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Date : 20030909

Dossier : T-661-02

Référence : 2003 CF 1049

Ottawa (Ontario), le 9 septembre 2003

Présent(e) :      L'honorable juge Blais

ENTRE :

                              LINE BÉLANGER

                                                             Demanderesse

                                    et

                     LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

                                    

                                                                Défendeur

                          LOUISE-ELLA GOYETTE

                                                             Défenderesse

                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée à l'encontre d'une décision du Conseil du Trésor en date du 15 février 2002, rejetant la demande de prestation de conjoint survivant visée au paragraphe 13(2) de la Loi sur la pension de la fonction publique, 1985 [la Loi] de la demanderesse.


FAITS

[2]                 Raymond Carrier et Louise-Ella Goyette se sont mariés le 21 juin 1958 sous le régime de la séparation de biens. Le couple habitait au Québec.

[3]                 Depuis environ le 21 octobre 1981, ils vivaient séparément.

[4]                 Le 21 mai 1985, un jugement de séparation de corps a été prononcé par la Cour supérieure du Québec, madame Goyette ayant établi l'adultère de monsieur Carrier.


[5]                 Le 20 octobre 1994, une entente de séparation de corps est intervenue entre les parties, dans laquelle, inter alia: i) monsieur Carrier s'engage à payer une pension alimentaire de 600,00$ par mois, indexable conformément à la loi, à compter du 1er janvier 1995; ii) il reconnaît devoir rembourser la somme de 1450,00$, à raison de 200,00$ par mois, le dernier jour de chaque mois à compter du 31 octobre 1994; iii) madame Goyette devra acheminer une demande de distraction d'une pension alimentaire de la fonction publique afin qu'elle reçoive ces sommes directement du Ministère de l'approvisionnement et services (le cas échéant où les sommes perçues du Ministère par distraction sont insuffisantes, monsieur Carrier s'engage à les payer directement - à défaut, madame pourra procéder à saisie de ses biens en vertu de la Loi sur la saisie-arrêt et la distraction de pensions).

[6]                 Cette entente a été entérinée par la Cour supérieure du Québec le 14 novembre 1994.

[7]                 La demanderesse, une résidente du Québec, allègue avoir été la conjointe de fait de monsieur Carrier depuis 1980 et ce, jusqu'à son décès.

[8]                 Monsieur Carrier était à l'emploi du Bureau de la sécurité des transports du Canada jusqu'au 11 mai 1990, date de sa retraite.

[9]                 Monsieur Carrier était contributeur au compte de pension de retraite de la fonction publique du Canada, conformément à la définition prévue à la Loi.

[10]            Dans un formulaire intitulé Désignation ou changement de bénéficiaire visant la prestation supplémentaire de décès (partie II de la Loi), monsieur Carrier désigne la demanderesse comme bénéficiaire.

[11]            Suite au décès de monsieur Carrier le 27 octobre 1998, la demanderesse a fait une demande de prestations de conjoint survivant, à titre de conjoint de fait de monsieur Carrier.

[12]            La veuve légale du défunt, madame Goyette, défenderesse dans la présente instance, a également présenté une demande pour cette prestation.

[13]            Le 15 février 2002, Linda Belliveau, Section de l'interprétation juridique de la Direction des pensions de retraite du ministère des Travaux publics et services gouvernementaux Canada, avisait la demanderesse que le Conseil du Trésor avait rejeté sa demande, qu'il avait approuvé la demande de madame Goyette et qu'il considérait cette dernière comme étant la seule conjointe survivante de monsieur Carrier aux fins de la Loi.

[14]            C'est cette décision qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

QUESTIONS EN LITIGE

[15]            1.         Le Conseil du Trésor a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de cette Cour en rejetant la demande de prestations de conjoint survivant de la demanderesse?


2.        Le Conseil du Trésor a-t-il fait défaut d'observer un principe de justice naturelle, d'équité procédurale ou de toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter?

LÉGISLATION PERTINENTE

[16]            Le paragraphe 3(1) de la Loi définit le terme « survivant » :


« _survivant_ » Personne qui_:

a) était unie au contributeur par les liens du mariage au décès de celui-ci;

b) est visée au paragraphe 25(4).

"survivor", in relation to a contributor, means

(a) a person who was married to the contributor at the time of the contributor's death, or

(b) a person referred to in subsection 25(4)


[17]            L'alinéa 12(4)(a) de la Loi fait référence à l'allocation:



12(4) Au décès d'un contributeur qui, au moment de son décès, avait droit de recevoir, selon le paragraphe (1), une pension immédiate, une pension différée ou une allocation annuelle, son survivant et ses enfants sont admissibles aux allocations suivantes, calculées sur la base du produit obtenu par multiplication du traitement annuel moyen du contributeur pour la période applicable, spécifié au paragraphe 11(1), ou ailleurs dans la présente partie pour l'application de ce paragraphe, par le nombre d'années de service ouvrant droit à pension qu'il a à son crédit, le centième du produit ainsi obtenu étant ci-après appelé l' « _allocation de base_ » _:

a) dans le cas du survivant, une allocation annuelle payable immédiatement, égale à l'allocation de base;

[...]

12(4) On the death of a contributor who, at the time of death, was entitled under subsection (1) to an immediate annuity, a deferred annuity or an annual allowance, the survivor and children of the contributor are entitled to the following allowances, computed on the basis of the product obtained by multiplying the average annual salary of the contributor during the period applicable, as specified in subsection 11(1) or elsewhere in this Part for the purposes of that subsection, by the number of years of pensionable service to his or her credit, one one-hundredth of the product so obtained being referred to in this subsection as the "basic allowance":

(a) in the case of the survivor, an immediate annual allowance equal to the basic allowance, ...


[18]            Le paragraphe 13(2) de la Loi fait référence aux allocations payables au survivant et aux enfants du contributeur:


13(2) Au décès d'un contributeur qui, au moment du décès, avait droit, d'après le paragraphe (1), d'obtenir une pension immédiate ou une pension différée, ou une allocation annuelle payable immédiatement ou lorsqu'il atteint l'âge de cinquante ans, son survivant et ses enfants ont droit, respectivement, à une allocation annuelle décrite aux alinéas 12(4)a) et b), sous réserve des restrictions indiquées aux paragraphes 12(4) et (5).

13(2) On the death of a contributor who, at the time of death, was entitled under subsection (1) to an immediate annuity or a deferred annuity, or to an annual allowance payable immediately or on reaching fifty years of age, the survivor and children of the contributor are entitled to an annual allowance respectively, as described in paragraphs 12(4)(a) and (b) and subject to the limitations set out in subsections 12(4) and (5).


[19]            Le paragraphe 25(4) de la Loi établit les critères permettant à une personne d'être réputée « survivant » d'un contributeur:                               


25(4) Pour l'application de la présente partie, a la qualité de survivant la personne qui établit que, au décès du contributeur, elle cohabitait avec lui dans une union de type conjugal depuis au moins un an.

25(4) For the purposes of this Part, when a person establishes that he or she was cohabiting in a relationship of a conjugal nature with the contributor for at least one year immediately before the death of the contributor, the person is considered to be the survivor of the contributor.


[20]            Le paragraphe 25(10) de la Loi fait référence à la répartition du montant de l'allocation lorsqu'il y a deux survivants:



25(10) Si une allocation annuelle est payable au titre de l'alinéa 12(4)a) ou du paragraphe 13(2) à deux survivants, le montant total de celle-ci est ainsi réparti_:

a) le survivant visé à l'alinéa a) de la définition de « _survivant_ » au paragraphe 3(1) a droit à une part de l'allocation en proportion du rapport entre le nombre total d'années de cohabitation avec le contributeur dans le cadre du mariage, d'une part, et dans une union de type conjugal, d'autre part, et le nombre total d'années de cohabitation des survivants avec celui-ci dans le cadre du mariage et dans une union de type conjugal;

b) le survivant visé à l'alinéa b) de cette définition a droit à une part de l'allocation en proportion du rapport entre le nombre d'années où il a cohabité avec le contributeur dans une union de type conjugal et le nombre total d'années où les survivants ont cohabité avec lui dans le cadre du mariage et dans une union de type conjugal.

25(10) When an annual allowance is payable under paragraph 12(4)(a) or subsection 13(2) and there are two survivors of the contributor, the total amount of the annual allowance shall be apportioned so that

(a) the survivor referred to in paragraph (a) of the definition "survivor" in subsection 3(1) is entitled to receive the proportion of the annual allowance that the total of the number of years that he or she cohabited with the contributor while married to the contributor and the number of years that he or she cohabited with the contributor in a relationship of a conjugal nature bears to the total number of years that the contributor so cohabited with the survivors; and

(b) the survivor referred to in paragraph (b) of that definition is entitled to receive the proportion of the annual allowance that the number of years that he or she cohabited with the contributor in a relationship of a conjugal nature bears to the total number of years that the contributor cohabited with the survivors, either while married or while in a relationship of a conjugal nature.


[21]            L'article 26 de la Loi établit les conséquences d'une cohabitation postérieure à la retraite:



26. (1) Sous réserve de l'article 13.1, mais nonobstant les autres dispositions de la présente partie, le survivant d'un contributeur n'a droit à aucune allocation annuelle à l'égard de ce dernier au titre de la présente partie si le mariage ou le début de la cohabitation dans une union de type conjugal est postérieur à l'acquisition par cette personne du droit, en vertu de cette partie, à une pension ou à une allocation annuelle, à moins que, par la suite, le contributeur ne soit devenu ou demeuré contributeur selon la même partie.


ANALYSE

Norme de contrôle

[22]            Il n'y a pas de doute dans mon esprit que le paragraphe 25a) de la Loi confère au Conseil du Trésor le pouvoir discrétionnaire d'assimiler une personne comme étant le conjoint d'un contributeur. Dans la décision Association canadienne des fabricants de pâtes alimentaires c. Aurora Importing & Distributing Ltd., (1997) 208 N.R. 329, [1997] A.C.F. no 115, la Cour d'appel fédérale énonce:

[para. 6] ...

Que les décision du Tribunal soient ou non protégées par une clause privative ou clause d'irrévocabilité, la norme qu'applique la cour en matière de révision lorsque des erreurs de fait sont invoquées est celle énoncée à l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.


18.1 [...]                   

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas:

[...]

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

18.1 ...

(4) The trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

...

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;


Nous ne voyons aucune différence pratique entre cette norme et celle du caractère manifestement déraisonnable de la décision.


[para. 7] Par conséquent, je conclus que les parties conviennent à juste titre que le critère de contrôle applicable à l'espèce est le caractère manifestement déraisonnable.

Dossier du défendeur, Vol II, page 601.

[23]            Il n'y a pas de doute non plus qu'une conclusion à l'effet qu'une personne cohabite ou non avec un contributeur et que ce contributeur présente, en public, cette personne comme étant sa conjointe, constitue de façon évidente une conclusion de faits sur laquelle la Cour ne peut intervenir que si ladite conclusion a été tirée de façon abusive, arbitraire ou sans tenir compte des éléments contenus au dossier.

[24]            Les tribunaux ont toujours réticence à intervenir en demande de contrôle judiciaire lorsque des décisions sont prises à partir de conclusions de faits. L'intervention de la Cour ne devrait être justifiée que si les conclusions de faits auxquelles en est arrivé le Conseil du Trésor sont manifestement déraisonnables.

1.         Le Conseil du Trésor a-t-il commis une erreur justifiant l'intervention de cette Cour en rejetant la demande de prestations de conjoint survivant de la demanderesse?

[25]            À la lecture des documents qui ont été présentés au Conseil du Trésor avant qu'il prenne sa décision, il apparaît clair qu'il y avait un certain nombre d'éléments contradictoires.


[26]            Le Conseil du Trésor, par la voix de son représentant, a à plusieurs reprises demandé des éclaircissements quant à ses préoccupations.

[27]            Il est sans doute utile, d'entrée de jeu, de noter que le Conseil du Trésor faisait face à deux réclamations provenant de deux personnes différentes prétendant avoir des droits à titre de conjoint survivant.

[28]            La preuve est à l'effet que monsieur Carrier et la défenderesse madame Goyette sont légalement séparés de corps depuis la fin de l'année 1981.

[29]            Entre l'année 1981 et l'année de son décès en 1998, monsieur Carrier a déménagé à plusieurs reprises et la preuve présentée par la demanderesse, quant à leur vie commune, soulevait à juste titre plusieurs interrogations de la part du Conseil du Trésor. Selon la preuve présentée le 24 octobre 1988, monsieur Carrier a signé un formulaire d'option pour rachat de service. Sur ce formulaire, son adresse postale mentionnée est le 150, avenue Dorval, Dorval, appartement 1407, alors que la demanderesse a fourni des preuves secondaires démontrant qu'à ce moment, elle demeurait au 150, avenue Dorval, Dorval, appartement 1207. Confrontée à cette différence, la demanderesse a mentionné que l'appartement 1407 constituait un bureau et qu'ils vivaient bien ensemble, à cette époque.


[30]            Plus tard, soit le 2 mai 1990, monsieur Carrier a complété un formulaire d'impôt déclarant: "Je n'ai pas de conjoint et ne partage pas un établissement domestique autonome avec une personne autre qu'un enfant à ma charge". Confrontée à cet élément, la demanderesse suggère qu'il s'agit simplement d'une déclaration pour fins fiscales et qu'à cette époque elle partageait bien sa résidence avec monsieur Carrier.

[31]            Un autre élément, encore plus sérieux celui-là, est survenu le 20 octobre 1994, alors que monsieur Carrier et son épouse légitime, madame Goyette, ont signé une entente de séparation de corps où il est stipulé:

L'intimé (M. Raymond Carrier) représente que bien qu'il ait pu demeurer avec une tierce personne, il ne l'a pas fait et ne le fait pas actuellement de façon maritale, qu'il ne considère pas cette personne comme étant son conjoint de fait et que dans les faits, elle ne l'a été et ne l'est d'aucune façon.

Dossier du défendeur, Vol. II, page 576.


[32]            Il appert du dossier que cette entente de séparation a été entérinée le 14 novembre 1994 par la Cour supérieure du Québec. Confronté à cette information, le procureur de la demanderesse suggère qu'effectivement monsieur Carrier mentait, à ce moment-là, et qu'il faisait face à une saisie de son revenu de pension et qu'il n'avait pas eu le choix de signer une pareille déclaration. Malheureusement, il est difficile pour la Cour de retenir une pareille explication considérant que monsieur Carrier est décédé et que pour contester un écrit valablement fait, lequel au surplus a été déposé devant la Cour supérieure du Québec, la Cour est en droit de s'attendre à des explications plus substantielles.

[33]            La dernière contradiction mentionnée est à l'effet que la demanderesse a fourni une copie du formulaire T-4 qui lui avait été émis par Revenu Canada en 1997, à l'adresse 795, des Bouleaux Ouest, Québec, alors que l'adresse de monsieur Carrier, à cette époque, était le 1670, de la Trinité, appartement 3, Québec.

[34]            Le Conseil du Trésor s'est adressé à de nombreuses reprises, tant à la demanderesse qu'à son procureur, afin d'obtenir davantage d'éclaircissements et une déclaration solennelle pouvant appuyer la version de la demanderesse quant aux contradictions évidentes apparaissant au dossier.


[35]            Il appert que des réponses partielles ont été transmises au Conseil du Trésor. Cependant, une demande expédiée au procureur de la demanderesse en date du 26 septembre 2001, afin d'obtenir une déclaration solennelle attestant des démarches entreprises pour trouver des preuves secondaires à l'appui de la demande de prestations de survivant de la demanderesse n'a pas reçu de réponse satisfaisante. De plus, par une lettre datée du 1er octobre 2001, le procureur de la demanderesse faisait état qu'il n'avait pas l'intention d'envoyer une autre déclaration telle que réclamée par le Conseil du Trésor.

[36]            Suite aux modifications apportées au Code civil du Québec, il est maintenant beaucoup plus facile de départager les bénéficiaires de fonds de pension. Dans le cas qui nous occupe, pour une raison que la Cour ignore, les parties ont décidé de maintenir une situation que l'on peut qualifier de confuse quant à leur véritable statut.

[37]            Pour ce qui est de la défenderesse madame Goyette, elle était séparée de corps mais demeurait néanmoins épouse légitime de monsieur Carrier. Quant à ce dernier, il a choisi délibérément de maintenir une situation équivoque quant à son statut marital. Il est bien évident que le versement d'une pension alimentaire à son épouse lui permettait de retirer un avantage fiscal, puisqu'il pouvait déduire le montant de la pension alimentaire versée.


[38]            S'il avait procédé à un partage du montant de la pension, que ce soit au moment de la séparation de corps en 1981 ou encore au moment de son jugement en 1985, le montant total de la pension à être versée aurait été sensiblement diminué. S'il avait procédé à ce partage en 1990, au moment où il prenait sa retraite, il aurait sans doute perdu une somme importante de revenus qui aurait été versée directement à son épouse. Il aurait pu demander à la Cour de cesser de verser une pension alimentaire, cependant, il en aurait perdu le bénéfice fiscal.

[39]            Quoi qu'il en soit, la Cour ne pourra jamais savoir exactement les motifs qui ont poussé monsieur Carrier à maintenir cette situation équivoque, laquelle situation a obligé à la fois la demanderesse et la défenderesse à se présenter à la Cour afin de trancher le litige.

[40]            Cette Cour, dans les circonstances actuelles, n'a pas à substituer son jugement à celui du Conseil du Trésor comme l'a si bien dit le juge Pelletier dans l'arrêt Carson c. Canada (procureur général), (1999) 182 F.T.R. 119, [1999] A.C.F. no 2010:

[para. 16] Quant à l'allégation qui porte que la décision doit être le résultat d'une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire, il existe une preuve sur laquelle le Conseil du Trésor pouvait se fonder pour conclure que Mme Maxwell ne résidait pas avec M. Carson dans l'année précédant son décès, et qu'elle ne le représentait pas comme son conjoint durant cette même période. Il y a aussi une preuve qui, si on l'avait acceptée, aurait satisfait au critère imposé, mais ce n'est pas le rôle de la Cour de substituer son jugement à celui du Conseil du Trésor. Bien que je n'arriverais pas nécessairement à la même conclusion que le Conseil du Trésor, je ne peux dire que cette conclusion était arbitraire.

[41]            Le rôle qui est dévolu à la Cour, en pareilles circonstances, est de déterminer si la procédure adoptée par le Conseil du Trésor a été conduite conformément aux procédures établies.

[42]            Il appert que le Conseil du Trésor a accumulé un nombre important d'informations provenant de plusieurs sources différentes. Confronté à des inexactitudes et à des contradictions entre les documents déposés de part et d'autre, il n'a pas hésité à communiquer à plusieurs reprises avec les deux parties afin d'obtenir des informations supplémentaires. Ce n'est qu'après avoir procuré aux parties toutes les possibilités d'expliquer ces inexactitudes ou inquiétudes soulevées par les documents présentés que le Conseil du Trésor a finalement pris sa décision.

[43]            Encore une fois, tout comme le mentionnait le juge Pelletier dans l'arrêt Carson, précité, je n'arriverais pas nécessairement à la même conclusion que le Conseil du Trésor si j'avais à rendre moi-même une décision dans le présent dossier. Cependant, malgré une lecture attentive des documents qui me sont présentés ainsi qu'une analyse des arguments présentés oralement par les procureurs, je ne peux arriver à conclure que la décision du Conseil du Trésor était arbitraire ou qu'elle était manifestement déraisonnable justifiant l'intervention de cette Cour.

2.        Le Conseil du Trésor a-t-il fait défaut d'observer un principe de justice naturelle, d'équité procédurale ou de toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter?

[44]            L'argument principal soulevé par la demanderesse quant à l'équité procédurale est à l'effet que le Conseil du Trésor n'aurait pas donné des motifs quant à sa décision.


[45]            Il est clair, de l'échange de correspondance entre les parties, que le Conseil du Trésor a manifesté, à plusieurs reprises, quels étaient les points faibles du dossier présenté par la demanderesse et les informations qui devaient être transmises afin de lui permettre de rendre la meilleure décision, compte tenu des circonstances et de la preuve présentée.

[46]            Très tôt, la demanderesse connaissait les réticences du Conseil du Trésor quant à la demande présentée considérant les contradictions flagrantes dans le dossier. Dans l'arrêt Carson, précité, le juge Pelletier précise:

[para. 14] [...] Baker, précité, ceci ne rend pas nécessairement le contenu de l'obligation d'équité procédurale évident. Afin de déterminer ce contenu, il me semble qu'on doit se poser une autre question, savoir: la procédure adoptée par la direction permettait-elle à M. Carson de savoir quelles étaient les objections à sa demande, ainsi que d'y répondre? Si oui, on a satisfait à l'obligation d'équité. Le fait qu'une procédure différente ait pu donner à M. Carson une meilleure occasion d'exposer son affaire ne vient pas vicier irrémédiablement le point de vue de la Direction. Il est toujours possible d'améliorer la possibilité pour un requérant de présenter son affaire en lui donnant l'occasion d'être entendu et de procéder à des interrogatoires préalables. La question n'est pas de savoir si une autre façon de procéder aurait été meilleure, mais bien de savoir si la procédure adoptée par l'agence en cause, la direction en l'instance, a permis au demandeur d'obtenir les renseignements dont il avait besoin pour savoir ce qu'il devait faire, et lui a offert l'occasion de le faire.


[47]            Il m'apparaît clair que le Conseil du Trésor a mentionné, à plusieurs reprises, à la demanderesse quels étaient les objections soulevées pour accueillir favorablement sa demande et les moyens pour remédier à la situation. Dans les circonstances, cette façon de faire rencontre précisément l'obligation d'équité procédurale. Cette question était également abordée dans l'arrêt Carson, précité, où l'honorable juge Pelletier précise:

[para. 15] Au vu des faits de cette affaire, on a satisfait à cette norme. La lettre de la Direction du 14 septembre 1995 contient tous les renseignements dont M. Carson avait besoin pour répondre aux inquiétudes du décideur. Il savait quelles étaient les questions en cause, ainsi que quelle sorte de preuve le décideur considérait convaincante. Il se voyait aussi offrir l'occasion de réagir avant que la décision en soit prise. À mon avis, la procédure appliquée à M. Carson était équitable.

[48]            Je n'ai donc aucune hésitation à conclure que le Conseil du Trésor a rencontré ses obligations quant à l'équité procédurale dans le présent dossier.


                                     O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE QUE :

[1]                 La présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

[2]                 Le tout avec dépens.

                 Pierre Blais                        

J.C.F.


                                       COUR FÉDÉRALE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                         

DOSSIER :                 T-661-02

INTITULÉ :              Line Bélanger c. Procureur général du Canada et Louise-             Ella Goyette

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Québec

DATE DE L'AUDIENCE :                              20 août 2003

MOTIFSDE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE: L'honorable juge Blais

DATE DES MOTIFS :                                     9 septembre 2003

COMPARUTIONS :

Me Manès Webster                                              POUR LA DEMANDERESSE

Me Guy Blouin                                                     POUR LE DÉFENDEUR                      (PROCUREUR GÉNÉRAL DU                                                                                  CANADA)

Me Denis Gingras                                                 POUR LA DÉFENDERESSE (LOUISE-ELLA GOYETTE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Moreau et Webster                                              POUR LE DEMANDEUR

Charlesbourg (Québec)

Ministère de la Justice - Canada                                       POUR LE DÉFENDEUR


Ottawa (Ontario)                                                  (PROCUREUR GÉNÉRAL DU                        CANADA)

Gingras, Vallerand, Laroche                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Québec (Québec)                                                 (LOUISE-ELLA GOYETTE)


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