Date : 20001110
Dossier : T-780-00
ENTRE :
LIFESCAN, INC.
et LIFESCAN CANADA LTD.,
demanderesses,
- et -
NOVOPHARM LIMITED,
défenderesse.
LE JUGE LEMIEUX
A. INTRODUCTION
[1] LifeScan, Inc. et LifeScan Canada Ltd., demanderesses dans une action en contrefaçon de brevet et de marque de commerce et en imitation frauduleuse intentée par la voie d'une déclaration déposée le 28 avril 2000, cherchent à obtenir une injonction interlocutoire interdisant à la défenderesse Novopharm Limited (Novopharm) jusqu'au procès :i) d'employer la marque de commerce déposée ONE TOUCH, ou tout autre mot ou combinaison de mots susceptibles de créer de la confusion avec elle :
a) sur l'emballage ou sur les dépliants d'accompagnement de ses bandelettes de glycémie NOVO-GLUCOSE offertes en vente, distribuées, vendues ou utilisées dans la publicité au Canada;
b) de toute manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce ONE TOUCH;
ii) d'appeler l'attention du public sur son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion entre l'entreprise, les marchandises ou les services des demanderesses et ceux de la défenderesse;
iii) de faire passer ses marchandises pour celles des demanderesses;
iv) de menacer de contrefaire et contrefaire la revendication 1 du brevet canadien n º 1 337 682 (le brevet 682);
v) de commercialiser et de vendre ses bandelettes NOVO-GLUCOSE au Canada.
[2] LifeScan, Inc. (LifeScan É.-U.) est une société américaine qui prétend être une filiale à 100 % de Johnson & Johnson. LifeScan É.-U. est titulaire du brevet 682 portant sur une invention désignée « épreuve de dosage sur bandelette de la glycémie dans le sang entier » délivré le 5 décembre 1995. Le brevet 682 concerne généralement une épreuve de dosage sur bandelette de la glycémie dans le sang entier adaptée à un lecteur mesurant la glycémie par la réflectance à deux longueurs d'onde différentes.
[3] LifeScan Canada Ltd. (LifeScan Canada) est une société canadienne présentée comme une filiale à 100 % de LifeScan É.-U. et titulaire d'une licence sur le brevet 682. LifeScan Canada prétend également être, depuis au moins 1992, titulaire d'une licence de Johnson & Johnson sur la marque de commerce déposée ONE TOUCH.
[4] Johnson & Johnson, qui n'est partie ni à l'action des demanderesses ni à la demande d'injonction interlocutoire, est une société américaine qui est le propriétaire inscrit au Canada, depuis le 17 juin 1994, de la marque de commerce ONE TOUCH (numéro d'enregistrement LMC428714) en liaison avec les marchandises suivantes :[TRADUCTION] Bandelettes réactives de test diagnostique in vitro de la glycémie et appareil manuel de test diagnostique de la glycémie utilisés par les personnes diabétiques pour mesurer le taux de glycémie.
B. LES FAITS
i) Le système ONE TOUCH
[5] Il appert que le système de mesure de glycémie ONE TOUCH est formé des composantes suivantes : un lecteur de glycémie (le lecteur manuel) qui lit le taux de glycémie d'un prélèvement sanguin d'une personne sur une bandelette de test insérée par la personne dans le lecteur. Le système ONE TOUCH comprend aussi une substance de contrôle destinée à vérifier que le lecteur manuel mesure correctement le taux de glycémie.
[6] Dans leur demande d'injonction, les demanderesses allèguent que Novopharm, depuis novembre 1999 environ, offre en vente et vend au Canada des bandelettes de test de glycémie, appelées bandelettes de test NOVO GLUCOSE (les bandelettes NOVO GLUCOSE).
[7] Il est acquis que les bandelettes de test NOVO GLUCOSE ne peuvent être utilisées qu'avec le lecteur manuel ONE TOUCH, dont il existe trois types : le BASIC, le ONE TOUCH II et le ONE TOUCH PROFILE. Les bandelettes de test NOVO GLUCOSE ne s'utilisent pas avec les autres types de lecteurs produits ou commercialisés par LifeScan É.-U. sous les marques de commerce « SureStep » et « FastTake » , récemment intégrées au système ONE TOUCH.
[8] La commercialisation des bandelettes de test NOVO GLUCOSE de Novopharm depuis novembre 1999 se fonde sur un Accord de règlement et de licence passé en 1994 découlant d'une action intentée aux États-Unis par LifeScan U.S. contre Diagnostic Solutions, Inc. (DSI), notamment. Cet accord prévoyait que LifeScan É.-U. conférait à DSI, et que DSI l'acceptait, une licence non exclusive pour l'ensemble du monde sur les brevets de LifeScan U.S, autorisant DSI à fabriquer, faire fabriquer, utiliser et vendre certains produits sous licence définis, la concession incluant une licence autorisant quiconque à utiliser les produits sous licence fabriqués par DSI ou à son intention pour la surveillance de la glycémie. DSI convenait de verser à LifeScan É.-U., chaque année civile à compter de 1995, une redevance au titre des brevets de LifeScan É.-U. sur chacun des produits sous licence fabriqués par DSI et destinés à être utilisés dans le lecteur ONE TOUCH. Dans l'Accord de règlement et de licence, les termes [TRADUCTION] « produits sous licence » sont définis comme suit :[TRADUCTION] « Produits sous licence » s'entend des bandelettes de test de surveillance de la glycémie fabriquées par DSI et vendues couramment sous le nom commercial de QUICK CHECK ONE et d'autres marques privées, ayant essentiellement la même configuration, la même dimension, la même forme et la même composition que celles qui sont vendues actuellement et qui font l'objet de la poursuite. Toutes autres bandelettes de test de surveillance de la glycémie, notamment des bandelettes comportant des modifications importantes au produit actuel, réalisées par un procédé de fabrication substantiellement différent, ou produisant des résultats essentiellement différents du produit actuel, ne sont pas des produits sous licence. [Non souligné dans l'original].
[9] DSI a continué de fabriquer ou de faire fabriquer à son intention des bandelettes de test de glycémie qu'elle vend dans un certain nombre de pays dans le monde, notamment en Allemagne , en Autriche, au Canada (à Novopharm) et en France.
[10] Ces bandelettes de test sont placées dans des fioles de plastique et sont distribuées par DSI dans le monde dans de petites boîtes étiquetées avec les mots suivants : [TRADUCTION] « 50 (ou 100) bandelettes de test pour utilisation avec tous les glycomètres ONE TOUCH » , les trois glycomètres ONE TOUCH étant illustrés sur la boîte.
ii) L'emballage des bandelettes NOVO GLUCOSE
[11] Le mode de commercialisation des bandelettes de test NOVO GLUCOSE de Novopharm n'est pas un secret. Ces bandelettes sont commercialisées dans les pharmacies.
[12] Sur un côté de l'emballage portant les couleurs caractéristiques de Novopharm, les fioles de bandelettes NOVO GLUCOSE portent, en grosses lettres, les mots « BANDELETTES NOVO GLUCOSE » et immédiatement au-dessous les mots « 50 (ou 100) bandelettes de test pour utilisation avec tous les GLYCOMÈTRES ONE TOUCH® » , accompagnés de l'illustration des trois glycomètres ONE TOUCH immédiatement sous le texte. L'autre côté de l'emballage porte le chiffre 50 (ou 100) suivi des mots « BANDELETTES DE TEST DE GLYCÉMIE » , puis des mots « Pour mesurer le taux de glycémie dans le sang entier » , puis des mots « Pour utilisation avec tous les glycomètres ONE TOUCH® » , puis des mots « ONE TOUCH® est une marque de commerce déposée de LifeScan, Inc. » , suivis du logo de Novopharm en caractères plus gros et de la désignation Novopharm®, suivie du nom commercial de Novopharm et de son adresse à Toronto.
iii) Le dépliant de l'emballage NOVO GLUCOSE
[13] Chaque boîte de fioles de bandelettes de test NOVO GLUCOSE test (2 ou 4 fioles par boîte) comporte un grand dépliant d'accompagnement imprimé présentant le mode d'emploi des bandelettes de test NOVO GLUCOSE. Le titre du dépliant contient les mots BANDELETTES NOVO GLUCOSE (BANDELETTES POUR ÉPREUVES DE GLYCÉMIE) POUR UTILISATION AVEC TOUS LES GLYCOMÈTRES ONE TOUCH® IMPORTANT : AVANT L'EMPLOI, LIRE ATTENTIVEMENT CE DÉPLIANT. Immédiatement au-dessous figure l'illustration des trois glycomètres ONE TOUCH, suivie du texte suivant :Les bandelettes NOVO GLUCOSE (bandelettes pour épreuves de glycémie) servent à vérifier les changements des taux de glycémie. Les bandelettes peuvent être utilisées avec les glycomètres ONE TOUCH® Basic, ONE TOUCH® II et ONE TOUCH® PROFILE...
[14] Le dépliant exposant le mode d'emploi est rempli de mentions des glycomètres et bandelettes de test ONE TOUCH®. Il fait aussi référence au test de contrôle avec la solution normale de glucose ONE TOUCH® et indique que ONE TOUCH® est la marque de commerce déposée de LifeScan Inc.
iv) Les fioles de bandelettes de test NOVO GLUCOSE
[15] Les fioles contenant les bandelettes de test NOVO GLUCOSE sont elles aussi étiquetés en grosses lettres portant les mots NOVO GLUCOSE STRIPS/BANDELETTES NOVO GLUCOSE et les mots « 25 Test Strips for Use with all ONE TOUCH® Metres/Bandelettes pour utilisation avec tous glycomètres ONE TOUCH®. »
v) La bandelette de test NOVO GLUCOSE
[16] Contrairement à la bandelette de test de LifeScan, la bandelette de test individuelle NOVO GLUCOSE ne reproduit pas la marque ONE TOUCH.
vi) La circulaire publicitaire de Novopharm
[17] En 1999, au moment où Novopharm a lancé la commercialisation de ses nouvelles bandelettes de test NOVO GLUCOSE, elle a envoyé à quelque 6 100 pharmaciens au Canada une circulaire de présentation du produit où le paragraphe en manchette se lisait [TRADUCTION] « VOICI LES BANDELETTES NOVO GLUCOSE, UN ÉQUIVALENT ÉCONOMIQUE DES BANDELETTES DE TEST ONE TOUCH® BASIC Ô, ONE TOUCH® II ET ONE TOUCH® PROFILEÔ. Sous ces mots figurait une photographie de l'emballage et des fioles de bandelettes NOVO GLUCOSE portant en évidence les mots [TRADUCTION] « 50 bandelettes pour épreuves de glycémie pour utilisation avec tous les glycomètres ONE TOUCH® » et une illustration des trois glycomètres ONE TOUCH®.
vii) Les échanges avec Santé Canada
[18] LifeScan et Novopharm ont toutes les deux eu des contacts avec Santé Canada au sujet des bandelettes de test NOVO GLUCOSE. Le 20 septembre 1999, Santé Canada a délivré à Novopharm une homologation d'instrument médical conformément à l'article 36 du Règlement sur les instruments médicaux; l'homologation a été délivrée à Novopharm en qualité de fabricant.
[19] Le 25 février 2000, Santé Canada a soulevé une question auprès de Novopharm, à savoir que les documents de celle-ci n'indiquaient pas clairement si les bandelettes NOVO GLUCOSE servaient aux tests de glycémie dans le plasma et le sérum, ou dans le sang entier. Novopharm a répondu le 6 mars 2000 que ses bandelettes étaient calibrées pour donner des résultats en utilisant le plasma-sérum et a joint les modifications qu'elle apportait au texte du dépliant inséré dans l'emballage.
[20] Avant ces échanges, LifeScan Canada avait, en janvier 2000, écrit à ses pharmacies clientes pour leur signaler que les bandelettes de test NOVO GLUCOSE étaient calibrées pour des résultats sur le sang entier et non pour des résultats sur le plasma-sérum. LifeScan ajoutait dans sa lettre aux pharmaciens :[TRADUCTION] LifeScan ne fabrique pas les bandelettes de test NOVO GLUCOSE. LifeScan Canada Ltd. n'approuve pas les bandelettes de test NOVO GLUCOSE car elle ne contrôle pas les matériaux, les procédés de fabrication ni les procédés de contrôle de la qualité du fabricant. Nous donnons l'assurance et la garantie de la qualité optimale du produit que nous fabriquons, les bandelettes de test originales de marque ONE TOUCH.
[21] Novopharm a répondu par un avis adressé à 8 000 pharmaciens au Canada, déclarant en guise d'introduction au deuxième paragraphe de sa réponse :[TRADUCTION] Comme vous le savez, les bandelettes NOVO GLUCOSE sont un produit équivalent pour utilisation dans tous les glycomètres ONE TOUCH® fabriqués par LifeScan.
[22] Novopharm indiquait que l'affirmation de LifeScan, que les bandelettes NOVO GLUCOSE donnaient des [TRADUCTION] « résultats de test sur le sang entier » , était inexacte, car les bandelettes étaient calibrées pour des résultats obtenus avec le plasma-sérum. Elle affirmait que ses bandelettes étaient fabriquées sous licence de LifeScan Inc. U.S. (sans mentionner spécifiquement DSI) et ajoutait qu'elle ne [TRADUCTION] « s'attendait pas à ce que LifeScan Canada approuve ses bandelettes NOVO GLUCOSE, ce produit concurrençant directement les ventes de bandelettes ONE TOUCH® » . Elle disait que la bandelette équivalente avait subi de nombreux essais indépendants qui révélaient qu'elle produisait des résultats comparables à ceux des bandelettes ONE TOUCH®.
[23] Le 4 avril 2000, Novopharm a reçu une lettre de la Direction des produits thérapeutiques (DPT) de Santé Canada, qui avait pour objet [TRADUCTION] « de vous informer qu'on avait porté à l'attention du Bureau des instruments médicaux que les bandelettes NOVO GLUCOSE (numéro d'homologation 11500) ne répondaient peut-être pas aux exigences en matière de sûreté et d'efficacité du Règlement sur les instruments médicaux. »
[24] Dans cette lettre, Novopharm était priée de fournir des renseignements et des documents établissant la sûreté et l'efficacité des bandelettes NOVO GLUCOSE, notamment :
1) des éléments de preuve établissant le lot - l'homogénéité de lot des bandelettes NOVO GLUCOSE;
2) des éléments de preuve établissant que les tests à l'aide de la solution de contrôle sont mémorisés comme tels par le lecteur dans le cas où les bandelettes NOVO GLUCOSE sont utilisées avec les lecteurs ONE TOUCH;
3) des éléments de preuve que l'utilisation des bandelettes NOVO GLUCOSE avec les lecteurs ONE TOUCH® ne compromet pas la capacité de diagnostiquer et de régler correctement les problèmes potentiels des utilisateurs relatifs aux résultats de la glycémie. On demandait une explication détaillée de la façon dont ces problèmes d'utilisation seraient diagnostiqués et réglés;
4) un sommaire des ventes au Canada et à l'étranger des bandelettes de test NOVO GLUCOSE et un sommaire de l'ensemble des plaintes et descriptions de problèmes reçues du Canada ou de l'étranger par Novopharm au sujet des bandelettes de test NOVO GLUCOSE.
[25] La lettre de la DPT du 4 avril 2000 disait au sujet de l'étiquetage des bandelettes NOVO GLUCOSE :[TRADUCTION]... nous avons trouvé les inexactitudes suivantes et l'omission de renseignements essentiels dans l'étiquetage de l'instrument.
[26] En premier lieu, la lettre de la DPT disait que le titre du dépliant dans l'emballage portait que les bandelettes NOVO GLUCOSE sont « POUR UTILISATION AVEC TOUS LES GLYCOMÈTRES ONE TOUCH » . La DPT disait que l'affirmation devait être retirée étant donné que les bandelettes ont été testées pour un usage avectrois des lecteurs ONE TOUCH seulement, comme l'indique la partie du dépliant traitant du mode d'utilisation. Deuxièmement, la DPT disait que les valeurs prévues pour les adultes non diabétiques étaient inexactes et devaient être revues. Troisièmement, au sujet d'une partie du dépliant du produit qui contenait des comparaisons avec des résultats obtenus en laboratoire, la DPT indiquait qu'elle devait être revue en soulevant encore une fois la question de la calibration en fonction du plasma-sérum ou du sang entier.
[27] La DPT demandait a) de substituer des dépliants d'accompagnement révisés à tous les dépliants des emballages de produits finis en la possession de Novopharm; b) de remplacer tous les dépliants d'accompagnement des bandelettes NOVO GLUCOSE actuellement offertes en vente (au détail) par des dépliants révisés.
[28] La DPT a fait référence à une partie du dépliant du produit qui traitait de l'entreposage et de l'utilisation, qui notait que le bouchon contenait un agent déshydratant (dessicant) alors que le déshydratant était en réalité dans la fiole. Cette mention appelait aussi une modification.
[29] La DPT a conclu sa lettre en disant que les modifications exigées à l'étiquetage des bandelettes NOVO GLUCOSE étaient jugées tomber sous le coup du « changement important » défini dans le Règlement et qu'une demande de modification d'homologation d'instrument médical était prescrite pour ces changements d'étiquetage et pour la continuation des ventes des produits. La DPT avertissait Novopharm qu'elle demandait une réponse avant le 28 avril 2000, à défaut de quoi l'homologation délivrée aux bandelettes NOVO GLUCOSE serait suspendue.
[30] La lettre de la DPT du 4 avril 2000 à Novopharm avait été précédée par une lettre datée du 28 février 2000 du directeur du service à la clientèle de LifeScan Canada à un inspecteur des instruments médicaux de la Direction générale de la protection de la santé (DGPS) de Santé Canada, dont la phrase introductive disait :[TRADUCTION] Le mois dernier, LifeScan a été en contact avec vous au sujet de nos préoccupations communes à l'égard de l'introduction des bandelettes NOVO GLUCOSE de Novopharm Ltd., fabriquées par Diagnostic Solutions Inc. (DSI). Ces bandelettes sans marque ont reçu le numéro d'homologation 11500 et le numéro identificateur d'instrument 187839.
[31] Au paragraphe suivant de la lettre (produite par LifeScan à l'instruction comme pièce jointe à un affidavit déposé en son nom), LifeScan indiquait à l'inspecteur de la DGPS que les bandelettes de test ONE TOUCH® de LifeScan étaient fabriquées comme une composante cruciale d'un système de surveillance de la glycémie qui comportait un lecteur, une solution de contrôle et des bandelettes de test, éléments conçus et fabriqués pour former un système complet. LifeScan a dit que l'introduction de la bandelette de test sans marque NOVO GLUCOSE dans le système remettait en question la qualité globale du système, intégrée aux procédés de fabrication et de contrôle de la qualité.
[32] LifeScan avait soulevé dans la lettre qu'elle avait adressée à l'attention de la DGPS en janvier 2000 la question de la calibration, en ajoutant que [TRADUCTION] « LifeScan est également consciente d'autres préoccupations sérieuses relatives aux bandelettes de test de DSI qui, selon nous, devraient être portées à votre attention. Notre plus grand sujet de préoccupation vise l'exactitude du produit de DSI. Cette bandelette de test sans marque ne présente pas le même degré d'exactitude que le produit ONE TOUCH » . [Non souligné dans l'original]
[33] LifeScan a déclaré avoir procédé à des essais d'exactitude sur les bandelettes de DSI et trouvé de graves difficultés. Elle joignait diverses études, dont un rapport d'étude clinique datant de 1994, une évaluation qu'elle avait réalisée en octobre 1999 et le rapport d'une analyse effectuée par un endocrinologue au début de 2000.
[34] LifeScan soulignait ses préoccupations à l'égard des tests à l'aide de la solution de contrôle, qui n'étaient pas toujours identifiés comme tels dans la mémoire du lecteur. De plus, LifeScan mentionnait des préoccupations en matière d'étiquetage et disait que l'affirmation que portait l'étiquette de Novopharm, « Pour utilisation avec tous les glycomètres ONE TOUCH® » induisait en erreur parce que LifeScan fabriquait et commercialisait deux autres lecteurs, le LifeScan FASTTAKE® et le SURESTEP®, qui portaient la marque de commerce ONE TOUCH. LifeScan a déclaré qu'un client pourrait penser que les bandelettes NOVO GLUCOSE pouvaient s'utiliser avec un lecteur SURESTEP ou FASTTAKE, ce qui est inexact.
[35] Le 27 avril 2000, Novopharm a répondu à la lettre de la DGPS datée du 4 avril 2000. Les observations et la teneur détaillée de la lettre ne figuraient pas au dossier de la défense qui m'a été présenté. Seule la lettre d'accompagnement a été déposée devant la Cour.
[36] Au moment de l'instruction de la demande d'injonction interlocutoire de LifeScan, Novopharm n'avait pas reçu l'autorisation de la DPT à l'égard de la modification de son homologation d'instrument médical.
[37] Cependant, Novopharm a volontairement interrompu la vente de ses bandelettes jusqu'à l'approbation des changements projetés à son emballage et à son dépliant et jusqu'à une réponse positive de la DPT sur la question de la sûreté. L'arrêt temporaire des expéditions signifie que si Novopharm reçoit une commande de bandelettes de la part d'une pharmacie, la pharmacie est avisée que le produit est temporairement en rupture de stock. L'interruption des ventes de Novopharm ne s'est pas appliquée aux bandelettes que les pharmacies avaient en stock, ce qui signifie que les bandelettes de test NOVO GLUCOSE sont actuellement sur le marché dans une certaine mesure. Novopharm a fait savoir à la Cour qu'elle prévoyait recevoir l'autorisation de la DPT dans un avenir rapproché et qu'elle reprendrait alors la vente du produit au Canada.
viii) Les échanges avec les représentants des formulaires provinciaux
[38] Novopharm, dans ses documents d'affidavit relatifs à la présente demande, a déclaré que LifeScan avait eu des échanges avec des représentants d'au moins deux formulaires provinciaux pour empêcher l'inscription des bandelettes NOVO GLUCOSE. Elle a fait mention en particulier d'une lettre datée du 7 mars 2000 adressée au directeur adjoint de la Direction des programmes de médicaments du ministère de la Santé et des Soins de longue durée de l'Ontario, par le directeur des affaires professionnelles et publiques canadiennes de LifeScan. Dans cette lettre, LifeScan Canada faisait état de ses préoccupations sur les questions de qualité et d'exactitude. Elle soulevait aussi des problèmes d'étiquetage similaires à ceux qu'elle avait portés à l'attention de la DGPS. LifeScan Canada y déclarait que les bandelettes n'étaient ni comparables ni substantiellement similaires aux bandelettes de test ONE TOUCH. LifeScan annexait les études transmises précédemment à la DGPS.
[39] Le 17 mars 2000, le fonctionnaire ontarien responsable a adressé à Novopharm une copie de la lettre de LifeScan [TRADUCTION] « exprimant des préoccupations au sujet de l'inscription de votre produit au formulaire » . Il sollicitait une réponse de Novopharm, qu'elle a transmise le 20 avril 2000.
[40] Jusqu'ici, les bandelettes de test NOVO GLUCOSE de Novopharm ont été inscrites aux formulaires de la Colombie-Britannique, du Québec, du Manitoba et de la Saskatchewan. Toutefois, les bandelettes de test NOVO GLUCOSE ont été inscrites sur ces formulaires sans la mention « équivalent moins coûteux » ou « interchangeable » .
ix) La preuve de LifeScan
[41] LifeScan a déposé trois affidavits pour appuyer sa demande d'injonction interlocutoire :
1) l'affidavit de Stephen Mahon, directeur de la commercialisation de LifeScan Canada depuis 1997;
2) l'affidavit de John L. Smith, scientifique à la retraite qui avait été antérieurement employé par LifeScan É.-U.;
3) l'affidavit de Niraj Dawar, professeur agrégé de commercialisation à la Richard Ivey School of Business de l'University of Western Ontario.
a) L'affidavit de M. Mahon
[42] L'affidavit de M. Mahon a été présenté par LifeScan à l'appui des dimensions relatives à la contrefaçon de marque de commerce et d'imitation frauduleuse de sa demande d'injonction. M. Mahon a fourni des renseignements contextuels sur les deux technologies distinctes qui s'appliquent à la lecture des bandelettes de tests de glycémie. Il a expliqué le système ONE TOUCH et la part que détenait LifeScan dans le marché de la lecture photométrique et électrochimique au Canada. Il a exposé que LifeScan Canada offre un centre d'appel d'assistance à la clientèle doté de préposés en direct pour aider les utilisateurs à utiliser correctement les bandelettes de test de glycémie ONE TOUCH et l'ensemble du système ONE TOUCH. Il a indiqué que LifeScan Canada offre aussi une ligne téléphonique en service 24 heures par jour pour l'information des clients.
[43] M. Mahon a ensuite parlé des bandelettes de test NOVO GLUCOSE et de [TRADUCTION] « l'emploi par Novopharm des marques de commerce ONE TOUCH de LifeScan Canada » [non souligné dans l'original]. Il a mentionné l'emballage de Novopharm, le dépliant du produit et la publicité. Il a parlé de la publicité de Novopharm en mentionnant qu'elle induisait en erreur du fait de son emploi des mots [TRADUCTION] « Pour utilisation avec tous les glycomètres ONE TOUCH » et a déclaré que les bandelettes de test NOVO GLUCOSE ne fonctionnaient pas dans les lecteurs ONE TOUCH FASTTAKE et SURESTEP.
[44] M. Mahon a ensuite parlé des défauts des bandelettes NOVO GLUCOSE et fait référence à la lettre de LifeScan Canada de février 2000 adressée à la DGPS. Il a souligné que DSI était le fabricant des bandelettes de test NOVO GLUCOSE et mentionné l'Accord de règlement et de licence, affirmant que les bandelettes de test que fabriquait maintenant DSI n'étaient pas fondamentalement les mêmes que celles produites en 1994 et que l'Accord de règlement amiable et de licence ne s'applique pas aux nouvelles bandelettes de test de DSI. M. Mahon a renvoyé à l'étude de 1994 sur les bandelettes de test de DSI, à l'étude de 1999 ainsi qu'à l'analyse de dispersion de deux lots de bandelettes de test NOVO GLUCOSE faite en février 2000 par LifeScan É.-U., en notant qu'il s'agissait d'une petite étude préliminaire et que [TRADUCTION] « bien qu'elles donnaient de bons résultats, les bandelettes de test NOVO GLUCOSE indiquaient effectivement... des valeurs plus basses que celles de ONE TOUCH. » Il a aussi fait référence aux problèmes relatifs au déshydratant et à la solution de contrôle.
[45] M. Mahon s'est ensuite attaqué aux questions touchant la création de confusion et le préjudice qui s'ensuivait pour LifeScan Canada. Il a dit que les bandelettes de test NOVO GLUCOSE ne fonctionneraient pas toujours correctement avec les trois lecteurs ONE TOUCH, ce qui entraînerait de l'insatisfaction chez les consommateurs à l'égard du système ONE TOUCH. Il a dit qu'en général, lorsqu'un utilisateur fait face à un problème de fonctionnement du système ONE TOUCH, il déduit que le lecteur en est la source et non les bandelettes de test. Le cas échéant, LifeScan Canada règle le problème imputé au fonctionnement du système en envoyant à l'utilisateur un nouveau lecteur ONE TOUCH. Il a ajouté :[TRADUCTION] De plus, s'agissant des bandelettes de test NOVO GLUCOSE, l'utilisateur croira que le problème réside dans le lecteur ONE TOUCH et non dans les bandelettes de test NOVO GLUCOSE, en partie d'ailleurs à cause de l'emploi important de la marque de commerce ONE TOUCH par Novopharm, d'une manière telle qu'elle laisse entendre que les bandelettes de test sont « approuvées » .
[46] M. Mahon a déclaré que [TRADUCTION] « cette insatisfaction et cette confusion chez les utilisateurs les pousseront à abandonner le lecteur ONE TOUCH au profit d'un lecteur électrochimique concurrent » , doté d'une technologie plus nouvelle. Il a affirmé que dans cette situation, [TRADUCTION] « il est peu vraisemblable que l'utilisateur reviendra; la perte sera alors permanente. En outre, il sera impossible de chiffrer les ventes perdues au profit des lecteurs photométriques et électrochimiques concurrents et de chiffrer les ventes perdues de bandelettes de test » . LifeScan Canada avait déjà fait face à ce problème de conversion à une technologie plus nouvelle et il a fait mention d'un rappel en 1998 des lecteurs SURESTEP (faisant appel à la technologie de la photométrie). Après ce rappel, les ventes ont chuté et sont demeurées faibles, entraînant une perte permanente de part de marché.
[47] M. Mahon a ensuite exposé le régime de réglementation, parlant des formulaires, décrivant les divers mécanismes de remboursement des prix, notamment les coûts d'acquisition réels, l'équivalent le moins coûteux, le meilleur prix disponible, l'établissement du coût en fonction du produit de référence, mécanismes qui tendent tous à favoriser la substitution des génériques, quand il sont disponibles. Il a affirmé que si deux produits substantiellement équivalents sont considérés comme interchangeables, les gouvernements provinciaux ne rembourseront que le prix du produit le moins cher, c'est-à-dire l'équivalent le moins coûteux, produit qui est généralement le générique ou le produit sans marque.
[48] Dans son affidavit, M. Mahon a ensuite parlé des [TRADUCTION] « autres préjudices pour LifeScan Canada » . Il s'agissait en l'occurrence :
1) de l'effet sur les ventes de l'inscription, aux programmes provinciaux d'assurance-médicaments, des bandelettes de test NOVO GLUCOSE à titre d'équivalent moins coûteux; il a dit que l'effet de cette mesure sur les ventes de LifeScan Canada serait dévastateur, à court terme. Il a affirmé que même sans la qualité d'équivalent moins coûteux, l'inscription aux formulaires [TRADUCTION] « aurait encore un effet négatif très considérable sur les ventes de LifeScan Canada » , reconnaissant que les bandelettes de test NOVO GLUCOSE étaient commercialisées en Colombie-Britannique depuis quatre mois mais qu'il n'y avait pas encore de données de marché disponibles pour quantifier la variation en pourcentage;
2) il a parlé des recettes très élevées que LifeScan Canada tirait des bandelettes de test et de la marge bénéficiaire de ces ventes;
3) il a parlé des effets préjudiciables pour le personnel et des mises à pied.
[49] M. Mahon, au paragraphe 59 de son affidavit, a résumé le préjudice causé à LifeScan en ces termes :
a) Les erreurs des bandelettes de test NOVO GLUCOSE utilisées avec un lecteur ONE TOUCH pousseront les utilisateurs insatisfaits à abandonner le lecteur ONE TOUCH au profit d'un autre et [TRADUCTION] « à ne pas revenir, selon toute vraisemblance, au système ONE TOUCH » ;
b) La perte des utilisateurs insatisfaits sera permanente et le préjudice subi par LifeScan Canada sera incalculable en ce qui concerne les pertes de ventes tant des bandelettes de test que des lecteurs ONE TOUCH;
c) L'inscription des bandelettes de test [NOVO GLUCOSE] aux formulaires provinciaux et l'attribution à celles-ci de la qualité d'équivalent moins coûteux auront un effet dévastateur sur les ventes des bandelettes de test ONE TOUCH.
[50] À l'audience, LifeScan a tenté de déposer un second affidavit de M. Mahon, soi-disant en contre-preuve. Je ne l'ai pas accepté. Le dépôt de cet affidavit n'était pas envisagé dans l'ordonnance du juge Dawson en date du 15 mai 2000. De plus, je reconnais le bien-fondé de l'argumentation avancée par Novopharm dans son dossier de défense et tout particulièrement le caractère injuste de cet affidavit à son égard.
b) L'affidavit de M. Smith
[51] L'affidavit de M. Smith, qui n'a pas donné lieu à un contre-interrogatoire, visait à comparer le brevet 682 (portant sur les bandelettes de test ONE TOUCH ) et les bandelettes de test NOVO GLUCOSE. M. Smith a conclu que la bandelette de test NOVO GLUCOSE possède chacun des éléments exposés dans la revendication n º 1 du brevet 682 lorsqu'elle est utilisée avec le lecteur ONE TOUCH BASIC.
c) L'affidavit du professeur Dawar
[52] Le professeur Dawar a exposé son opinion et ses conseils au sujet des questions de marques de commerce posées par l'emballage des systèmes de surveillance de la glycémie et des bandelettes prévues dans ces systèmes, vendues au Canada par LifeScan Canada et Novopharm. Il a déclaré que, pour formuler son opinion, il avait examiné la déclaration de LifeScan déposée le 28 avril 2000, l'affidavit de John Smith et l'affidavit de Stephen Mahon et qu'on lui avait demandé de présumer, en vue de son opinion, que les faits exposés dans la déclaration ainsi que dans les affidavits de Smith et Mahon étaient vrais.
[53] Le professeur Dawar a affirmé que le capital associé à la marque de commerce ONE TOUCH subirait un préjudice de trois manières au moins si Novopharm continuait d'employer le nom commercial ONE TOUCH (marque de commerce) en liaison avec ses bandelettes de surveillance de la glycémie :
a) LifeScan perdra des ventes en raison de la confusion créée chez le consommateur au sujet du nom commercial ONE TOUCH, du fait que certains consommateurs achèteront par erreur le produit de Novopharm (la bandelette de test) en pensant qu'ils achètent le produit de LifeScan (la bandelette de test);
b) Le capital marque rattaché au nom commercial ONE TOUCH subira une dilution. Le caractère distinctif ainsi que la possibilité de tirer profit de la marque ONE TOUCH et des éléments auxquels elle est associée seront diminués si le nom est utilisé hors du contrôle du propriétaire de la marque;
c) Si les clients ne sont pas satisfaits du produit de Novopharm, certains passeront à d'autres méthodes diagnostiques disponibles sur le marché, ce qui portera préjudice à la continuité des ventes de LifeScan.
[54] Le professeur Dawar a ensuite expliqué que les marques ont une valeur en raison du rôle qu'elles jouent dans le comportement du consommateur :
1) Comme elles ont des fonctions importantes au cours du processus d'achat du consommateur, les entreprises consacrent beaucoup de temps, d'efforts et d'argent au développement et à l'exploitation de marques distinctives;
2) Les marques réduisent le temps et les efforts que les consommateurs consacrent à la recherche du produit correspondant à leurs besoins – les marques donnent la promesse de remplir le besoin spécifique du consommateur, promesse incorporée dans la marque de commerce;
3) Les marques garantissent une homogénéité de la qualité et réduisent le risque perçu par le consommateur dans le processus d'achat, notamment la possibilité du mauvais fonctionnement du produit et du dommage en résultant, ainsi que la perte de temps et d'argent dans le cas où le produit est défectueux ou inapte à répondre au besoin pour lequel il a été acheté. Les consommateurs atténuent ces risques en se fiant aux marques qu'ils reconnaissent et qui leur inspirent confiance, et ils sont souvent disposés à payer une prime pour elles.
[55] Il a exprimé l'opinion que la marque ONE TOUCH comporte un capital marque. Particulièrement dans le domaine des produits médicaux, les consommateurs accordent de la valeur et font confiance à des marques à risque faible, de qualité homogène et d'identification facile.
[56] Le professeur Dawar a ensuite abordé la question des ventes perdues en raison de la confusion. Il a déclaré que l'affichage bien en vue du nom commercial ONE TOUCH sur l'emballage du produit NOVO GLUCOSE allait pousser certains consommateurs à acheter par erreur les bandelettes de test NOVO GLUCOSE alors qu'ils veulent acheter les bandelettes de test de LifeScan. Selon lui, cette confusion privait LifeScan de ventes, mais le montant de ventes perdu en raison de la confusion créée chez le consommateur ne pouvait être estimé à partir des données actuelles disponibles. Il a dit que si la confusion persistait, le montant des ventes perdues dans l'avenir en raison de la confusion ne pourrait pas être précisément chiffré.
[57] Puis, le professeur Dawar a traité la question de l'atteinte au capital marque en raison de la dilution de la marque. Il a dit que la marque ONE TOUCH avait acquis un capital important chez les consommateurs, ce que reflétaient le chiffre de ventes et la part de marché toujours élevés des bandelettes de test ONE TOUCH. Il a déclaré que la marque ONE TOUCH entraîne la confiance, simplifie l'achat pour les consommateurs et réduit le risque d'achat perçu par eux, toutes ces qualités pouvant, en théorie, rejaillir sur d'autres produits que pourrait vouloir vendre LifeScan dans l'avenir. Il a dit que l'usage non autorisé du nom commercial ONE TOUCH par des tiers, hors du contrôle de LifeScan, diluera la marque et sa liaison avec les produits de deux façons : premièrement, l'usage non autorisé du nom commercial entraîne la perte du caractère distinctif, le nom n'étant plus exclusivement associé aux produits de LifeScan, mais à Novopharm; et deuxièmement, LifeScan n'exerce aucun contrôle sur les associations avec la marque et sur la qualité du produit de ces autres fabricants. Il a déclaré que LifeScan subirait des répercussions négatives si les consommateurs attribuent les problèmes de qualité des bandelettes de test NOVO GLUCOSE à la marque ONE TOUCH. Il a ajouté que ces considérations diminuent le capital marque de ONE TOUCH et la possibilité pour LifeScan de tirer profit de ce capital dans l'avenir, par exemple à l'occasion du lancement de nouveaux produits sous la même marque. Il a dit que le préjudice causé au capital marque n'était pas quantifiable sur la base des données qu'il avait examinées et que si ces circonstances se maintenaient, le préjudice au capital marque ne pourrait être précisément quantifié.
[58] Enfin, le professeur Dawar a parlé des ventes qui seraient perdues en raison du passage à des équivalents. Il a dit qu'en supposant que les bandelettes de test NOVO GLUCOSE sont effectivement d'une qualité inférieure à celles de LifeScan, certains clients ne rachèteront pas les bandelettes de test ONE TOUCH, préférant plutôt acheter d'autres bandelettes de test et des systèmes plus nouveaux de surveillance de la glycémie. Il a affirmé que LifeScan perdrait des ventes auprès de certains consommateurs sans faute de sa part et que le préjudice lié à la perte de fidélité n'était pas estimable sur la base des données qu'il avait examinées. Selon lui, si ces circonstances se maintenaient, le préjudice dû à la conversion aux autres marques dans l'avenir ne pourrait être quantifié précisément.
[59] Il a finalement conclu en ces termes : [TRADUCTION] « J'estime que LifeScan subira un préjudice grave et irréparable du fait de l'emploi par Novopharm du nom commercial ONE TOUCH. Le préjudice causé par l'emploi du nom commercial ONE TOUCH est et sera impossible à chiffrer, parce qu'il comporte une atteinte à la réputation et au capital marque. Le préjudice causé serait très difficile, voire impossible, à réparer. »
x) La preuve par affidavit de Novopharm
[60] En réponse à la preuve par affidavit de LifeScan, Novopharm a déposé 10 affidavits. Pour les besoins des présents motifs, je ne me référerai qu'à quelques-uns de ces affidavits.
a) L'affidavit de Laura Furdas
[61] Laura Furdas est une pharmacienne de Toronto qui, en 1992, est entrée à la Court Pharmacy du Centenary Health Centre. Cette pharmacie, qui compte six pharmaciens et neuf techniciens, est l'un des rares établissements qui se consacrent à répondre aux besoins des patients diabétiques du Toronto métropolitain. Elle a décrit les conseils dispensés aux patients diabétiques pour le choix d'un lecteur de glycémie et la formation qu'ils reçoivent sur le mode d'emploi du lecteur, notamment sur l'emploi de la solution de contrôle, sur la vérification des bandelettes de test et sur le diagnostic des défaillances. Elle a identifié divers facteurs à considérer dans le choix d'un lecteur et indiqué que les patients qui s'adressent à sa pharmacie ont déjà consulté un médecin ou un formateur en matière de diabète et ont déjà été conseillés sur le choix du lecteur à acheter.
[62] Mme Furdas a reconnu que la Court Pharmacy répond aux questions de patients sur les résultats des tests de glycémie environ deux ou trois fois par semaine et que la grande majorité des problèmes signalés quant à l'exactitude des résultats du lecteur proviennent d'une erreur du patient, par exemple de l'application incorrecte du sang sur la bandelette ou de l'insertion incorrecte de la bandelette dans le lecteur. Elle e exposé les différents niveaux d'information qu'un formateur en matière de diabète ou un pharmacien traitera pour régler le problème : examen de la technique du patient, de la façon dont le patient a effectué le test, vérification de la solution de contrôle, entreposage incorrect des bandelettes ou leur usage passé la date de péremption et, si l'on n'arrive pas à trouver l'erreur, contact avec le fabricant ou le représentant commercial.
[63] Mme Furdas a exprimé son avis sur le changement de lecteurs. Selon elle, ce changement demande de la formation sur l'usage du nouveau lecteur et du temps pour que le patient se familiarise avec toutes les nouvelles caractéristiques de l'instrument. Elle a dit que si le patient prétend que son lecteur ne fonctionne pas correctement, les formateurs vérifient le lecteur et, si celui-ci est défectueux, informent le patient que toutes les sociétés qui vendent des lecteurs, dont LifeScan, remplacent sans frais les lecteurs défectueux. Elle a déclaré que la première raison qui pousse les patients à passer d'un lecteur à l'autre est de profiter des caractéristiques différentes d'un lecteur plus nouveau. Elle estimait que peu de patients passent du lecteur qu'ils utilisent à une marque différente en raison d'un défaut ou d'un problème semblable. Elle a fait mention du rappel du lecteur SURESTEP en 1988, en disant que les patients s'étaient prévalus de la possibilité d'échanger gratuitement leur lecteur et n'étaient pas passés à d'autres lecteurs.
[64] Mme Furdas a ensuite parlé de l'achat des bandelettes de test. Elle a dit qu'à la Court Pharmacy, les bandelettes de test sont gardées dans l'officine pour faciliter l'échange avec le patient qui consulte et pour regrouper tous les produits pour le diabète en un même endroit dans l'établissement. Elle a déclaré qu'une partie importante de ses fonctions comme pharmacienne était de rencontrer les patients. Elle a dit que la majorité des patients qui achètent des bandelettes de test disent simplement [TRADUCTION] « J'ai besoin de bandelettes » . On vérifie au système informatique de la pharmacie la marque de bandelettes dont ils ont besoin. Elle a dit que la Court Pharmacy ne vendait pas les bandelettes NOVO GLUCOSE, car elle avait été avisée par LifeScan que ces bandelettes reposaient sur une vieille technologie qui ne donnait pas les mêmes résultats que les bandelettes de test ONE TOUCH. Elle a déclaré qu'elle n'avait pas entendu parler de patients qui avaient éprouvé des difficultés avec les bandelettes NOVO GLUCOSE mais que si un patient venait se plaindre de son lecteur, l'utilisation de la solution de contrôle et la vérification des bandelettes permettait à la Court Pharmacy de déterminer si le problème se situait au niveau du lecteur ou des bandelettes de test, procédés décrits dans le manuel de l'utilisateur. Elle a indiqué que les lecteurs actuellement sur le marché étaient très fiables et qu'il y avait très peu de problèmes causés par une défectuosité du lecteur en regard de ceux qui relevaient d'une erreur du patient et elle a répété qu'on apprend aux patients à utiliser les bandelettes de contrôle une fois par semaine. Elle a fait référence au dépliant de l'emballage de NOVO GLUCOSE qui demande aux patients de vérifier que les bandelettes NOVO GLUCOSE fonctionnent correctement dans leurs lecteurs ONE TOUCH.
[65] Mme Furdas a fait des observations sur une boîte de bandelettes NOVO GLUCOSE où Novopharm est identifiée comme fabricant. Elle a dit que la grande majorité des pharmaciens au Canada sont au courant que Novopharm fabrique des produits génériques et ne seraient pas induits à penser que ce produit était agréé ou approuvé par LifeScan. Elle a souligné un certain nombre d'autres raisons, dont la couleur différente de l'emballage et de la présentation; la différence dans la présentation des fioles; l'apparence différente des bandelettes; la procédure de consultation lors de la vente des bandelettes et les pratiques des fabricants pour indiquer sur l'emballage les usages de leurs produits avec ceux d'autres produits.
b) L'affidavit de John Liefeld
[66] John Liefeld est professeur au Department of Consumer Studies de l'University of Guelph. Il a été appelé à examiner les affidavits du professeur Dawar et de MM. Stephen Mahon et John L. Smith ainsi que la déclaration. Il a également examiné l'affidavit de Mme Laura Furdas. Il a déclaré qu'aucun élément de preuve n'établissait que des acheteurs de bandelettes NOVO GLUCOSE avaient cru par erreur qu'ils achetaient des bandelettes de test ONE TOUCH. Il a dit qu'à la lumière de son expérience dans la mesure de la confusion créée chez les consommateurs par divers types de produits, il considérait peu vraisemblable qu'un nombre important d'acheteurs de bandelettes NOVO GLUCOSE les confondent par erreur avec les bandelettes de test ONE TOUCH. Il a ajouté que la confusion des clients au sujet de l'origine des bandelettes NOVO GLUCOSE est une condition nécessaire pour qu'il existe une dilution de la marque, soit par perte du caractère distinctif, soit par ternissement. Pour que la marque soit ternie, a-t-il dit, il est nécessaire également que l'acheteur perçoive les bandelettes NOVO GLUCOSE comme inférieures aux bandelettes de test ONE TOUCH, tout en croyant erronément qu'elles sont le même produit en provenance de la même source. Il a dit que la confusion du consommateur étant très invraisemblable, la perte du caractère distinctif de la marque l'était également. Il a ajouté que le ternissement de la marque est encore plus invraisemblable parce qu'il exige à la fois la confusion et la perception d'une infériorité. Il a conclu qu'au terme de trente-cinq années d'expérience en études du comportement et de l'information des consommateurs, il considérait peu vraisemblable qu'un consommateur croie que les bandelettes NOVO GLUCOSE étaient approuvées ou agréées par LifeScan en raison de la mention « Pour utilisation avec tous les glycomètres ONE TOUCH® » .
[67] Le professeur Liefeld a ensuite fait des observations sur l'affidavit du professeur Dawar. Il a critiqué plus d'une vingtaine d'affirmations catégoriques de celui-ci au sujet de la confusion chez le consommateur, de la dilution par perte du caractère distinctif, de la dilution par ternissement, toutes affirmations sur lesquelles reposaient ses conclusions quant aux effets de ces mécanismes sur LifeScan. S'agissant du capital marque, il déclare que les observations du professeur Dawar sont des généralités qui s'appliquent à la pratique des marques de toute catégorie de produits et il soutient que le professeur Dawar n'a fourni aucune preuve établissant que les consommateurs percevaient la marque ONE TOUCH comme digne de confiance, à faible risque et signe d'une qualité homogène. Le professeur Liefeld a ensuite commenté l'affirmation du professeur Dawar que la présence bien en évidence de la marque ONE TOUCH sur l'emballage des bandelettes NOVO GLUCOSE conduirait des consommateurs à acheter par erreur des bandelettes NOVO GLUCOSE alors qu'ils voulaient acheter des bandelettes ONE TOUCH. Il ne souscrit pas à l'affirmation pour les raisons suivantes :
1) Les bandelettes NOVO GLUCOSE sont manifestement bien en évidence et étiquetées comme bandelettes NOVO GLUCOSE, en gros caractères verts, et l'inscription ONE TOUCH® figure sur l'emballage en caractères plus petits qui ne sont pas en évidence par rapport au nom du produit.
2) La marque de commerce ONE TOUCH figure dans un membre de phrase sur l'emballage et un membre de phrase sur les fioles qui informent explicitement les clients que le produit n'est utilisable qu'avec les lecteurs ONE TOUCH. Il déclare que le symbole ® est présent de manière claire pour indiquer que ONE TOUCH est une marque de commerce déposée. Il affirme que les clients devraient ne pas tenir compte de la formulation explicite de ce membre de phrase pour croire que le produit correspond aux bandelettes ONE TOUCH.
[68] Le professeur Liefeld est ensuite passé à l'affidavit de Mme Furdas en indiquant que les patients diabétiques sont très bien informés sur leur maladie et s'intéressent aux nouveaux développements de la technologie, comme les produits et traitements nouveaux. Il a ajouté que lorsque les consommateurs sont fortement intéressés, ils sont plus enclins à prendre des décisions mûrement réfléchies, ce qui constitue un motif supplémentaire de penser qu'il est peu vraisemblable que ces clients très intéressés achètent erronément une marque en la prenant pour une autre.
c) L'affidavit de Gary Krantz
[69] Gary Krantz est le président de DSI depuis novembre 1996, où il occupait auparavant le poste de vice-président exécutif.
[70] Il a confirmé que DSI est un fabricant de bandelettes de test et en fait la commercialisation à la fois aux États-Unis et à l'étranger. Il a déclaré que DSI a obtenu, le 19 novembre 1992, de la Food and Drug Administration des États-Unis l'approbation de ces bandelettes, après en avoir établi l'efficacité clinique et démontré qu'elles étaient des produits substantiellement équivalents à un procédé existant (substantiellement équivalents aux bandelettes de test ONE TOUCH). Il déclare que les bandelettes de test de DSI sont conçues pour être utilisées avec les lecteurs de glycémie offerts couramment par LifeScan et Bayer.
[71] M. Krantz a confirmé que DSI avait continué de fabriquer des bandelettes de test depuis 1993 et qu'elles sont vendues dans un certain nombre de pays, dont le Canada, sous la marque de commerce NOVO GLUCOSE depuis novembre 1999. Il indique que depuis 1997, les mêmes bandelettes de test de glycémie sont vendues dans tous les pays et sont fabriquées aux mêmes installations de production et selon les mêmes spécifications. Il souligne que l'emballage des bandelettes de test de DSI, dans certains pays, porte les mots [TRADUCTION] « 50 bandelettes de test « UNI-CHECK » pour le diagnostic in vitro de la glycémie, pour utilisation avec les glycomètres ONE TOUCH® » . Il déclare que l'emballage des bandelettes de test de DSI vendues dans tous les autres pays porte la mention des glycomètres ONE TOUCH.
[72] M. Krantz, au paragraphe 19 de son affidavit, a déclaré que depuis 1995, DSI a vendu plus de 72 millions de bandelettes de test de glycémie UNI-CHECK dans le monde. Il a témoigné ensuite :
[TRADUCTION] Je ne sache pas qu'il y ait eu des plaintes d'aucun distributeur ou d'aucun client de quelque pays que l'emballage des bandelettes de test de DSI ait pu causer de la confusion sur le marché ou induit les clients à croire erronément que les bandelettes de test de DSI avaient été approuvées par LifeScan.
De plus, le matériel publicitaire de DSI et de son distributeur, y compris son site Web, fait toujours mention de la compatibilité des bandelettes de test de DSI avec le produit de LifeScan ou de Bayer. DSI n'a reçu aucune plainte au sujet de la mention de LifeScan, de Bayer ou de leurs lecteurs respectifs de glycémie dans son matériel publicitaire.
LifeScan ne m'a jamais informé d'une quelconque préoccupation à l'égard de l'emploi de la marque de commerce ONE TOUCH au Canada (ou dans un autre pays) avant le début du présent procès.
[73] M. Krantz a alors fait référence à l'Accord de licence issu du règlement de 1994 et affirmé que les bandelettes de test qui ont été vendues par Novopharm ont les mêmes substances actives que celles visées par l'Accord de licence et pour le reste, sont substantiellement de la même configuration, dimension, forme et composition. Il a renvoyé en particulier au paragraphe 5.1 de l'Accord de licence (précité) au sujet de la mention [TRADUCTION] « Pour utilisation dans les glycomètres de marque ONE TOUCH® de LifeScan » . M. Krantz a déclaré que, comme LifeScan connaissait la date où avait été passé l'accord de licence, la seule façon de vendre les bandelettes de test de DSI utilisables dans les lecteurs ONE TOUCH® de LifeScan est d'indiquer sur l'emballage des bandelettes de test de DSI qu'elles sont utilisables avec les lecteurs ONE TOUCH de LifeScan. Autrement, selon M. Krantz, les bandelettes de test de DSI ne pourraient être mises en marché comme le prévoyait l'accord. M. Krantz a ensuite exposé dans plusieurs paragraphes de son affidavit pourquoi les bandelettes de test de DSI sont fiables et précises, indiquant que DSI et des laboratoires indépendants ont mené diverses études sur les bandelettes de test de DSI et que toutes ces études ont confirmé l'exactitude et la fiabilité des bandelettes de DSI et leur compatibilité avec les lecteurs ONE TOUCH®. Il a annexé un résumé de neuf de ces études.
[74] M. Krantz a déclaré que DSI avait aussi fait une étude sur des lots spécifiques de bandelettes de test NOVO GLUCOSE en milieu clinique afin de déterminer la corrélation entre les bandelettes de test NOVO GLUCOSE et un échantillon de plasma en laboratoire. Il a affirmé que l'étude faite en 2000 confirmait tous les résultats cliniques, ce qui indiquait l'excellence du rendement des bandelettes de test NOVO GLUCOSE. Il a dit que DSI avait effectué [TRADUCTION] « une analyse de variation des lots individuels de bandelettes de test NOVO GLUCOSE qui révèle que la variation des lots individuels était minime » .
[75] M. Krantz a ensuite traité de l'affidavit de M. Mahon et en particulier des cinq études qui y étaient annexées. Pour diverses raisons exposées dans son affidavit, M. Krantz a conclu que les études auxquelles M. Mahon faisait allusion n'étaient pas pertinentes. Par exemple, il a dit que l'étude de 1994 sur les bandelettes de test de DSI n'était pas pertinente parce que les normes de contrôle de la qualité appliquées à l'époque étaient moins rigoureuses que les normes plus strictes qui s'appliquent aujourd'hui et que l'étude avait été faite sur le lecteur ONE TOUCH original qui avait été retiré du marché canadien et que LifeScan avait cessé de fabriquer parce qu'il n'atteignait pas l'exactitude des modèles courants. Il a indiqué que LifeScan avait présenté cette étude dans le cadre de la poursuite contre LifeScan É.-U., pour démontrer que les bandelettes ne donnaient pas d'aussi bons résultats. Il a noté que le juge fédéral de États-Unis qui avait présidé au procès avait statué à l'encontre de la prétention de LifeScan, déclarant [TRADUCTION] « ... en réalité, la preuve présentée à la Cour jusqu'ici établit que le produit de la défenderesse (le produit de DSI) est comparable au produit de la demanderesse (le produit de LifeScan)... » .
[76] M. Krantz a ensuite traité des problèmes allégués au sujet du déshydratant et de la solution de contrôle. Il a retenu l'affirmation de M. Mahon qui avait affirmé [TRADUCTION] « lorsqu'un utilisateur fait face à un problème avec le fonctionnement du système ONE TOUCH, il déduit que le lecteur en est la source et non les bandelettes de test » . M. Krantz a déclaré que chaque lecteur ONE TOUCH est accompagné d'une [TRADUCTION] « bandelette de contrôle » et que le patient diabétique reçoit l'instruction d'utiliser la [TRADUCTION] « bandelette de contrôle » pour vérifier le bon fonctionnement du lecteur. Il ajoute que le manuel de l'utilisateur accompagnant le lecteur ONE TOUCH BASIC de LifeScan au Canada informe l'utilisateur qu'il y a des façons de vérifier le bon fonctionnement du lecteur.
ANALYSE
a) Les principes
[77] Dans l'affaire Center Ice Ltd. c. Ligue nationale de hockey et al., 53 C.P.R. (3d) 34, la Cour d'appel fédérale, dans une action en contrefaçon de marque de commerce, a accueilli un appel à l'encontre d'une injonction interlocutoire accordée jusqu'au procès, au motif que le préjudice irréparable, c'est-à-dire le préjudice qui ne pourrait pas être indemnisé équitablement par des dommages-intérêts, n'avait pas été démontré par la preuve.
[78] Dans cette affaire, le juge Heald a établi les principes suivants :
a) La preuve du préjudice irréparable doit être claire et ne pas tenir de la conjecture; la preuve doit établir clairement qu'un préjudice irréparable en résulterait;
b) La conclusion du juge de première instance suivant laquelle le requérant subirait probablement un préjudice irréparable est insuffisante pour justifier le prononcé d'une injonction interlocutoire. Il est nécessaire que la preuve permette de conclure que le requérant subirait un préjudice irréparable;
c) Une conclusion de confusion entre des produits concurrents n'entraîne pas nécessairement une perte d'achalandage pour laquelle la demanderesse ne pourrait être indemnisée par des dommages-intérêts. Le juge a cité, en y souscrivant, la décision de la Cour d'appel de l'Alberta dans l'arrêt Good Neighbor Fast Food Stores Ltd. v. Petro-Canada Inc. (1987), 18 C.P.R. (3d) 148, où la confusion alléguée portait sur des noms dans l'esprit de personnes raisonnables, genre de confusion qui mène à une perte d'achalandage liée au « nom » . Normalement cette perte constitue un type de préjudice qui, lorsqu'il a été subi par une entreprise commerciale dans le cours normal de ses affaires, est assez facilement calculable, et pour lequel on peut être équitablement indemnisé par des dommages-intérêts;
d) La confusion ne donne pas, en soi, lieu à une perte d'achalandage, et une perte d'achalandage n'établit pas, en soi, que quelqu'un a subi un préjudice irréparable qui ne peut pas d'être indemnisé par des dommages-intérêts. La perte d'achalandage et le préjudice irréparable qui en découle ne peuvent être inférés; ils doivent être établis par des éléments de preuve clairs.
[79] Dans l'affaire Centre Ice, précitée, le juge Heald a déclaré qu'il ne pouvait conclure à l'existence d'une perte d'achalandage parce que l'intimée n'avait pas présenté d'éléments de preuve pour démontrer qu'elle avait perdu une seule vente et la preuve qu'elle avait acquis une réputation d'honnêteté, d'intégrité et de justice n'établissait pas que cette réputation avait été compromise ou diminuée de quelque façon que ce soit en raison des agissements des appelantes. Bien que le dossier contienne certains éléments de preuve tendant à établir qu'il y avait eu confusion, le juge a statué qu'il n'y avait pas d'élément de preuve spécifique qui démontrait que cette confusion avait amené un seul consommateur à arrêter de faire affaire avec l'intimée ou même à envisager de ne pas faire affaire avec l'intimée à l'avenir.
[80] Le juge Heald a renvoyé à la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Nature Co. c. SCI-Tech Educational Inc. (1992), 41 C.P.R. (3d) 359 où il a été jugé que, malgré le fait que certains éléments de preuve tendaient à démontrer l'existence d'une véritable confusion, ces éléments de preuve ne permettaient cependant pas de conclure que la confusion causerait un préjudice irréparable à l'intimée, la précarité de cet élément de preuve portant un coup fatal à la prétention relative au préjudice irréparable.
[81] Je m'appuie également sur le jugement de la Cour d'appel fédérale dans Eli Lilly and Co. et al. c. Apotex Inc. et al. (1996), 69 C.P.R. (3d) 455, action en imitation frauduleuse où la titulaire du brevet (Lilly U.S.) et sa licenciée (Lilly Canada) cherchaient à obtenir une injonction interlocutoire jusqu'au procès interdisant à Novopharm et al. d'introduire sur le marché canadien des gélules ayant un aspect similaire quant à la forme, à la taille et à la couleur à celles qu'utilisaient les sociétés Lilly pour leurs gélules vendues sous le nom de marque Prozac et pour lesquelles elles avaient accordé à un fabricant de médicaments génériques, Pharmascience Inc. (Pharmascience), une sous-licence en vue de la commercialisation du chlorhydrate de fluoxétine comme médicament générique. La Cour a noté qu'avant la signature du contrat de licence de marque, Lilly et Pharmascience avaient conclu un accord de mise en marché et de distribution dont le contenu n'était pas connu puisque cet accord n'avait pas été déposé en preuve.
[82] Le juge Décary a déclaré qu'il était bien établi en droit à la Cour fédérale que le demandeur qui cherche à obtenir une injonction interlocutoire doit établir au moyen de preuves claires qu'il, par opposition à une autre personne ou partie, subira un préjudice irréparable. Il a ajouté qu'il n'est pas facile de s'acquitter de ce fardeau car l'injonction interlocutoire est une réparation extraordinaire qui ne sera accordée que si le requérant convainc la Cour, entre autres, que l'attribution de dommages-intérêts selon la common law ne constituerait pas une réparation suffisante si la Cour refuse d'accorder l'injonction.
[83] Le juge Décary a noté que la conclusion du juge des requêtes n'était pas fondée sur la constatation que les intimées subiraient une perte directe. Le juge des requêtes avait essentiellement conclu que la perte irréparable serait subie par Pharmascience et serait transmise aux intimées. Il a écrit à la page 457 :
En admettant qu'il ait eu raison de conclure que la perte de Pharmascience était incalculable, d'où le préjudice irréparable, le problème réside dans le fait que sa constatation que cette perte serait transmise aux intimées n'était pas étayée par une preuve suffisante.
Pharmascience n'est pas une partie demanderesse. Elle n'est même pas partie à l'instance. La perte qu'elle subit est donc sans importance, à moins qu'elle ne se répercute directement sur les intimées elles-mêmes. Faute de preuves claires établissant que la perte subie par le porteur de la sous-licence serait essuyée par les intimées, la Cour ne peut pas conclure que celles-ci subiront un préjudice irréparable.
[84] Le juge Décary a refusé la preuve par affidavit déposée par le directeur de l'unité des affaires relatives aux médicaments génériques de Lilly Canada portant que [TRADUCTION] « les ventes de Pharmascience profitent à ma firme » et il a rejeté la conclusion du juge des requêtes qui, sur le fondement de cette preuve, avait été convaincu, selon la probabilité la plus forte, que le contrat passé entre les demanderesses et Pharmascience était tel que le volume des ventes de Pharmascience aurait une incidence financière sur les demanderesses. Le juge Décary a écarté cette preuve dans les termes suivants, à la page 458 : Selon nous, une déclaration à ce point vague et intéressée faite par un représentant des intimées ne saurait à elle seule permettre aux intimées de s'acquitter du fardeau de présentation de la preuve qui leur incombe à cet égard. Les intimées doivent prouver que la perte serait la leur et qu'elle serait irréparable aussi bien pour elles que pour Pharmascience. Il appartenait aux intimées de dissiper le mystère entourant la nature véritable de leurs liens avec Pharmascience et, partant, de fournir au moins quelques précisions sur le contrat passé avec le porteur de la sous-licence. Elles s'en sont abstenues. Selon nous, la seule conclusion raisonnable que cette abstention permet de tirer est que la communication de ces renseignements aurait desservi leur cause.
[85] Je me fonde également sur la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Cutter Ltd. c. Baxter Travenol Laboratories of Canada et al. (1980), 47 C.P.R. (2d) 53, accueillant l'appel, dans une action en contrefaçon de brevet, interjeté contre l'injonction interlocutoire accordée à la titulaire du brevet, Baxter Travenol Laboratories, interdisant à Cutter Ltd. de commercialiser un système de manutention du sang auprès de la Société canadienne de la Croix-Rouge.
[86] S'exprimant au nom de la Cour, le juge en chef Thurlow a déclaré, à la page 55 : Il est rare que dans une action en contrefaçon de brevet, la Cour de céans décerne une injonction interlocutoire. Dans la plupart des cas, une requête en injonction interlocutoire introduite dans le cours d'une action en contrefaçon de brevet ou en contestation de validité, a pour effet d'amener le défendeur à s'engager à tenir une comptabilité à la satisfaction du demandeur, ce qui entraîne le rejet de la requête avec dépens réservés.... À mon avis, cet usage tient surtout à ce que dans la plupart des cas, la nature de la propriété industrielle en cause est telle que des dommages-intérêts (à condition que ceux-ci soient évalués de manière raisonnablement exacte) constituent une réparation adéquate de la violation de cette propriété, qui pourrait se produire pendant le procès. Il s'explique par le fait que si l'on considère la balance des inconvénients, et si le défendeur s'engage à tenir une comptabilité et qu'il n'y ait aucune raison de penser qu'il ne sera pas en mesure de payer les dommages-intérêts alloués, l'on doit pencher pour le rejet de la requête en injonction. Il ne faut jamais oublier que l'interdiction faite au défendeur, durant une période susceptible de se prolonger pendant des années, de faire ce que, n'eût été l'injonction, il aurait le droit de faire s'il avait gain de cause, pourrait avoir pour lui des effets tout aussi graves que le préjudice causé au breveté, par suite de la contrefaçon, si le défendeur devait succomber.
[87] Dans l'affaire Cutter Ltd., précitée, le juge en chef Thurlow est parvenu à la conclusion que les preuves produites ne justifiaient pas la conclusion selon laquelle les intimées subiront un préjudice irréparable. Il a conclu que, dans la mesure où le préjudice tient aux ventes que l'appelante peut réaliser, il doit y avoir des informations grâce auxquelles il est possible de calculer, avec suffisamment d'exactitude, les pertes effectivement subies par les intimées. Pour ce qui est des effets indirects, et en particulier des effets sur la vente des autres produits des intimées à leurs clients canadiens, il était d'avis que le témoignage présenté était, au mieux, conjectural.
[88] Le juge en chef, à supposer l'existence d'un préjudice irréparable, a pris en considération le préjudice de même nature qui serait causé à Cutter par l'interdiction : il a statué que la prépondérance des inconvénients était favorable à Cutter.
b) Application à l'espèce
i) Absence de question sérieuse à trancher
[89] Novopharm a d'abord soutenu que LifeScan Canada n'avait pas qualité pour intenter une action en contrefaçon de marque de commerce puisque la Loi sur les marques de commerce prévoit que seul le propriétaire inscrit de la marque de commerce peut engager une action. Novopharm a aussi fait valoir que LifeScan Canada ne pouvait engager une action en imitation frauduleuse parce que le propriétaire de la marque de commerce, Johnson & Johnson, n'était pas partie à l'instance et que LifeScan Canada ne remplissait pas les conditions prévues à l'article 50 de la Loi.
[90] Novopharm a ensuite prétendu que LifeScan n'avait pas établi de question sérieuse à trancher pour les raisons suivantes :
a) la licence accordée à DSI par LifeScan É.-U. conférait à DSI le droit de vendre des bandelettes de test compatibles avec les lecteurs ONE TOUCH et LifeScan n'avait produit aucun élément de preuve établissant que les bandelettes de test ne sont pas des produits sous licence visés par la licence;
b) LifeScan n'a pas démontré l'existence d'une licence de marque de commerce accordée par Johnson & Johnson et n'a produit aucune licence de cette nature;
c) LifeScan n'a pas fait la preuve de la confusion, ce qui soulevait plusieurs points, notamment 1) la crédibilité du professeur Dawar; 2) le mode de commercialisation des bandelettes de test au Canada dans les pharmacies; 3) les différences dans les emballages de Novopharm et de LifeScan; 4) l'absence de plaintes relatives à la confusion.
[91] Je ne suis pas disposé à refuser à LifeScan la qualité pour agir sur la question de la marque de commerce, ce qui, de toute façon, ne trancherait pas la question du brevet. Le recours de Novopharm au paragraphe 22(1) et à l'affaire The Registered Public Accountants Association of Alberta c. la Société des comptables professionnels du Canada (n ° de dossier T-409-00, 30 juin 2000, C.F. 1re inst.) est mal fondé parce que ONE TOUCH est une marque de commerce déposée. LifeScan Canada affirme qu'il existe une licence orale de Johnson & Johnson (ce qui, à mon avis, pourrait devenir problématique pour elle ultérieurement (voir Eli Lilly, précitée)). Cependant, je ne suis pas disposé, à ce stade-ci de la procédure, à statuer sur cette question au fond à l'encontre de LifeScan. J'arrive à la même conclusion sur l'application de l'article 50 de la Loi. Cet article peut aussi constituer un obstacle d'importance pour LifeScan ultérieurement, une fois que les faits sous-jacents seront établis et que la portée de l'article 50 aura été examinée au fond correctement, notamment en ce qui concerne son applicabilité à l'action en imitation frauduleuse visée à l'article 7.
[92] Dans l'arrêt RJR MacDonald Inc. c. Le procureur général du Canada, [1994] 1 R.C.S. 311, la Cour suprême du Canada a déclaré que le critère à remplir pour établir l'existence d'une question sérieuse était peu exigeant et que le juge saisi d'une requête interlocutoire ne devrait pas aller au-delà d'un examen préliminaire du fond de l'affaire et, lorsqu'il est convaincu que la demande n'est ni futile ni vexatoire, devrait procéder à l'examen des deuxième et troisième critères, même s'il est d'avis que le demandeur sera probablement débouté au procès.
[93] À mes yeux, les questions identifiées ci-dessus et la question de savoir si les bandelettes de test que Novopharm achète de DSI sont visées par la licence de LifeScan É.-U./DSI ne sont ni futiles ni vexatoires. On a fait la preuve d'un changement dans la fabrication en 1994. La question de savoir si DSI détient une licence implicite pour utiliser la marque de commerce ONE TOUCH pour les lecteurs de LifeScan est du même ordre. D'autre part, si Novopharm n'est pas licenciée par l'entremise de DSI, la question de savoir s'il y a eu contrefaçon de marque de commerce soulève un problème sérieux par rapport à l'application de la décision dans Clairol International Corp. and Clairol Inc. of Canada c. Thomas Supply & Equipment Co. Ltd. et al. (1968), 55 C.P.R. 76 et Interlego AG et al. c. Irwin Toy Ltd. et al. (1995), 3 C.P.R. (3d) 476, deux affaires sur lesquelles s'appuie LifeScan, par contraste avec la question de savoir si l'emploi par Novopharm de la marque de commerce ONE TOUCH constitue un emploi de marque de commerce sur le fondement de British Petroleum Ltd. c. Bombardier Ltd., 4 C.P.R. (2d) 204 (C.A.F.). Ma conclusion sur ce point rejette l'argument de LifeScan que les bandelettes de test NOVO GLUCOSE pouvaient être vendues sans mention de la marque de commerce ONE TOUCH.
ii) Le préjudice irréparable
[94] LifeScan soutient qu'elle remplit le critère du préjudice irréparable pour quatre raisons fondamentales :
1) la perte des ventes en raison de la confusion des clients;
2) le préjudice au capital marque en raison de la perte du contrôle;
3) le préjudice à la réputation des lecteurs ONE TOUCH en raison des problèmes de compatibilité, de la confusion au sujet de la responsabilité en cas de mauvais fonctionnement, de l'insatisfaction et de la perte subséquente de ventes de bandelettes de test;
4) le préjudice financier dévastateur pour LifeScan dans le cas où les bandelettes de test NOVO GLUCOSE deviennent un équivalent moins coûteux dans les formulaires provinciaux.
[95] J'estime que LifeScan n'a pas satisfait, selon la probabilité la plus forte, au critère du préjudice irréparable parce qu'elle ne s'est tout simplement pas acquittée du fardeau de preuve défini dans Centre Ice, précité. La preuve de LifeScan n'établit pas clairement qu'elle subirait un préjudice, abstraction faite pour le moment de la question de savoir si ce préjudice, en admettant qu'il soit démontré, est de nature irréparable.
[96] La preuve de LifeScan eu égard à la confusion n'est pas convaincante quand on la compare à celle de Novopharm, pour plusieurs raisons :
1) Les patients diabétiques jouent un rôle important dans leur traitement et ils sont conseillés par les professionnels de la santé sur les divers systèmes de surveillance de la glycémie;
2) Les bandelettes de test sont vendues dans les pharmacies qui peuvent garder celles-ci dans leurs officines et exiger des ordonnances pour le remboursement des médicaments assurés;
3) Les pharmaciens et d'autres professionnels sont appelés à répondre aux questions sur l'exactitude des résultats des lecteurs et sur l'origine des problèmes, le cas échéant;
4) Les différences entre les emballages;
5) L'avis adressé aux pharmacies par LifeScan où elle déclarait qu'elle n'approuvait ni n'agréait les bandelettes de test de Novopharm;
6) L'absence de toute preuve de confusion ou de toute autre plainte qui aurait été reçue par Novopharm ou DSI, compte tenu en particulier de l'activité mondiale de DSI.
[97] La preuve de LifeScan relative à la perte du capital marque et de la réputation ne me persuade pas. Les conclusions du professeur Dawar étaient fondées sur des renseignements restreints que lui avait fournis LifeScan et il a admis que si les renseignements à sa disposition étaient incomplets ou différents, il aurait pu différer d'opinion. Novopharm a signalé plusieurs points de déficience d'information dans le témoignage du professeur Dawar, et je conclus que c'est le cas.
[98] La perte de réputation subie par le lecteur ONE TOUCH du fait de l'emploi des bandelettes de test NOVO GLUCOSE repose, en grande partie, sur l'allégation que les bandelettes de test NOVO GLUCOSE présentent des problèmes de fiabilité et d'exactitude, ce qui est au coeur des prétentions du professeur Dawar. L'argumentation de LifeScan est minée par la déclaration du juge MacKay dans Upjohn Co. et al. c. Apotex Inc., 51 C.P.R. (3d) 455 à la page 468, au sujet d'un argument similaire. Le juge a conclu que l'inquiétude au sujet des effets néfastes possibles qu'aurait sur la réputation des demanderesses le produit de la défenderesse, s'il est mauvais ou inefficace pour les patients, ne pouvait pas être considérée comme autre chose que de la spéculation lorsque la sûreté et l'efficacité du produit de la défenderesse ont été reconnues par la délivrance d'un avis de conformité par les autorités de santé publique. En l'espèce, les bandelettes de test NOVO GLUCOSE doivent obtenir une homologation de Santé Canada une fois qu'elle aura été convaincue de leur sûreté et de leur exactitude. J'adopte le point de vue du juge MacKay.
[99] Dans la mesure où le préjudice au capital marque de LifeScan résulte du simple usage par Novopharm et de la perte de contrôle, j'estime que la preuve présentée par le professeur Dawar tient de la conjecture et n'est pas fondée sur des éléments de preuve suffisamment forts, compte tenu que LifeScan n'a pas démontré l'existence d'une confusion et que l'étendue du dommage à sa réputation, n'a pas été mesurée. J'accepte le témoignage du professeur Liefeld sur ce point. Je note également l'absence du propriétaire de la marque de commerce, Johnson & Johnson.
[100] En dernier lieu, j'estime que l'argument sur l'équivalent moins coûteux tient de la conjecture et n'est pas pertinent. Aucun formulaire provincial n'a inscrit les bandelettes de test NOVO GLUCOSE comme équivalent moins coûteux. Si tel avait été le cas, l'effet allégué par LifeScan aurait peut-être pu se produire, mais il s'agit d'un effet qui ne peut pas être reconnu comme un préjudice. Sans conteste, la reconnaissance des bandelettes de test NOVO GLUCOSE comme équivalent moins coûteux relève de la politique fiscale et de santé des gouvernements provinciaux, que la Cour ne peut entraver au motif de l'impact potentiel sur les recettes et bénéfices de LifeScan Canada dans le marché des bandelettes de test.
[101] En tout état de cause, la nature du préjudice allégué par LifeScan est calculable et peut être indemnisée par des dommages-intérêts. L'affaire Cutter, précitée, établit cette proposition en ce qui concerne la dimension du brevet.
[102] S'agissant du calcul des ventes perdues, l'affaire Merck & Co. Inc. et al. c. Apotex Inc., 51 C.P.R. (3d) 170 traite la question. Sur une question distincte, soit la perte d'achalandage, elle est calculable ou les dommages-intérêts constituent une indemnisation adéquate suivant les décisions Merck & Co., précitée, Allergan Inc. c. Bausch & Lomb Canada Inc. et al., 46 C.P.R. (3d) 372 et Centre Ice, précitée.
iii) Prépondérance des inconvénients
[103] L'arrêt RJR MacDonald, précité, établit que l'appréciation du troisième critère pour accorder ce type d'injonction demande de déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse l'injonction. Je suis persuadé que l'octroi de l'injonction serait plus préjudiciable à Novopharm que le refus ne le serait à LifeScan.
[104] Si elle était accordée, l'injonction empêcherait Novopharm de pénétrer le marché des bandelettes de test, une fois obtenue l'approbation réglementaire de la sûreté et de l'efficacité de son produit. Par ailleurs, j'ai conclu que la preuve du préjudice établie par LifeScan (en raison de la confusion ou du préjudice à la réputation ou au capital marque) est faible et mince, que le préjudice est quantifiable ou qu'il peut faire l'objet d'une indemnisation adéquate. J'ai également identifié des difficultés éventuelles dans la position de LifeScan imputables au fait que le propriétaire de la marque de commerce Johnson & Johnson, n'est pas partie au procès.
[105] Une autre raison milite en faveur d'accorder à Novopharm la prépondérance des inconvénients. Selon moi, LifeScan a tardé indûment à présenter sa demande d'injonction interlocutoire. La demande d'injonction devait d'abord être présentée à la Cour le 15 mai 2000 après le dépôt de sa déclaration à la fin d'avril 1999. Or Novopharm avait commencé à commercialiser ses bandelettes de test à la fin de novembre ou au début de décembre de l'année précédente.
[106] Le retard à demander l'injonction s'explique, à mon avis, par les options et la stratégie adoptées par LifeScan pour contrer la poussée concurrentielle créée par l'entrée de Novopharm sur le marché. Cette stratégie ne reposait pas sur des préoccupations liées au brevet et à la marque de commerce, mais visait plutôt à bloquer l'entrée de Novopharm par des démarches auprès de Santé Canada et des responsables des formulaires provinciaux. Dans cette perspective, la demande d'injonction apparaît comme une idée venue après coup et une couverture en cas d'échec des autres initiatives.
DÉCISION
[107] Pour ces motifs, la demande d'injonction interlocutoire de LifeScan est rejetée avec dépens.
[108] LifeScan a demandé une autre réparation en cas de refus de l'injonction. Les demanderesses cherchent à obtenir une ordonnance d'instance à gestion spéciale et une ordonnance visant à accélérer l'instruction de l'affaire et fixant un échéancier pour la plaidoirie écrite et l'enquête préalable. Je ne suis pas persuadé qu'une ordonnance d'instance à gestion spéciale est justifiée à ce stade-ci de l'affaire, mais j'invite les avocats des parties, dans les meilleurs délais, à présenter un calendrier commun pour la plaidoirie écrite et l'enquête préalable. Je refuse de rendre une ordonnance visant à accélérer l'instruction; cette question devant plutôt être tranchée par le juge en chef adjoint de la Cour.
François Lemieux
J U G E
OTTAWA (ONTARIO)
10 NOVEMBRE 2000
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL.L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
N º DU GREFFE : T-780-00
INTITULÉ DE LA CAUSE : LIFESCAN, INC. ET AL. c. NOVOPHARM LIMITED
LIEU DE L'AUDIENCE : TORONTO
DATE DE L'AUDIENCE : LE 11 SEPTEMBRE 2000
MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX
EN DATE DU : 10 NOVEMBRE 2000
ONT COMPARU :
DONALD CAMERON
SCOTT MACKENDRICK
JANET OZEMBLOSKI POUR LES DEMANDERESSES
WARREN SPRIGINGS
JOHN BUJAN POUR LA DÉFENDERESSE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
AIRD & BERLIS
TORONTO POUR LES DEMANDERESSES
HITCHMAN & SPRIGINGS
TORONTO POUR LA DÉFENDERESSE