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Date : 20190321


Dossier : T‑130‑19

Référence : 2019 CF 348

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2019

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

SAM PRINCE

demandeur

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

(Prononcés oralement à l’audience à Montréal (Québec), le 31 janvier 2019, à l’appui de la décision de la Cour de rejeter la demande avec dépens)

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision, datée du 17 décembre 2018, qu’aurait rendue une agente (l’agente) de l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), pour obtenir une injonction provisoire, interlocutoire et permanente ainsi qu’un jugement déclaratoire, en vue de faire annuler des nouvelles cotisations proposées à l’égard du demandeur pour les années d’imposition 2007 à 2016, au titre du paragraphe 152(4) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) (la LIR), et d’interdire au ministre ou à l’ARC de procéder à leur établissement.

[2]  Le 17 janvier 2019, le demandeur a présenté une requête urgente pour obtenir une mesure interlocutoire. Une conférence téléphonique a par la suite eu lieu avec les parties, le 18 janvier 2019.

[3]  Le 22 janvier 2019, le juge en chef a rendu une ordonnance portant que l’affaire devait procéder directement au moyen d’une audition rapide de la demande sous-jacente en contrôle judiciaire, laquelle devait être entendue le 31 janvier 2019, soit aujourd’hui, accompagnée d’ordonnances procédurales accessoires.

[4]  Les ordonnances ont été accordées en fonction de l’engagement pris par la défenderesse de ne pas établir l’avis de nouvelle cotisation avant l’audition de la demande sous-jacente.

II.  Le contexte factuel

[5]  Le 8 avril 2015, l’agente agissant pour le compte du ministre du Revenu national (le ministre), a communiqué avec M. Prince au sujet du début d’une vérification.

[6]  Le 1er septembre 2015, l’agente a signifié une demande de renseignements à M. Prince, qui comportait notamment la demande de remplir un questionnaire détaillé sur ses actifs à l’intérieur ainsi qu’à l’extérieur du Canada, et de fournir tous les relevés bancaires pour la période de 2009 à 2014, pour les comptes détenus en Israël et aux États‑Unis d’Amérique.

[7]  Le 20 juin 2017, après que l’agente eut déposé une demande, au titre de l’article 231.7 de la LIR, pour forcer M. Prince à divulguer les renseignements requis, elle l’a informé qu’elle retirerait la demande de renseignements, parce qu’elle avait demandé et obtenu des renseignements de tiers, au pays et à l’étranger, compte tenu du fait qu’il n’avait pas collaboré. L’agente s’est désistée de sa demande visant l’obtention de renseignements le 16 novembre 2017. M. Prince considère que la vérification était terminée et finale à ce moment‑là, ce qui n’était pas le cas selon l’agente.

[8]  Le 22 juin 2017, l’agente a informé M. Prince par écrit des nouvelles cotisations proposées pour les années d’imposition 2005 à 2014.

[9]  Le paragraphe 152(4) de la LIR prévoit que le ministre « peut établir une cotisation, une nouvelle cotisation ou une cotisation supplémentaire concernant l’impôt pour une année d’imposition, ainsi que les intérêts ou les pénalités, qui sont payables par un contribuable en vertu de la présente partie […] ».

[10]  Bien que M. Prince considère que la vérification était terminée et finale à ce moment‑là, ce n’était pas le cas. L’agente avait accordé à M. Prince trente (30) jours pour présenter des renseignements ou des observations supplémentaires avant l’achèvement des nouvelles cotisations. À la demande de M. Prince, il s’est vu accorder d’autres prorogations pour fournir des observations, au-delà du délai de trente (30) jours déjà accordé.

[11]  Avant l’établissement des nouvelles cotisations, qui avaient été retardées en attendant les observations de M. Prince, l’avocat de M. Prince a déposé, le 6 juillet 2017, une demande anonyme dans le cadre du Programme des divulgations volontaires (le PDV). Vers le mois d’octobre 2017, l’agente a appris la divulgation volontaire de M. Prince au titre du PDV. L’agente a tenu compte des renseignements que M. Prince avait fournis aux termes du PDV dans la nouvelle cotisation qui a été établie.

[12]  M. Prince s’est opposé aux nouvelles cotisations le ou vers le 29 mars 2018.

[13]  En vertu du PDV, qui tire son autorité du paragraphe 220(3.1) de la LIR, le ministre peut exonérer un contribuable de pénalités, s’abstenir de le poursuivre et l’exonérer partiellement d’intérêts, pourvu que quatre conditions de base soient remplies. La demande doit : (1) être volontaire; (2) être complète; (3) impliquer l’application d’une pénalité; (4) divulguer des renseignements qui sont en retard d’au moins un an (circulaire d’information IC00‑1R5, aux paragraphes 31 à 42; remplacée depuis).

[14]  Le 26 juin 2018, l’agente a conclu que la demande de PDV de M. Prince n’était pas volontaire et l’a donc exclue du programme. L’agente s’est appuyée sur le fait qu’au moment de la demande anonyme, qui fixe la date d’entrée en vigueur de la divulgation (circulaire d’information IC00‑1R5, au paragraphe 50), une vérification était en cours depuis le 2 avril 2015; que la vérification n’était pas terminée, puisque le vérificateur attendait toujours les renseignements ou les observations supplémentaires de M. Prince; que les renseignements divulgués dans le cadre du PDV étaient pertinents pour la vérification en cours. Par la suite, elle a informé M. Prince que tous les renseignements divulgués dans le cadre de la demande relative au PDV avaient été transmis au vérificateur.

[15]  Comme le prévoit le paragraphe 57 de la circulaire d’information IC00‑1R5, M. Prince a demandé un examen interne de la décision du ministre le 19 juillet 2018 (l’examen de deuxième palier de la demande).

[16]  Le 20 août 2018, l’agente a informé M. Prince que ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2007 à 2016 avaient été sélectionnées pour une deuxième vérification et a demandé des renseignements supplémentaires (affidavit d’Audrey Beaudoin, au paragraphe 28, pièce K). Huit (8) jours plus tard, l’avocat de M. Prince s’est opposé par écrit à la deuxième vérification, la demande de renseignements étant prématurée, étant donné la décision en attente concernant l’examen de deuxième palier de la demande relative au PDV.

[17]  M. Prince affirme que la défenderesse a utilisé, dans le cadre de la deuxième vérification, les renseignements fournis à la suite de sa divulgation volontaire, alors qu’ils ont été prétendument fournis de façon volontaire et qu’ils n’auraient pas dû être inclus dans la cotisation.

[18]  L’agente diverge toutefois d’opinion. Elle a poursuivi la vérification et a envoyé à M. Prince une proposition de nouvelle cotisation détaillée le 17 décembre 2018. Elle lui a accordé jusqu’au 18 janvier 2019 pour fournir des renseignements et des observations supplémentaires. Le demandeur n’a pas présenté d’observations en réponse à la lettre du 17 décembre 2018. L’agente n’a pas encore établi de nouvelle cotisation à l’égard de M. Prince ni rendu de décision concernant l’examen de deuxième palier de la demande relative au PDV.

III.  Les questions en litige

  1. Premièrement, une lettre d’équité [la lettre d’équité] donne-t-elle au demandeur le temps de présenter des observations au sujet de l’intention du ministre d’établir une nouvelle cotisation, pour empêcher le ministre de le faire à l’égard de M. Prince, alors que la décision relative à un examen administratif de deuxième palier de la demande relative au PDV est en attente d’une décision au sens de l’article 18?

  2. Deuxièmement, la loi interdit-elle au ministre d’établir une nouvelle cotisation à l’égard de M. Prince, alors que l’examen administratif au deuxième palier de la demande relative au PDV est pendant?

IV.  La norme de contrôle

[19]  Les parties n’ont présenté aucune observation au sujet de la norme de contrôle. La question de savoir si la lettre d’équité de l’agente constitue une décision susceptible de contrôle, bien qu’elle se rapporte à la compétence de la Cour, dans cette circonstance particulière, consiste essentiellement à déterminer un fait attributif de compétence, à savoir si la preuve démontre qu’une décision d’établir une nouvelle cotisation a été prise. Elle doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

[20]  Subsidiairement, la décision d’envoyer une lettre indiquant l’intention de procéder à une nouvelle cotisation devrait être examinée selon la norme de la décision raisonnable commandant un degré élevé de retenue. Le terme « peut » semble ne pas être assorti de restrictions. Je n’ai pas été mis au courant de lignes directrices réglementaires ou autres qui limiteraient le pouvoir du ministre d’établir une cotisation à quelque moment que ce soit. Par conséquent, dans la mesure où le pouvoir discrétionnaire est susceptible de contrôle, il serait examiné selon la norme de la décision raisonnable avec un degré très élevé de retenue.

V.  Analyse

(1)  La question du fait attributif de compétence

[21]  Je conclus que je n’ai pas compétence pour examiner la lettre de l’agente datée du 17 décembre 2018, puisqu’il ne s’agit pas d’une preuve d’une « décision » au sens du paragraphe 18.1(3) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la LCF), laquelle est nécessaire pour que la Cour assume sa compétence.

[22]  La lettre est essentiellement une lettre d’équité qui donne à M. Prince l’occasion de présenter des observations sur les raisons pour lesquelles la nouvelle cotisation ne devrait pas être établie. À ce jour, aucune nouvelle cotisation n’a été établie.

[23]  M. Prince fait valoir que sa position à l’égard de toute observation qu’il ferait au sujet de la divulgation volontaire était connue. Néanmoins, je ne suis pas en mesure de conclure que la lettre du 17 décembre 2018 était représentative d’une décision au sens que lui donne la LCF lorsqu’elle a indiqué, à la lecture de son libellé, qu’elle examinerait les autres observations du demandeur et a donné au demandeur le temps de le faire. De plus, elle n’a toujours pas établi de nouvelle cotisation à l’endroit de M. Prince.

[24]  Subsidiairement, la défenderesse fait valoir que, si la lettre du 17 décembre 2018 était, en fait, une décision selon laquelle l’ARC établissait une nouvelle cotisation à l’égard du demandeur, la Cour fédérale se verrait nier toute compétence, par l’effet de l’article 18.5 de la LCF, en raison de la possibilité d’interjeter appel de la décision. Je suis d’accord. D’une façon ou d’une autre, je n’ai pas compétence.

[25]  De plus, en ce qui concerne la deuxième question, si j’ai mal compris les restrictions concernant ma compétence, je ne rendrais néanmoins pas une ordonnance annulant la lettre du 17 décembre 2018 ou accordant l’autre réparation demandée au même effet en attendant l’achèvement du processus de deuxième palier dans le cadre du PDV.

[26]  Je n’exercerais pas mon pouvoir discrétionnaire, qui s’appliquerait dans les circonstances de la présente instance de contrôle judiciaire, parce que je ne vois aucun préjudice pour le demandeur si les nouvelles cotisations sont établies avant la décision pendante relativement à la demande dans le cadre du PDV, laquelle devrait être rendue dans un délai d’environ deux mois.

[27]  J’ajoute que le moment où une décision est rendue concernant une divulgation volontaire ne jouerait vraisemblablement aucun rôle de toute façon, à moins qu’un préjudice évident puisse être imputé aux nouvelles cotisations.

[28]  En ce qui concerne le préjudice allégué par le demandeur si les nouvelles cotisations étaient établies avant la décision relative à sa demande dans le cadre du PDV, la défenderesse a prié la Cour de se reporter à la preuve d’un déposant, M. Ducharme, dans un affidavit daté du 25 janvier 2019, en particulier aux paragraphes 13 et 16 :

[traduction]

[13] Bien qu’une nouvelle cotisation et une décision concernant une demande initiale en divulgation volontaire puissent être faites presque simultanément, c’est ce que nous faisons habituellement quand une vérification est en cours, c’est-à-dire que les agents du PDV attendront que la vérification soit terminée avant de prendre une décision. Les agents du PDV peuvent donc bénéficier des renseignements recueillis par le vérificateur.

[…]

[16] Si une demande en divulgation volontaire est accueillie, après qu’une nouvelle cotisation aura été établie, l’Agence établira un autre avis de nouvelle cotisation, en tenant compte de la réduction des pénalités et des intérêts, le cas échéant.

[29]  La Cour s’intéresse tout particulièrement au paragraphe 16, qui semble s’appliquer expressément aux circonstances de l’espèce. M. Ducharme indique que, même si la demande relative au PDV était accueillie après l’établissement de la cotisation, l’ARC établirait une nouvelle cotisation en tenant compte de sa décision.

[30]  Je suis également d’accord avec l’observation de la défenderesse selon laquelle, si le ministre accorde à M. Prince l’examen au deuxième palier de sa demande relative au PDV, elle ne lui imposera pas de pénalités et ne le poursuivra pas. Elle peut également le soulager d’une partie des intérêts (circulaire IC00‑1R5, aux paragraphes 11 et 13). Rien dans la LIR ou dans la circulaire n’empêche le ministre d’accorder un tel allégement lorsque le ministre a établi une nouvelle cotisation à l’égard d’un contribuable dans le cadre d’une vérification régulière. En outre, et si nécessaire pour la mise en œuvre de la décision relative à l’examen de deuxième palier, le ministre peut établir une nouvelle cotisation, malgré les paragraphes 152(4) et (5) ainsi que le paragraphe 220(3.1) de la LIR. M. Prince ne perdrait pas les avantages d’une décision favorable dans le cadre de l’examen de deuxième palier, même si elle était rendue avant l’établissement de nouvelles cotisations.

[31]  M. Prince n’a pu nommer de dispositions législatives qui contredisent cette preuve. Ses arguments étaient fondés sur des concepts juridiques comme la préclusion promissoire, le contrat et la violation des droits constitutionnels, dont aucun ne s’appliquerait selon moi dans les circonstances.

[32]  Par conséquent, la demande est rejetée, avec dépens.

[33]  Si les parties ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, elles doivent déposer de brèves observations.


JUGEMENT dans le dossier T‑130‑19

LA COUR ORDONNE que la demande soit rejetée, avec dépens.

« Peter Annis »

Traduction certifiée conforme

Ce 24e jour de mai 2019.

C. Laroche, traducteur
COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑130‑19

INTITULÉ DE LA CAUSE :

SAM PRINCE c MINISTRE DU REVENU NATIONAL ET AL

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 janvier 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 21 MARS 2019

COMPARUTIONS :

Barry Landy

POUR LE DEMANDEUR

Ian Demers

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Spiegel Sohmer Inc.

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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