Date : 20190327
Dossier : IMM‑3566‑18
Référence : 2019 CF 378
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 27 mars 2019
En présence de monsieur le juge Ahmed
ENTRE :
|
JUAN YANG
|
demanderesse
|
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La demanderesse est une citoyenne de la Chine. On lui a offert un poste de surveillante du lavage de vitres en Ontario et elle a présenté une demande de permis de travail. Certains des renseignements figurant dans cette demande étaient différents de ceux qui avaient été fournis dans une demande de résidence temporaire antérieure. En raison de ces divergences, un agent de la Section de l’immigration du consulat général du Canada à New York (l’agent) a conclu que la demanderesse avait fait des fausses déclarations sur des faits importants et a rejeté la demande de permis de travail de la demanderesse en application de l’alinéa 40(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR). La demanderesse a donc été interdite de territoire au Canada pendant cinq ans en application du paragraphe 40(2) de la LIPR.
[2]
Le 27 juillet 2018, la demanderesse a présenté une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour. Pour les motifs qui suivent, j’annule la décision rendue par l’agent.
II.
Contexte
[3]
La demanderesse, Juan Yang, est une citoyenne chinoise âgée de 35 ans. Le 12 juillet 2017, elle a accepté un emploi de surveillante du lavage de vitres chez H. Breiter Window Cleaning Ltd. à North York (Ontario). Le 11 janvier 2018, elle a présenté une demande de permis de travail afin d’être en mesure d’exercer son emploi.
[4]
Par lettre datée du 4 juin 2018, l’agent a rejeté la demande de la demanderesse, concluant qu’elle avait fait une présentation erronée sur des faits importants ou fait preuve de réticence concernant ses antécédents de travail. L’agent a tiré cette conclusion parce que la demanderesse a fourni des renseignements différents dans différentes demandes, notamment concernant le titre des postes, les dates d’emploi et les responsabilités rattachées aux postes. À titre d’exemple, dans une demande, elle se décrit comme directrice de la production, alors que dans sa demande de permis de travail, elle se décrit comme surveillante du nettoyage.
[5]
Les notes versées dans le Système mondial de gestion des cas (le SMGC) indiquent que l’agent a examiné la lettre de recommandation du 10 octobre 2017 de l’ancien employeur de la demanderesse en Chine (Anhui New Epoch Science and Technology Co.). L’agent a mis en question l’authenticité de la lettre parce qu’elle était écrite en anglais et en caractères latins plutôt qu’en caractères chinois. Le fait que le salaire soit exprimé en dollars plutôt qu’en yuans avait également soulevé des doutes chez l’agent.
[6]
Afin de dissiper ces doutes, l’agent a transmis une lettre à la demanderesse le 22 janvier 2018 par laquelle il lui a offert l’occasion d’expliquer les divergences dans les renseignements fournis. Cette lettre ne faisait pas mention des réserves qu’avait l’agent quant à l’authenticité de la lettre de recommandation; elle faisait uniquement mention des réserves qu’il avait quant à l’exactitude des différents antécédents de travail de la demanderesse. Dans sa réponse, datée du 4 mars 2018, la demanderesse a principalement fait valoir que les divergences dans les titres des postes pouvaient être attribuables à des différences sémantiques.
[7]
Selon les notes versées dans le SMGC, le 9 mai 2018 l’agent a étudié la réponse de la demanderesse de même qu’une nouvelle lettre de recommandation de son ancien employeur datée du 1er mars 2018. Bien que la nouvelle lettre de recommandation ait été rédigée par Anhui New Epoch Science and Technology Co., cette fois, l’agent n’a pas exprimé de réserves quant à l’authenticité de la lettre du fait qu’elle était rédigée en anglais. Les seules réserves dont il est fait état en détail dans les notes versées dans le SMGC ont trait aux divergences dans les renseignements portant sur les antécédents de travail.
[8]
Après avoir examiné les explications de la demanderesse, l’agent est arrivé à la conclusion qu’elle avait fait une fausse déclaration. L’agent a également conclu qu’il s’agissait de renseignements inexacts importants parce qu’ils auraient pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR, étant donné [traduction] qu’« un permis de travail aurait pu être délivré sans que [la demanderesse] ne satisfasse aux critères d’admissibilité en la matière »
. Par conséquent, l’agent est arrivé à la conclusion que la demanderesse était interdite de territoire au Canada pendant cinq ans en application de l’alinéa 40(2)a) de la LIPR.
III.
Question en litige et norme de contrôle
[9]
Les décisions rendues sur le fondement de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR sont susceptibles de contrôle par notre Cour selon la norme de la décision raisonnable (voir la décision Chughtai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 416, au paragraphe 11). La question que je dois trancher est celle de savoir si l’agent est raisonnablement arrivé à la conclusion que la demanderesse a fait une présentation erronée susceptible d’entraîner une erreur dans l’application de la LIPR au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR.
IV.
Analyse
[10]
La demanderesse soutient que la présence de renseignements différents dans ses demandes ne constitue pas un motif pour conclure qu’il y a eu présentation erronée au sens de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR. La demanderesse soutient que peu importe qu’elle ait ou non été directrice de la production ou surveillante du nettoyage, il ne fait aucun doute qu’elle possède de l’expérience en ce qui a trait à l’exécution de tâches liées à la surveillance du nettoyage. La demanderesse soutient également que le seul point dont l’agent doit tenir compte à cette étape du processus est celui de savoir si, en ce qui concerne l’offre d’emploi actuelle, elle possède l’expérience nécessaire.
[11]
Le défendeur soutient que l’agent disposait d’éléments de preuve clairs et convaincants indiquant que la demanderesse a fait une présentation erronée concernant ses antécédents de travail. Il a fourni à la Cour un tableau fort utile faisant état des principales différences entre les demandes de la demanderesse. À titre d’exemple, le défendeur fait remarquer que dans la lettre d’emploi du 19 décembre 2017 de la demanderesse il est indiqué qu’elle a occupé divers postes au sein de l’entreprise, à savoir stagiaire de janvier 2005 à juillet 2005, travailleuse à la chaîne de production de juillet 2005 à la fin de 2005 et directrice de la production de 2007 à 2014. Par contre, dit‑il, la lettre d’emploi de la demanderesse produite dans le cadre de sa demande de permis de travail indique seulement qu’elle a été surveillante du nettoyage pendant la période allant de janvier 2005 à mai 2014. Ainsi, le défendeur soutient que la demande de permis de séjour temporaire précédente de la demanderesse aurait pu être analysée différemment si on avait su que son expérience se limitait à celle d’une surveillante du nettoyage.
[12]
L’alinéa 40(1)a) de la LIPR ne prévoit pas que toutes les fausses déclarations emportent interdiction de territoire. L’alinéa (40)(1)a) limite plutôt l’interdiction de territoire aux fausses déclarations qui pourraient entraîner une erreur dans l’application de la LIPR :
|
|
[13]
Par le passé, la Cour a conclu que les fausses déclarations pouvant entraîner une erreur dans l’application de la LIPR sont les fausses déclarations portant sur des faits importants. De plus, il n’est pas obligatoire qu’elles entraînent une erreur; il suffit qu’elles risquent de le faire. Une fausse déclaration est importante si elle a une incidence sur le processus (voir la décision Goburdhun c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 971, au paragraphe 37, et la décision Oloumi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 428, au paragraphe 25).
[14]
Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que la conclusion de l’agent selon laquelle [traduction] « un permis de travail aurait pu être délivré sans que [la demanderesse] ne satisfasse aux critères d’admissibilité en la matière »
est déraisonnable parce que l’agent n’a pas analysé la preuve au dossier. L’agent n’a tenu compte ni des exigences du poste ni des qualifications de la demanderesse. De plus, à cet égard, il n’a pas soupesé la lettre de l’employeur éventuel de la demanderesse, qui indique qu’il a évalué les compétences de la demanderesse et déterminé qu’elle est qualifiée pour le poste.
[15]
La demande initiale de la demanderesse faisait état de compétences et de qualifications plus élevées. Toutefois, dans les circonstances de l’espèce, il est possible qu’il n’y ait eu aucune fausse déclaration importante (et, par conséquent, qu’aucune erreur ne risque d’être occasionnée) étant donné que la deuxième demande indiquait de toute façon que la demanderesse possédait de l’expérience dans le domaine de la surveillance du nettoyage. La question de savoir si la fausse déclaration était importante n’a pas fait l’objet d’un examen raisonnable de la part de l’agent, de sorte qu’une erreur susceptible de contrôle a été commise. Avant de tirer une conclusion au titre l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, l’agent doit évaluer la preuve au dossier pour déterminer si une fausse déclaration porte sur un fait important.
V.
Questions à certifier
[16]
On a demandé aux avocats des deux parties s’il y avait des questions à certifier. Chacun a affirmé qu’il n’y avait pas de questions à certifier, ce à quoi je souscris.
VI.
Conclusion
[17]
Une conclusion de fausse déclaration doit être tirée selon la prépondérance des probabilités et être fondée sur une preuve claire et convaincante. L’agent n’a examiné aucun élément de preuve en vue de déterminer si la fausse déclaration perçue était importante. Par conséquent, la décision rendue par l’agent ne fait pas partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). En conséquence, j’annule la décision de l’agent.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑3566‑18
LA COUR STATUE :
La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour réexamen.
Aucune question n’est certifiée.
« Shirzad A. »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 24e jour de mai 2019.
Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑3566‑18
|
INTITULÉ :
|
JUAN YANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 12 MarS 2019
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE AHMED
|
DATE :
|
LE 27 MarS 2019
|
COMPARUTIONS :
Aris Daghighian
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Nicholas Dodokin
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Green and Spiegel LLP
Avocats
Toronto (Ontario)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
For The Applicant
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
For The Respondent
|