Date : 20190301
Dossier : IMM-3805-18
Référence : 2019 CF 258
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 1er mars 2019
En présence de monsieur le juge Brown
ENTRE :
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LESLAW DAWIDOWICZ, DAWID MOJESZ DAWIDOWICZ, DANUTA DAWIDOWICZ, MIRANDA DAWIDOWICZ
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Les demandeurs ont déposé la présente demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27, à l’encontre d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], datée du 27 juin 2018, portant que les demandeurs n’ont pas qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger [la décision].
II.
Faits
[2]
Les demandeurs sont des citoyens de la Pologne, d’origine ethnique rom. Il s’agit d’une famille comptant une mère, un père, un fils et une fille. Les demandeurs présentent une demande d’asile fondée sur leur origine ethnique. Ils craignent de retourner en Pologne en raison de leur origine ethnique rom, des agressions et de la discrimination à caractère racial et de l’absence d’une protection de l’État adéquate sur le plan opérationnel.
[3]
Ils sont arrivés au Canada le 15 avril 2011 et ils ont demandé l’asile à leur arrivée. Ils ont eu une audience devant la SPR, laquelle a rejeté leur demande en 2012. Cependant, le juge O’Keefe a accueilli la demande de contrôle judiciaire dans la décision Dawidowicz c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 115. Il l’a fait parce que la SPR a appliqué le mauvais critère en ce qui a trait à la protection de l’État, à savoir le critère des « efforts sérieux »
: voir le paragraphe 30.
[4]
Comme nous le verrons plus loin, dans le cadre de la deuxième audience de la SPR ordonnée par le juge O’Keefe, le mauvais critère juridique a également été appliqué, car la SPR n’a pas évalué si la protection de l’État était adéquate sur le plan opérationnel. Par conséquent, la décision ne peut se justifier au regard du droit comme l’exige la Cour suprême du Canada, et un contrôle judiciaire sera ordonné.
III.
Questions en litige
[5]
Les demandeurs ont soulevé deux questions à trancher :
[1] La SPR a-t-elle tiré des conclusions déraisonnables quant à la crédibilité?
[2] La conclusion de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont pas réfuté la présomption d’existence d’une protection de l’État était-elle raisonnable?
IV.
Norme de contrôle
[6]
Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], aux paragraphes 57 et 62, la Cour suprême du Canada déclare qu’une analyse relative à la norme de contrôle n’est pas nécessaire lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier »
. Il est bien établi que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique aux décisions de la SPR comme celle-ci : Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 828, par le juge Boswell, au paragraphe 9; Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1273, par le juge LeBlanc, aux paragraphes 13, 21 et 22; Sater c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 60, par le juge de Montigny, au paragraphe 3.
[7]
Dans l’arrêt Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, par le juge Gascon au paragraphe 55, la Cour suprême du Canada explique ce que l’on attend d’une cour chargée de contrôler une décision suivant la norme de la décision raisonnable :
[55] Lorsqu’une cour de révision examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, elle doit principalement s’intéresser à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel », de même qu’à « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Lorsqu’elle est appliquée à l’interprétation législative, la norme de la décision raisonnable reconnaît que le décideur, titulaire de pouvoirs délégués, est le mieux placé pour comprendre les considérations de politique générale et le contexte qu’il faut connaître pour résoudre toute ambiguïté dans le texte de loi (McLean, par. 33). Les cours de révision doivent par ailleurs éviter de soupeser et d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur (Khosa, par. 64). Fondamentalement, la norme de la raisonnabilité reconnaît qu’il peut légitimement y avoir de multiples issues possibles, même lorsque celles-ci ne correspondent pas à la solution optimale que la cour de révision aurait elle-même retenue.
[8]
La Cour suprême du Canada précise également qu’un contrôle judiciaire n’est pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. En outre, la question que doit trancher le tribunal judiciaire siégeant en révision est celle de savoir si la décision attaquée, considérée dans son ensemble, à la lumière du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65; voir également Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62.
V.
Analyse
[9]
Selon moi, le critère approprié en ce qui a trait à la protection de l’État est la question déterminante à trancher dans la présente demande. Je ne me prononce pas sur les questions de crédibilité soulevées par les demandeurs, mais je constate que certaines semblaient aller jusqu’à des tests de mémoire en ce qui a trait à des événements qui se sont produits il y a 18 ans. À un certain moment, la SPR a critiqué les souvenirs de la mère et dit qu’elle « a été en mesure de se souvenir d’autres dates importantes, comme l’âge de sa fille lorsque la famille est arrivée au Canada. »
La plupart des personnes non seulement connaissent l’âge de leurs enfants, mais également leurs dates d’anniversaire et à mon humble avis, il est déraisonnable de reprocher à un témoin de se souvenir de l’âge de ses enfants, mais de ne pas se rappeler de détails relativement à des événements datant de quelques décennies, dont, comme en l’espèce, des attaques racistes violentes alléguées.
[10]
Relativement à la question du critère juridique applicable à la protection de l’État, la Cour a statué à de nombreuses reprises que la protection de l’État doit être adéquate au niveau opérationnel. Cela exige une évaluation non seulement des efforts faits par l’État, mais également des résultats réels. Cette jurisprudence comprend, entre autres, les décisions suivantes : Gjoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 292, par la juge Strickland au paragraphe 30; Moya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 315, par la juge Kane [Moya] au paragraphe 68; John c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 915, ma décision au paragraphe 14; Hasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 270, par la juge Strickland au paragraphe 7; Eros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1094, par le juge Manson au paragraphe 45; Benko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1032, par le juge Gascon au paragraphe 18; Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1035, par le juge Gascon au paragraphe 14; Mata c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1007, par la juge McDonald aux paragraphes 13 à 15; Poczkodi c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 956, par la juge Kane au paragraphe 37; et Paul c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 687, par le juge Boswell au paragraphe 17.
[11]
Dans la décision Moya, la juge Kane déclare ce qui suit aux paragraphes 73 à 76 :
[73] Si la perfection n’est pas la norme, pour qu’elle soit adéquate, la protection de l’État doit présenter un certain niveau d’efficacité et l’État doit être à la fois disposé à offrir une protection et capable de le faire (Bledy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 210, au paragraphe 47, [2011] ACF no 358 (QL)). La protection de l’État doit être suffisante au niveau opérationnel (Henguva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 483, au paragraphe 18, [2013] ACF no 510 (QL); Meza Varela c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1364 au paragraphe 16, [2011] ACF no 1663 (QL)).
[74] Comme l’a fait remarquer la demanderesse, la démocratie à elle seule n’est pas gage d’une protection efficace de l’État; il faut prendre en compte la qualité des institutions qui assurent la protection (Sow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 646, au paragraphe 11, [2011] ACF no 824 (QL) [Sow]).
[75] Le fardeau qui incombe à un demandeur de demander la protection de l’État varie selon la nature de la démocratie et est proportionnel à la capacité et à la volonté de l’État d’assurer la protection (Sow, au paragraphe 10; Kadenko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1996] ACF No 1376 (QL), au paragraphe 5, 143 DLR (4th) 532 (CAF)). Toutefois, le demandeur ne peut pas simplement compter sur sa propre conviction que la protection de l’État ne sera pas offerte (Ruszo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 33, [2013] ACF no 1099 (QL)).
[76] Contrairement à l’argument de la demanderesse, la SAR et la SPR n’ont pas évoqué le fait que l’Argentine est une démocratie comme substitut à la notion de protection de l’État, mais ont bien examiné les documents sur les conditions dans le pays.
[Non souligné dans l’original.]
[12]
La question de savoir si la protection de l’État est adéquate au niveau opérationnel n’est d’aucune manière analysée ni appliquée par la SPR dans son examen de 10 pages de la protection de l’État. Je suis conscient qu’il incombe aux demandeurs de réfuter la présomption de protection de l’État au niveau opérationnel, mais néanmoins, la SPR a l’obligation d’énoncer et d’appliquer le droit. L’application du bon critère juridique fait partie de l’analyse de la question de savoir si la décision appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit énoncée dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47; je mets délibérément l’accent sur les mots « et du droit »
.
[13]
La SPR indique effectivement au paragraphe 29 de sa décision que « le gouvernement polonais offre une protection suffisante et qu’il dispose d’une force policière opérationnelle pour lutter contre la violence et la discrimination à l’égard de la population rom. »
De plus, au paragraphe 48, la SPR souligne « qu’il ressort aussi de la preuve que, sur le plan opérationnel, l’État prend des mesures pour lutter contre la discrimination et la violence envers la population rom. »
[14]
Toutefois, bien que l’existence de forces policières représente une considération pertinente, une déclaration à cet effet n’appuie pas une conclusion selon laquelle la protection de l’État est adéquate au niveau opérationnel. De même, bien que la question de savoir si un État « prend des mesures pour lutter contre »
la discrimination et la violence est une considération pertinente, elle ne va pas suffisamment loin. La SPR, du moins à mon humble avis, doit se poser la bonne question et déterminer si la protection de l’État est adéquate au niveau opérationnel. Cela n’a pas été fait.
VI.
Conclusion
[15]
L’omission d’appliquer le critère juridique approprié touche le cœur de la décision de la SPR. Avec le recul et après avoir examiné la décision comme un tout, je suis d’avis qu’elle est déraisonnable. Par conséquent, la décision ne peut se justifier au regard du droit, et doit par conséquent être annulée et l’affaire, réexaminée.
VII.
Question certifiée
[16]
Les parties n’ont proposé aucune question à des fins de certification et l’affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans le dossier IMM-3805-18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un décideur différemment constitué pour nouvel examen.
« Henry S. Brown »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 16e jour d’avril 2019.
Isabelle Mathieu, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-3805-18
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INTITULÉ :
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LESLAW DAWIDOWICZ, DAWID MOJESZ DAWIDOWICZ, DANUTA DAWIDOWICZ, MIRANDA DAWIDOWICZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 27 FÉVRIER 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE BROWN
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DATE DES MOTIFS :
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LE 1ER MARS 2019
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COMPARUTIONS :
Hart A. Kaminker
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POUR LES DEMANDEURS
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David Joseph
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Kaminker and Associates
Toronto (Ontario)
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POUR LES DEMANDEURS
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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