Date : 20190305
Dossier : IMM-463-18
Référence : 2019 CF 267
Ottawa (Ontario), le 5 mars 2019
En présence de madame la juge Roussel
ENTRE :
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RONY TOUSSAINT
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Contexte
[1]
Le demandeur, Rony Toussaint, est citoyen d’Haïti. Le 9 décembre 2016, il se rend aux États-Unis où il présente une demande d’asile. Craignant d’être retourné dans son pays et sans attendre le résultat de sa demande d’asile, le demandeur entre illégalement au Canada le 24 août 2017 et revendique le statut de réfugié.
[2]
Dans son formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA], le demandeur allègue avoir vécu des problèmes dans son pays depuis son enfance et craindre pour sa vie suite à des menaces de mort qu’il aurait reçues des membres du Parti Haïtien Tèt Kale [PHTK], en octobre et novembre 2015.
[3]
Le 18 décembre 2017, la Section de la protection des réfugiés [SPR] rejette la demande d’asile. Elle conclut que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. De plus, elle conclut que la demande d’asile est dépourvue d’un minimum de fondement conformément au paragraphe 107(2) de la LIPR.
[4]
Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision. Il allègue que la SPR a violé les principes d’équité procédurale et qu’elle a erré dans l’analyse de sa crédibilité. De plus, il allègue que la conclusion selon laquelle la demande d’asile est dépourvue d’un minimum de fondement est déraisonnable.
II.
Analyse
[5]
Il est bien établi que la norme de contrôle applicable à l’examen des conclusions de la SPR concernant la crédibilité du demandeur et l’absence de minimum de fondement d’une demande d’asile est celle de la raisonnabilité (Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 638 au para 11; Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 598 au para 22; Eze c Canada (Citoyenneté et Immigration ), 2016 CF 601 au para 12).
[6]
Lorsque la norme du caractère raisonnable s’applique, le rôle de la Cour est de déterminer si la décision appartient aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
. Si « le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité »
, il n’appartient pas à cette Cour d’y substituer l’issue qui lui serait préférable (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]; (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 59).
[7]
Quant à l’allégation de manquement à l’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a récemment précisé que les questions d’équité procédurale ne se prêtent pas nécessairement à une analyse relative à une norme de contrôle. Le rôle de cette Cour est plutôt de déterminer si la procédure est équitable compte tenu de toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54; Dunsmuir au para 79).
[8]
À la lecture du dossier et après considération des arguments des parties, la Cour estime qu’il n’y a pas matière à intervention.
A.
Équité procédurale
[9]
Le demandeur soutient que la SPR a enfreint les règles d’équité procédurale. Il allègue que: (1) la SPR a omis d’analyser sa crainte de persécution fondée sur ses opinions politiques; (2) l’audience n’a duré qu’une (1) heure; (3) la SPR a manqué d’impartialité puisqu’elle a accordé un traitement différent aux ressortissants haïtiens; et (4) le délai de convocation pour l’audience de sept (7) jours était insuffisant pour obtenir les documents appuyant sa demande d’asile.
[10]
Les arguments du demandeur sont sans fondement.
[11]
Premièrement, le demandeur prétend à tort que sa crainte de persécution fondée sur ses opinions politiques n’a pas été analysée. Au contraire, la SPR analyse cette crainte lorsqu’elle examine la participation du demandeur au sein de la plateforme politique Pitit Dessalines. Lors de l’audience, la SPR lui demande spécifiquement quand il s’est joint à cette plateforme politique, ce qu’il a fait pour celle-ci et à quelle fréquence avait lieu les réunions. Elle le questionne également sur les menaces qu’il aurait reçues des opposants à la plateforme politique, soit, des membres du PHTK. Elle lui demande aussi pourquoi il a omis de déclarer son affiliation politique dans l’annexe A de son formulaire de FDA. Après avoir entendu le témoignage du demandeur et examiné la preuve au dossier, la SPR conclut que le demandeur n’a jamais été un membre actif de la plateforme politique Pitit Dessalines et que l’entreprise du demandeur n’a pas été brûlée en raison de ses activités politiques. En concluant ainsi, la SPR souligne que le demandeur n’a pas été en mesure d’indiquer à quel moment il s’est joint au parti, ni le nombre de réunions auxquelles il a assisté, et ce, malgré le fait que les activités politiques alléguées par le demandeur dataient de moins de deux (2) ans. Elle rejette également l’explication du demandeur selon laquelle il a omis d’indiquer ses affiliations politiques à l’annexe A de son formulaire de FDA parce que la personne qui l’a aidé ne lui a pas posé la question.
[12]
Il ne fait aucun doute, à la lumière de ce qui précède, que la SPR a considéré la crainte de persécution du demandeur fondée sur ses opinions politiques.
[13]
Deuxièmement, le dossier de la SPR démontre que l’audience n’a pas duré une (1) heure, mais plutôt trois (3) heures.
[14]
Troisièmement, les allégations de partialité soulevées par le demandeur ne sont appuyées d’aucune preuve.
[15]
Finalement, quant à l’allégation du demandeur selon laquelle le délai de convocation de l’audience était insuffisant, la Cour rappelle que le demandeur avait le fardeau de démontrer le bien-fondé de sa demande d’asile. Il est entré au Canada le 24 août 2017 et le dossier démontre que le demandeur savait ou aurait dû savoir, depuis au moins le 14 novembre 2017, que son audience aurait lieu durant le mois de décembre 2017. Le demandeur n’a pas démontré en quoi le délai était insuffisant pour lui permettre d’obtenir la preuve documentaire nécessaire pour appuyer ses allégations. À cet égard, la Cour note que l’affidavit du demandeur est totalement muet sur la preuve qu’il aurait présentée si la SPR lui avait accordé un délai plus long. La Cour souligne également qu’il n’y a rien dans le dossier qui démontre que le demandeur a formulé une demande de remise, qu’il s’est opposé à procéder ou qu’il a demandé la permission de déposer de la preuve additionnelle. Il lui incombait de le faire s’il croyait que le délai de convocation lui causait un préjudice.
B.
Absence de crédibilité
[16]
Le demandeur fait valoir qu’il était déraisonnable pour la SPR de conclure qu’il n’était pas crédible. Le demandeur allègue, entre autres, que les contradictions soulevées par la SPR résultent des questions insinuantes qui lui ont été posées lors de son témoignage et de sa crainte de ne pas répondre adéquatement à ces questions. De plus, il soutient qu’il est « déplorable »
que la SPR s’appuie sur le fait qu’il n’a pas eu recours aux services d’un interprète lors des soumissions de son procureur pour conclure que le demandeur avait une connaissance suffisante de la langue française pour répondre à la question posée dans l’annexe A du formulaire de FDA concernant son affiliation politique.
[17]
Encore une fois, la Cour ne peut souscrire aux arguments du demandeur.
[18]
La transcription de l’audience démontre que les questions de la SPR avaient pour but de permettre au demandeur d’expliquer le fondement de ses craintes. Dans son formulaire de FDA, le demandeur allègue avoir décidé dans la semaine suivant les évènements du 7 novembre 2015 de se réfugier à Cap-Haïtien. À l’audience, le demandeur indique s’être réfugié à cet endroit en novembre 2016. Invité par la SPR à expliquer où il avait habité de novembre 2015 à novembre 2016, le demandeur répond qu’il habitait à Kenscoff. La SPR lui demande alors pourquoi il s’est réfugié à Cap-Haïtien en novembre 2016 et s’il avait reçu des menaces. Le demandeur répond d’abord avoir été menacé. Ensuite, il indique ne pas avoir été menacé. Vu la contradiction dans les réponses du demandeur, la SPR demande au demandeur de reconsidérer sa réponse, ce qu’il fait de manière insatisfaisante. Les questions posées par la SPR étaient appropriées en l’instance. La SPR pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’était pas crédible à l’égard d’un élément central à sa demande d’asile.
[19]
Par ailleurs, la Cour estime sans fondement l’argument du demandeur selon lequel il était déraisonnable pour la SPR de tirer des inférences négatives sur sa crédibilité en raison du fait qu’il a accepté que les représentations de son procureur puissent avoir lieu sans interprète. Tel que mentionné préalablement, la SPR rejette l’explication du demandeur selon laquelle il a omis de déclarer son affiliation politique à l’annexe A de son formulaire de FDA parce que la personne qui l’a aidé à compléter le document ne lui a pas posé la question. C’est dans ce contexte que la SPR souligne que le demandeur comprenait suffisamment le français pour répondre à toutes les questions du formulaire de FDA puisqu’il n’avait pas eu besoin de traduction pour les représentations de son procureur. Cette inférence était raisonnable puisque le demandeur a affirmé, lors de son témoignage, comprendre le français, ou à tout le moins, le comprendre suffisamment pour dispenser de la traduction.
[20]
En terminant, la Cour note que la conclusion d’absence de crédibilité de la SPR est également fondée sur le comportement du demandeur qu’elle a jugé incompatible avec ses allégations de crainte, le demandeur ayant effectué deux (2) voyages aux États-Unis en 2016 sans déposer de demande d’asile.
[21]
Compte tenu du témoignage vague du demandeur et des incohérences, contradictions et omissions de mentionner des faits importants dans son récit, la SPR pouvait raisonnablement conclure à l’absence de crédibilité du demandeur.
C.
Conclusion d’absence de minimum de fondement de la demande d’asile
[22]
Selon la jurisprudence, le seuil pour conclure qu’il y a absence de minimum de fondement d’une demande d’asile est élevé. Il en est ainsi puisqu’une telle conclusion a pour effet de priver un demandeur d’asile d’un droit d’appel à la Section d’appel des réfugiés (Rahaman c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2002 CAF 89 aux para 19, 27-30, 51-52; Mahdi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 218 au para 10).
[23]
Le demandeur soutient que l’appréciation par la SPR de l’absence de minimum de fondement est déraisonnable compte tenu du fait qu’il n’a eu que sept (7) jours pour se préparer, faisant en sorte qu’il n’a pas été en mesure de produire de la preuve pour corroborer ses allégations.
[24]
Pour les raisons énoncées ci-dessus, le demandeur n’a pas démontré qu’il n’avait pas été en mesure de produire une telle preuve. De plus, même s’il existe une présomption de la véracité des allégations qui sont contenues dans un affidavit (Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) (QL) au para 5), la SPR a raisonnablement jugé que la présomption avait été réfutée en l’instance. En l’absence de preuve crédible pouvant justifier une décision favorable à la demande d’asile, il était donc raisonnable pour la SPR de conclure, selon le paragraphe 107(2) de la LIPR, qu’il y avait absence de minimum de fondement de la demande d’asile.
[25]
Pour ces motifs, la Cour est d’avis que la décision de la SPR est raisonnable parce qu’elle appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit »
. Elle est aussi justifiée d’une manière qui satisfait aux critères de transparence et d’intelligibilité du processus décisionnel (Dunsmuir au para 47).
[26]
La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.
JUGEMENT au dossier IMM-463-18
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée;
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Sylvie E. Roussel »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-463-18
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INTITULÉ :
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RONY TOUSSAINT c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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MONTRÉAL (QUÉBEC)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 27 FÉVRIER 2019
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JUGEMENT ET motifs :
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LA JUGE ROUSSEL
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DATE DES MOTIFS :
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LE 5 MARS 2019
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COMPARUTIONS :
Susan Ramirez
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Pour LE DEMANDEUR
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Isabelle Brochu
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Pour LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Susan Ramirez
Avocate
Montréal (Québec)
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Pour LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
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Pour LE DÉFENDEUR
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