Date : 20190207
Dossier : IMM-2567-18
Référence : 2019 CF 157
Ottawa (Ontario), le 7 février 2019
En présence de LA JUGE EN CHEF ADJOINTE
ENTRE :
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RÉMY JOSEPH
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partie demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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partie défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Monsieur Rémy Joseph est citoyen d’Haïti et résident permanent canadien. Il est visé par une mesure d’expulsion émise par la Section de l’Immigration [SI] puisqu’inadmissible pour grande criminalité au sens de l’alinéa 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Il a fait appel de cette mesure d’expulsion devant la Section d’appel de l’immigration [SAI] mais, ayant fait défaut de produire la documentation requise par la SAI, cette dernière a conclu au désistement de l’appel. M. Joseph demande le contrôle judiciaire de cette dernière décision.
I.
Faits
[2]
Devant la SI, le demandeur a déposé un certain nombre de documents visant à démontrer qu’il existe dans son cas des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. Bien que l’avocat du demandeur ait reconnu que ces documents ne pouvaient être considérés par la SI, cette dernière les a néanmoins admis pour qu’ils fassent partie du dossier qui serait éventuellement acheminé à la SAI.
PAR LE COMMISSAIRE
De votre côté, maître, il y avait des documents qu’on m’avait envoyés que j’ai ici, juste un instant, alors donc, ça a été reçu hier ; on parle de D-1 à D-5. Je comprends le but du dépôt. Je ne suis pas certain que ça va avoir nécessairement une pertinence par rapport à la décision que je vais rendre aujourd’hui, mais je vais les déposer quand même parce qu’ils vont ---
PAR LE CONSEIL DE LA PERSONNE CONCERNÉE (au commissaire)
C’est une sorte d’alerte en fait.
PAR LE COMMISSAIRE (au conseil de la personne concernée)
Pardon?
PAR LE CONSEIL DE LA PERSONNE CONCERNÉE (au commissaire)
C’est une sorte d’alerte à ce qui pourrait être en appel.
PAR LE COMMISSAIRE (au conseil de la personne concernée)
Oui, mais comme je vous dis, on va les déposer quand même parce que ça va faire partie du dossier. Dépendamment de ma décision si j’émets une mesure, tout le dossier va monter à l’autre étape incluant ces documents-là aussi. Donc, ils les auront déjà.
PAR LE CONSEIL DE LA PERSONNE CONCERNÉE (au commissaire)
C’était le but en fait.
PAR LE COMMISSAIRE (au conseil de la personne concernée)
O.k., parfait.
[3]
Le 14 mars 2018, la SAI a transmis une correspondance au demandeur et à son procureur, leur demandant de lui faire parvenir, au plus tard le 4 avril 2018, « tout document ou argument qui permettrait à la SAI de déterminer si un sursis à l’exécution de [la] mesure de renvoi peut […] être accordé »
. Cette lettre précise qu’« un sursis à une mesure de renvoi pour grande criminalité peut être accordé s’il y a des motifs d’ordre humanitaire le justifiant »
. Elle informe également le demandeur qu’à défaut de réponse de sa part dans le délai imparti, « la SAI peut rejeter [l’]appel ou prononcer son ‘désistement’ »
.
[4]
Constatant n’avoir reçu aucune réponse à sa lettre du 14 mars dans le délai imparti, la SAI a prononcé le désistement de l’appel en date du 11 mai 2018.
[5]
Les motifs de la SAI sont courts et peuvent être reproduits au long :
Considérant qu’il s’agit d’un appel déposé le 23 février 2016 par Remy JOSHEPH [sic], l’appelant, à l’encontre d’une mesure de renvoi émise par la Section de l’immigration (SI), en vertu de l’article 36(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR);
Considérant que le 14 mars 2018, la Section d’appel de l’immigration (SAI) a transmis à l’appelant, à l’adresse qu’il a indiqué [sic] sur son avis d’appel, une lettre lui demandant de faire parvenir des arguments et des documents au soutine [sic] de son appel. Le délai de réponse était le 4 avril 2018;
Considérant qu’il n’y a pas eu de retour de courrier;
Considérant que l’appelant n’a pas répondu dans le délai requis;
Considérant que le paragraphe 168 (1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (la Loi) prescrit que la SAI peut, sans autre préavis, prononcer le désistement de l’appel en cas de manquement de l’appelant;
En conséquence, le tribunal prononce le désistement de cet appel en vertu du paragraphe 168 (1) de la Loi parce qu’il a omis de répondre à la lettre de la SAI tel que requis [sic].
II.
Questions en litige et norme de contrôle
[6]
Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :
Y a-t-il eu violation des règles d’équité procédurale et de justice naturelle?
LA SAI a-t-elle erré en concluant au désistement de l’appel?
[7]
Il est reconnu que l’intervention de la Cour est justifiée lorsqu’elle constate que les règles d’équité procédurale et de justice naturelle n’ont pas été respectées. À défaut d’un tel constat, la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision de la SAI (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9).
III.
Analyse
[8]
Le demandeur plaide que ni lui ni son avocat n’ont reçu la correspondance du 14 mars 2018 de la part de la SAI et ce, bien qu’ils aient toujours eu la même adresse, et qu’ils aient tous deux reçu les correspondances antérieures ainsi que l’avis de décision du 11 mai 2018.
[9]
De plus, il soumet que dans sa correspondance du 14 mars, la SAI réfère à la production de documents au soutien d’une demande de sursis pour des motifs d’ordre humanitaire, et qu’un certain nombre de ces documents étaient déjà au dossier. La SAI aurait donc pu trancher l’appel sur la base des documents en sa possession, plutôt que de conclure au désistement.
[10]
Le paragraphe 168(1) de la LIPR prévoit ce qui suit quant aux pouvoirs de la SAI de prononcer le désistement d’une affaire.
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[11]
Bien que le demandeur n’ait pas répondu à la lettre de la SAI à l’intérieur du délai imparti, un certain nombre d’éléments me font pencher en sa faveur :
Dans son affidavit, le demandeur affirme que ni lui ni son procureur n’ont reçu la lettre de la SAI. Bien que l’avocat du demandeur n’ait pas lui-même souscrit d’affidavit, il a affirmé devant la Cour ne pas l’avoir reçu;
Au soutien de l’affidavit de Julie Corvec, le Ministre a déposé une Déclaration de transmission de documents qui tend à démontrer que la lettre a bel et bien été transmise au demandeur et à son procureur; toutefois, cette déclaration n’est pas signée par S. Colarusso, à l’endroit réservé à cette fin;
Avant la correspondance du 14 mars 2018, le demandeur a toujours reçu les correspondances et décisions qui lui ont été adressées. Il ne ressort pas du dossier qu’il aurait déjà tenté d’obtenir un ajournement ou une prolongation de délai.
[12]
Dans les circonstances particulières de cette affaire, je suis d’avis que le Ministre n’a pas rencontré son fardeau de démontrer que la lettre du 14 mars de la SAI a bel et bien été transmise; il s’ensuit qu’il n’y a pas renversement du fardeau de la preuve sur les épaules du demandeur.
[13]
Le demandeur a répondu à toutes les autres correspondances reçues de la SI et de la SAI et son avocat et lui se sont présentés lorsque convoqués à l’audience tenue devant la SI.
[14]
Par ailleurs, puisque la lettre du 14 mars visait le dépôt d’une preuve documentaire au soutien d’un sursis de l’ordonnance d’expulsion pour des motifs d’ordre humanitaire et que le demandeur avait déjà soumis certains documents à cet égard devant la SI, qui les a acceptés justement pour les transmettre à la SAI, cette dernière aurait très bien pu fixer une date d’audience en procédant sur la base des documents en sa possession.
[15]
Je suis consciente qu’en raison d’une accumulation d’appels non traités, la SAI a adopté une politique administrative à compter du 2 juillet 2015 afin d’accélérer le traitement des appels et prononcer le désistement de ceux qui sont peu susceptibles de procéder. La SAI a notamment changé sa pratique et éliminé l’étape de la séance spéciale permettant à un demandeur de faire valoir les motifs pour lesquels la SAI ne devrait pas conclure au désistement, lorsque rien ne permet de croire que l’appel sera poursuivi. Ce faisant, la SAI est mieux à même de s’acquitter de ses fonctions « sans formalisme et avec célérité »
, tel que lui requiert le paragraphe 162(2) de la LIPR.
[16]
Toutefois, dans les circonstances du présent dossier, je suis d’avis qu’il était déraisonnable pour la SAI de simplement prononcer le désistement de l’appel du demandeur alors qu’elle était validement saisie de son appel et qu’elle disposait d’éléments de preuve à considérer. Je suis donc d’avis que dans ces circonstances particulières, la SAI a manqué aux règles d’équité procédurale et de justice naturelle et que l’intervention de la Cour est requise (Hung c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 966 aux para 6-13).
IV.
Conclusion
[17]
La demande de contrôle judiciaire du demandeur est donc accueillie. Les parties n’ont soumis aucune question d’importance générale pour certification et je suis d’avis qu’aucune telle question n’émane des faits de cette cause.
JUGEMENT au dossier IMM-2567-18
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est accueillie;
Aucune question d’importance générale n’est certifiée.
« Jocelyne Gagné »
Juge en chef adjointe
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2567-18
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INTITULÉ :
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RÉMY JOSEPH c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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MONTRÉAL (QUÉBEC)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 DÉCEMBRE 2018
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JUGEMENT ET motifs :
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LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ
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DATE DES MOTIFS :
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LE 7 FÉVRIER 2019
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COMPARUTIONS :
Moriba Alain Koné
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Pour LA PARTIE DEMANDERESSE
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Lynne Lazaroff
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Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Moriba Alain Koné
Montréal (Québec)
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Pour LA PARTIE DEMANDERESSE
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour LA PARTIE DÉFENDERESSE
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