétation n'est que de peu d'utilité lorsque la Loi traite expressément, en détail, de la prorogation et du désistement de l'appel à la SAI; ii) un examen attentif des articles 190, 192 et 196 de la Loi révèle qu'il n'y a pas lieu d'appliquer la présomption en faveur de la préservation des droits d'appel existants à la SAI, car il est manifeste que le législateur ne voulait pas préserver ces droits quant aux appelants qui avait interjeté appel en vertu de l'article 70 de l'ancienne Loi.
[37] Pour reprendre les mots de la juge Layden-Stevenson dans Tran, précitée, note 5, paragraphe 35, la Cour d'appel fédérale a également conclu dans Medovarski que « [l]'article 196 n'est pas contraire aux principes de justice fondamentale. À l'égard d'une prétention selon laquelle un intéressé a été induit en erreur en pensant que le droit d'appel existait, personne ne s'attend légitimement à ce que la loi ne changera pas de temps à autre ou à ce que les droits en matière de procédure accordés par le législateur ne soient pas modifiés » .
[38] La Cour a tenu compte de l'argument de Mme Bhalrhu que les exceptions doivent être interprétées d'une manière restrictive. Mais même les exceptions doivent être interprétées en conformité avec l'esprit de la Loi et avec l'intention du législateur. Elles ne doivent pas porter atteinte à l'objet général visé par le législateur (Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd. (London : Butterworths, 2002), page 197).
[39] Dans ce contexte, une interprétation selon laquelle l'article 196 s'applique aux appels en matière de parrainage entraînerait-elle des conséquences absurdes ou déraisonnables qui n'ont pas été voulues par le législateur?
[40] À l'instar de mon collègue le juge Phelan, dans Laverne-Williams, précitée, note 1, paragraphe 12, je conclus par la négative. En fait, selon moi, une telle interprétation aurait pour effet de combler la seule lacune qui empêche l'application intégrale du principe que, à compter du 28 juin 2002, un étranger qui a été déclaré interdit de territoire pour des raisons de sécurité (ce qui est notamment le cas de M. Bhalrhu en vertu du paragraphe 320(1) du Règlement) ne pourrait interjeter appel à la SAI directement ou indirectement par le biais de son parrain.
[41] Cette interprétation est tout à fait cohérente avec les choix faits par le législateur aux articles 64, 190 et 196, tel que la Cour d'appel fédérale l'a interprété dans Medovarski, précité, en rapport avec les appels interjetés en vertu de l'article 70 de l'ancienne Loi.
[42] Le législateur semble avoir exclu de l'application de l'article 196 les appelants qui se sont vu accorder un sursis en vertu de la Loi par respect pour la SAI. Il est donc plausible qu'une telle exclusion ne devrait s'appliquer que lorsque la SAI a véritablement été impliquée. Le fondement de l'exclusion n'exige pas qu'une personne devait avoir le droit de demander à la SAI de rendre une décision.
[43] De plus, il semble que le juge Pelletier, dans l'opinion dissidente qu'il a formulée dans Medovarski, précité, ne trouvait pas qu'il était illogique d'appliquer l'article 196 aux appels en matière de parrainage même si ces appelants ne pourraient jamais se voir accorder un sursis. Il a affirmé au paragraphe 91 :
Étant donné que nous traitons de dispositions transitoires, il est plus que logique de dire que le processus visant à faire passer tous les intéressés au nouveau régime verra d'abord à limiter les droits de ceux qui ne sont pas encore au Canada et dont les revendications sont les plus faibles. Ceci ne veut pas dire que je minimise les intérêts des répondants dans de tels appels, mais malgré cet intérêt ils ne sont pas dans la même situation que ceux qui peuvent être renvoyés du fait que la loi est venue discontinuer leurs appels.
[44] Compte tenu de ce qui précède et en toute déférence pour l'opinion contraire exprimée dans Sohal, précitée, note 1, paragraphe 12, je dois conclure que les mots de l'article 196, lus dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire qui s'harmonise avec l'esprit de la Loi et l'objectif et l'intention du législateur, s'appliquent manifestement aux appels en matière de parrainage.
La certification
[45] Le ministre a demandé à la Cour de certifier la question suivante :
[traduction]
L'article 196 de la Loi s'applique-t-il uniquement aux appels interjetés en vertu de l'article 70 de l'ancienne Loi ou s'appliquent-ils également aux appels interjetés par les parrains en vertu de l'article 77 de la Loi?
[46] Mme Bhalrhu, à l'audience et dans la correspondance subséquente, a prétendu que la question soulevée dans le présent contrôle judiciaire n'est pas une question de grande importance parce qu'elle a trait à des dispositions transitoires qui, donc, n'affectent qu'un faible nombre de parties et ne transcende pas les intérêts des parties en l'espèce.
[47] Bien qu'ils étaient tous les deux parfaitement conscients qu'ils donnaient des réponses contradictoires à cette question, le juge en chef Lutfy dans Sohal, précitée, note 1, paragraphe 12, et le juge Phelan dans Laverne-Williams[6], précitée, note 1, paragraphe 12, ont choisi de ne pas la certifier.
[48] Bien que dans un contexte différent, j'aurais pu en arriver à une autre conclusion, je ne suis saisie d'aucun fait nouveau ou d'aucune circonstance nouvelle qui appelleraient une conclusion différente.
ORDONNANCE
IL EST ORDONNÉ que :
1. la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que la décision de la SAI soit annulée.
2. aucune question ne soit certifiée.
_ Johanne Gauthier _
Juge
Traduction certifiée conforme
Claude Leclerc, LL.B., trad. a.
ANNEXE A
Clause 196
Portée
La disposition prévoit qu'il sera mis fin à l'affaire portée en appel devant la Section d'appel de l'immigration avant l'entrée en vigueur de la disposition si l'intéressé :
- ne fait pas l'objet d'un sursis au titre de l'ancienne Loi;
- est visé par la restriction du droit d'appel pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux, grande criminalité ou fausses déclarations, sauf si l'étranger en cause est l'époux ou le conjoint de fait du répondant ou son enfant.
Explication
Cette disposition prévoit que, si l'appelant ne peut interjeter appel au titre du projet de loi C-11, il sera mis fin à l'appel commencé au titre de la présente Loi à moins que l'appelant ne fasse l'objet d'un sursis au titre de la présente Loi. Ainsi, les nouvelles règles du projet de loi C-11 relatives à l'irrecevabilité des demandes de certaines personnes interdites de territoire s'appliquent aux appels en instance (Non souligné dans l'original).
L'alinéa 43c) de la Loi d'interprétation est ainsi libellé :
43. L'abrogation, en tout ou en partie, n'a pas pour conséquence : ... c) de porter atteinte aux droits ou avantages acquis, aux obligations contractées ou aux responsabilités encourues sous le régime du texte abrogé; ... |
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43. Where an enactment is repealed in whole or in part, the repeal does not ... (c) affect any right, privilege, obligation or liability acquired, accrued, accruing or incurred under the enactment so repealed, ... |
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : IMM-2228-03
INTITULÉ : LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L'IMMIGRATION
c.
MANDEEP KAUR BHALRHU
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE : LE 9 MARS 2004
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
ET ORDONNANCE : LA JUGE GAUTHIER
DATE DES MOTIFS : LE 9 SEPTEMBRE 2004
COMPARUTIONS :
Negar Hashemi DEMANDEUR
Matina Karvellas
Mendel Green DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Morris Rosenberg DEMANDEUR
Sous-procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
Green & Spiegel DÉFENDERESSE
Toronto (Ontario)
[1] Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Sohal, 2004 CF 660, [2004] A.C.F. no 813 (CF) (QL); Williams c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 662, [2004] A.C.F. no 814 (CF) (QL)
[2] Dans son mémoire, Mme Bhalrhu a également prétendu que lui refuser son droit d'appel à cette étape-ci serait contraire aux principes de la justice naturelle et un tel refus empiète sur les droits garantis par l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, cet argument n'a pas été soulevé durant l'audience et il a été convenu qu'il n'y avait pas lieu de l'examiner à la lumière de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans Medovarski, précitée.
[3] Ce paragraphe ne s'appliquerait pas à l'appel interjeté par Mme Bhalrhu, mais on doit tout de même en tenir compte afin d'interpréter correctement l'article 196 de la Loi.
[4] Le passage pertinent figure à l'annexe A des présents motifs.
[5] Si les appels en matière de parrainage sont visés par l'article 196, il semble que même si l'audience de Mme Bhalrhu a eu lieu en avril 2002, l'appel devrait tout de même être abandonné à moins qu'une décision en disposant n'ait été rendue par la SAI au plus tard le 28 juillet 2002 (voir le paragraphe 14 à la page 8 de la décision rendue par la juge Layden-Stevenson dans Thanh Hoang Tran c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, 2004 CF 744.)
[6] Cette décision figure dans une ordonnance distincte qui a été délivrée le 18 juin 2004, après que les prétentions des parties eurent été examinées.