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Date : 20190219


Dossier : IMM-3740-18

Référence : 2019 CF 201

Toronto (Ontario), le 19 février 2019

En présence de monsieur le juge Grammond

ENTRE :

GASTON ZINGOULA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Zingoula sollicite le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de dispense pour motifs humanitaires. Je rejette sa demande, puisque la décision attaquée est raisonnable. Contrairement aux prétentions de M. Zingoula, j’estime que l’agente a tenu compte de l’ensemble des facteurs pertinents, notamment les conditions au Congo, son pays d’origine. L’agente pouvait également se fonder sur les décisions de la SPR et de la SAR pour statuer que les affirmations de M. Zingoula quant à son statut d’opposant au régime n’étaient pas crédibles.

I.  Les faits et la décision attaquée

[2]  M. Zingoula, un citoyen de la République du Congo, est arrivé au Canada en mai 2015 et a demandé l’asile, craignant d’être persécuté en raison de son opposition au président Sassou-Nguesso.

[3]  Sa demande a été rejetée le 6 octobre 2015 par la Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. La SPR a jugé que M. Zingoula n’était pas crédible, puisque son témoignage était truffé de contradictions et d’inco­hérences. Le 15 août 2016, la Section d’appel des réfugiés [SAR] a confirmé la décision de la SPR. La SAR a confirmé les conclusions de la SPR relativement à la crédibilité de M. Zingoula.

[4]  M. Zingoula a ensuite déposé une demande de dispense pour considérations d’ordre humanitaire [CH]. Si l’on fait abstraction de longues citations de la loi, des guides opérationnels et de la jurisprudence, les motifs substantiels de cette demande sont extrêmement brefs. L’avocate qui représentait alors M. Zingoula se contentait d’affirmer :

Il fuit le tribalisme, la torture, la prison et la mort pour ses opinions politique contre la dictature au Congo Brazzaville.

[…]

Monsieur ZINGOULA n’a aucun antécédent criminel, il n’est pas un danger pour le Canada. Le fait que les Lari sont persécutés au Congo à cause du tribalisme est un motif impérieux.

[5]  De plus, l’emphase mise sur certaines citations de la loi ou des guides opérationnels pouvait laisser entendre que M. Zingoula invoquait aussi son établissement au Canada et le meilleur intérêt de ses enfants.

[6]  Une agente d’immigration principale [l’agente CH] a rejeté la demande de M. Zingoula le 15 janvier 2018. Elle a noté que M. Zingoula invoquait essentiellement les mêmes faits qu’à l’appui de sa demande d’asile. Elle a également examiné en détail un ensemble d’éléments de preuve additionnels présentés par M. Zingoula afin de démontrer que son épouse et son cousin avaient été arrêtés. Elle a conclu que ces éléments n’étaient pas suffisamment crédibles ou probants et ne démontraient pas que M. Zingoula, son épouse ou son cousin étaient recherchés en raison de leur opposition au régime. Elle a constaté que divers documents accessibles au public décrivent le cousin de M. Zingoula comme un conseiller du parti du président Sassou-Nguesso. Elle a examiné la preuve concernant le conflit dans la région du Pool, mais elle a conclu que les membres de l’ethnie lari, dont M. Zingoula affirme faire partie, n’étaient pas particulièrement ciblés. Enfin, elle a examiné l’établissement de M. Zingoula au Canada et le meilleur intérêt de ses enfants demeurés au Congo, mais n’a pas accordé un poids important à ces facteurs.

[7]  M. Zingoula sollicite maintenant le contrôle judiciaire de cette décision.

II.  Le cadre juridique applicable

[8]  L’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [la Loi] prévoit que le ministre peut accorder une dispense de certaines dispositions de la Loi « s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient ». Une telle décision est discrétionnaire. Le décideur doit soupeser plusieurs facteurs pertinents, mais aucun algorithme rigide ne détermine l’issue.

[9]  Il arrive souvent qu’une demande CH soit présentée à la suite du rejet d’une demande d’asile. Les deux types de demandes ne sont pas assujettis aux mêmes critères juridiques. Cependant, les faits qui peuvent être invoqués au soutien des deux types de demande peuvent se recouper : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 au paragraphe 51, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy].

[10]  Par exemple, les conditions de vie dans le pays d’origine peuvent être invoquées dans les deux types de demandes. En vertu de l’article 97 de la Loi, de telles conditions ne sont pas juridiquement pertinentes si elles constituent un risque « généralisé », c’est-à-dire un risque auquel fait face l’ensemble de la population du pays. Par contre, dans le contexte d’une demande CH, de telles conditions, même si elles sont « généralisées », peuvent contribuer à établir les difficultés que subirait le demandeur en cas de renvoi : Miyir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 73 au paragraphe 21 [Miyir];  Marafa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 571 au paragraphe 4.

[11]  Il est donc possible d’invoquer, au soutien d’une demande CH, des faits qui avaient précédemment été invoqués au soutien d’une demande d’asile qui a été rejetée. Encore faut-il que la SPR ou la SAR aient jugé crédible la preuve de ces faits. Il est bien établi qu’un agent CH peut rejeter des éléments de preuve qui ont été jugés non crédibles par la SPR ou la SAR : Nwafidelie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 144 au paragraphe 22; Jang c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 996 au paragraphe 19. Évidemment, si un demandeur présente de nouveaux éléments de preuve, l’agent CH doit les analyser. Tout de même, si un demandeur cherche à présenter essentiellement le même récit qui a été jugé non crédible dans son ensemble par la SPR ou la SAR, l’agent CH est en droit de le rejeter : Miyir au paragraphe 25.

[12]  À l’étape du contrôle judiciaire, notre Cour examine les décisions CH selon la norme de la décision raisonnable : Kanthasamy au paragraphe 44. Dans ce contexte, mon rôle n’est pas d’évaluer les facteurs pertinents ou d’exercer de nouveau un pouvoir discrétionnaire, mais plutôt de m’assurer que le décideur a identifié les facteurs pertinents et qu’il les a dûment pris en considération. Je dois également m’assurer que la décision faisant l’objet du contrôle se fonde sur une interprétation justifiable des principes juridiques applicables et sur une évaluation raisonnable des éléments de preuve.

[13]  Le contrôle judiciaire est un examen de la légalité de la décision attaquée en fonction du dossier et des arguments présentés au décideur. Une décision n’est pas déraisonnable parce que le décideur n’a pas tenu compte d’un argument qui ne lui a pas été présenté. En d’autres termes, il n’est pas possible de présenter un nouvel argument à l’étape de la révision judiciaire.

III.  Analyse

[14]  M. Zingoula a présenté trois arguments qui, selon lui, rendent déraisonnable la décision de l’agent CH.

A.  La violence ethnique dans la région du Pool

[15]  Devant notre Cour, M. Zingoula soutient que l’agente CH aurait dû tenir compte des attaques menées par l’État congolais contre la population civile de sa région natale, le Pool. Le dossier présenté à l’agente CH contient en effet divers documents qui font état de cette violence.

[16]  Or, ce n’est pas ainsi que l’affaire avait été présentée à l’agente CH. Dans un passage très bref de sa demande, M. Zingoula avait fait valoir que son appartenance à l’ethnie minoritaire lari l’exposait à la persécution. C’est dans ce contexte qu’il faut comprendre les passages suivants de la décision CH :

[…] la preuve ne permet pas d’établir que les personnes habitant au Pool sont ciblées à cause de leur origine ethnique. […] Je n’ai pas pu trouver de preuves que les autorités congolaises procédaient à un nettoyage ethnique visant l’ethnie Lari et le demandeur n’en a pas non plus soumis. Par conséquent, je ne suis pas satisfaite du fait que le demandeur soit ciblé en fonction de son origine ethnique.

[17]  M. Zingoula n’avait pas, dans sa demande, soutenu que l’ensemble de la population civile de la région du Pool était la cible d’attaques. On ne peut donc reprocher à l’agente de ne pas avoir traité de la situation sous cet angle.

[18]  On ne peut pas non plus reprocher à l’agente CH d’avoir confondu les critères du statut de réfugié et ceux qui sont pertinents à une demande CH. Si l’agente examine la possibilité que les membres de l’ethnie lari soient exposés à la violence, ce n’est pas tant qu’elle applique une analyse de risque ou qu’elle exige la preuve d’un risque personnalisé, mais plutôt parce qu’elle répond aux allégations de M. Zingoula.

[19]  Bref, je constate que l’agente a tenu compte, comme elle devait le faire, de la situation à laquelle M. Zingoula ferait face à son retour au Congo. Elle n’a simplement pas été convaincue que cette situation, combinée aux autres facteurs invoqués par M. Zingoula, justifiait une dispense selon l’article 25 de la Loi.

B.  Le statut d’opposant politique de M. Zingoula

[20]  M. Zingoula soutient également que l’agente CH aurait dû tenir compte de l’ensemble de la preuve, ce qui l’aurait conduite à la conclusion qu’il était exposé à la persécution en raison de ses opinions politiques. Or, cet argument est fondé sur le récit que M. Zingoula avait présenté à la SPR et à la SAR et qui n’a pas été jugé crédible.

[21]  M. Zingoula a tout de même présenté plusieurs éléments de preuve additionnels pour soutenir ses prétentions. L’agente CH aurait pu statuer qu’il s’agissait simplement d’une tentative de bonifier le même récit. Néanmoins, l’agente CH a procédé à une analyse détaillée de ces éléments de preuve et leur a accordé une faible valeur probante. Les motifs donnés par l’agente me paraissent, dans l’ensemble, raisonnables.

[22]  Devant notre Cour, M. Zingoula s’en prend au fait que l’agente CH s’est fondée sur les conclusions de la SPR et de la SAR concernant la crédibilité, alors que d’autres preuves lui avaient été présentées. Or, l’agente CH a examiné ces preuves attentivement. Elle n’y a rien trouvé qui permettrait de renverser les conclusions de la SPR et de la SAR en matière de crédibilité. Il ne faut pas oublier que, comme le disait mon collègue le juge Alan Diner dans Miyir, au paragraphe 25, le demandeur qui souhaite renverser les conclusions de la SPR et de la SAR fait face à une « lourde tâche ».

[23]  M. Zingoula affirme également que l’agente CH aurait entravé l’exercice de sa discrétion en acceptant intégralement les conclusions de la SPR et de la SAR concernant la crédibilité. Je ne suis pas d’accord. La jurisprudence de notre Cour reconnaît qu’un agent CH peut rejeter des éléments de preuve que la SPR et la SAR ont jugés non crédibles.

C.  L’insensibilité culturelle dans l’analyse de la preuve

[24]  M. Zingoula s’en prend enfin au passage suivant de la décision, qui, selon lui, démontre que l’agente aurait analysé la situation d’un point de vue canadien et en faisant preuve d’insensibilité face aux réalités congolaises :

Le demandeur affirme que son épouse et ses enfants vivent cachés dans la peur au Congo, cependant, je note que ceux-ci ont tous des passeports valides, obtenus auprès des autorités et ce malgré les problèmes avérés du demandeur. Bien qu’ils aient des passeports leur permettant de voyager et de quitter le pays, ils ont choisi non seulement d’y rester mais ils continuent de demeurer à Brazzaville. Leur comportement n’est pas compatible avec celui de personnes craignant pour leurs vies.

[25]  Il se peut, en effet, que la preuve ne permette pas de conclure que le fait que la famille de M. Zingoula soit demeurée au Congo découle d’un véritable choix. Je ne crois cependant pas que cela affecte le caractère raisonnable de la décision, considérée dans son ensemble.

[26]  Bref, puisque M. Zingoula n’a pas réussi à démontrer que la décision de l’agente était déraisonnable, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.


JUGEMENT dans IMM-3740-18

  LA COUR STATUE que :

1.  La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

2.  Aucune question n’est certifiée.

« Sébastien Grammond »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-3740-18

INTITULÉ :

GASTON ZINGOULA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 février 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GRAMMOND

DATE DES MOTIFS :

LE 19 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Me Daniel Epstein

Pour le demandeur

Me Andrea Shahin

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Daniel Epstein

Avocat

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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