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Date : 20190404


Dossier : IMM‑4270‑18

Référence : 2019 CF 405

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 avril 2019

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

VITALI GUEROGUEVITCH IOUSSOUPOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente demande vise à contester une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, qui a rejeté l’appel du demandeur contre le refus d’accorder un visa à son épouse. Le visa d’époux a été refusé en raison du manquement du demandeur à son obligation de rembourser à la province d’Ontario les prestations d’aide sociale versées à l’épouse qu’il avait précédemment parrainée. Au 1er juin 2015, le demandeur devait 77 987,24 $ à l’Ontario.    

[2]  La décision initiale de refuser un visa d’époux a été rendue par un agent des visas (agent) à Varsovie, en Pologne. En application du sous‑alinéa 133(1)g)(i) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227 (Règlement), l’agent a conclu que, jusqu’au remboursement complet de la dette de parrainage, il était interdit au demandeur de parrainer son épouse actuelle. Cette conclusion de manquement continu a été tirée sans tenir compte du fait que le demandeur avait conclu un accord avec l’Ontario prévoyant le remboursement de sa dette au moyen de paiements mensuels de 150 $ et qu’il était à jour dans ces paiements. L’agent a aussi rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée par le demandeur.  

[3]  Devant la SAI, l’avocat du demandeur a reconnu la validité juridique de la décision de refuser d’accorder le visa et n’a donné suite qu’à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Par conséquent, la SAI n’a pas examiné la question de savoir si le demandeur avait manqué à son obligation et ne pouvait plus de ce fait parrainer son épouse. Malgré cette concession faite devant la SAI, dans la présente demande, le demandeur fait valoir que la SAI ne pouvait aller au‑delà de l’accord de remboursement ou mettre en question le caractère suffisant des efforts qu’il a déployés pour rembourser sa dette. Il s’agissait manifestement de la principale raison du rejet par la SAI de la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, tel qu’il ressort de l’extrait suivant de sa décision :

[33] En l’espèce, les principaux facteurs défavorables sont l’importance de la dette de parrainage en souffrance, le manque d’efforts initiaux pour éviter qu’une telle dette de parrainage s’accumule, les efforts minimes déployés par l’appelant pour rembourser la dette en question, l’absence de priorité donnée au remboursement de la dette de parrainage et l’absence de plan concret pour la rembourser dans l’avenir. Je note également que le principal motif du remboursement de la dette de parrainage serait éliminé si la demandeure devait immigrer au Canada.

[34] J’estime que les facteurs qui précèdent l’emportent sur la nature de la relation, le motif du parrainage, les difficultés causées par le rejet de l’appel et l’objectif en matière d’immigration que représente la réunification des familles.

[35] L’appelant n’a pas établi qu’il y a des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. Par conséquent, l’appel est rejeté.

[4]  Je suis surpris que le demandeur ait reconnu devant la SAI que la conclusion de manquement tirée par l’agent était légitime, car, selon mon interprétation du règlement applicable, le demandeur n’avait pas manqué à son engagement de parrainage visant sa première épouse. En effet, le demandeur avait réglé le problème de sa dette envers l’Ontario en concluant un accord de remboursement. Bien que la dette du demandeur envers l’Ontario demeure importante, sur le plan juridique, l’accord de remboursement avait pour effet de remédier à son manquement. Il s’agit de l’objet exprès de l’article 135 du Règlement, qui prévoit :

Défaut

 

Default

 

135 Pour l’application du sous‑alinéa 133(1)g)(i), le manquement à un engagement de parrainage :

 

135 For the purpose of subparagraph 133(1)(g)(i), the default of a sponsorship undertaking

 

a) commence, selon le cas :

 

(a) begins when

 

(i) dès qu’une administration effectue un paiement que le répondant est tenu de rembourser au titre de l’engagement,

 

(i) a government makes a payment that the sponsor has in the undertaking promised to repay, or

 

(ii) dès qu’il y a manquement à quelque autre obligation prévue par l’engagement;

 

(ii) an obligation set out in the undertaking is breached; and

 

b) prend fin dès que le répondant :

 

(b) ends, as the case may be, when

 

(i) d’une part, rembourse en totalité ou selon tout accord conclu avec l’administration intéressée les sommes payées par celle‑ci,

 

(i) the sponsor reimburses the government concerned, in full or in accordance with an agreement with that government, for amounts paid by it, or

 

(ii) d’autre part, s’acquitte de l’obligation prévue par l’engagement à l’égard de laquelle il y avait manquement.

 

(ii) the sponsor ceases to be in breach of the obligation set out in the undertaking.

 

[Je souligne.]

 

[Emphasis Added.]

 

[5]  Cette disposition a été examinée dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Mavi, 2011 CSC 30, [2011] RCS 504, où la Cour a expressément déclaré au paragraphe 70 qu’un « accord de remboursement peut remédier au manquement » visé au sous‑alinéa 133(1)g)(i). Bien qu’il s’agisse d’une remarque incidente, elle correspond à ma propre interprétation de l’alinéa 135b). Si les mots « ou selon tout accord conclu avec l’administration intéressée » exigeaient le remboursement en totalité, ils seraient devenus superflus en raison de ce qui précède. Une telle interprétation serait contraire à la présomption d’absence de tautologie : voir l’arrêt Dome Canada Ltd c Ontario (Ministre des Finances), 2006 CSC 20, au paragraphe 45, [2006] 1 RCS 715. L’effet d’un accord de remboursement est tel que le fait qu’il soit peu probable que la dette soit un jour remboursée en totalité n’empêche pas le débiteur d’agir à titre de répondant : voir Mavi, précité, au paragraphe 59. Par conséquent, il n’est pas loisible à un décideur agissant sur le fondement du sous‑alinéa 133(1)g)(i) du Règlement de se pencher sur le caractère adéquat des modalités de remboursement acceptées par une province, pourvu que l’accord soit respecté. 

[6]  Reste à savoir si je peux trancher la présente demande sur le fondement de cette seule question étant donné que la SAI ne l’a jamais directement examinée.

[7]  Bien entendu, il convient de faire preuve de déférence à l’égard de la SAI, dans la mesure où cette dernière exerce son pouvoir discrétionnaire en matière de motifs d’ordre humanitaire. Sa décision ne peut être contestée que s’il est possible de démontrer qu’elle est déraisonnable.

[8]  J’ai de la difficulté à contrôler le caractère raisonnable de l’évaluation des motifs d’ordre humanitaire effectuée par la SAI, car je suis incapable de distinguer cet aspect de sa décision de la question de savoir si le demandeur avait réellement manqué à son engagement de parrainage. La conclusion de la SAI que le demandeur n’en avait pas fait assez pour rembourser ce qu’il devait à l’Ontario n’est raisonnable que s’il s’agissait d’une considération pertinente; et ce ne pouvait l’être que s’il était initialement loisible à la SAI d’examiner le caractère adéquat des modalités de l’accord intervenu entre le demandeur et l’Ontario. Compte tenu de l’article 135 du Règlement, il n’était pas loisible à la SAI d’aller au-delà d’un accord de remboursement, car, lorsqu’il y a un accord, aucun manquement ne peut être excusé pour des motifs d’ordre humanitaire.

[9]  Je crains évidemment que l’effet d’une conclusion défavorable quant au caractère raisonnable soit de renvoyer pour examen devant la SAI une question qui, sans faute de sa part, n’a jamais été examinée. Une telle approche ne devrait généralement pas être adoptée. 

[10]  Cependant, compte tenu des circonstances uniques de l’espèce, qui porte sur une question distincte et simple d’interprétation législative qui ne peut être raisonnablement tranchée que d’une seule manière, j’estime qu’il s’agit de la meilleure solution sur le plan pratique. Renvoyer l’affaire devant la SAI permettra d’éviter les délais et le fardeau administratif liés à une nouvelle demande de parrainage. 

[11]  L’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2001 CSC 61, [2001] 2 RCS 654, dans lequel la Cour était confrontée au problème d’évaluer le caractère raisonnable d’une décision comportant une question qui n’avait pas été soulevée devant le premier décideur, me conforte dans mon opinion. La Cour a reconnu qu’elle jouissait du pouvoir discrétionnaire d’entendre un nouvel argument, mais qu’en règle générale, elle ne devait pas le faire lorsque la question aurait pu être soulevée devant le tribunal inférieur. La question a tout de même été examinée, en partie parce qu’elle « appelait simplement une décision sur un point de droit à partir d’éléments pouvant être examinés lors d’un contrôle judiciaire, quelle que soit la norme de contrôle applicable » : voir le paragraphe 28. La Cour a également souligné l’absence d’allégation de préjudice pour la partie adverse. 

[12]  J’ajouterais que le fait que la SAI ait statué sur l’affaire, sans motifs concernant la signification de l’article 135 du Règlement, renforce la position de la Cour. En effet, cette disposition ne permet qu’une seule interprétation raisonnable, à savoir qu’un accord de remboursement permet de remédier à un manquement visé au sous‑alinéa 133(1)g)(i).

[13]  Pour les motifs qui précèdent, la présente demande est accueillie. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier. 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑4270‑18

LA COUR STATUE : la présente demande est accueillie et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen devant la SAI conformément aux présents motifs.

« R.L. Barnes »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 25e jour d’avril 2019.

Sophie Reid‑Triantafyllos, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑4270‑18

 

INTITULÉ :

VITALI GUEROGUEVITCH IOUSSOUPOV c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 MARS 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE barnes

 

DATE DES MOTIFS :

LE 4 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Aadil Mangalji

POUR LE DEMANDEUR

 

Michael Butterfield

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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