Date : 20190227
Dossier : T‑105‑18
Référence : 2019 CF 237
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 27 février 2019
En présence de monsieur le juge Ahmed
ENTRE :
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ANDREA JAN THOMSON
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demanderesse
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et
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LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
Le 21 août 2017, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la Division générale) a accordé à Andrea Jan Thomson (la demanderesse) des prestations d’invalidité. Au moment de rendre cette décision, la Division générale a déterminé que la fibromyalgie dont souffre la demanderesse constituait une invalidité grave et prolongée, et ce, depuis janvier 2017. La demanderesse étant d’avis que la Division générale aurait dû conclure que son invalidité remontait à une date antérieure à janvier 2017, elle a interjeté appel de la décision. Cependant, l’appel porté par la demanderesse devant la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la Division d’appel) a été rejeté. Le 18 janvier 2018, la demanderesse a présenté à la Cour une demande de contrôle judiciaire de cette décision. Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.
II.
Faits
[2]
La demanderesse, qui se représente elle-même, habite à Fillmore, en Saskatchewan. Elle est mère célibataire de quatre filles (le père des enfants est décédé). Jusqu’à tout récemment, la demanderesse subvenait aux besoins de sa famille en exploitant une petite garderie, ce qu’elle ne peut maintenant plus faire parce qu’elle souffre de douleurs associées à la fibromyalgie. Elle croit que sa fibromyalgie s’est déclenchée le 23 décembre 2008, au moment où elle est arrivée sur la scène de l’accident de voiture qui a tué son père. Elle affirme que depuis septembre 2009, elle souffre de douleurs lancinantes qui irradient dans tout son corps. En outre, elle souffre de sensibilité au toucher, de raideurs musculaires et articulaires, de problèmes d’équilibre et de sensibilité à l’environnement (les conditions météorologiques, les sons et les odeurs peuvent lui occasionner des nausées ou des douleurs), et de simples tâches comme tenir un téléphone la fatiguent. La demanderesse explique que parfois, la douleur est tellement aiguë qu’elle doit se rendre à l’urgence pour recevoir de la morphine.
[3]
À deux reprises, la demanderesse a présenté une demande de prestations d’invalidité en vertu du Régime de pensions du Canada, LRC, 1985, c C‑8 (le RPC). Sa première demande, présentée le 7 avril 2014, a été rejetée par un évaluateur médical de Service Canada le 24 juin 2014. Par la suite, la demanderesse a sollicité un réexamen de cette décision, mais le 11 septembre 2014, cette demande de réexamen a été rejetée.
[4]
La demanderesse a présenté sa deuxième demande de prestations d’invalidité du RPC le 16 novembre 2015. Après le rejet de sa demande, le 3 février 2016, la demanderesse a sollicité un réexamen de cette décision. Le 3 mai 2016, un évaluateur médical a rejeté cette demande de réexamen. La demanderesse a alors interjeté appel de la décision devant la Division générale.
[5]
La Division générale a instruit l’appel le 15 août 2017. Pour que son appel soit accueilli, la demanderesse devait prouver, selon la prépondérance des probabilités, qu’elle était invalide le 15 août 2017 ou avant cette date (soit la date de l’audience) et qu’elle était visée par la définition d’« invalidité »
énoncée au paragraphe 42(2) du RPC, qui se lit comme suit :
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La Division générale a examiné les éléments de preuve qui lui ont été présentés. Les éléments de preuve fournis par la demanderesse concernant ses antécédents professionnels indiquaient qu’elle avait offert des services de garde à six familles en 2011 et 2012, à sept familles en 2013 et à trois familles en 2014. La Division générale a également examiné les éléments de preuve concernant les revenus de la demanderesse, lesquels éléments indiquaient qu’elle avait gagné 10 086 $ en 2011; 9 992 $ en 2012; 12 086 $ en 2013; 10 543 $ en 2014 et 10 593 $ en 2015.
[7]
La demanderesse a expliqué qu’elle travaillait parfois à temps plein et parfois à temps partiel, selon les besoins de sa famille. Elle a indiqué qu’il n’était pas envisageable pour elle de faire un autre type de travail parce qu’elle se fatigue facilement. Elle a précisé qu’en fait, au 5 janvier 2017, elle ne pouvait plus travailler qu’une à deux heures par jour en raison des douleurs dont elle souffrait. Par conséquent, ses revenus prévus pour cette année‑là étaient d’environ 6 000 $. Elle a ajouté qu’outre ses revenus, elle reçoit une aide financière relativement aux retards de développement de ses jumelles ainsi que des subventions gouvernementales liées à sa garderie non agréée.
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Les autres éléments de preuve fournis par la demanderesse comprenaient des rapports médicaux produits par des médecins. La demanderesse a déclaré qu’elle avait mis à l’essai tous les traitements qui lui avaient été recommandés : la marche, la physiothérapie, la chiropractie, l’ergothérapie, l’alimentation naturelle, l’acupuncture et la massothérapie. Elle a ajouté que du Tramadol lui avait été prescrit, mais que le médicament s’était révélé inefficace pour soulager ses douleurs. Néanmoins, elle a souligné qu’elle avait tenté d’augmenter son niveau d’activité physique en suivant des cours d’aquaforme et en suivant un traitement d’hydrothérapie une fois par année. Elle a aussi suivi une thérapie cognitivo‑comportementale qui lui a permis d’apprendre à tenir un journal de la douleur.
[9]
Le 21 août 2017, la Division générale a accueilli l’appel de la demanderesse, concluant que celle-ci souffrait d’une invalidité grave et prolongée, et ce, depuis janvier 2017. La Division générale a souligné que la demanderesse se fatiguait facilement, qu’elle ne pouvait travailler qu’à temps partiel, qu’elle ne pouvait prendre soin que d’un enfant et qu’elle ne toucherait que 6 000 $ cette année‑là (soit un revenu inférieur à ce que devrait lui rapporter une occupation véritablement rémunératrice au sens de l’article 68.1 du Règlement sur le Régime de pensions du Canada, CRC, c 385). En conséquence, la Division générale a déterminé que l’invalidité de la demanderesse était grave. De plus, la Division générale a admis les éléments de preuve indiquant que la demanderesse avait mis à l’essai tous les traitements qui lui avaient été recommandés et a constaté que son état empirait avec le temps. La Division générale a aussi déterminé que l’invalidité de la demanderesse était prolongée étant donné que rien n’indiquait que son état de santé pouvait s’améliorer suffisamment pour qu’elle soit régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice.
[10]
La demanderesse, insatisfaite de la décision de la Division générale selon laquelle son invalidité ne remontait qu’à janvier 2017 et pas avant, a interjeté appel de cette décision. Toutefois, comme elle n’a soulevé aucun motif susceptible de contrôle dans son appel, Service Canada lui a écrit, le 30 novembre 2017, pour lui expliquer que son appel était incomplet. Dans la lettre, Service Canada lui expliquait aussi qu’il lui fallait d’abord présenter une demande de permission d’en appeler, et que la compétence de la Division d’appel se limite aux trois moyens d’appel énoncés à l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (la LMEDS) :
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La demanderesse a fourni une réponse dans une brève lettre non datée que la Division d’appel a reçue le 18 décembre 2017. Dans sa lettre, la demanderesse indiquait qu’elle interjetait appel de la décision de la Division d’appel au titre de l’alinéa 58(1)c) de la LMEDS et qu’elle souhaitait que les prestations remontent aussi loin que possible, indiquant plus précisément 2008 ou 2009.
[12]
Dans sa décision datée du 2 janvier 2018, la Division d’appel a rejeté la demande de permission d’en appeler de la demanderesse, concluant qu’elle n’avait avancé aucun argument au regard des moyens d’appel énoncés à l’article 58 de la LMEDS. Après examen du dossier, la Division d’appel a déterminé que celui-ci ne contenait aucun élément de preuve médical antérieur à décembre 2013 qui faisait mention de l’invalidité de la demanderesse. En outre, la Division d’appel a souligné l’opinion de la Dre Amanda Kleisinger (datée du 2 novembre 2015) selon laquelle la demanderesse arriverait à travailler à temps partiel si elle pratiquait certaines activités de renforcement musculaire et d’aérobie, et qu’un congé pour invalidité ne lui serait pas bénéfique. La Division d’appel a également souligné l’opinion semblable du Dr Wunder (datée du 20 avril 2016), lequel était d’avis que l’invalidité de la demanderesse n’était pas permanente.
[13]
La Division d’appel a déterminé que la conclusion de la Division générale, selon laquelle la demanderesse était régulièrement capable de détenir une occupation véritablement rémunératrice jusqu’en janvier 2017, était étayée par les éléments de preuve. De plus, la Division d’appel a fait remarquer que le RPC prévoit un délai de prescription de 15 mois au‑delà duquel une personne ne peut être réputée invalide rétroactivement. Par conséquent, la Division d’appel a conclu que l’invalidité de la demanderesse pouvait remonter au plus tôt au mois d’août 2014. Bien qu’il existe une exception à cette disposition s’il est établi qu’un demandeur a été invalide de façon continue, la Division d’appel a déterminé que la demanderesse n’était pas visée par cette exception.
III.
Question préliminaire
[14]
Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, ne peuvent être ajoutés au dossier dont est saisie la Cour des éléments de preuve supplémentaires dont le décideur ne disposait pas (Première Nation d’Ochapowace c Canada (Procureur général), 2007 CF 920). Le défendeur a, à juste titre, fait valoir que l’affidavit de la demanderesse contient des éléments de preuve dont le décideur ne disposait pas. Par conséquent, je ne tiendrai pas compte des portions concernées de l’affidavit.
IV.
Question en litige et norme de contrôle applicable
[15]
Les trois moyens d’appel que la Division d’appel peut prendre en compte au titre du paragraphe 58(1) de la LMEDS sont énoncés au paragraphe 11 ci-dessus. Conformément au paragraphe 58(2) de la LMEDS, la Division d’appel doit rejeter une demande de permission d’en appeler si l’appel en question n’a aucune chance raisonnable de succès. Par « chance raisonnable de succès »
, on entend qu’il existe « certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause » (Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115, au paragraphe 12). Étant donné que la décision de la Division d’appel de rejeter la demande de permission d’en appeler doit être révisée selon la norme de la décision raisonnable (Andrews c Canada (Procureur général), 2018 CF 606, au paragraphe 17), je dois donc trancher la question de savoir si la Division d’appel a raisonnablement déterminé que la demanderesse n’avait aucun motif défendable grâce auquel elle pourrait avoir gain de cause en appel.
V.
Analyse
[16]
La demanderesse, qui se représente elle-même, a assisté à l’audience malgré les douleurs causées par sa fibromyalgie afin de donner sa version des faits. Je suis sensible à l’état de santé de la demanderesse, plus particulièrement compte tenu des circonstances en l’espèce. Les observations présentées par la demanderesse décrivent en détail les douleurs que lui occasionne la fibromyalgie, ainsi que les difficultés qu’elle éprouve en tant que mère célibataire (dont le père et le mari sont décédés) pour subvenir aux besoins de sa famille alors qu’elle n’est pas en mesure d’exploiter sa garderie. Toutefois, comme je l’expliquerai, il n’existe aucun fondement juridique sur lequel je peux m’appuyer pour modifier la décision de la Division d’appel.
[17]
Je reconnais que le concept de contrôle judiciaire est souvent mal compris. De ce fait, lors de l’audience, j’ai expliqué à la demanderesse qu’elle devait signaler à la Cour une erreur susceptible de contrôle dans la décision de la Division d’appel. En réponse, la demanderesse a exprimé son insatisfaction quant à la date de début de son invalidité déterminée par la Division générale, mais elle n’a été en mesure de signaler aucune erreur précise à la Cour.
[18]
Le défendeur a soutenu que la décision de la Division d’appel était raisonnable. Il a fait valoir que la Division d’appel a raisonnablement conclu que la décision de la Division générale était étayée par les éléments de preuve, que la Division générale n’a fait abstraction d’aucun élément de preuve et qu’elle ne les a pas mal interprétés.
[19]
Le défendeur a également fait valoir que la demande de la demanderesse visant à faire remonter à 2008 l’entrée en vigueur de sa demande de prestations ne peut être accueillie en raison du délai de prescription de 15 mois. Bien qu’il existe une exception à ce délai, celle-ci ne s’applique que s’il est prouvé que le demandeur n’avait pas la capacité de former l’intention de présenter une demande de prestations dans le délai prescrit. Compte tenu de ces faits, le défendeur a fait valoir que les éléments de preuve fournis par la demanderesse ne démontraient pas qu’elle n’avait pas la capacité de former son intention. Par exemple, selon les éléments de preuve, la demanderesse exploitait une garderie et conduisait une voiture pendant la période en cause, ce qui démontre qu’elle avait la capacité de former son intention, comme l’a indiqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Sedrak c Canada (Ressources humaines et Développement social), 2008 CAF 86, aux paragraphes 3 et 4.
[20]
Je conviens que la Division d’appel a correctement déterminé que l’appel de la demanderesse n’avait aucune chance raisonnable de succès et qu’elle a, par conséquent, raisonnablement rejeté la demande de permission d’en appeler. Les motifs ne contiennent aucun élément pouvant donner à penser qu’une erreur a été commise. Au contraire, les motifs sont justifiés, intelligibles, transparents et bien étayés par les éléments de preuve. Une fois de plus, je comprends la position difficile dans laquelle se trouve la demanderesse, mais le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire consiste à examiner la décision en cause et à s’assurer qu’elle est raisonnable. Comme je l’ai expliqué ci-dessus, les motifs de la Division d’appel font partie des issues acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Par conséquent, je vais rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Le défendeur n’ayant demandé aucuns dépens, aucuns dépens ne seront adjugés.
VI.
Conclusion
[21]
La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.
JUGEMENT dans le dossier no T‑105‑18
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Shirzad A. »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 9e jour de mai 2019.
Geneviève Bernier, traductrice agréée
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T‑105‑18
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INTITULÉ :
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ANDREA JAN THOMSON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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REGINA, SASKATCHEWAN
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 DÉCEMBRE 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE AHMED
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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LE 27 FÉVRIER 2019
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COMPARUTIONS :
Andrea Thomson
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LA DEMANDERESSE
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Stéphanie Yung‑Hing
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Procureur général du Canada
Gatineau (Québec)
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POUR LE DÉFENDEUR
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