Date : 20190410
Dossier : T-251-18
Référence : 2019 CF 436
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 10 avril 2019
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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LAWRENCE FRANKLIN GLAZER
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demandeur
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA POUR LE COMPTE DE SA MAJESTÉ LA REINE DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
Dans une déclaration en date du 12 février 2018, M. Glazer (le « demandeur »
) a intenté une action contre le procureur général du Canada (le « défendeur »
) en vue d’obtenir les mesures de réparation suivantes :
[TRADUCTION]
a) Que la Cour conclue que la dette du demandeur est prescrite et ne peut être recouvrée en vertu du paragraphe 221(3) de la Loi de l’impôt sur le revenu [sic] ou de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif [sic], et qu’elle devrait être éteinte;
b) Qu’à titre subsidiaire, la Cour conclue que la dette du demandeur imposerait à ce dernier des difficultés excessives et qu’elle devrait être éteinte;
c) Une ordonnance interdisant au défendeur de retenir les remboursements d’impôt sur le revenu et autres sommes dus au demandeur;
d) Une reddition de compte;
e) Toute autre réparation qui, selon la nature de l’affaire, peut être nécessaire et que la Cour peut juger indiquée;
f) Les dépens liés à la présente action. [sic]
g) Une ordonnance portant que tous les fonds retenus qui appartiennent au demandeur soient retournés à ce dernier avec intérêts, ou encore que ces fonds soient imputés sur tout impôt que le demandeur peut devoir au défendeur.
II.
CONTEXTE
[2]
Le 13 mars 2008, le défendeur a déposé une défense dans laquelle il expose en grande partie les faits se rapportant à la dette fiscale du demandeur, à son défaut de s’opposer à toute cotisation ou d’interjeter appel dans les délais prescrits, à l’application des crédits dus au demandeur par le gouvernement fédéral à la dette fiscale, et à l’application du délai de prescription prévu à l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. 1985, c. C-50, à la cause d’action invoquée dans la déclaration.
[3]
Dans un avis de requête déposé le 30 juillet 2018, le défendeur demande à la Cour de rendre un jugement sommaire, conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »
), rejetant la demande du demandeur dans son intégralité.
[4]
Le défendeur a déposé l’affidavit de Mme Traci Wool à l’appui de la présente requête.
[5]
Mme Wool travaille à l’Agence du revenu du Canada (« ARC »
) à titre d’agente des ressources. Dans son affidavit, elle décrit l’historique de la dette fiscale accumulée par le demandeur pour les années d’imposition 1994, 1995 et 1996, ainsi que l’historique des mesures de recouvrement prises par l’ARC, qui a notamment imputé des remboursements d’impôt sur cette dette. Elle fournit des précisions concernant cette mesure de recouvrement aux paragraphes 13 à 20 de son affidavit.
[6]
Mme Wool fait aussi référence à un avis d’opposition déposé par le demandeur en 2013 à l’égard de l’année d’imposition 2012. Elle déclare qu’une lettre a été envoyée au demandeur, le 12 juin 2013, pour l’informer qu’il ne pouvait s’opposer qu’aux cotisations concernant sa dette, et non au solde impayé. L’opposition du demandeur a été rejetée après avoir été jugée invalide.
[7]
En réponse au dossier de requête du défendeur, le demandeur a déposé un affidavit, souscrit le 11 septembre 2018. Il répond aux diverses déclarations faites par Mme Wool au sujet de la dette et des mesures de recouvrement prises par l’ARC.
[8]
Le demandeur a déclaré qu’il n’avait pas entendu l’agent des Services fiscaux d’Edmonton parler de la « question comptable »
.
[9]
Le demandeur a mentionné que, de décembre 2010 à avril 2017, il avait été malade en raison du stress causé par le litige et qu’il avait été en congé d’invalidité prolongée. Bien qu’il fût admissible au crédit d’impôt fédéral pour personnes handicapées de 2010 jusqu’à l’année d’imposition 2018, il n’a pas demandé ce crédit [traduction] « parce [qu’il aurait] été privé des avantages que le gouvernement devait [lui] offrir »
.
III.
OBSERVATIONS
[10]
Le défendeur, c’est-à-dire la partie requérante, soutient que le demandeur ne soulève pas de véritable question litigieuse et que, de toute façon, [traduction] « l’affaire est tellement douteuse qu’elle ne mérite pas d’être examinée par la Cour »
.
[11]
Il soutient que le délai de prescription applicable au recouvrement de la dette fiscale n’est pas expiré, que la Cour n’a pas compétence pour éteindre la dette fiscale et que rien ne justifie la Cour d’interdire au ministre du Revenu national de s’acquitter de son obligation légale d’administrer et d’appliquer la Loi de l’impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, c. 1 (5e suppl.) (la « Loi »
).
[12]
Pour sa part, le demandeur soutient que la dette fiscale est prescrite, étant donné qu’elle est née avant l’adoption du paragraphe 222(4) de la Loi en 2004. Il soutient par ailleurs que la dette a été éteinte par l’effet de l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, précitée, et par l’effet de la Limitation Act, R.S.B.C. 1996, c. 266.
[13]
Le demandeur soutient également que la dette aurait dû être gelée dès février 2005, ce qui lui aurait permis de se prévaloir du paragraphe 220(3.1) de la Loi.
[14]
Enfin, le demandeur soutient qu’il y a des raisons de conclure que cette dette devrait être éteinte à cause des contraintes qu’elle lui impose et que cela constitue une question litigieuse.
IV.
ANALYSE ET DÉCISION
[15]
Le critère applicable en matière de requête en jugement sommaire fondée sur l’article 215 des Règles consiste à déterminer si les actes de procédure révèlent une « véritable question litigieuse »
. L’article 215 des Règles prévoit :
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Selon la décision Trevor Nicholas Construction Co. Ltd c. Canada (2011), 328 D.L.R. (4e) 665, chaque affaire doit être examinée dans son propre contexte. Lorsque les faits pertinents ne peuvent être établis ou que des questions importantes de crédibilité sont soulevées, l’affaire devrait être instruite.
[17]
En l’espèce, le témoignage de Mme Wool établit qu’il existe une dette fiscale. Cette dette existe en vertu de la Loi.
[18]
Le demandeur demande que la dette soit « fixée »
à une date déterminée et il soulève la question d’un moyen de défense fondé sur la prescription. Il soutient que la dette est prescrite, parce qu’elle est née avant l’adoption du paragraphe 222(4) de la Loi en 2004. Il s’appuie également sur l’article 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, précitée, que voici :
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De même, le défendeur soulève un argument fondé sur la prescription, s’appuyant à cet égard sur les dispositions de la Loi, à savoir le paragraphe 222(4) :
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[20]
Le demandeur soutient que cette disposition ne s’applique pas à lui puisque la dette est née avant 2004.
[21]
Cet argument ne saurait être retenu. Dans la décision Collins c. Canada (Agence des douanes et du revenu) (2005), 281 F.T.R. 303, la Cour a dit ce qui suit, au paragraphe 10 :
[…] Le sous-alinéa 22(4)a)(ii) se substitue à tout délai de prescription antérieur à l’adoption du projet de loi C‑30. [traduction] Le projet de loi C‑30 a eu pour effet de modifier l’ancien délai de prescription de six ans établi par la Loi.
[22]
Je me reporte également à l’arrêt Markevitch c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94 et à l’arrêt Gibson c. Canada (2005), 334 N.R. 288 (C.A.F.), dans lequel la Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit, au paragraphe 11 :
Pour reprendre les termes du juge Linden dans l'arrêt C.I. Mutual Funds Inc. et al c. La Reine (1999), 99 G.T.C. 7075 (C.A.F.), à la page 7076, l'article 222 modifié de la Loi de l'impôt sur le revenu « est suffisamment clair pour réfuter toute présomption à l'encontre de la rétroactivité ». La modification a été introduite par le législateur en réponse à l'arrêt Markevich de la Cour suprême du Canada. Cette modification prévoit, au paragraphe (4), un délai de prescription de dix ans en matière d'impôt sur le revenu, en remplacement du délai de prescription général de six ans indiqué au paragraphe 32(1) de la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif. Le délai est mentionné de nouveau au paragraphe (10) afin de garantir que la modification s'applique à n'importe quel jugement rendu après le 3 mars 2004 qui porte qu'un contribuable n'a pas à payer une dette fiscale parce qu'un délai de prescription a pris fin avant que la sanction royale soit donnée. Le paragraphe (10) va plus loin encore en précisant que la dette fiscale en question est réputée être devenue exigible le 4 mars 2004. Le jugement contesté ayant été rendu le 4 juin 2004, il n'y a aucun doute que la dette fiscale dont il est question en l'espèce est réputée être devenue exigible le 4 mars 2004 et que le délai de prescription expire le 3 mars 2014.
[23]
Dans la décision Thandi (Re), 2017 CSCB 1201, la Cour suprême de la Colombie‑Britannique s’est exprimée, au paragraphe 27, sur le délai de prescription prévu au paragraphe 222(4) et sur l’effet qu’un paiement effectué à l’égard d’une dette fiscale peut avoir sur ce délai :
[traduction]
Pour ce qui est de savoir si la demande est irrecevable en raison du délai de prescription prévu par la LIR, comme il a été mentionné ci-dessus, le délai de prescription général pour le recouvrement d’une dette prévu au paragraphe 222(4) est de 10 ans et s’applique au recouvrement d’une dette découlant d’une cotisation établie avant le 4 mars 2004. Toutefois, le paragraphe 222(5) prévoit que le délai de prescription peut recommencer à courir. Il ressort des parties pertinentes de cette disposition que le délai de prescription peut recommence à courir le jour où le « contribuable reconnaît la dette » ou à le jour où « le ministre entreprend une action en recouvrement de la dette ». […]
[24]
Conformément au paragraphe 222(5) de la Loi, le délai de prescription recommence à courir lorsque le ministre entreprend « une action en recouvrement de la dette »
. Voici le paragraphe 222(5) :
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[25]
Selon les paragraphes 222(1) et 164(2) de la Loi, « toute action en recouvrement d’une dette fiscale »
s’entend de l’imputation de toute somme à rembourser par le gouvernement fédéral ou, parfois, par un gouvernement provincial, sur une dette fiscale.
[26]
Les paragraphes 222(1) et 164(2) de la Loi prévoient ce qui suit :
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[27]
Dans une lettre datée du 17 février 2005, jointe en tant que pièce C à l’affidavit de Mme Wool, un agent de recouvrement de l’ARC a informé le demandeur que l’Agence ne « recouvrerait »
pas « légalement »
les arriérés pour les années d’imposition 1994, 1995 et 1996. La lettre indiquait également que les crédits que le gouvernement fédéral devait au demandeur, dont le [traduction] « crédit pour taxe sur les produits et services ou les remboursements d’impôt sur le revenu »
, seraient imputés sur ces arriérés.
[28]
L’application combinée des dispositions susmentionnées signifie que la dette fiscale que le demandeur a envers le défendeur n’est pas prescrite. Le demandeur ne peut pas se prévaloir du délai de prescription prévu par la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, précitée, puisque ce délai est écarté par le délai de prescription prévu par la Loi.
[29]
Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles la dette du demandeur demeure [traduction] « légalement recouvrable »
.
[30]
L’article 164 de la Loi permet au ministre d’imputer tout impôt payé en trop et tout remboursement du par le gouvernement fédéral sur la dette du demandeur.
[31]
Bien que le demandeur ait invoqué la Limitation Act, précitée, il n’a pas présenté d’arguments précis sur la façon dont cette loi s’applique ou peut l’aider. L’actuelle Limitation Act, S.B.C. 2012, c. 13, prévoit des délais différents pour intenter une action, mais comme le demandeur n’a présenté aucun argument, je ne vois aucune raison d’examiner cette loi dans le contexte du présent avis de requête.
[32]
Les arguments avancés par le demandeur concernant la prescription ne peuvent être retenus. Ces arguments ne révèlent pas de véritable question litigieuse.
[33]
De même, je ne vois pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne la demande d’extinction de la dette faite par le demandeur.
[34]
Dans ses observations écrites, l’avocat du demandeur a décrit quatre scénarios où il serait possible d’« éteindre »
en tout en en partie une dette fiscale :
1. Le paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu permet au ministre de renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par un contribuable, ou l’annuler en tout ou en partie; toutefois, le ministre ne peut accorder un tel allègement pendant plus de dix ans (c.‑à‑d. qu’une demande présentée en 2018 pourrait tenir compte des intérêts depuis 2008, mais pas avant);
2. Lorsque le débiteur fiscal mène à terme une proposition concordataire présentée en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité;
3 Lorsque le débiteur est libéré de sa faillite;
4. Lorsque le gouverneur en conseil prend un décret de remise en vertu de la Loi sur la gestion des finances publiques.
[35]
Je suis d’accord avec le défendeur que rien n’indique que le demandeur a suivi l’une ou l’autre de ces options. Toute partie visée par une requête en jugement sommaire est tenue de présenter des éléments de preuve visant à répondre aux allégations de la partie requérante. Je me reporte à la décision Watson c. Canada, 2017 CF 321, au paragraphe 22, où la Cour a déclaré ce qui suit :
Dans une requête en jugement sommaire, la partie requérante doit déterminer [sic] qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse (article 214 des Règles des Cours fédérales). C’est un lourd fardeau. Le jugement sommaire ne doit être rendu que dans « les cas les plus clairs » (Pinder c Canada, 2015 CF 1376 au paragraphe 61, confirmée dans 2016 CAF 317). Le fardeau incombe à la partie requérante, mais les deux parties doivent présenter leurs meilleurs arguments (Première nation Samson c Canada, 2015 CF 836 aux paragraphes 94 à 99, confirmée dans 2016 CAF 223 [Première nation Samson]; Lameman au paragraphe 11).
[36]
Enfin, le demandeur demande que le ministre soit « préclus »
d’imputer les remboursements d’impôt sur le revenu et autres sommes dus au demandeur, y compris toute somme due par la province de l’Alberta, sur sa dette fiscale.
[37]
La réponse à cette demande de réparation se trouve à l’article 224.1 de la Loi, que voici :
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[38]
Bien qu’aucun élément de preuve n’ait été présenté à l’appui de l’existence d’une entente entre la province de l’Alberta et le gouvernement fédéral au sujet du recouvrement de l’impôt payable à la province de l’Alberta, Mme Wool a déclaré dans son affidavit que des [traduction] « remboursements dus par l’administration de l’Alberta »
avaient été imputés sur la dette fiscale du demandeur et qu’un avis de paiement lui avait été donné.
[39]
Par conséquent, je conclus, à la lumière de la preuve et des observations orales et écrites qui m’ont été présentées, que le défendeur a satisfait au critère consistant à démontrer qu’aucune véritable question litigieuse ne découle de la déclaration du demandeur.
[40]
La requête en jugement sommaire sera accueillie et la déclaration sera rejetée dans son intégralité.
[41]
Le défendeur sollicite les dépens de la présente requête.
[42]
Conformément au paragraphe 400(1) des Règles, les dépens relèvent de l’entière discrétion de la Cour. Compte tenu de la situation du demandeur qui est décrite dans son affidavit, et exerçant le pouvoir discrétionnaire qui m’est conféré, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.
JUGEMENT dans le dossier T-251-18
LA COUR STATUE que la requête en jugement sommaire du défendeur est accueillie et que l’action du demandeur est rejetée dans son intégralité.
Exerçant le pouvoir discrétionnaire que me confèrent les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, je ne rends aucune ordonnance quant aux dépens.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 26e jour d’avril 2019.
Édith Malo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-251-18
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INTITULÉ DE LA CAUSE :
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LAWRENCE FRANKLIN GLAZER c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA POUR LE COMPTE DE SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, REPRÉSENTÉE PAR LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Edmonton (alberta)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 15 octobRe 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DES MOTIFS :
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LE 10 AVRIL 2019
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COMPARUTIONS :
Lawrence Franklin Glazer
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POUR LE DEMANDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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Daniel Segal
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Edmonton (Alberta)
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POUR LE DÉFENDEUR
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