Date : 19971212
Dossier : T-2249-96
OTTAWA (ONTARIO), LE 12 DÉCEMBRE 1997
EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE JOYAL
AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,
L.R.C. (1985), ch. C-29,
ET un appel interjeté de la décision
d'un juge de la citoyenneté,
ET
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
appelant.
et
YIN WOON LUI,
intimée.
JUGEMENT
Le présent appel interjeté par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration est accueilli, et la décision en date du 15 août 1996 rendue par le juge de la citoyenneté est
annulée.
L. Marcel Joyal
JUGE
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
Date : 19971212
Dossier : T-2249-96
AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,
L.R.C. (1985), ch. C-29,
ET un appel interjeté de la décision
d'un juge de la citoyenneté,
ET
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
appelant.
et
YIN WOON LUI,
intimée.
MOTIFS DU JUGEMENT
LE JUGE JOYAL
[1] Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration interjette appel de la décision, en date du 15 août 1996, par laquelle le juge de la citoyenneté a, en application du paragraphe 5(1) de la Loi sur la citoyenneté, accueilli la demande de citoyenneté présentée par l'intimée.
[2] L'avocat de l'appelant s'appuie sur l'alinéa 5(1)c) de la Loi, qui impose une période de résidence de trois ans au Canada pendant les quatre ans qui ont précédé une demande de citoyenneté. Selon les éléments de preuve, la requérante avait accumulé à peine plus de 100 jours de résidence physique au Canada pendant les quatre ans antérieurs, ce qui lui manque quelque 994 jours. L'avocat laisse entendre que malgré la théorie de la résidence imputée énoncée dans l'affaire Re. Papadogiorakis1, l'intimée n'avait pas en fait satisfait aux conditions ou critères imposés par cette théorie auxquels la jurisprudence se réfère constamment pendant près de 20 ans.
[3] En particulier, soutient l'avocat de l'appelant, le juge de la citoyenneté ne disposait pas de faits importants suffisants pour conclure comme il l'a fait. Voici l'argument invoqué par
l'avocat :
1. Il n'existait aucune preuve expliquant pourquoi l'intimée, étudiante au Babson College au Massachusetts, aurait pu passer si peu de jours avec ses parents entre avril 1992 et décembre 1994. |
2. Le séjour très bref de l'intimée chez ses parents dans les derniers 6 ou 7 jours d'avril 1992, lorsqu'elle est arrivée pour la première fois au Canada, fait fortement douter qu'elle ait en fait établi une résidence canadienne à ce moment-là. |
3. D'autres indices de résidence tels que le permis de conduire, la carte d'assurance sociale, la carte de santé de l'Ontario etc. portent essentiellement une date ultérieure à décembre 1994, lorsque l'intimée a obtenu son diplôme. |
4. Le manque réel de 994 jours sur un nombre possible de 1095 jours est un fait objectif qui sape considérablement toute conclusion que l'intimée, à partir de la date de son établissement au Canada, a adopté des attitudes et valeurs canadiennes. |
5. Le raisonnement du juge de la citoyenneté indique clairement une dérogation aux nombreux indices figurant dans la jurisprudence lorsqu'il s'agit de déterminer l'existence d'une résidence imputée. À cet égard, le jugement du juge Reed dans Affaire intéressant Koo2 donne la liste suivante : |
a) les périodes d'absence et de résidence antérieurement à la date de la demande de citoyenneté; |
b) la résidence de la famille proche ou étendue ou des personnes à charge pendant la période prévue par la loi; |
c) la forme de présence physique dénote un retour à la maison ou simplement une visite; |
d) l'absence du Canada est-elle pour une période fixe mais temporaire? |
e) Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada et les Canadiens? |
[4] Je dois, à regret, souscrire à la position adoptée par l'appelant. Cela ne laisse pas entendre que la cause de l'intimée n'est pas fondée, ni que son potentiel de citoyenne canadienne ne peut être établi. La raison en est simplement que la preuve qui étayerait par ailleurs la décision inférieure n'est pas suffisante à mon point de vue respectueux.
[5] Tout d'abord, il faut tenir compte de la disproportion exceptionnellement élevée des jours d'absence par rapport aux jours de résidence pendant la période en question. Un total de 994 jours d'absence est une proportion de dix à un et, bien qu'en soi cela ne soit pas déterminant, est à l'extrême de la générosité jurisprudentielle.
[6] Certes, il est vrai que l'intimée avait une famille vivant au Canada au cours de ses absences; mais la preuve de ses attaches continues avec sa famille pendant ces années est très insuffisante, ses visites ayant été peu fréquentes et généralement très brèves. La question peut se poser comme suit : où se trouvait l'intimée pendant les vacances d'été et de Noël, et le congé de Pâques? Il existe peut-être quelques explications valables de ses absences, mais aucune de ces explications ne se trouve dans le dossier, et aucune conclusion ferme ne peut être tirée.
[7] Les mêmes observations s'appliquent en l'espèce quant aux autres indices examinés dans les affaires portant sur des questions de résidence, à savoir les permis de conduire, les cartes de santé, les comptes bancaires et autres choses de ce genre, qui, dans les circonstances, ont une valeur probante très faible. En l'espèce, on note également l'absence de preuve objective quant au désir de retourner au Canada pour y vivre et au degré d'immersion dans la société et les institutions canadiennes au cours de la période en cause.
[8] À mon point de vue respectueux, la Cour doit, à l'occasion d'un appel, hésiter à étendre les formules mathématiques au-delà des calculs des jours de résidence et d'absence. S'il faut conclure à l'existence de trois indices sur cinq ou de quatre sur dix, ce n'est pas concluant en soi. Différents poids peuvent être attribués à chaque critère. De plus, les expressions des désirs subjectifs, des souhaits ou des buts doivent toujours être étayées par des éléments plus objectifs pour permettre de tirer des conclusions plus solides.
[9] Compte tenu des facteurs examinés ci-dessus, l'appel devrait
être accueilli, et la décision inférieure annulée.
L. Marcel Joyal
JUGE
OTTAWA (Ontario)
Le 12 décembre 1997
Traduction certifiée conforme
Tan Trinh-viet
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-2249-96 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration c. Yin Woon Lui |
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario) |
DATE DE L'AUDIENCE : Le 24 novembre 1997 |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE JOYAL
EN DATE DU 12 décembre 1997 |
ONT COMPARU :
Leena Jaakkimainen pour l'appelant |
Edward Cheung pour l'intimé |
Peter K. Large amicus curiae |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :
George Thomson |
Sous-procureur général du Canada pour l'appelant |
Edward Cheung pour l'intimé |
Gloucester (Ontario) |
Peter K. Large amicus curiae |
Toronto (Ontario) |