Date : 20190304
Dossier : T‑1887‑17
Référence : 2019 CF 32
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Halifax (Nouvelle‑Écosse), le 4 mars 2019
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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LOUIS VUITTON MALLETIER S.A.;
LOUIS VUITTON CANADA, INC.;
CÉLINE; CHRISTIAN DIOR COUTURE, S.A.; GIVENCHY S.A.
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demanderesses
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Et
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AUDREY WANG, ALIAS NINI WANG,
ALIAS NI YANG;
M. UNTEL, ALIAS CANADA ROYAL IMPORT & EXPORT CO. LTD.; FAISANT AFFAIRE COLLECTIVEMENT SOUS LE NOM DE NI FASHION, NIYANGBAZZA ET NI BAZZA, ET LIAN TONG COURIER SERVICE
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défendeurs
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ORDONNANCE ET MOTIFS PUBLICS
(Identiques à la version confidentielle du jugement et des motifs rendus le 9 janvier 2019)
I.
INTRODUCTION
[1]
Aux termes d’une ordonnance datée du 14 décembre 2017, Mme Audrey (Nini) Wang (la « défenderesse »
) devait comparaître devant la Cour fédérale, à Vancouver, le mardi 19 décembre 2017, afin d’exposer les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas être reconnue coupable d’outrage au tribunal relativement à une ordonnance rendue le 12 décembre 2017.
II.
LE CONTEXTE
[2]
Le 6 décembre 2017, une déclaration a été déposée au nom de Louis Vuitton Malletier S.A., Louis Vuitton Canada, Inc., Céline, Christian Dior Couture, S.A., et Givenchy S.A. (les « demanderesses »
) en vue d’obtenir une injonction et d’autres mesures contre plusieurs parties, dont la défenderesse. Cette déclaration a été déposée à titre confidentiel.
[3]
Conformément à un avis de requête déposé le 6 décembre 2017, une ordonnance Anton Piller (« l’ordonnance »
) a été rendue le 12 décembre 2017.
[4]
L’ordonnance exigeait notamment que la défenderesse remette immédiatement tous les appareils électroniques et les téléphones cellulaires visés par l’ordonnance à M. Paul Smith, l’avocat superviseur indépendant désigné dans l’ordonnance.
[5]
Les demanderesses ont déposé une requête ex parte le 14 décembre 2017 en vue de solliciter une ordonnance enjoignant à la défenderesse d’exposer les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas être reconnue coupable d’outrage au tribunal, conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les « Règles »
).
[6]
Une ordonnance a été rendue le 14 décembre 2017. Cette ordonnance prévoyait notamment ce qui suit :
[traduction]
2. Mme Wang doit être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché lors de l’audience pour outrage, c’est‑à‑dire le fait qu’elle a désobéi à l’ordonnance de la Cour datée du 12 décembre 2017, plus particulièrement à l’alinéa 19 de cette ordonnance, lorsqu’elle n’a pas remis son téléphone à l’avocat superviseur indépendant, Paul Smith, après que l’ordonnance du 12 décembre 2017 lui a été dûment signifiée et qu’on lui a expliqué qu’elle devait remettre son téléphone conformément à cette ordonnance.
3. Mme Wang doit être prête à présenter une défense en réponse aux allégations d’outrage énoncées au paragraphe 2.
4. Mme Wang doit apporter et être prête à remettre tous ses téléphones personnels et professionnels à l’avocat superviseur indépendant conformément à l’ordonnance de la Cour datée du 12 décembre 2017, sous réserve d’une autre ordonnance de la Cour.
[7]
L’audience de justification a eu lieu le 19 décembre 2017. Immédiatement avant la présentation des éléments de preuve, la défenderesse a remis son téléphone cellulaire à M. Smith, l’avocat superviseur indépendant.
[8]
Deux témoins ont été appelés à témoigner pour le compte des demanderesses : M. Smith et M. Wenhui Zhong.
[9]
Dans son témoignage, M. Smith a déclaré qu’il s’est présenté au 4311, chemin Hazelbridge, local 1775, à Richmond, en Colombie‑Britannique, le 13 décembre 2017 et qu’il a signifié une copie de l’ordonnance à la défenderesse. Une copie de cette ordonnance a été déposée sous la pièce A1.
[10]
M. Smith a mentionné qu’il a expliqué les dispositions de l’ordonnance à la défenderesse, et qu’il lui a dit qu’il n’était pas là pour lui fournir un avis juridique, mais pour superviser l’exécution de l’ordonnance à titre de personne indépendante.
[11]
M. Smith a ajouté qu’il a conseillé à la défenderesse d’obtenir un avis juridique, et qu’une liste de noms et de numéros de téléphone d’avocats qu’elle pourrait appeler lui avait été remise. Un téléphone a également été mis à sa disposition pour qu’elle puisse faire un appel. Selon M. Smith, la défenderesse a dit qu’elle ne souhaitait pas appeler un avocat pour l’instant.
[12]
M. Zhong est interprète. Il parle anglais, mandarin et cantonais. Il se trouvait dans les locaux commerciaux de la défenderesse lorsque M. Smith a signifié l’ordonnance à la défenderesse. M. Zhong a affirmé qu’il se trouvait dans les locaux pour offrir son aide, et non pas pour fournir des services d’interprétation complète et continue.
[13]
Dans son témoignage, M. Zhong a déclaré qu’il [traduction] « estime »
que la défenderesse maîtrise suffisamment l’anglais pour communiquer dans cette langue la plupart du temps.
[14]
M. Zhong a précisé qu’il avait traduit une partie de l’ordonnance et non la totalité de celle‑ci. Pendant qu’il la traduisait, il a aussi traduit simultanément ce que disait M. Smith.
[15]
La défenderesse a choisi de témoigner. Dans son témoignage, elle a reconnu que M. Smith lui avait signifié l’ordonnance. Elle a déclaré avoir reçu signification de l’ordonnance le 14 décembre 2017. Elle a également affirmé qu’elle comprenait une partie du contenu de l’ordonnance, mais pas la totalité.
[16]
Dans son témoignage, la défenderesse a admis qu’elle n’avait pas remis son téléphone cellulaire lorsque M. Smith le lui avait demandé. Elle a également admis qu’elle est sortie à l’extérieur pour faire un appel avec son téléphone pendant que M. Smith et son équipe se trouvaient dans les locaux.
[17]
La défenderesse reconnaît que M. Smith lui avait conseillé d’appeler un avocat. Elle reconnaît aussi que Mme McDonald lui avait remis une liste d’avocats qu’elle pourrait appeler. La défenderesse a déclaré qu’elle n’a appelé aucun de ces avocats parce qu’elle [traduction] « n’avait pas confiance en ça »
, c’est‑à‑dire en la liste d’avocats.
[18]
La défenderesse n’a pas consulté un avocat le jour où elle a reçu signification de l’ordonnance, mais elle a retenu les services d’un avocat avant de se présenter à l’audience de justification le 19 décembre 2017.
[19]
Dans son témoignage, la défenderesse a déclaré qu’elle avait compris M. Smith lorsqu’il lui avait demandé de lui remettre son téléphone cellulaire.
[20]
La défenderesse a affirmé qu’elle n’a pas remis son téléphone à M. Smith et qu’elle est allée dans la salle de bain pour faire un appel avec son téléphone. Elle a mentionné qu’elle croyait que la fouille de ses locaux était alors terminée.
[21]
La défenderesse a ajouté qu’elle avait compris qu’elle était libre de refuser de remettre son téléphone cellulaire, mais qu’il y aurait des conséquences si elle adoptait cette conduite. Dans son témoignage, elle a déclaré qu’elle n’a pas remis son téléphone cellulaire lorsqu’on le lui a demandé pour la première fois parce qu’elle [traduction] « ne connaissait pas »
M. Smith, qu’elle ne [traduction] « reconnaissait »
pas l’ordonnance, et qu’elle devait [traduction] « contacter »
un avocat et sa mère.
III.
ANALYSE ET DÉCISION
[22]
Dans la présente requête, il s’agit de savoir si les demanderesses se sont acquittées du fardeau d’établir que la défenderesse a commis un outrage au tribunal pour avoir désobéi à une ordonnance de la Cour, plus précisément à l’ordonnance datée du 12 décembre 2017.
[23]
Les instances relatives à l’outrage au tribunal devant la Cour sont régies par les articles 466 à 472 des Règles. L’alinéa 466b), les paragraphes 467(1), 467(3) et 467(4), l’article 469 et le paragraphe 470(2) des Règles intéressent la présente affaire. Ils prévoient ce qui suit :
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[24]
Dans la décision Lyons Partnership, L.P. c MacGregor (2000), 5 C.P.R. (4th) 157 (C.F. 1re inst.), la Cour a statué que les Règles étaient elles‑mêmes une codification de la common law en ce qui concerne l’outrage au tribunal et que le requérant doit démontrer hors de tout doute raisonnable que l’auteur présumé de l’outrage avait une connaissance personnelle réelle de l’ordonnance du tribunal, qu’il est l’auteur principal de l’outrage, soit parce qu’il a commis l’acte lui‑même, soit parce qu’il a expressément ou implicitement autorisé sa perpétration, et qu’il possédait le degré nécessaire de mens rea.
[25]
Il incombe aux demanderesses de démontrer, en premier lieu, que la défenderesse avait été informée de l’ordonnance rendue le 12 décembre 2017, et, en deuxième lieu, qu’elle avait été informée de la tenue de l’audience de justification le 19 décembre 2017. Je renvoie à la décision Pintea c. Johns, [2017] 1 RCS 470.
[26]
Sur la foi du témoignage de MM. Smith et Zhong, je suis convaincue que l’ordonnance a été signifiée à personne à la défenderesse le 13 décembre 2017 dans les locaux commerciaux situés à Richmond.
[27]
La défenderesse a comparu, accompagnée de son avocat, à l’audience de justification le 19 décembre 2017. Sa présence me convainc qu’elle a été informée de cette audience, même si aucun affidavit de signification de l’ordonnance de justification à la défenderesse n’a été déposé pendant l’audience.
[28]
Les demanderesses ont‑elles démontré que la défenderesse a enfreint l’ordonnance et a commis un outrage au tribunal?
[29]
Les paragraphes 2, 3 et 4 de l’ordonnance précités portent uniquement sur la défenderesse.
[30]
La défenderesse était l’acteur principal. Elle avait le contrôle de son téléphone cellulaire et elle ne l’a pas remis à l’avocat superviseur indépendant comme l’exigeait l’ordonnance.
[31]
En omettant de se conformer, la défenderesse a désobéi à l’ordonnance. Dans son témoignage, la défenderesse a reconnu qu’elle n’avait pas remis son téléphone cellulaire lorsque l’ordonnance lui a été signifiée.
[32]
Je suis convaincue que la défenderesse comprenait qu’elle devait remettre son téléphone cellulaire et qu’elle a choisi de ne pas le faire.
[33]
Je suis d’avis que les actes de la défenderesse satisfont aux exigences juridiques de la mens rea.
[34]
En l’espèce, je suis convaincue que les demanderesses ont satisfait au critère juridique prévu dans la décision Lyon Partnership, précitée. Elles se sont acquittées de leur fardeau de démontrer, hors de tout doute raisonnable, que la défenderesse a commis un outrage au tribunal en désobéissant à une ordonnance de la Cour. Une ordonnance sera prononcée en conséquence.
[35]
L’article 472 des Règles traite des peines qui peuvent être infligées à la personne reconnue coupable d’outrage au tribunal et prévoit ce qui suit :
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[36]
Dans l’arrêt Winnicki c. Canada (Commission des droits de la personne), (2007), 359 N.R. 101 (C.A.F.), la Cour d’appel fédérale a donné pour directives d’accorder à une personne reconnue coupable d’outrage au tribunal l’occasion de faire valoir son point de vue avant qu’une peine lui soit infligée.
[37]
Bien que l’avocat de la défenderesse ait formulé un certain nombre d’observations au sujet de la pénalité durant l’audience du 19 décembre 2017, j’estime qu’il est approprié de tenir sous peu une audience sur la pénalité et de rendre une directive en ce sens.
[38]
La question des dépens sera abordée lors de cette audience.
ORDONNANCE
LA COUR STAUE que :
La défenderesse, Audrey Wang, alias Nini Wang, alias Ni Wang, a commis un outrage au tribunal relativement à l’ordonnance rendue par la Cour le 12 décembre 2017.
Une directive sera rendue au sujet de la date de la tenue d’une audience de détermination de la peine.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 17e jour d’avril 2019
Manon Pouliot, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑1887‑17
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INTITULÉ :
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LOUIS VUITTON MALLETIER S.A. ET AUTRES c AUDREY WANG, ALIAS NINI WANG ET AL.
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 DÉCEMBRE 2017
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :
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LE 4 MARS 2019
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COMPARUTIONS :
Karen MacDonald
Mathew Brechtel
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POUR LES DEMANDERESSES
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Christopher M. Dafoe
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POUR LA DÉFENDERESSE
(AUDREY (NINI) WANG)
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LES DEMANDERESSES
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Taylor Venoitte Sullivan
Avocat
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LES DÉFENDEURS
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