Date : 20190308
Dossier : IMM‑2594‑18
Référence : 2019 CF 275
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Montréal (Québec), le 8 mars 2019
En présence de madame la juge St‑Louis
ENTRE :
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ISIOMA BARBARA ARISEKOLA, OLUWATOBILOBA EMMANUEL ARISEKOLA
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Mme Isioma Barbara Arisekola et son fils de quatre ans, Oluwatobiloba Emmanuel Arisekola [les demandeurs], sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR].
[2]
Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.
II.
Aperçu
[3]
Les demandeurs sont des citoyens nigérians. Le 4 janvier 2017, les demandeurs, déjà au Canada, ont présenté une demande d’asile. Mme Arisekola soutient que son fils et elle‑même subiront un préjudice de la part des membres de la famille de son époux, qui sont adeptes du culte Oro et voulaient initier son fils au plus tard le 3 mai 2017, soit la date de son quatrième anniversaire de naissance.
[4]
La Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté la demande, précisant que la question déterminante portait sur la crédibilité. Le tribunal n’a pas prêté foi aux allégations formulées par Mme Arisekola concernant la persécution à laquelle elle pourrait être exposée si elle retournait au Nigéria.
[5]
La SAR a rejeté l’appel des demandeurs. À titre préliminaire, la SAR a examiné une demande fondée sur l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [Règles de la SAR] afin d’admettre des documents déposés par les demandeurs après la mise en état de l’appel. Dans leur demande présentée à la SAR pour que soit admis l’élément de preuve, les demandeurs ont indiqué que leur avocate n’était pas disponible du 15 au 30 novembre 2018, car elle était en vacances.
[6]
La SAR a précisé qu’elle devait examiner l’article 29 des Règles de la SAR, le paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi], et les divers éléments de ces dispositions.
[7]
La SAR s’est surtout concentrée sur l’élément énoncé à l’alinéa 29(4)c) des Règles de la SAR, relevant que la date de mise en état de l’appel était le 17 novembre 2017, que la mise en état respectait les délais et que, à ce titre, il n’y avait aucune raison pourquoi ces documents ne pouvaient pas être déposés dans le cadre de l’appel mis en état. La SAR a rejeté la demande pour ce motif et n’a pas examiné les deux autres éléments énoncés aux alinéas 29(4)a) et 29(4)b) des Règles de la SAR.
III.
Question en litige
[8]
Les parties ont soulevé différentes questions, mais seule l’une d’elles requiert l’attention de la Cour afin que celle‑ci puisse statuer sur la présente demande.
[9]
La Cour doit déterminer si la SAR a manqué aux règles d’équité procédurale en refusant d’admettre le nouvel élément de preuve et, plus précisément, si la SAR aurait dû expressément tenir compte des trois critères énoncés au paragraphe 29(4) des Règles de la SAR, ce qu’elle n’a pas fait en l’espèce. Le libellé de l’article 29 des Règles de la SAR est reproduit en annexe.
[10]
Il n’est pas évident de déterminer la norme de contrôle applicable à la présente question selon la jurisprudence, mais il ne s’agit pas d’un facteur décisif, car la Cour est convaincue que la SAR a manqué à l’équité procédurale. La SAR doit tenir compte de l’ensemble des trois critères énoncés au paragraphe 29(4) des Règles de la SAR et elle ne peut pas simplement limiter son analyse à un élément applicable, à savoir si l’élément de preuve aurait pu être présenté avec le dossier mis en état des demandeurs.
[11]
Selon le libellé du paragraphe 29(4), la SAR doit tenir compte de l’ensemble des trois critères : « prend en considération tout élément pertinent, notamment […] »
. La décision qui fait autorité pour ce qui est de la présentation d’un nouvel élément de preuve devant la SPR est Cox c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2012 CF 1220, dans laquelle la Cour s’est penchée sur la question de savoir si la SPR devait prendre en considération tous les éléments énoncés à l’article 43 des Règles de la Section de la protection des réfugiés (Règles de la SPR), dont le libellé est semblable à celui de l’article 29 des Règles de la SAR. Voici les précisions du juge Near :
[26] Je ne suis pas convaincu que la Commission a respecté ses obligations au titre de l’équité procédurale en l’espèce. Bien qu’elle n’ait pas tout simplement tenu aucun compte des éléments de preuve présentés, comme cela avait été le cas dans les affaires Nagulesan et Howlader, précitées, la Commission a seulement soupesé un des éléments énumérés au paragraphe 37(3) des Règles. Je conviens avec les demandeurs que la pertinence et la valeur probante des documents constituaient des éléments importants que la Commission aurait dû prendre en considération dans son traitement de la demande d’autorisation à produire des éléments de preuve après l’audience, compte tenu en particulier du fait que l’autre motif de refus de la demande d’asile des demandeurs est lié à la vraisemblance de leur récit.
[27] La Commission a souligné que les demandeurs avaient été représentés par un conseil versé en matière de droit des réfugiés à toutes les époques pertinentes tout au long de l’instance, qu’ils n’avaient pas expliqué pourquoi les éléments de preuve n’avaient pas été communiqués plus tôt et qu’ils n’avaient pas expliqué pourquoi ils ne semblaient pas avoir fait d’efforts raisonnables pour obtenir les documents avant la fin de l’audience – des considérations qui relèvent toutes de l’alinéa 37(3)c) des Règles. Néanmoins, la Commission était tenue de prendre en considération la pertinence, la valeur probante et le caractère nouveau des documents, c’est‑à‑dire les éléments énumérés aux alinéas 37(3)a) et b) des Règles. Bien que la liste des éléments à prendre en considération aux termes du paragraphe 37(3) ne soit pas exhaustive, l’emploi du mot « notamment » plutôt que des mots « tel que » avant l’énumération des éléments en question indique que le législateur a voulu que chacun des éléments énumérés à cette disposition soit pris en considération. Ne pas le faire constitue un manquement à l’équité procédurale.
[12]
Comme le libellé des Règles de la SPR et celui des Règles de la SAR sont identiques, la Cour est convaincue que la même analyse doit s’appliquer au paragraphe 29(4) des Règles de la SAR. Le fait que la SAR n’ait pas tenu compte des deux autres éléments a donné lieu à un manquement à l’équité procédurale.
[13]
Le défendeur a concédé que le traitement par la SAR de la demande d’autorisation en vue de la production tardive d’un élément de preuve manquait de transparence et n’était pas raisonnable compte tenu du raisonnement de la SAR en ce qui a trait à l’élément 4c) de l’article 29. Par ailleurs, le défendeur indique que, ce faisant, le tribunal n’a pas reconnu les autres éléments applicables : la pertinence, la valeur probante et toute nouvelle preuve que le document pourrait apporter à l’appel. Par conséquent, comme rien n’indique de quelle façon la SAR a évalué les deux autres éléments de l’article 29, le défendeur affirme que la décision manque de transparence et n’est pas raisonnable.
[14]
La Cour est convaincue que la SAR ne s’est pas acquittée de son obligation à l’égard de l’équité procédurale, car elle n’a pas tenu compte des éléments énoncés aux alinéas 29(4)a) et 29(4)b) des Règles de la SAR. Bien que la liste des éléments à considérer du paragraphe 29(4) des Règles de la SAR ne soit pas exhaustive, l’emploi du terme « notamment »
plutôt que de l’expression « tel que »
avant la liste des éléments indique que le législateur souhaitait que chaque élément soit considéré. Toute omission à cet égard constitue un manquement à l’équité procédurale.
IV.
Conclusion
[15]
Le dossier est renvoyé à la SAR pour un nouvel examen, en tenant compte de la décision de la Cour.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑2594‑18
LA COUR STATUE que :
La demande est accueillie;
Le dossier est renvoyé à la SAR pour nouvelle décision;
Aucune question n’est certifiée.
« Martine St‑Louis »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 24e jour d’avril 2019.
Nicolas Bois, traducteur
ANNEXE
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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DOSSIER :
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IMM‑2594‑18
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INTITULÉ :
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ISIOMA BARBARA ARISEKOLA, OLUWATOBILOBA EMMANUEL ARISEKOLA ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 6 février 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS:
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LA JUGE ST‑LOUIS
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DATE DES MOTIFS :
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LE 8 MARS 2019
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COMPARUTIONS :
Mbong Elvira Akinyemi
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POUR les demandeurs
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Sally Thomas
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS AU DOSSIER :
Mbong Elvira Akinyemi
Toronto (Ontario)
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POUR les demandeurs
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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