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Date : 20190228


Dossier : IMM-3353-18

Référence : 2019 CF 227

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 28 février 2019

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

MONIQUE JOYCELYN SAMUEL

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  L’instance

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un agent principal de l’immigration (l’agent), datée du 26 février 2018, dans le cadre de laquelle ce dernier a rejeté la demande de visa de résident permanent présentée par la demanderesse pour des motifs d’ordre humanitaire (la décision). La présente demande a été présentée au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

II.  Le contexte

A.  La situation de la demanderesse

[2]  La demanderesse est une citoyenne de Saint‑Vincent‑et‑les‑Grenadines (Saint‑Vincent) âgée de 38 ans. Elle est arrivée au Canada munie d’un permis de visiteur en décembre 2000 et est demeurée au Canada sans statut légal depuis lors.

[3]  À l’âge de huit ans, elle a été grièvement brûlée dans un accident domestique. Elle a passé six mois à l’hôpital et a été maltraitée par les infirmières. Après sa sortie de l’hôpital, la demanderesse a été traitée injustement à cause de ses cicatrices visibles.

[4]  La demanderesse est arrivée au Canada à l’âge de 20 ans afin d’aider sa cousine à prendre soin de son bébé. Elle était munie d’un visa de visiteur, lequel a expiré six mois plus tard, et n’a pas présenté de demande pour régulariser son statut.

[5]  En 2008, la demanderesse a rencontré son époux, Frank Sealy (Frank), et l’a épousé le 15 décembre 2012. Frank avait promis de la parrainer. Toutefois, leur mariage s’est détérioré au moment où la demanderesse a découvert l’infidélité de son époux.

[6]  La santé mentale de la demanderesse a souffert pendant le mariage. En septembre 2013, la demanderesse a été hospitalisée et, une fois sortie de l’hôpital, elle a suivi une thérapie à raison d’une séance toutes les deux semaines pendant environ deux ans.

[7]  Le 2 mars 2014, Frank a agresséla demanderesse. Celle-ci a appelé la police, et une ordonnance de non‑communication a été délivrée contre Frank. La demanderesse a quitté la maison après cet incident.

[8]  En 2014, la demanderesse a présenté une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui a été rejetée en janvier 2015. Une demande d’autorisation de présenter une demande de contrôle judiciaire de cette décision a aussi été rejetée. Une mesure d’exclusion a été prise contre la demanderesse le 26 avril 2017.  En septembre 2017, la demanderesse a présenté une deuxième demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et, en novembre 2017, elle a présenté une demande d’évaluation des risques avant renvoi (ERAR).

[9]  À l’appui de sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la demanderesse a produit une évaluation psychiatrique rédigée par la Dre  Parul Agarwal, datée du 13 octobre 2017 (rapport Agarwal). La Dre Agarwal a constaté que la demanderesse avait souffert d’un trouble dépressif majeur (TDM), mais a conclu que la maladie était en rémission. Le rapport Agarwal disait ce qui suit :

[TRADUCTION]

La patiente a commencé à avoir ces symptômes à la suite de l’accident qu’elle a eu pendant son enfance et, plus tard, dans le contexte d’avoir été trompée et assujettie à la violence physique et verbale de son époux au Canada. Pendant la session, il était évident pour l’auteure de ces lignes que, depuis sa séparation, et grâce à la thérapie, Monique s’est complètement remise de ses symptômes de TDM et qu’elle se sent maintenant stable au plan émotionnel.

[10]  Le 26 février 2018, l’agent a rejeté la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et la demande d’ERAR.

B.  La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[11]  La demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse reposait sur les facteurs suivants :

  • Ses antécédents de violence familiale/conjugale;

  • Son établissement et ses attaches au Canada;

  • Les conditions qui prévalent à Saint‑Vincent;

  • L’intérêt supérieur des divers enfants présents dans sa vie;

  • Les difficultés qu’elle connaîtrait à son retour à Saint‑Vincent.

Je n’analyserai que les facteurs qui se rapportent à son établissement parce qu’il sont pertinents.

[12]  Au moment où elle a présenté sa demande, la demanderesse résidait dans la région métropolitaine de Toronto depuis près de 17 ans. Elle a affirmé qu’elle avait toujours travaillé à titre de préposée à l’entretien ménager, d’aide‑ménagère et de gardienne d’enfants pendant ces années et a produit des lettres de certains de ses employeurs. Elle a aussi produit :

  • i) Une copie de son bail pour la période de mai 2014 à novembre 2014;

  • ii) Des reçus de virements à des membres de sa famille à Saint‑Vincent;

  • iii) Des documents faisant état d’inscriptions à des formations professionnelles;

  • iv) De nombreuses lettres d’appui de membres de sa communauté, dont des amis, des membres de la famille, son frère et de personnes rencontrées à son lieu de culte;

  • v) Des rapports de police se rapportant à l’agression commise sur elle par son époux.

III.  La décision

[13]  L’agent a constaté que la demanderesse vivait au Canada depuis 17 ans, mais avait conclu que le poids qu’il aurait accordé à la durée de son séjour au Canada dans d’autres circonstances était [traduction] « grandement diminué » par le fait que la demanderesse n’avait pas de statut d’immigration valide pendant la grande majorité du temps. L’agent a aussi accordé un [traduction] « poids minime » à son établissement financier au Canada en raison de [traduction] « l’absence d’éléments de preuve documentaire de revenus tirés d’emplois comme des talons de chèque, des déclarations de revenu ou d’autres documents faisant état de son établissement financier ». Enfin, l’agent a considéré défavorable le le fait que la demanderesse travaillait sans permis.

[14]  L’agent a accordé un poids favorable considérable aux liens sociaux tirés par la demanderesse ainsi qu’à sa contribution à la vie de sa communauté. Il a accordé un poids favorable aux éléments de preuve voulant qu’elle ait toujours travaillé et qu’elle se soit perfectionnée en suivant des formations professionnelles dispensées par Emploi Ontario.

[15]  L’agent a aussi pris en compte l’intérêt supérieur des neveux et nièces de la demanderesse qui se trouvent à Saint‑Vincent. Il a accepté que la demanderesse envoie de l’argent aux membres de sa famille à Saint‑Vincent, mais a soutenu qu’il y avait peu d’éléments de preuve démontrant que les enfants manqueraient de nourriture et de fournitures ménagères et scolaires si la demanderesse quittait le Canada.

[16]  L’agent a reconnu que la Dre Agarwal avait diagnostiqué un TDM à la demanderesse et affirmé qu’après avoir suivi une thérapie, la demanderesse s’était complètement remise. Il a reconnu l’importance du réseau de parents et d’amis de la demanderesse pour ce qui est de l’aider à surmonter les difficultés causés par les événements traumatisants vécus par la demanderesse à Saint‑Vincent et au Canada et a accordé à ce facteur un poids considérable.

IV.  L’analyse

[17]  Lorsqu’un agent prend en considération l’absence de statut légal d’un demandeur (ce à quoi il est autorisé), il doit trouver l’équilibre entre la nécessité de respecter les dispositions législatives du Canada en matière d’immigration et le fait que l’article 25 de la LIPR s’appliquera fréquemment à des demandeurs sans statut légal. J’estime qu’il est contraire à cette nécessité de trouver un équilibre et, par conséquent, déraisonnable de rejeter de façon répétée, à cause de l’absence de statut légal, des facteurs d’ordre humanitaire favorables liés à l’établissement.

[18]  En l’espèce, l’agent a accordé peu, voire très peu, d’importance à trois facteurs en raison de l’absence de statut légal :

  • Il n’a accordé aucun poids aux 17 années passées au Canada;

  • Il a accordé un poids minime à son établissement financier parce qu’elle n’avait pas de talons de chèque ou de déclarations de revenu (j’estime ici que ces documents ne sont généralement pas accessibles aux employés sans statut légal qui effectuent des travaux domestiques);

  • Il a accordé peu d’importance à son travail parce qu’elle n’avait pas de permis de travail.

[19]  J’estime qu’il est déraisonnable que l’agent ait rejeté ces trois facteurs en raison de l’absence de statut lorsqu’il y avait des éléments de preuve (qu’il a acceptés) démontrant qu’elle avait constamment travaillé, avait perfectionné ses compétences, disposait de références solides, avait payé un loyer, n’avait jamais vécu de l’aide sociale et avait envoyé de l’argent à sa famille à Saint‑Vincent.

V.  Certification

[20]  Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-3353-18

LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie et que la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire doit être réexaminée à la lumière des présents motifs.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 23e jour d’avril 2019

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3353-18

 

INTITULÉ :

MONIQUE JOYCELYN SAMUEL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 14 FÉVRIER 2019

 

JUGeMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON.

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 28 FÉVRIER 2019

 

COMPARUTIONS :

Dilani Mohan

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohan Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour lE DÉFENDEUR

 

 

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