Date : 20190212
Dossier : IMM‑3404‑18
Référence : 2019 CF 174
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 12 février 2019
En présence de monsieur le juge Barnes
ENTRE :
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TIMOTHY DURKIN
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Monsieur Timothy Durkin est un résident permanent de longue date au Canada qui détient la citoyenneté britannique. En ce moment, il pourrait faire l’objet d’une enquête de la Section de l’immigration, pour déterminer s’il est interdit de territoire au Canada, en application de l’alinéa 36(1)c) ou 37(1)a) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).
[2]
Le statut d’immigration de M. Durkin au Canada est compromis parce qu’en 2013, il a été mis en accusation par un grand jury en Alabama, avec trois autres personnes, pour un présumé complot en vue de commettre une fraude en matière de valeurs mobilières et de virement électronique. En se fondant sur ces allégations de perpétration d’infractions criminelles, l’Agence des services frontaliers du Canada (l’ASFC) a commencé une enquête, en application de l’article 44 de la LIPR. La procédure a commencé par l’établissement du rapport circonstancié prévu au paragraphe 44(1) de la LIPR par un agent de l’AFSC (l’agent), selon lequel il existait des motifs raisonnables de croire que M. Durkin était interdit de territoire au Canada pour criminalité organisée.
[3]
Le 28 novembre 2017, M. Durkin a reçu signification d’un avis l’informant qu’il faisait l’objet d’une enquête [traduction] « en raison d’infractions commises d’octobre 2009 à mai 2013, en Alabama […], en contravention aux articles 2, 15, 18, 371, 1343, et à l’alinéa 77q du Code des États‑Unis »
. M. Durkin a été invité à présenter des observations écrites expliquant les raisons pour lesquelles une mesure de renvoi ne devait pas être demandée, notamment les détails concernant sa situation personnelle et ses présumés antécédents judiciaires.
[4]
M. Durkin a retenu les services d’une avocate qui, par une lettre datée du 6 décembre 2017, a demandé une prorogation de 60 jours pour présenter les observations. L’avocate a aussi présenté une demande d’information concernant les allégations d’avoir perpétré des infractions criminelles. L’ASFC a accepté une prorogation jusqu’au 13 février 2018.
[5]
Parallèlement, l’avocate de M. Durkin a présenté à l’ASFC une demande d’accès à l’information et à la protection des renseignements personnels (AIPRP) pour obtenir tous les dossiers pertinents. En raison du délai prévu avant l’obtention d’une réponse à la demande d’AIPRP, l’avocate a demandé une autre prorogation de 60 jours. Cette prorogation a été accordée.
[6]
Le 29 mars 2018, l’avocate a demandé une prorogation supplémentaire jusqu’au 5 juillet 2018, en raison du défaut de l’ASFC de répondre à la demande d’AIPRP, et de l’absence de réponse aux demandes d’accès à l’information adressées à des sources aux États‑Unis. L’ASFC a accordé une autre prorogation jusqu’au 28 avril 2018.
[7]
Le 23 avril 2018, l’avocate de M. Durkin a écrit à l’ASFC pour accuser réception de la réponse de l’ASFC concernant la demande d’AIPRP et solliciter une prorogation supplémentaire de 30 jours pour présenter les observations. Dans cette lettre, elle affirmait qu’une réponse serait fournie malgré son incapacité à obtenir les renseignements des sources aux États‑Unis.
[8]
Le 8 mai 2018, l’avocate de M. Durkin a présenté des observations à l’ASFC dans un mémoire de neuf pages, dans lequel elle demandait qu’un rapport d’interdiction de territoire ne soit pas rédigé à l’encontre de M. Durkin. Le mémoire contenait une plainte relative au défaut de l’ASFC de communiquer tous les renseignements sur les accusations criminelles en suspens. Ces renseignements, et une demande en vue d’une autre prorogation de délai afin de permettre leur production, avaient été sollicités pour des raisons d’équité procédurale. Une grande partie des observations de l’avocate portait sur des considérations d’ordre humanitaire et des considérations pour inconvénients, mais les observations contenaient également les affirmations suivantes au sujet des accusations déposées aux États‑Unis :
[traduction]
19. M. Durkin n’a jamais été déclaré coupable d’une infraction criminelle de toute sa vie. Certes, l’ASFC a relevé dans le rapport circonstancié prévu à l’article 44 [de la LIPR] que des accusations avaient été déposées contre un M. Durkin en Alabama, en mai 2013, relativement à une fraude en matière de valeurs mobilières et de virement électronique, mais nous faisons valoir que le tribunal compétent, pour que justice soit rendue, qui statuerait afin de déterminer si les accusations sont fondées serait saisi d’une procédure pénale aux États‑Unis et d’une procédure prévue par les traités d’extradition entre le Canada et les États‑Unis. Il n’est pas évident de savoir si les autorités des États‑Unis ont déployé des efforts pour localiser ou extrader M. Durkin, mais nous soulignons que M. Durkin n’a jamais tenté de se soustraire aux poursuites, et il fait observer que la dernière fois qu’il a sollicité l’entrée aux États‑Unis était autour de 2012, mais que celle‑ci lui a été refusée parce qu’il n’avait pas le visa requis.
20. À l’âge de 67 ans, M. Durkin affirme aussi catégoriquement que ces accusations ne sont pas fondées. Il n’a jamais, consciemment, volontairement ou aveuglément aidé à établir un quelconque stratagème illicite en vue de commettre la fraude au détriment d’autres personnes, au moyen de leurs investissements. Il n’y a pas de preuve établissant que M. Durkin était au courant des activités de ses coaccusés, qu’il a agi de concert avec eux, qu’il a commis une fraude, ou qu’il a participé à des activités criminelles organisées ou à un stratagème de délinquance.
21. À l’âge de 67 ans, M. Durkin n’a pas d’autres antécédents criminels. Les faits entourant cette seule accusation criminelle se seraient produits entre 2009 et 2012 — cela fait maintenant plus de six ans. Nous faisons observer que, vu son âge, ses antécédents, son établissement, et sa réputation, M. Durkin ne présente aucun risque de récidive. Il a un mode de vie stable et tranquille avec sa famille à Sooke, en Colombie‑Britannique, où il exploite une entreprise prospère qui profite grandement à sa collectivité. Un rapport circonstancié établi au titre de l’article 44 et un renvoi ne sont pas nécessaires pour promouvoir la sécurité du Canada et en assurer la protection.
22. La Cour fédérale a admis que l’absence de récidive pendant longtemps est un facteur à prendre en considération comme étant une preuve solide indiquant que les risques de récidive sont minimes (ou, en l’espèce, inexistants) : Thamber c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 177. Il est important de tenir compte de ce facteur dans la pondération de la sécurité des Canadiens par rapport à la situation d’une personne précise qui peut avoir commis une infraction, comme cela ressort de la décision Hernandez.
[9]
Le mémoire soumis par l’avocate comprenait une lettre de sept pages de M. Durkin décrivant de façon très détaillée ses antécédents jusqu’en 2018, mais la lettre présentait une lacune importante entre 2009 et 2013. La seule référence faite par M. Durkin aux allégations d’infractions criminelles était la suivante :
[TRADUCTION]
Je n’ai jamais été déclaré coupable de quelque crime que ce soit de toute ma vie. Je peux dire sans équivoque que je n’ai jamais participé à aucune activité frauduleuse ni eu connaissance d’une telle activité ni d’un stratagème en vue de commettre une fraude contre d’autres personnes visant à les priver de leurs investissements.
Je vous prie de tenir compte de mon histoire, de mes antécédents, de l’intérêt supérieur et du bien‑être de ma famille, des difficultés extrêmes auxquelles nous serions exposés si je ne pouvais pas rester ici, et des renseignements dont vous disposez concernant toutes les allégations qui ont été faites contre moi, de manière juste et prudente, quant à la fiabilité ou au bien‑fondé de ces renseignements, et je vous demande de ne pas transmettre de rapport circonstancié à mon sujet.
[10]
Le 1er juin 2018, l’agent a rédigé le rapport sur les faits marquants prévu au paragraphe 44(1) pour qu’il soit transmis au délégué du ministre (le délégué). Ce rapport résumait les éléments de preuve, notamment les observations de M. Durkin, et certains des détails sur les allégations d’infractions criminelles. L’agent a aussi souligné l’existence de la plainte de M. Durkin concernant le défaut de divulgation, mais il l’a rejetée au motif qu’une divulgation complète sera faite ultérieurement. Dans sa conclusion, l’agent a recommandé que le dossier de M. Durkin soit déféré pour enquête.
[11]
Le rapport sur les faits marquants a ensuite été examiné par le délégué, conformément au paragraphe 44(2) de la LIPR. Le délégué disposait de plusieurs éléments de preuve concernant les allégations d’infractions criminelles faites contre M. Durkin, notamment l’acte d’accusation, des témoignages du Federal Bureau of Investigation (le FBI) devant le grand jury, un mandat et une Notice rouge d’Interpol en vue de l’arrestation de M. Durkin. Le délégué a examiné la preuve, notamment le fait que M. Durkin nie tout comportement criminel, et il est arrivé à la conclusion suivante :
[traduction]
Après avoir examiné tous les renseignements dont je disposais, je conclus que des considérations d’ordre humanitaire importantes militent en faveur de M. Durkin. Cela dit, les infractions reprochées à M. Durkin sont de nature organisée, complexe et grave. Certes, M. Durkin est un résident permanent du Canada depuis 66 ans, mais il a passé la grande partie de ces années à l’étranger, notamment dans le pays dont il possède la citoyenneté. Après examen, je ne crois pas que les considérations d’ordre humanitaire l’emportent sur la gravité des infractions et sur l’obligation internationale du Canada de ne pas être un refuge pour les fugitifs. Ainsi, je souscris à la recommandation de l’agent de déférer le dossier de M. Durkin en vue d’une enquête.
[12]
Il est généralement admis que le délégué se fonde, en partie, sur divers documents obtenus de sources responsables de l’application de la loi aux États‑Unis, lesquels révèlent les détails de l’affaire criminelle concernant M. Durkin. Il ressort aussi clairement du dossier dont je dispose que ces mêmes documents n’ont été communiqués ni à M. Durkin ni à son avocate, au motif que leur divulgation n’était pas requise à cette étape‑là de l’enquête. Bien entendu, ces documents ont maintenant été communiqués et ils constituent une partie du dossier dans la présente instance.
[13]
M. Durkin se plaint du fait que, lorsque l’ASFC l’a invité à présenter des observations afin de savoir pourquoi son dossier ne devrait pas être déféré en vue d’une enquête, il n’était pas au courant de tout ce qu’on lui reprochait. Il avait demandé des précisions concernant les accusations criminelles en suspens, et il avait formulé une demande d’AIPRP sollicitant ces renseignements, mais on avait sciemment omis de les lui communiquer. Ce défaut de divulgation d’éléments de preuve importants, selon les observations, constitue un manquement à l’équité procédurale et exige que la décision du délégué soit annulée. La norme de contrôle applicable à la présente question litigieuse est la décision correcte.
[14]
Je souscris à l’argument de M. Durkin selon lequel l’équité procédurale s’applique à la procédure prévue à l’article 44 de la LIPR, de sorte qu’un degré approprié de divulgation est requis. Selon cette disposition, la portée du pouvoir discrétionnaire peut être plus étendue pour un résident permanent ayant des liens solides au Canada que pour les étrangers, et peut donner naissance à un degré élevé d’équité procédurale : voir l’arrêt Sharma c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CAF 319, aux paragraphes 23 et 24, [2017] 3 RCF 492 (Sharma).
[15]
Un facteur important de l’obligation d’équité procédurale est le droit de participation véritable, c’est‑à‑dire l’occasion valable de présenter pleinement et équitablement sa cause au décideur : voir l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CSC 699, au paragraphe 30, [1999] 2 RCS 817. L’étendue de la participation peut varier d’une procédure à l’autre, mais fondamentalement elle exige qu’une partie connaisse les détails essentiels des éléments qui lui sont reprochés et qu’elle ait le droit de les contester. Dans beaucoup de cas, cela nécessitera une certaine divulgation.
[16]
Dans l’arrêt Sharma, précité, la Cour d’appel a analysé les paramètres s’appliquant à la première étape de la procédure prévue au paragraphe 44 de la LIPR de la manière suivante :
33 L’examen des décisions mettant en cause des recommandations formulées avant l’avis de danger pour le public ou l’avis de risque intérieur que déclenche une demande fondée sur des considérations d’ordre humanitaire montre que ces décisions sont de nature différente et ne peuvent pas être comparées au rapport et au renvoi qu’envisagent les paragraphes 44(1) et (2). Je conviens avec l’intimé que le rapport d’interdiction de territoire et les faits marquants de l’affaire ressemblent davantage à des documents pro forma, dont l’objet essentiel est d’énumérer des informations pertinentes extraites du dossier (à propos de la déclaration de culpabilité au criminel et des faits objectifs connexes) ainsi que de justifier brièvement les mesures prises et la recommandation formulée par l’agente. Ces éléments se distinguent nettement d’une revue de recommandations formulées dans le contexte d’un avis de danger pour le public et d’un avis de risque intérieur, qui ressemblent davantage à des outils de plaidoyer.
[34] Il ressort de toutes les décisions pertinentes de la Cour fédérale qu’il est justifié d’accorder un degré relativement faible de droits de participation dans le contexte des paragraphes 44(1) et (2), et que l’équité procédurale n’exige pas que l’on communique le rapport de l’agent à la personne en cause pour lui donner une autre possibilité de répondre avant que l’affaire soit déférée à la SI en vertu du paragraphe 44(2). Dans la mesure où la personne est informée des faits qui ont déclenché le processus, a la possibilité de présenter des éléments de preuve et de faire des observations, obtient un entretien après qu’on lui a fait part de l’objet de cette mesure et des conséquences possibles, a la possibilité de demander l’assistance d’un avocat et reçoit un exemplaire du rapport avant la tenue de l’enquête, on satisfait aux exigences de l’obligation d’équité. Comme l’a souligné la juge L’Heureux‑Dubé dans l’arrêt Baker (au paragraphe 22) :
[L]’idée sous‑jacente à tous ces facteurs est que les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision et à son contexte légal institutionnel et social, comprenant la possibilité donnée aux personnes visées par la décision de présenter leurs points de vue complètement ainsi que des éléments de preuve de sorte qu’ils soient considérés par le décideur.
[17]
Dans l’arrêt Sharma, l’appelant avait demandé qu’on lui communique le rapport sur les faits marquants qui avait été envoyé au délégué. Le refus de le communiquer avait été confirmé, parce que l’appelant connaissait déjà les éléments évoqués contre lui et avait eu l’occasion d’y répondre. Il n’avait donc pas droit à « une seconde chance »
: voir le paragraphe 30. Il en ressort, ainsi que du raisonnement sous‑jacent à l’obligation de communication, qu’un décideur n’est pas obligé de communiquer les renseignements qu’une partie connaît déjà. Dans la décision Hernandez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 429, [2005] ACF nº 33, le même raisonnement est adopté par la juge Judith Snider, au paragraphe 71 :
[71] Cette obligation comprend nécessairement l’exigence que l’agent d’immigration informe la personne qu’il rencontre de l’objet de l’entrevue de façon qu’elle puisse valablement exercer son droit de présenter des observations. Elle comprend également, selon moi, l’exigence que l’agent d’immigration transmette à l’intéressé tout renseignement dont il dispose que l’intéressé n’a vraisemblablement pas en sa possession. Elle comporterait aussi l’exigence d’offrir à l’intéressé la possibilité d’être assisté d’un conseil lors d’une entrevue ou pour la préparation d’observations écrites. Tous ces éléments font partie de ce que CIC a reconnu comme nécessaire pour que l’intéressé comprenne parfaitement « les allégations faites contre [lui] et la nature et les objectifs du rapport ».
[Non souligné dans l’original.]
[18]
De ces décisions, je tire l’enseignement qu’une partie peut uniquement exiger la communication lorsque les renseignements demandés sont importants et lui sont par ailleurs inconnus et non accessibles.
[19]
M. Durkin affirme qu’il a été contrevenu à ses droits de participation, parce que l’ASFC a refusé de lui communiquer les renseignements qu’elle possédait relativement aux allégations d’infractions criminelles qui ont été faites contre lui aux États‑Unis. M. Durkin dit que cela l’a empêché de savoir ce qu’on lui reprochait dans le cadre de l’exercice du pouvoir discrétionnaire du délégué de refuser de transmettre son dossier à la Section de l’immigration. Selon l’avocate de M. Durkin, ils ont tous les deux été contraints de répondre « aveuglément »
à cet élément du dossier.
[20]
Pour les besoins de la cause, j’accepte l’argument de M. Durkin que l’ASFC avait l’obligation de l’informer des renseignements qu’elle possédait, à condition qu’il ait besoin de les connaître pour présenter des observations valables au délégué. La question fondamentale qui demeure est celle de savoir si M. Durkin a établi qu’il n’avait pas suffisamment de renseignements pour répondre aux allégations faites contre lui par les autorités responsables de l’application de la loi aux États‑Unis en 2013.
[21]
À tout le moins, M. Durkin savait, en novembre 2017, que la procédure d’interdiction de territoire avait été entamée en raison des accusations criminelles portées contre lui aux États‑Unis en 2013 concernant des allégations de fraude en matière de valeurs mobilières commises entre octobre 2009 et mai 2013 dans l’État de l’Alabama. Dans la présente demande, il affirme qu’il avait besoin d’en savoir plus, et que l’ASFC aurait pu lui donner ces détails, au moins dans le format ou le contenu des documents qu’elle possédait.
[22]
Le dossier déposé dans la présente instance comprend beaucoup de renseignements sur les allégations d’infractions criminelles formulées aux États‑Unis contre M. Durkin et ses trois associés commerciaux. Par exemple, les actes d’accusation adoptés le 30 mai 2013 par un grand jury siégeant à Mobile, en Alabama, comprenaient les éléments suivants :
[TRADUCTION]
6. Entre octobre 2009, ou vers cette époque, et la date du prononcé du présent acte d’accusation, SENCAN, PETERSEN, MERRY et DURKIN, aidés et encouragés l’un par l’autre, ont élaboré un stratagème visant à faire défaut aux investisseurs de Ramco/Westover aux États‑Unis et dans les comtés de Mobile et de Baldwin en Alabama, en particulier, en acceptant des millions de dollars de fonds d’investisseurs sous de fallacieux prétextes, en omettant d’investir les fonds, contrairement à ce qu’ils avaient promis, et en créant de faux documents et en les distribuant aux investisseurs afin de montrer que leurs fonds avaient été investis et qu’ils généraient des profits constants relativement à leurs investissements.
[23]
Selon le témoignage donné par le FBI au grand jury, M. Durkin était à l’époque propriétaire ou directeur associé de Westover.
[24]
Le 6 juin 2013, la Cour de district des États‑Unis a délivré un mandat en vue de l’arrestation de M. Durkin, mais le mandat n’a pas été exécuté. Le 16 avril 2014, une Notice rouge d’Interpol a été émise en vue de l’arrestation de M. Durkin en tant que [traduction] « fugitif recherché aux fins de poursuite judiciaire »
. La Notice rouge décrivait ce qui lui était reproché de la manière suivante :
[TRADUCTION]
Entre octobre 2009 et mai 2013 ou vers cette époque, en Alabama et ailleurs, Timothy DURKIN et d’autres ont sollicité environ 4,9 millions $ US auprès de clients dans le but présumé d’investir dans un système informatisé d’arbitrage commercial à haute vitesse. DURKIN et d’autres ont fait de fausses déclarations aux victimes par courriel, ils prétendaient notamment que le principal contributeur du fonds était un homme d’affaires fortuné, que des ordinateurs étaient en place pour exécuter les transactions rapides nécessaires selon le modèle d’arbitrage, et que les pertes des transactions seraient plafonnées à 5 000 $ US par jour. DURKIN et d’autres n’ont pas investi les fonds des victimes, contrairement à ce qu’ils avaient promis, et ont plutôt utilisé l’argent pour leurs dépenses personnelles, et pour faire des paiements de type pyramidaux aux investisseurs précédents. DURKIN et d’autres sont précisément accusés d’avoir utilisé des communications électroniques à 18 occasions pour faire avancer leur projet, y compris sept courriels envoyés aux investisseurs victimes, et 11 virements électroniques pour un total de 1 589 000 $ US viré des comptes des victimes vers des comptes gérés par DURKIN et d’autres.
[25]
D’autres renseignements dont je dispose révèlent que les trois personnes accusées conjointement avec M. Durkin ont été jugées, déclarées coupables, et condamnées à des peines d’emprisonnement de cinq ans. Leur appel conjoint, interjeté à la Cour d’appel des États‑Unis, a été rejeté par un arrêt rendu par écrit et daté du 23 octobre 2015. Comme M. Durkin n’était pas partie à l’appel, il n’est mentionné qu’au passage dans l’arrêt. Néanmoins, la fraude est décrite de manière très détaillée, à commencer par sa caractérisation en tant que [traduction] « stratagème pyramidal classique »
exploité pendant trois ans et ayant entraîné le vol de près de 5 millions $ US en fonds américains. L’arrêt rendu en appel a aussi fait référence à M. Durkin comme s’étant [traduction] « soustrait »
et ayant [traduction] « fui le pays »
.
[26]
Dans la présente demande, le fardeau de la preuve pèse sur M. Durkin, qui doit établir qu’il a été traité de manière injuste, qu’on lui a nié le droit de savoir ce qui lui était reproché, et le droit d’y répondre auprès du délégué. Selon la preuve telle qu’il l’a présentée, il n’a de toute évidence pas établi qu’il n’avait pas les renseignements nécessaires pour répondre à la preuve relative à l’interdiction de territoire détenue par l’ASFC. Au contraire, la preuve présentée par M. Durkin est plus importante pour ce qu’elle ne traite pas que pour son contenu. Plus particulièrement, il ne ressort pas de son affidavit qu’il affirme qu’il n’était pas au courant, avant 2017, des accusations criminelles en cours aux États‑Unis, il ne dit pas non plus qu’à la période pertinente, il n’était pas au courant des allégations faites contre lui sur le fond. Aussi, il ne présente pas de preuve importante permettant de le dissocier des trois associés avec lesquels il a été conjointement accusé, et qui, en définitive, ont été déclarés coupables et condamnés à de longues peines d’emprisonnement. De manière semblable, il est muet quant à la question de savoir comment il a pu ne pas être au courant des poursuites pénales engagées contre les trois coaccusés, notamment de l’arrêt rendu en dernier ressort dans leurs affaires. Il s’agissait, après tout, d’instances publiques qui se sont déroulées pendant de nombreuses années.
[27]
Il se peut que ce soit une coïncidence que M. Durkin soit revenu au Canada à peine quelques semaines avant que les actes d’accusation des États‑Unis ne soient prononcés. Toutefois, il n’affirme pas qu’il n’était pas au courant de l’enquête en cours du FBI avant son départ ni du fait qu’un mandat avait été délivré en vue de son arrestation.
[28]
Les observations que M. Durkin a présentées à l’ASFC étaient tout aussi discrètes. Même s’il a fourni une description détaillée d’une grande partie de ses antécédents commerciaux, aucune information n’a été fournie pour la période entre 2009 et 2013, alors qu’il aurait participé à une fraude importante. L’étendue de sa tentative de disculpation qu’il a faite auprès du délégué était la suivante :
[traduction]
Je n’ai jamais été déclaré coupable de quelque crime que ce soit de toute ma vie. Je peux dire sans équivoque que je n’ai jamais participé à aucune activité frauduleuse ni eu connaissance d’une telle activité ni d’un stratagème en vue de commettre une fraude contre d’autres personnes visant à les priver de leurs investissements.
[…]
Je vous prie de tenir compte de mon histoire, de mes antécédents, de l’intérêt supérieur et du bien‑être de ma famille, des difficultés extrêmes auxquelles nous serions exposés si je ne pouvais pas rester ici, et des renseignements dont vous disposez concernant toutes les allégations qui ont été faites contre moi, de manière juste et prudente, quant à la fiabilité ou au bien‑fondé de ces renseignements, et je vous demande de ne pas transmettre de rapport circonstancié à mon sujet.
[29]
Il me semble peu probable que M. Durkin ait eu besoin des renseignements de l’ASFC pour comprendre la portée et la nature des accusations criminelles portées contre lui. Même s’il n’était pas au courant de ces renseignements au fur et à mesure que les faits se déroulaient (une hypothèse pour le moins douteuse), une grande partie des renseignements dont il a dit avoir eu besoin aurait été accessible au public — notamment, l’arrêt de la Cour d’appel des États‑Unis concernant les trois coaccusés. De simples requêtes adressées à des sources évidentes en Alabama auraient aussi permis d’obtenir ce dont il dit qu’il avait besoin.
[30]
En l’absence d’éléments de preuve clairs et non équivoques de M. Durkin établissant qu’il n’était véritablement pas au courant des allégations d’infractions criminelles faites contre lui sur le fond et de ses associés déclarés coupables, je tire l’inférence qu’il connaissait très bien (ou avait les moyens de connaître) cet élément du dossier de l’ASFC. Je ne fais pas droit à son argument qu’il n’était pas au courant de cette preuve; et même s’il ne le fut pas, il s’agissait d’un cas d’aveuglement stratégiquement volontaire. Quelle que soit la situation, l’ASFC n’avait à son endroit aucune obligation additionnelle de divulgation.
[31]
En dépit de ce résultat, je m’interroge sur la position apparemment dogmatique de l’ASFC concernant la communication de son dossier. À tout le moins, le refus de communiquer des renseignements pertinents et accessibles, sans motif valable, mène à des retards inutiles et à des demandes semblables à la présente. Dans d’autres affaires, il pourrait y avoir un manquement à l’équité procédurale : voir par exemple la décision AB c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 134, au paragraphe 66, [2013] ACF no 166.
[32]
Le motif invoqué pour refuser de communiquer à M. Durkin les documents relatifs à l’application de la loi aux États‑Unis était qu’il aurait droit à une divulgation ultérieure, dans le cadre de l’enquête. Là n’est pas la question. L’invitation faite à une personne visée par la procédure prévue à l’article 44 à présenter des observations a pour but d’éviter peut‑être que son dossier soit transféré en vue d’une enquête. C’est aussi le seul élément dans la procédure pour lequel une personne peut solliciter la clémence du délégué, même si la personne est interdite de territoire par l’effet de l’application automatique de la loi. À une étape ultérieure d’une enquête, la seule question qui demeure ouverte est celle de savoir si les motifs de l’interdiction de territoire ont été établis. Par conséquent, dans une situation où la divulgation est effectivement nécessaire pour appuyer une demande de clémence formulée à l’endroit du délégué, l’obligation d’équité peut exiger la communication.
[33]
À la clôture des plaidoiries, j’ai offert aux parties la possibilité de présenter des questions certifiées. M. Durkin aura sept jours pour proposer une question et le ministre aura sept jours par la suite pour y répondre. Sous réserve que la Cour demeure saisie de l’affaire à cet égard, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT
LA COUR STATUE que la présente demande est rejetée sous réserve de toute décision portant sur une question certifiée proposée par le demandeur.
« R.L. Barnes »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 10e jour de mai 2019.
C. Tardif, traductrice.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑3404‑18
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INTITULÉ :
|
TIMOTHY DURKIN c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Vancouver (Colombie‑Britannique)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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le 17 janvier 2019
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Jugement et motifS :
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Le juge BARNES
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
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Le 12 février 2019
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COMPARUTIONS :
Erica Olmstead
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Pour le demandeur
|
Helen Park
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Edelmann & Co.
Avocats
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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