Date : 20030130
Dossier : T-2080-98
Référence neutre : 2003 CFPI 103
Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2003
En présence de : L'honorable juge Danièle Tremblay-Lamer
ENTRE :
VEUVE CLICQUOT PONSARDIN,
MAISON FONDÉE EN 1772
Demanderesse
et
LES BOUTIQUES CLIQUOT LTÉE
et
MADEMOISELLE CHARMANTE INC.
et
3017320 CANADA INC.
Défenderesses
MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE
[1] Il s'agit principalement d'une action en contrefaçon de marques de commerce enregistrées, en concurrence déloyale et en délit de substitution, le tout fondé essentiellement sur les dispositions de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13, (la « Loi » ). Subsidiairement, la demanderesse demande la radiation des marques des défenderesses.
[2] La demanderesse, VEUVE CLICQUOT PONSARDIN, MAISON FONDÉE EN 1772, exploite sur ce nom et sous le nom commercial VEUVE CLICQUOT PONSARDIN, une entreprise dans le domaine de la fabrication, la vente, la distribution et l'exploitation de vins et boissons alcoolisées, notamment de champagne, au Canada et dans de nombreux autres pays du monde.
[3] Les défenderesses exploitent une entreprise de vente au détail de vêtements pour dames. Elles exercent leurs activités commerçantes sous les noms LES BOUTIQUES CLIQUOT et CLIQUOT.
[4] Il existe six (6) boutiques « LES BOUTIQUES CLIQUOT » réparties en Ontario et au Québec.
[5] Le mot CLIQUOT apparaît sur les sacs contenant la marchandise vendue dans LES BOUTIQUES CLIQUOT, ainsi que sur les documents d'affaires et factures émises par les défenderesses.
[6] Les marchandises vendues dans LES BOUTIQUES CLIQUOT proviennent des mêmes fournisseurs que celles vendues dans les autres boutiques des défenderesses, opérées sous les raisons sociales MADEMOISELLE CHARMANTE, COLETTE, CADANCE PETITE, CHARMANTE PETITE.
[7] La co-défenderesse, MADEMOISELLE CHARMANTE INC., est titulaire d'enregistrement de marques de commerce pour CLIQUOT (mot) TMA 479,359 et CLIQUOT « UN MONDE À PART » , TMA 479,367 du 1er août 1997.
[8] La demanderesse maintient qu'elle est titulaire de nombreux enregistrements de marques de commerce comprenant le mot CLICQUOT, en particulier:
TMDA 13870 en date du 15 juillet 1909 pour la marque V. CLICQUOT P. WERLE ( & dessin);
TMA 242,785 en date du 11 avril 1980 pour la marque VEUVE CLICQUOT (mots);
TMA 246, 008 en date du 6 juin 1980 pour la marque CLICQUOT ROSÉ ( & dessin);
TMA 362,131 en date du 3 novembre 1989 pour la marque VEUVE CLICQUOT PONSARDIN (mots);
TMA 401,553 en date du 21 août 1992 pour la marque VEUVE CLICQUOT PONSARDIN ( & dessin)
TMA 434,667 en date du 21 octobre 1994 pour la marque LA GRANDE DAME ( & dessin);
TMA 440,738 en date du 24 mars 1995 pour la marque VEUVE CLICQUOT PONSARDIN ( & dessin)
[9] Selon la demanderesse, ces marques ont été employées en tant que marques de commerce notamment par la mise en marché de vins de champagne, mais également par la distribution au Canada, à titre promotionnel, depuis plusieurs années, d'une vaste gamme de produits et d'articles de mode, tels que des vestes, écharpes, des foulards et des robes pour dames, des cravates, des noeuds papillons et gilets pour hommes.
[10] En vertu de la théorie dite de « brand extension » , la demanderesse prétend que la marque CLICQUOT doit recevoir une protection étendue à d'autres domaines d'activités que la production et la distribution de vins de champagne.
[11] Selon la demanderesse, l'usage de CLIQUOT ou CLIQUOT « UN MONDE À PART » par les défenderesses constitue une usurpation des marques de la demanderesse au sens notamment de l'article 20 de la Loi ainsi que la dilution de la même marque au sens de l'article 22 de la Loi.
[12] La demanderesse demande une injonction pour faire cesser l'emploi des marques CLIQUOT et CLIQUOT « UN MONDE À PART » ou toute variation de celles-ci par les défenderesses. De plus, elle demande la radiation des enregistrements pour ces marques.
[13] Les défenderesses prétendent que leurs marques ne portent pas à confusion avec les marques de la demanderesse puisqu'elles sont employées exclusivement en relation avec l'opération de boutiques pour la vente au détail de vêtements et accessoires pour dames; les canaux de distribution pour chacun des deux groupes sont tellement différents que la possibilité de confusion est inexistante.
La preuve
[14] M. Christian Maille, directeur de zone export, a témoigné à l'effet que la demanderesse, un producteur important de vins de champagne, revendique un emploi de ses marques de type CLICQUOT sur au moins quatre siècles. Bien que les origines de la demanderesse remontent à 1772, c'est en grande partie grâce à la personnalité de Mme Clicquot, celle qu'on a surnommé la Grande Dame, que la société a pris un essort considérable. Pour le témoin, cette présence féminine dans l'histoire de la demanderesse a eu un impact dans le choix de la stratégie développée par la demanderesse pour la vente et promotion de ses produits.
[15] M. Maille et Mme Harrison, agents de la demanderesse au Canada, font état des divers événements au Canada qui associent la demanderesse à l'univers féminin.
[16] Par exemple, à l'occasion du bicentenaire de la fondation de la maison de champagne en 1972, la demanderesse a mis sur pied un prix remis à la femme d'affaires de l'année. Le prix fut remis à quatre reprises, 1982, 1984, 1986 et 1988 à des femmes d'horizons complètement différents et certaines furent invitées lors de la célébration du 30ième anniversaire du prix à Paris.
[17] Mme Harrison témoigne aussi à l'effet que la demanderesse fait de la publicité dans des revues destinées à un public féminin et qu'elle a commandité à plusieurs reprises le concours international des jeunes créateurs de mode à Montréal ainsi que des événements prestigieux auxquels les femmes assistaient.
[18] La demanderesse utilise également des articles promotionnels pour se faire connaître comme des stylos, porte-clés, couverture, nappe (pièce P-4) mais aussi des foulards VEUVE CLICQUOT. M. Maille et Mme Harrison ont témoigné à l'effet que des consommateurs canadiens ont demandé où se procurer ce foulard, ce qui justifierait la demanderesse à éventuellement envisager une extension de sa marque pour la commercialisation de ses produits.
[19] M. Maille témoigne à l'effet que le plan marketing de la demanderesse pour les années 1994 à 1999 fait état de l'association entre les différentes marques de la demanderesse et des événements associés à un univers féminin.
[20] M. Lamont, publicitaire, a témoigné pour la demanderesse au sujet de son implication dans la production des sacs plastique des défenderesses (pièce P-12a). L'utilisation d'un globe terrestre suggère l'idée de l'évasion des voyages. C'est le thème qui lui avait été suggéré par Mme Gauthier. C'est M. Lamont qui a choisi la calligraphie pour les mots « Charmante, Cliquot, Colette et Cadence » , nom des différentes boutiques des défenderesses.
[21] Deux témoins experts ont déposé pour la demanderesse, dont Mme Abitbol, expert en stratégie dans le domaine du luxe. Celle-ci a témoigné sur l'industrie du luxe et ses spécificités et plus particulièrement sur l'importance de la marque dans le domaine du luxe. L'image de marque est cruciale dans le domaine du luxe et le propriétaire d'une marque doit veiller à maintenir le prestige de sa marque. Toute déclinaison vers un nouveau produit doit être faite avec prudence. Si une marque dans le domaine du luxe est associée à des produits d'une qualité inférieure à la qualité de son secteur d'origine, une telle marque risque de perdre son prestige en tant que marque de luxe. Mme Abitbol a évoqué le cas « Cardin » dont la marque a été associée à une gamme de produits de qualité très inégale, ce qui a eu comme résultat de faire perdre à la marque PIERRE CARDIN son prestige et sa crédibilité en tant que marque de luxe.
[22] Le champagne VEUVE CLICQUOT est solidement ancré dans l'univers du luxe. Pour Mme Abitbol, les marques « Veuve Clicquot » et « Clicquot » sont susceptibles de faire l'objet d'une déclinaison sur d'autres produits ou services associés au domaine du luxe, notamment ceux de la mode féminine, pour autant que cette déclinaison respecte les codes spécifiques à l'industrie du luxe et fasse l'objet d'un contrôle pour préserver la marque et son image.
[23] Le deuxième expert de la demanderesse, M. Yves Simard, vice-président, stratégie de marque, chez Nolin Branding & Design, expert en gestion de marques, a témoigné sur le phénomène d'élasticité des marques et de leur potentiel d'extension vers d'autres secteurs.
[24] M. Simard explique dans son affidavit que le marketing a pour objet la mise en marché de biens et de services alors que le « branding » porte sur la valeur que revêt la marque dans l'esprit du consommateur.
[25] Dans le domaine du « branding » , on définit une marque comme étant un nom et/ou un symbole distinctif dont le rôle est d'identifier les produits ou services d'un vendeur ou d'un groupe de vendeurs, et de les différencier de ceux de la concurrence. Ainsi, une marque signale aux consommateurs la provenance d'un produit et protège ces consommateurs ainsi que les producteurs, d'éventuels concurrents qui tentent d'offrir des produits qui apparaissent comme étant identiques.
[26] La marque facilite le processus de décision d'achat en aidant les consommateurs à traiter, interpréter et stocker des quantités importantes d'informations sur le produit. La présence des marques permet l'établissement d'un lien de confiance avec les consommateurs.
[27] Au-delà des caractéristiques physiques des produits, les marques peuvent accroître la satisfaction (ou l'insatisfaction) des consommateurs lors de l'utilisation de ce produit. Une marque forte a le potentiel d'ajouter au produit une valeur qui dépasse ses caractéristiques physiques.
[28] M. Simard explique les notions d'élasticité et d'extension de marque qui consistent en l'introduction d'une marque existante dans une catégorie de produits ou services jusqu'alors non exploitée par celle-ci.
[29] Cette pratique d'extension permet aux marques d'atteindre de nouveaux consommateurs et/ou d'accroître la consommation de ceux qui sont fidèles à la marque en offrant de nouveaux produits sous cette dernière. D'autre part, une extension peut rehausser l'image d'une marque et la sortir d'un marché à maturité où les produits sont devenus des commodités.
[30] Il existe deux types d'extensions de marque: les extensions de voisinage ou de continuité et les extensions discontinues. Les premières sont des extensions adjacentes au territoire initial alors que les secondes sont associées à un état d'esprit ou une valeur permettant une réelle diversification au-delà des catégories.
[31] M. Simard identifie certains facteurs facilitant les extensions de marques, soit la crédibilité, la pertinence, la différenciation et l'élasticité de la marque. Il conclut que la marque CLICQUOT se prête au phénomène d'extension de marques puisqu'elle semble respecter les quatre critères fondamentaux.
[32] Quant à l'impact de l'utilisation de l'appellation « Cliquot » sur la marque CLICQUOT, il lui semble raisonnable de croire que, d'un point de vue « branding » , un consommateur ayant une quelconque familiarité avec la marque CLICQUOT puisse assumer que les magasins de vêtements pour dames CLIQUOT soient au premier abord liés d'une quelconque manière à cette marque CLICQUOT de VEUVE CLICQUOT PONSARDIN.
[33] Dans la mesure où la société VEUVE CLICQUOT PONSARDIN n'a aucun contrôle sur l'expérience de magasinage et sur la qualité des produits offerts ou la prestation des services, cette méprise par le consommateur est susceptible d'avoir un impact négatif sur l'image de la marque CLICQUOT et sur la réputation en général de la société VEUVE CLICQUOT PONSARDIN.
[34] M. Simard estime que cette situation nuit à la capacité de la société VEUVE CLICQUOT PONSARDIN d'éventuellement exploiter un commerce arborant sa marque dans un marché où existe simultanément une enseigne de magasins CLIQUOT. Il serait particulièrement difficile de promouvoir efficacement une telle enseigne.
[35] Le procureur des défenderesses s'est objecté à l'opinion de M. Simard sur l'impact de l'utilisation de l'appellation « Cliquot » sur la marque CLICQUOT au motif que cette opinion dépasse l'expertise de M. Simard. Je maintiens l'objection des défenderesses. M. Simard ne connaît ni le domaine du luxe ou de la mode, et n'a bénéficié d'aucun sondage pour juger de l'impact de la marque sur le consommateur. Son expertise en « branding » ne le qualifie pas à évaluer la réaction du consommateur et la possibilité de confusion avec les magasins des défenderesses.
[36] La preuve des défenderesses repose principalement sur le témoignage de Mme Jacqueline Gauthier, acheteuse pour les défenderesses, et de M. Harvey Kom, propriétaire des défenderesses.
[37] Mme Gauthier a témoigné qu'elle avait vu une publicité dans une revue avec les couleurs vert et jaune et quelques pages plus loin des sacs. Elle explique que le mot « Clicquot » a attiré son attention parce que les clientes qui rentrent dans leurs magasins utilisent souvent l'expression « Ça clique » . Elle indique aussi qu'elle a discuté ce choix du nom avec M. Kom. Je note que dans son interrogatoire préalable du 19 août 1999, Mme Gauthier avait témoigné avoir vu le mot « Clicquot » sur une publicité de sac à main. Également dans son interrogatoire préalable, elle indique que dans la publicité qu'elle avait vu, c'est le mot « Clicquot » qui a retenu son attention.
[38] M. Kom, a témoigné à l'effet qu'avant d'utiliser la marque « Cliquot » , il s'était informé auprès de son avocat de l'époque qui lui avait confirmé qu'il n'y avait pas de problème à utiliser le mot « Cliquot » . Il mentionne qu'aucun des vêtements vendus dans ses boutiques « Cliquot » ne porte la marque « Cliquot » . Il explique qu'il ne s'agit pas de boutiques de vêtements haut de gamme mais de moyenne gamme/bridge qui cible le marché de la femme de carrière. Il ajoute aussi qu'il n'a jamais vendu de champagne, de vin, ou de boisson alcoolisée dans ses boutiques.
[39] A brièvement témoigné pour les défenderesses M. Baillot, directeur juridique salarié de la demanderesse. Il témoigne que la société Compumark réalise la surveillance mondiale des marques de la demanderesse. Cette surveillance administrative était limitée jusqu'à la fin 1999 à la classe 33 (breuvages alcoolisés) puisque de façon générale les distributeurs de la demanderesse et en particulier au Canada, United Distillers, l'agent canadien, sont astreints à une obligation de surveillance de leur marché. C'est suite à cette surveillance que l'emploi du nom « Cliquot » par les boutiques de la demanderesse fut découvert.
[40] Depuis la fin 1999, la surveillance des marques de la demanderesse inclut toutes les classifications.
[41] Me Caroline Lemoyne, à l'emploi du cabinet Pouliot Mercure, à la période pertinente, de 1991 jusqu'à 2000, a témoigné qu'elle travaillait à l'époque dans le domaine de la protection des marques. En 1996 elle a fait une recherche informatique de la marque « Clicquot » pour les défenderesses. Le nom VEUVE CLICQUOT PONSARDIN est ressorti. Elle relate que de façon générale, elle informait par écrit le client lorsqu'elle entrevoyait un problème, ce qu'elle n'a pas fait en l'espèce.
[42] Après examen de tous les témoignages ainsi que des pièces produites et plus particulièrement les brochures de publicité, les revues, vêtements, objets promotionnels, je rends les conclusions de fait suivantes:
[43] La preuve révèle que Mme Gauthier n'a pas pu voir autre chose que la publicité de VEUVE CLICQUOT PONSARDIN puisqu'il n'y a dans les revues de mode de l'époque aucune autre publicité qui comporte le mot CLICQUOT.
[44] Mme Gauthier a aussi témoigné que c'est le mot « Clicquot » seul qui a retenu son attention. Son témoignage établit que l'élément distinctif des marques de la demanderesse est le mot « CLICQUOT » .
[45] Les articles promotionnels de la demanderesse regroupent un groupe d'objets hétéroclites dont seulement quelques-uns peuvent être identifiés à l'univers féminin (foulard, peignoir). Ces articles toutefois ne sont offerts qu'à titre promotionnel et la preuve n'établit pas que la demanderesse a développé une stratégie selon laquelle sa marque fait l'objet d'une extension vers le domaine de la mode ou qu'elle entrevoit dans l'avenir de « l'extensionner » dans des vêtements féminins.
[46] Le fait que quelques consommateurs veulent acheter un foulard VEUVE CLICQUOT n'établit pas l'intention de la demanderesse d'extensionner sa marque dans le domaine de la mode. Le foulard demeure un article promotionnel, rien de plus.
[47] La commandite d'événements de mode ainsi que la publicité dans des revues de mode s'adressant à la femme établissent que la femme est un marché visé par la demanderesse pour consommer son champagne et ne fait pas la preuve qu'elle veut extensionner ses marques à l'univers de la mode ce qui aurait dû se refléter dans ses plans de stratégie.
[48] M. Maille n'a pu indiquer dans les plans de stratégie de la demanderesse un seul élément qui ciblait l'univers de la femme.
[49] La demanderesse n'a pas modifié ses marques de commerce depuis leur existence pour les étendre à d'autres marchandises.
[50] La demanderesse a racheté en 1981 les parfums Givenchy mais suite à son acquisition par le groupe LVMH en 1987 elle s'est départie des parfums Givenchy. Il s'agit d'une indication forte qu'elle n'a pas l'intention d'extensionner ses marques vers d'autres produits que le champagne.
[51] La preuve de la demanderesse n'établit pas la connexion avec le domaine de la mode mais uniquement que la femme est un marché visé par la demanderesse.
ANALYSE
[52] L'article 20 de la Loi prévoit que le droit à l'emploi exclusif est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la Loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises en liaison avec une marque de commerce créant de la confusion:
20. (1) Le droit du propriétaire d'une marque de commerce déposée à l'emploi exclusif de cette dernière est réputé être violé par une personne non admise à l'employer selon la présente loi et qui vend, distribue ou annonce des marchandises ou services en liaison avec une marque de commerce ou un nom commercial créant de la confusion. [...] |
|
20. (1) The right of the owner of a registered trade-mark to its exclusive use shall be deemed to be infringed by a person not entitled to its use under this Act who sells, distributes or advertises wares or services in association with a confusing trade-mark or trade-name [...]
|
|
|
|
[53] Selon l'article 20, il n'est pas nécessaire que les marchandises soient de la même catégorie générale. Dans l'affaire Miss Universe, Inc. c. Bohna, [1995] 1 C.F. 614 (C.A.F.), le juge Décary a affirmé à la page 625:
Pour que l'on conclue à la vraisemblance de la confusion, il n'est pas nécessaire que les parties exercent dans le même domaine ou la même industrie, ni que les services soient du même genre ou de la même qualité. Les marques de commerce utilisées en liaison avec des marchandises et des services d'une certaine qualité, destinés à une catégorie d'acheteurs, peuvent causer de la confusion avec les marques de commerce désignant des marchandises et des services d'un genre ou d'une qualité différents, destinés à une catégorie différente d'acheteurs.
[54] L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées ou vendues par la même personne. Dans l'affaire United States Polo Assn. c. Polo Ralph Lauren Corp., [2000] A.C.F. no 1472, le juge Malone s'est exprimé ainsi au para 18:
[...] la question à se poser est de savoir si un consommateur ordinaire, au vu de la marque postérieure, aura comme première impression que les marchandises avec lesquelles la seconde marque est employée sont en quelque façon associées àcelles de la marque antérieure.
[55] Pour décider si des marques de commerce créent de la confusion, le tribunal doit tenir compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris celles qui sont énumérées au paragraphe 6(5) de la Loi :
[...]
a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;
b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;
c) le genre de marchandises, services ou entreprises;
d) la nature du commerce;
e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent. |
|
[...]
(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;
(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;
(c) the nature of the wares, services or business;
(d) the nature of the trade; and
(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them. |
|
|
|
[56] Je vais donc appliquer chacun de ces critères aux faits en l'espèce.
Le caractère distinctif inhérent des marques de commerce
[57] Le premier élément à considérer est la solidité ou le caractère bien établi de la marque. Cette Cour a affirmé que les marques de commerce qui contiennent des mots qui évoquent les marchandises ou les services qu'offre leur propriétaire sont considérées comme des marques faibles qui n'ont droit, par conséquent, qu'à une faible protection. (SkyDome Corp. c. Toronto Heart Industries Ltd., [1997] A.C.F. no 275). De plus, une marque de commerce avec un mot d'usage courant possède un caractère distinctif inhérent moindre et le degré de protection accordé par le tribunal est limité. (Clorox Co. c. Sears Canada Inc., [1992] 2 C.F. 579 (1re inst.)) Par contre, une marque de commerce composée d'un mot unique ou inventé a un caractère distinctif inhérent plus considérable, méritant une protection étendue. (Pink Panther Beauty Corp. c. United Artists Corp., [1998] 3 C.F. 534 (C.A.F.))
[58] Je suis d'avis que les marques VEUVE CLICQUOT et CLICQUOT de la demanderesse possèdent un caractère distinctif inhérent marqué et méritent une portée de protection étendue. Le mot « Clicquot » est inventé, et la preuve révèle que hormis les marques des défenderesses, il n'existe au Canada aucune marque semblable sur le marché.
La période d'emploi
[59] La période pendant laquelle une marque a été en usage est un facteur susceptible de faire naître la confusion quant à l'origine des marchandises ou des services. Par rapport à une marque qui fait son apparition, une marque qui est employée depuis longtemps est présumée avoir fait une certaine impression parmi les consommateurs.
[60] En l'espèce, je suis d'avis que ce critère d'appréciation favorise la demanderesse. L'enregistrement TMA 242,785 de la demanderesse pour la marque VEUVE CLICQUOT indique une revendication d'emploi au Canada de la marque pour des vins de champagne depuis au moins 1899. Par contre, les défenderesses revendiquent un emploi beaucoup plus récent pour les marques CLIQUOT et CLIQUOT « UN MONDE À PART » , soit un emploi depuis 1995.
Le degré de ressemblance entre les marques de commerce
[61] Lorsque le tribunal est présenté avec des marques similaires, il doit évaluer l'impression que ces marques font sur le public. Généralement, il faut examiner la marque comme un tout, et non la disséquer pour en faire un examen détaillé. Cependant, il est tout de même possible d'en faire ressortir des caractéristiques susceptibles de jouer un rôle déterminant dans la perception du public.
[62] La demanderesse prétend qu'il y a un grand degré de similarité entre ses marques de commerce et celles des défenderesses. Bien que les marques des défenderesses soient CLIQUOT et CLIQUOT « UN MONDE À PART » , la demanderesse prétend que le mot « Cliquot » est l'élément dominant dans ces marques de commerce. En outre, la demanderesse soutient que le fait que la marque de la demanderesse s'écrive « Clicquot » et que celle des défenderesses s'écrive « Cliquot » ne fait rien pour éliminer la confusion. Je suis d'accord que la preuve appuie cette prétention.
[63] La preuve de la demanderesse établit que les revues et la publicité ont utilisé le mot « Clicquot » uniquement pour référer aux produits de la demanderesse.
[64] La meilleure preuve provient du témoignage de Mme Gauthier qui a témoigné que ce n'est que « Clicquot » qu'elle a vu et retenu.
[65] Quant au second point, il faut se rappeler que le test de confusion entre marques de commerce doit être analysé du point de vue du consommateur qui n'est pas sur ses gardes et qui a simplement un souvenir imparfait d'avoir vu ou entendu la marque usurpée. (Culinar Inc. c. Gestion Charaine Inc., [1987] A.C.F. no 633). Par conséquent, le fait que la marque de la demanderesse s'écrive « Clicquot » et que celle des défenderesses s'écrive sans la lettre « c » ne fait rien pour éliminer le risque de confusion du point de vue du consommateur ayant un souvenir imparfait des marques de commerce.
[66] Par conséquent, je suis d'avis qu'il existe un grand degré de similarité entre les marques de la demanderesse et celles des défenderesses.
Le genre de marchandises, services ou entreprises ainsi que la nature du commerce
[67] Lorsque des marques de commerce sont similaires, le degré de similitude entre les marchandises qui portent ces marques constitue un facteur important pour déterminer s'il existe vraisemblablement une confusion. En l'espèce, les marques de commerce de la demanderesse sont enregistrées en association avec des vins de champagne. Par contre, les marques des défenderesses sont enregistrées en association avec la vente au détail de vêtements pour dames.
[68] La demanderesse prétend que la preuve a révélé une constante association entre ses activités et celles reliées au domaine de la mode. À cet égard, selon la demanderesse, ce n'est ni un abîme, ni même un fossé qui sépare ses activités et celles des défenderesses, mais plutôt une passerelle. Je ne suis pas d'avis que la preuve appuie une telle prétention.
[69] Le fait que la demanderesse ait fait de la publicité dans des revues féminines n'est pas suffisant pour établir une passerelle entre l'activité principale de la demanderesse et celle des défenderesses. Comme je l'ai indiqué précédemment, la preuve révèle que la femme est seulement un marché visé par la demanderesse pour consommer son champagne. Il n'y a aucune indication que la demanderesse veut extensionner ses marques de commerce à l'univers de la mode.
[70] La demanderesse souligne qu'elle vend différents articles vestimentaires à la boutique qu'elle exploite à Reims, et que ces articles sont également en vente sur le site exploité par la filiale américaine Clicquot Inc. aux États Unis. Selon moi, le fait que la demanderesse vende quelques articles promotionnels ne démontre pas qu'il existe une connexion entre ses activités et celles des défenderesses. Ces articles demeurent des articles promotionnels, rien de plus.
[71] Je rejette également l'argument de la demanderesse selon lequel sa marque de commerce est élastique et qu'il est possible qu'elle fasse l'objet d'une extension vers l'univers de la mode dans l'avenir. Un argument similaire a été écarté par cette Cour dans l'affaire Seagram (Joseph E.) & Sons Ltd. v. Registrar of Trademarks (1990), 38 F.T.R. 96. Dans cette affaire, l'appelante prétendait que la tendance générale à la diversification des entreprises amènerait le consommateur à présumer que son entreprise de spiritueux était liée à l'entreprise de courtage immobilier de l'intimée. Le juge MacKay a rejeté cet argument. Il s'est exprimé ainsi au paragraphe 35:
[...] I do not agree with this proposition. In my view, consideration of future events and possibilities of diversification is properly restricted to the potential expansion of existing operations. It should not include speculation as to diversification into entirely new ventures, involving new kinds of wares, services or businesses.
[72] Malgré le témoignage expert de M. Simard à l'effet qu'une extension de la marque CLICQUOT vers d'autres domaines associés au luxe est plausible, je suis d'avis que la preuve n'établit pas que la demanderesse ait l'intention d'exploiter les secteurs autres que celui du champagne. Si la demanderesse voulait vraiment extensionner ses marques à l'univers de la mode, ses plans de stratégie l'auraient réflété.
[73] À cet égard, le fait que la demanderesse s'est départie des parfums Givenchy suite à son acquisition par le groupe LVMH en 1987, est une indication forte qu'elle n'a pas l'intention d'extensionner ses marques vers d'autres produits que le champagne.
[74] Pour toutes ces raisons, je suis d'avis qu'il n'y a aucune connexion entre les activités de la demanderesse et celles des défenderesses.
Toutes les circonstances de l'espèce
[75] Le paragraphe 6(5) de la Loi prévoit que le tribunal doit évaluer tous les facteurs pertinents énumérés et rendre une décision qui tient compte de façon approprié de chacun d'eux. Quoique j'ai trouvé que la marque « Clicquot » est célèbre et unique méritant une portée de protection étendue, cela n'est pas déterminant. La célébrité à elle seule ne protège pas une marque de commerce de façon absolue. Il s'agit d'un facteur qui doit être apprécié en liaison avec tous les autres.
[76] Je suis d'avis que le facteur clef est la différence considérable entre les marchandises de la demanderesse et celles des défenderesses. La demanderesse est reconnue pour ses vins de champagne, tandis que les défenderesses exploitent des boutiques de vêtements pour dames. Les activités de la demanderesse et des défenderesses sont tellement différentes qu'il n'y a aucun risque de confusion chez les consommateurs. Il n'est pas plausible d'après moi qu'un consommateur croirait que la demanderesse était affiliée avec les défenderesses, ou que la demanderesse a octroyé à un tiers une licence pour lui permettre d'employer la partie distinctive de sa marque en association avec l'exploitation d'une boutique de vêtements pour dames.
[77] Dans l'affaire Toyota Jidosha Kabushiki Kaisha c. Lexus Foods Inc., [2001] 2 C.F. 15 (C.A.F.), la question était de savoir si l'appelante pouvait enregistrer la marque « Lexus » en liaison avec des aliments en conserve, même si cette marque était enregistrée par l'intimée et employée en liaison avec des automobiles. La Cour d'appel fédérale a jugé que la marque était enregistrable parce qu'il n'y avait aucun risque de confusion. La Cour s'est exprimée ainsi au paragraphe 10:
Le juge de première instance semble également avoir accordé beaucoup d'importance au fait que le mot Lexus est un « nom inventé » . Bien qu'il puisse s'agir d'un facteur méritant d'être pris en considération pour décider s'il peut y avoir confusion, il ne peut être déterminant quant à l'issue de l'affaire. Les mots courants utilisés dans les marques de commerce en liaison avec certaines marchandises peuvent être utilisés en liaison avec d'autres marchandises s'il n'y a, dans les circonstances, pas de confusion. De même, les mots inventés peuvent également être utilisés pour autant qu'ils n'engendrent pas de confusion. Ce sont les dispositions législatives qui sont déterminantes, et non pas le fait que le propriétaire d'une marque de commerce ait obtenu l'enregistrement d'un nouveau mot qu'il a inventé.
[78] Une conclusion semblable a été rendue dans l'affaire Pink Panther Beauty Corp., précitée. Dans cette affaire, l'appelante a demandé l'enregistrement de la marque de commerce « Pink Panther » pour un usage projeté en liaison avec des produits de beauté. La Cour n'a trouvé aucune connexion entre les produits et services des parties, et par conséquent, a affirmé qu'il n'y avait aucun risque de confusion. Le facteur déterminant était l'énorme différence entre le genre de marchandise et la nature du commerce de l'appelante et de l'intimé. La Cour s'est exprimée ainsi au paragraphe 51:
United Artists produit des films. Elle ne fabrique ni ne distribue de produits de beauté. Il n'est guère vraisemblable que les produits de United Artists en viennent à être offerts dans les mêmes commerces que les produits de l'appelante. Les cinémas ou les clubs vidéo ne vendent pas de shampoing. Les salons de beauté ou de coiffure n'offrent pas de vidéocassettes. Ce sont des faits que le juge de première instance a admis, mais il faut les souligner. L'élément sur lequel il n'a pas suffisamment insisté est que non seulement les marchandises sont totalement différentes dans chaque cas, mais qu'en outre il n'existe aucune sorte de lien entre elles. Je le répète, lorsqu'un tel lien n'existe pas, on pourra rarement conclure à la confusion.
[79] La demanderesse essaie de distinguer le cas en l'espèce en prétendant qu'une connexion entre le domaine de la mode féminine et celui des activités de la demanderesse a été clairement établie. Je rejette également cet argument pour les raisons déjà mentionnées.
[80] À la lumière de la grande différence entre les marchandises des parties en l'espèce, je suis d'avis que les marques de commerce CLIQUOT et CLIQUOT « UN MONDE À PART » des défenderesses ne créent aucune confusion avec celles de la demanderesse. Par conséquent, l'utilisation de ces marques de commerce ne constitue pas une usurpation des marques de la demanderesse au sens de l'article 20 de la Loi.
[81] La demanderesse prétend également que l'usage par les défenderesses de la marque « Cliquot » constitue une infraction aux paragraphes 7(b) et (c) de la Loi. Le paragraphe 7(b) prévoit que nul ne peut appeler l'attention du public sur ses marchandises de manière à causer de la confusion entre ses marchandises et celles d'un autre, tandis que le paragraphe 7(c) interdit à quiconque de faire passer d'autres marchandises pour celles qui sont demandés:
7. Nul ne peut :
[...]b) appeler l'attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu'il a commencé à y appeler ainsi l'attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d'un autre;
c) faire passer d'autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;
[...] |
|
7. No person shall
[...] (b) direct public attention to his wares, services or business in such a way as to cause or be likely to cause confusion in Canada, at the time he commenced so to direct attention to them, between his wares, services or business and the wares, services or business of another;
(c) pass off other wares or services as and for those ordered or requested;
[...] |
|
|
|
[82] Le paragraphe 7(b) constitue un énoncé statutaire du délit de substitution. Il s'agit d'une forme de représentation trompeuse en vertu de laquelle un commerçant profite gratuitement de l'achalandage d'une autre personne en prétendant que ses produits, ses services ou son entreprise sont ceux de cette autre personne. (MacDonald c. Vapor Canada Ltd., [1977] 2 R.C.S. 134).
[83] Afin de réussir une action en délit de substitution, la demanderesse doit établir trois éléments: l'existence d'un achalandage, la représentation trompeuse induisant le public en erreur, et des dommages actuels ou possibles pour la demanderesse. (Ciba-Geigy Canada Ltd. c. Apotex Inc., [1992] 3 R.C.S. 120).
[84] Le droit d'être protégé à l'encontre de la commercialisation trompeuse est lié à la notoriété acquise par l'usage d'un nom, d'une marque ou d'un produit. Cette notoriété est due au fait que le commerce ou le produit a acquis au fil du temps un achalandage bien établi sur le marché. En l'espèce, je suis satisfaite que la preuve révèle que la marque CLICQUOT de la demanderesse est une marque notoire, possédant un achalandage relatif à la vente des vins de champagne. Cependant, je ne suis pas convaincue que la preuve démontre que cette marque possède un achalandage relatif à l'univers de la mode féminine.
[85] Malgré les soumissions de la demanderesse, je suis d'avis qu'il n'y a aucune connexion entre ses marchandises et l'univers de la mode féminine. Comme je l'ai indiqué précédemment, la preuve démontre que l'association de la demanderesse avec l'univers de la mode se limite à cibler le marché de la femme comme consommatrice de ses produits de champagne.
[86] Je suis également d'avis que nulle confusion ne pourrait vraisemblablement résulter de l'utilisation par les défenderesses de la marque « Cliquot » . Le principe est à l'effet qu'il y a risque de confusion lorsqu'un commerçant utilise le nom, la marque de commerce ou encore l'emballage d'un produit de manière a créer chez le consommateur, l'impression que son commerce est celui d'un autre déjà bien établi, qu'il est une filiale ou encore, qu'il y est relié d'une façon quelconque (United States Polo Assn., précitée). À mon avis, il n'est pas vraisemblable qu'un consommateur croirait que les boutiques opérées par les défenderesses sont liées à la demanderesse. Les marchandises et les canaux de distribution des deux parties sont tellement différents qu'il n'y a aucun risque de confusion.
[87] Par conséquent, je suis d'avis que l'utilisation par les défenderesses de la marque de commerce « Cliquot » ne constitue pas une infraction au paragraphe 7(b) de la Loi. De plus, étant donné la différence entre les marchandises de la demanderesse et celles des défenderesses, je suis également d'avis qu'il n'y a aucune infraction au paragraphe 7(c) de la Loi.
[88] La demanderesse soutient en outre que l'usage par les défenderesses de la marque « Cliquot » diminue la valeur de l'achalandage attaché a sa marque. L'article 22 prévoit que nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce:
22. (1) Nul ne peut employer une marque de commerce déposée par une autre personne d'une manière susceptible d'entraîner la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à cette marque de commerce. |
|
22. (1) No person shall use a trade-mark registered by another person in a manner that is likely to have the effect of depreciating the value of the goodwill attaching thereto. |
|
|
|
[89] Dans l'affaire Clairol International Corporation c. Thomas Supply & Equipment Company Limited, [1968] 2 Ex. C.R. 552, le juge Thurlow explique la portée de cette disposition à la page 573:
Then what is meant by "depreciate the value" of such goodwill. To my mind this means simply to reduce in some way the advantage of the reputation and connection to which I have just referred, to take away the whole or some portion of the custom otherwise to be expected and to make it less extensive and thus less advantageous. As I see it goodwill has value only to the extent of the advantage of the reputation and connection which its owner enjoys and whatever reduces that advantage reduces the value of it. Depreciation of that value in my opinion occurs whether it arises through reduction of the esteem in which the mark itself is held or through the direct persuasion and enticing of customers who could otherwise be expected to buy or continue to buy goods bearing the trade mark. It does not, however, as I see it, arise, as submitted by Mr. Henderson, from danger of loss of exclusive rights as a result of use by others as this in my view represents possible loss of exclusive rights in the trade mark itself rather than reduction of the goodwill attaching to it.
[90] La demanderesse prétend que le cas présent en est justement un qui donne lieu à l'application de l'article 22. La marque VEUVE CLICQUOT est une marque de luxe que les défenderesses se sont appropriée pour exploiter les boutiques qui se donnent certaines apparences de luxe. Si une marque de luxe est associée à des produits qui n'ont pas la qualité des produits traditionnellement associés à ce secteur, cela peut miner la réputation et la crédibilité d'une marque de luxe.
[91] La demanderesse a présenté le témoignage expert de Mme Abitbol. Celle-ci a évoqué le cas « Cardin » où la marque PIERRE CARDIN a été associée à une gamme de produits extrêmement vaste et de qualité très inégale, tels des outils de cuisine, accessoires de salle de bain, parfums, cosmétiques, linge de maison et bagages. Ces différentes associations non contrôlées ont eu pour résultat de faire perdre à la marque PIERRE CARDIN son prestige et sa crédibilité en tant que marque de luxe.
[92] À mon avis, les circonstances dans le cas « Cardin » sont différentes de celles en l'espèce.
[93] Premièrement, les marchandises offertes en vente dans les boutiques des défenderesses ne portent aucune étiquette ou autre identification mentionnant le nom de la boutique et, de ce fait, ne sont identifiées d'aucune manière au mot « Clicquot » . À cet égard, il n'y a rien qui associe les produits des défenderesses à la marque de la demanderesse.
[94] D'ailleurs, comme Mme Abitbol l'explique, dans le cas « Cardin » , la compagnie a accordé plusieurs centaines de licences pour une gamme de produits extrêmement vaste et de qualité très inégale. Cela a causé à la marque PIERRE CARDIN de perdre son prestige et sa crédibilité. Par contre, en l'espèce, j'ai conclu qu'il n'est pas plausible qu'un consommateur croirait que la demanderesse est affiliée aux défenderesses, ou que la demanderesse a octroyé à un tiers une licence pour lui permettre d'employer la partie distinctive de sa marque en association avec l'exploitation d'une boutique de vêtements pour dames. Bien que la confusion ne soit pas le test prescrit par l'article 22, je suis d'avis qu'elle est quand même nécessaire pour qu'il y ait une association entre les deux marques. Autrement dit, il faut qu'un consommateur soit capable de faire une association entre les parties pour que la diminution de la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce ait lieu.
[95] Dans l'affaire Canadian Council of Blue Cross Plans c. Blue Cross Beauty Products Inc., [1971] C.F. 543 (1re inst.), les défenderesses vendaient des produits de beauté dont les étiquettes comportaient les mots « Blue Cross » et une croix colorée en bleu. Les demandeurs, ayant constamment utilisé les mots « Blue Cross » et le symbole d'une croix bleue, ont invoqué entre autres l'article 22 de la Loi. Le juge Collier a décidé que le fait que les parties oeuvraient dans des domaines complètement différents éliminait la possibilité que l'achalandage attaché à la marque des demandeurs serait diminué. Il s'exprime ainsi aux pages 553-54:
[...] À supposer que les défenderesses aient en fait « employé » la marque de commerce des demandeurs, une croix bleue comme symbole, cela ne m'empêche pas d'estimer à nouveau que cet emploi n'aurait vraisemblablement pas entraîné la diminution de la valeur d'une clientèle intéressée par cette marque de commerce. [...]
[...]
En l'espèce, le litige porte sur des services et des marchandises appartenant à des genres d'activités totalement différents. On n'a pas prouvé de diminution réelle de la clientèle ni, à mon avis, aucun fait d'où l'on puisse déduire la possibilité d'une telle diminution.
[96] En l'espèce, la preuve révèle que la demanderesse a comme seul objectif la vente du champagne, et qu'elle n'est pas intéressée à exploiter d'autres secteurs. Selon moi, un consommateur, ayant vu le mot « Cliquot » utilisé dans les boutiques des défenderesses, ne fera aucun lien ou connexion avec la demanderesse. Par conséquent, il n'y aura aucune association entre la marque de luxe « Clicquot » et les marchandises « non-luxe » des défenderesses.
[97] Pour toutes ces raisons, je conclus que les marques de commerce des défenderesses ne diminuent pas la valeur de l'achalandage attaché à la marque de commerce CLICQUOT, et qu'il n'y a aucune infraction à l'article 22 de la Loi.
[98] Subsidiairement, la demanderesse demande la radiation des enregistrements TMA 479,359 (CLIQUOT) et TMA 479,367 (CLIQUOT « UN MONDE À PART » ) pour les motifs suivants. Premièrement, ces marques n'étaient pas enregistrables à la date de leur enregistrement en raison de la confusion qu'elles créaient avec les marques enregistrées de la demanderesse, le tout contrairement aux alinéas 18(1)(a) et 12(1)(d) de la Loi. Deuxièmement, la défenderesse CHARMANTE n'était pas la personne ayant le droit d'obtenir les enregistrements parce qu'à la date de leur premier emploi, ces marques créaient de la confusion avec les marques de commerce de la demanderesse, le tout contrairement au paragraphe 18(1) in fine et aux alinéas 16(1)(a) et (c) de la Loi. Troisièmement, ces marques n'étaient pas distinctives des services des défenderesses au moment où sont introduites les procédures demandant la radiation de celles-ci, le tout contrairement à l'alinéa 18(1)(b) et au paragraphe (2).
[99] Je vais traiter de chacun de ces motifs.
[100] Les alinéas 18(1)(a) et 12(1)(d) de la Loi indiquent que l'enregistrement d'une marque de commerce est invalide si la marque crée de la confusion avec une marque de commerce déposée:
18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :
a) la marque de commerce n'était pas enregistrable à la date de l'enregistrement; [...] |
|
18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if
(a) the trade-mark was not registrable at the date of registration,
[...] |
|
|
|
12. (1) Sous réserve de l'article 13, une marque de commerce est enregistrable sauf dans l'un ou l'autre des cas suivants :
[...]
d) elle crée de la confusion avec une marque de commerce déposée;
[...] |
|
12. (1) Subject to section 13, a trade-mark is registrable if it is not
[...]
(d) confusing with a registered trade-mark;
[...] |
|
|
|
[101] Le test de confusion est déterminé par l'article 6 de la Loi. Étant donné qu'en appliquant les critères énumérés au paragraphe 6(5), j'ai conclu que les marques de commerce des défenderesses ne créent pas de confusion, je suis d'avis que ses marques sont valides.
[102] Quant au deuxième motif de la demanderesse, le paragraphe 18(1) in fine, les alinéas 16(1)(a) et (c) de la Loi indiquent que tout requérant qui a produit une demande selon l'article 30, en vue de l'enregistrement d'une marque de commerce qu'il a employée ou fait connaître en liaison avec des marchandises, a droit d'en obtenir l'enregistrement à l'égard de ces marchandises à moins que la marque ne crée de la confusion avec une marque de commerce ou un nom commercial antérieurement employé par une autre personne:
18. (1) L'enregistrement d'une marque de commerce est invalide dans les cas suivants :
[...] Sous réserve de l'article 17, l'enregistrement est invalide si l'auteur de la demande n'était pas la personne ayant droit de l'obtenir.
16. (1) Tout requérant qui a produit une demande selon l'article 30 en vue de l'enregistrement d'une marque de commerce qui est enregistrable et que le requérant ou son prédécesseur en titre a employée ou fait connaître au Canada en liaison avec des marchandises ou services, a droit, sous réserve de l'article 38, d'en obtenir l'enregistrement à l'égard de ces marchandises ou services, à moins que, à la date où le requérant ou son prédécesseur en titre l'a en premier lieu ainsi employée ou révélée, elle n'ait créé de la confusion :
a) soit avec une marque de commerce antérieurement employée ou révélée au Canada par une autre personne;
[...]
c) soit avec un nom commercial antérieurement employé au Canada par une autre personne. |
|
18. (1) The registration of a trade-mark is invalid if
[...]
and subject to section 17, it is invalid if the applicant for registration was not the person entitled to secure the registration.
16. (1) Any applicant who has filed an application in accordance with section 30 for registration of a trade-mark that is registrable and that he or his predecessor in title has used in Canada or made known in Canada in association with wares or services is entitled, subject to section 38, to secure its registration in respect of those wares or services, unless at the date on which he or his predecessor in title first so used it or made it known it was confusing with
(a) a trade-mark that had been previously used in Canada or made known in Canada by any other person;
[...]
(c) a trade-name that had been previously used in Canada by any other person. |
|
|
|
[103] Pour les raisons déjà mentionnées, je suis d'avis que la défenderesse CHARMANTE pouvait enregistrer ses marques parce qu'il n'y a aucune confusion entre ses marques de commerce et celles de la demanderesse.
[104] Quant au troisième motif de la demanderesse, l'alinéa 18(1)(b) et le paragraphe (2) indiquent qu'une marque de commerce est invalide si elle est non distinctive, c'est-à-dire si elle n'est pas distinctive à l'époque où sont entamées les procédures contestant la validité de l'enregistrement.
[105] La jurisprudence a établi qu'une marque de commerce peut devenir non distinctive lorsqu'elle dévie de sa forme enregistrée, devient générique ou la part du domaine public, est incorrectement assignée, ou est incorrectement octroyée. (Registraire des marques de commerce c. Compagnie Internationale pour l'Informatique CII Honeywell Bull, [1985] 1 C.F. 406 (C.A.F.) ; Aladdin Industries, Inc. v. Canadian Thermos Products Ltd., [1969] 2 Ex. C.R. 80; Heintzman c. 751056 Ontario Ltd (1990), 38 F.T.R. 210; Marketing International Ltd. c. S.C. Johnson & Son Limited, [1979] 1 C.F. 65 (C.A.F.)).
[106] En l'espèce, il n'y a rien dans la preuve qui appuie la prétention que les marques des défenderesses sont non distinctives. L'affaire soulignée par la demanderesse, Bridgestone/Firestone Inc. c. Automobile Club de l'Ouest de la France, [1995] A.C.F. no 851, est relative à l'enregistrement d'une marque créant de la confusion et ne concerne pas l'alinéa 18(1)(b) et le paragraphe (2) de la Loi. Je rejette également la prétention de la demanderesse selon laquelle la présence de son site internet a rendu les marques des défenderesses non distinctives. À mon avis, la demanderesse n'a fourni aucune preuve valable indiquant comment les marques de commerce des défenderesses sont devenues non distinctives.
[107] Pour ces motifs, je suis d'avis qu'il n'y a aucun motif valable pour la radiation des marques de commerce des défenderesses.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE que l'action de la demanderesse soit rejetée avec dépens.
« Danièle Tremblay-Lamer »
J.C.F.C.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : T-2080-98
INTITULÉ :
VEUVE CLICQUOT PONSARDIN,
MAISON FONDÉE EN 1772
demanderesse
et
LES BOUTIQUES CLIQUOT LTÉE
et
MADEMOISELLE CHARMANTE INC.
et
3017320 CANADA INC.
défenderesses
LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE : Les 18 au 21 novembre 2002
MOTIFS DE L'ORDONNANCE: L'honorable juge Danièle Tremblay-Lamer
DATE DES MOTIFS : Le 30 janvier 2003
COMPARUTIONS :
Me Jacques Léger
Me Barry Gamache
Me Alexandra Beshlian POUR LA DEMANDERESSE
Me Brian Riordan
Me Alexandre Ajami POUR LES DÉFENDERESSES
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Léger Robic Richard POUR LA DEMANDERESSE
Montréal (Québec)
Me Pouliot Mercure POUR LES DÉFENDERESSES
Montréal (Québec)