Date : 1998.02.27
T-2745-97
E n t r e :
MIRAJ S.A. et JORDACHE MANAGEMENT AND DEVELOPMENT CORP.,
demanderesses,
et
GEROVITAL INC., FRANÇOIS VAUTOUR et
ROGERS BROADCASTING LIMITED,
défendeurs.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE
LE JUGE ROTHSTEIN
[1] Il s'agit d'un appel d'une ordonnance en date du 2 février 1998 par laquelle le protonotaire adjoint Giles a rejeté la demande présentée par les défendeurs Gerovital Inc. et François Vautour (les défendeurs) en vue d'obtenir une garantie pour les dépens. La demanderesse Miraj S.A. (Miraj) est une société roumaine. La demanderesse Jordache Management and Development Corp. (Jordache Corp.) est une compagnie ontarienne.
[2] Voici le dispositif de l'ordonnance du protonotaire adjoint Giles :
[TRADUCTION] |
Vu les motifs exposés dans la décision Titan Linkabit, la présente requête est rejetée, étant donné qu'il y a une demanderesse au Canada. |
Dans l'affaire Titan Linkabit c. S.E.E. See Electronic Engineering Inc., (1992), 53 F.T.R. 309; 42 C.P.R. (3d) 48, qui concernait des demanderesses étrangères et une demanderesse qui résidait dans le ressort de la Cour, les demanderesses avaient consigné à la Cour la somme de 20 000 $ à titre de garantie pour les dommages-intérêts auxquels elles pourraient être condamnés relativement à une ordonnance Anton Piller. Il semble que cette décision ait quelque peu influencé la décision de ne pas condamner les demanderesses étrangères à fournir une garantie pour les dépens.
[3] L'avocat des défendeurs fait valoir que, compte tenu des circonstances particulières de la présente espèce, la décision Titan Linkabit ne constitue pas un précédent qui s'applique de façon générale aux affaires dans lesquelles il y a des demandeurs qui résident dans le ressort du tribunal et d'autres qui se trouvent à l'extérieur de ce ressort. L'avocat des défendeurs affirme en outre que, dans le cas qui nous occupe, Jordache Corp. n'est demanderesse que de nom et que cette question n'a pas été abordée par le protonotaire adjoint Giles.
[4] Bien que je ne sois pas convaincu que la décision Titan Linkabit ne s'applique pas en l'espèce, il est exact que le protonotaire adjoint Giles ne précise pas le statut de Jordache Corp. dans son ordonnance. Pour cette raison, j'exerce mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début dans le cadre du présent appel1.
[5] Les dispositions pertinentes des Règles de la Cour fédérale2 sont les alinéas 446(1)a) et 446(1)b) :
446. (1) Lorsque, à la demande d'un défendeur, il paraît évident à la Cour |
a) que le demandeur réside ordinairement hors du ressort judiciaire, |
b) que le demandeur (à condition qu'il ne s'agisse pas d'un demandeur poursuivant en qualité de représentant) n'est demandeur que de nom et poursuit au bénéfice de quelque autre personne, et qu'il y a lieu de croire qu'il sera incapable de payer les dépens du défendeur s'il lui est ordonné de le faire, |
[...]
si, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, il semble juste de le faire, la Cour pourra ordonner au demandeur de fournir pour les dépens qui pourront être adjugés au défendeur à l'action ou autre procédure, la garantie qui semble juste. |
[6] Il n'y a aucun doute que Miraj est une demanderesse étrangère. Toutefois, le principe général qui se dégage de la jurisprudence est que, lorsqu'il y a à la fois des demandeurs étrangers et des demandeurs canadiens, le tribunal ne condamne habituellement pas les demandeurs étrangers à fournir une garantie pour les dépens (voir, par exemple, les jugements Titan Linkabit c. S.E.E. SEE Electronic Engineering (précité), K-tel International Ltd. et al. c. Benoît et al., (1995), 92 F.T.R. 157, et Figgie International Inc. c. Schoettler, (1994), 53 C.P.R. (3rd) 450 (C.F. 1re inst.). Dans les jugements Windsurfing International Inc. c. The AIROS Systems Ltd., (1979), 46 C.P.R. (2nd) 43 (C.F. 1re inst.) et Hassenfeld Bros. Inc. c. Parkdale Novelty Co. Ltd., [1967] 1 R.C. de l'Éch. 277, les juges Cattanach et Noël en sont respectivement venus à la conclusion opposée, ce qui est plutôt inusité.
[7] La raison pour laquelle le tribunal n'ordonne pas en règle générale la fourniture d'une garantie pour les dépens lorsque certains demandeurs résident hors de son ressort, alors que d'autres résident dans son ressort, est que les demandeurs qui résident dans le ressort du tribunal constituent à toutes fins utiles la garantie des dépens des défendeurs. Il n'y a aucune raison pour laquelle, dans les affaires dans lesquelles il y a des demandeurs qui résident dans le ressort du tribunal et d'autres qui résident hors de celui-ci, les défendeurs devraient avoir droit à une garantie pour leurs dépens alors qu'ils n'auraient pas droit à cette garantie lorsque les demandeurs résident tous dans le ressort du tribunal. Il arrive toutefois que le tribunal ordonne le paiement d'une garantie pour les dépens lorsque des demandeurs résident dans son ressort et que d'autres résident hors de celui-ci et que les demandes des différents demandeurs ne sont pas des [TRADUCTION] " demandes conjointes " (voir le jugement Hassenfeld , précité, à la page 283). Si j'ai bien compris le raisonnement suivi dans le jugement Hassenfeld, si les demandes des demandeurs étrangers et celles des demandeurs canadiens découlent de droits d'action différents ou sont par ailleurs tellement différentes que les défendeurs risquent de ne pouvoir récupérer des demandeurs canadiens les dépens auxquels les demandeurs étrangers seraient condamnés, le tribunal peut ordonner la fourniture d'une garantie pour les dépens. J'estime toutefois qu'il incomberait alors aux défendeurs de démontrer que le résultat qu'ils obtiendraient différerait à ce point selon qu'ils s'adressent aux demandeurs résidant dans le ressort du tribunal ou à ceux qui résident hors du ressort du tribunal et qu'ils ne pourraient recourir aux demandeurs qui résident dans le ressort du tribunal pour obtenir l'exécution d'une ordonnance adjugeant les dépens aux défendeurs. Ce n'est pas ce que les défendeurs ont fait en l'espèce. Je ne vois pas pourquoi la règle générale ne devrait pas s'appliquer dans le cas qui nous occupe. L'existence d'un demandeur canadien suffit, sauf si l'alinéa 446(1)b) s'applique, pour justifier le refus de prononcer une ordonnance enjoignant à Miraj de fournir une garantie pour les dépens.
[8] La thèse des défenderesses doit par conséquent reposer sur le fait que Jordache Corp. n'est demanderesse que de nom et qu'il y a lieu de croire qu'elle sera incapable de payer les dépens s'il lui est ordonné de le faire. Les deux conditions doivent être réunies. Or, les défendeurs ne satisfont ni à l'une ni à l'autre. Suivant l'affidavit souscrit par M. Michael Jordache, le président de Jordache Corp., celle-ci a été constituée en personne morale en 1989 et exerce diverses activités, comme la gestion immobilière, l'importation et l'exportation, les services de gestion, la construction et la rénovation. Elle a signé avec la demanderesse Mira un contrat de distribution et de licence pour l'importation, la distribution et la vente de produits de beauté de Miraj et d'autres produits. M. Jordache affirme que Jordache Corp. possède un intérêt véritable dans la présente action. Il affirme qu'en raison de la contrefaçon dont les défendeurs se sont rendus coupables, il a été très difficile pour Jordache Corp. de bénéficier du contrat de distribution et de licence qu'elle a signé avec Miraj. Les défendeurs n'ont pas contre-interrogé M. Jordache au sujet de son affidavit. Je suis persuadé que, dans le présent appel, Jordache Corp. ne peut être considérée comme n'étant qu'une demanderesse de nom qui agit pour Miraj.
[9] Michael Jordache affirme en outre que Jordache Corp. possède deux comptes en banque, qu'elle dispose des services réguliers d'un expert-comptable et d'un avocat et qu'elle exerce toutes les activités normales d'une entreprise commerciale. Il ajoute que la situation financière de Jordache Corp. est " solide ", mais, pour des raisons de confidentialité, il préfère ne pas communiquer de renseignements financiers au sujet de la compagnie. Je répète qu'il n'a pas été contre-interrogé au sujet de son affidavit.
[10] Il ressort du libellé de l'alinéa 446(1)b) qu'à tout le moins au départ, c'est aux défendeurs qu'il incombe de démontrer qu'il y a lieu de croire que Jordache Corp. ne sera pas capable de payer les dépens des défendeurs. Le fait que la charge de cette preuve soit imposée aux défendeurs démontre que les demandeurs qui résident dans le ressort du tribunal ne sont normalement pas tenus de fournir une garantie pour les dépens.
[11] Les défendeurs affirment qu'ils ont consulté des registres se rapportant à Jordache Corp. et qu'ils ont découvert que Michael Jordache est l'unique administrateur et dirigeant de la compagnie. Ils allèguent que l'adresse commerciale enregistrée de Jordache Corp. correspond à la résidence de M. Jordache (bien que Michael Jordache nie cette allégation dans son affidavit). Equifax/Créditel, une agence de crédit, a indiqué qu'elle n'a pas de dossier au nom de Jordache Corp. Rien de ce qui précède ne permet de conclure que Jordache Corp. ne serait pas capable de payer les dépens. Le fait que M. Jordache est l'unique administrateur et dirigeant de la compagnie ne permet pas d'inférer quoi que ce soit, ni le fait que l'adresse enregistrée de son entreprise puisse se trouver à la résidence de M. Jordache. Le fait qu'Equifax/Créditel n'a pas de dossier au nom de Jordache Corp. démontre peut-être tout simplement que Jordache Corp. n'a pas besoin d'emprunter d'argent.
[12] Une façon de procéder beaucoup plus directe et logique aurait consisté pour les défendeurs de contre-interroger M. Jordache au sujet de son affidavit pour obtenir des éclaircissements au sujet de l'actif, du passif, des produits et des charges de Jordache Corp. au cours des dernières années. Si M. Jordache avait refusé de communiquer ces renseignements lors de son contre-interrogatoire, ce refus aurait fort bien pu constituer un motif de croire que Jordache Corp. ne serait peut-être pas capable de payer les dépens, mais ce contre-interrogatoire n'a pas eu lieu. On ne peut tirer d'inférence négative de la répugnance initiale de M. Jordache à rendre publics des renseignements d'ordre financier au sujet de sa compagnie.
[13] Compte tenu de toutes les circonstances de la présente affaire, je ne crois pas qu'il serait juste d'ordonner aux demanderesses de fournir une garantie pour les dépens des
défendeurs. L'appel est rejeté et les dépens sont adjugés aux demanderesses quelle que soit l'issue de la cause.
" Marshall E. Rothstein "
Juge |
Toronto (Ontario)
Le 27 février 1998
Traduction certifiée conforme
Martine Guay, LL. L.
COUR FÉDÉRALE DU CANADA
AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER
No DU GREFFE : T-2745-97 |
INTITULÉ DE LA CAUSE : MIRAJ S.A. et JORDACHE MANAGEMENT AND |
DEVELOPMENT CORP. |
et |
GEROVITAL INC., FRANÇOIS VAUTOUR et |
ROGERS BROADCASTING LIMITED |
DATE DE L'AUDIENCE : 23 février 1998 |
LIEU DE L'AUDIENCE : Toronto (Ontario) |
MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Rothstein le 27 février 1998
ONT COMPARU :
M e Gerald Matlofsky |
pour les demanderesses |
M e Kenneth McKay |
pour les défendeurs Gerovital Inc. et François Vautour |
PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER : Me Gerald Matlofsky |
avocat et procureur
460, avenue Roselawn
Toronto (Ontario) M5N 1J8 |
pour les demanderesses |
M e Kenneth D. McKay |
Sim, Hughes, Ashton & McKay |
330, avenue University, 6e étage |
Toronto (Ontario) M5G 1R7 |
pour les défendeurs Gerovital Inc. et François Vautour |
M e Doug Wilson |
Lang, Michener |
avocats et procureurs |
BCE Place |
181, rue Bay, bureau 2 500 |
Toronto (Ontario) M5J 2T7 |
pour la défenderesse |
Rogers Broadcasting Limited |
COUR FÉDÉRALE DU CANADA |
Date : 1998.02.27
T-2745-97
E n t r e : |
MIRAJ S.A. et JORDACHE MANAGEMENT AND DEVELOPMENT CORP., |
demanderesses,
et |
GEROVITAL INC., FRANÇOIS VAUTOUR et |
ROGERS BROADCASTING LIMITED, |
défendeurs.
MOTIFS DE L'ORDONNANCE |
1 Voir l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, aux pages 462 et 463 (le juge MacGuigan).