Date : 20190206
Dossier : IMM‑1280‑18
Référence : 2019 CF 155
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 6 février 2019
En présence de madame la juge Gagné, J.C.A.
ENTRE :
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MUDASSAR PARVEEN
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Nature de l’affaire
[1]
Mudassar Parveen est une citoyenne du Pakistan âgée de 44 ans. En 2012, elle a demandé l’asile au Canada. Elle est en désaccord sur la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] qui a prononcé le désistement de sa demande et elle a demandé le contrôle judiciaire de cette décision.
[2]
La présente demande soulève la question de savoir si la SPR a agi de façon équitable et impartiale et si la demanderesse a fait la preuve d’une intention crédible de poursuivre sa demande d’asile.
II.
Les faits
[3]
La demanderesse est une citoyenne du Pakistan. Elle a demandé l’asile au Canada en 2012, en alléguant avoir été menacée de mort par des fanatiques religieux.
[4]
Le 2 janvier 2018, elle a reçu signification d’un avis de convocation à une audience le 16 février 2018. Toutefois, elle allègue qu’elle n’a pas pu s’y présenter pour des raisons d’ordre médical. Son conseil a aussi fait défaut de comparaître, en raison d’un rendez‑vous médical urgent le même jour.
[5]
Une audience de justification a été fixée au 23 février 2018 dans le but d’établir s’il convenait de prononcer que la demanderesse s’était désistée de sa demande d’asile en raison de son défaut de comparaître le 16 février 2018.
[6]
Après avoir donné à la demanderesse la possibilité d’expliquer pourquoi elle n’avait pas comparu le 16 février 2018, la SPR a rendu une décision de vive voix par laquelle elle déclarait que la demanderesse s’était désistée de sa demande, en application de l’article 168 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR].
III.
La décision contestée
[7]
La demanderesse a produit une ordonnance médicale et les résultats d’une analyse sanguine, tous deux datés du 15 février 2018. Cependant, ces documents n’expliquent pas pourquoi la demanderesse n’a pas été en mesure de se présenter le 16 février 2018 ni quand la demanderesse pourrait être capable de donner suite à sa demande d’asile. En tant que telle, l’information médicale n’est pas conforme aux Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 [les Règles de la SPR].
[8]
La SPR a conclu que le témoignage de la demanderesse au sujet de sa maladie n’était pas crédible. La demanderesse a d’abord affirmé sous serment qu’elle s’était procuré une ordonnance médicale en raison de sa maladie et qu’elle avait fait exécuter cette ordonnance. Toutefois, à l’audience de justification, elle a présenté l’original de l’ordonnance qui indiquait clairement que celle‑ci n’avait pas été exécutée. Dans son témoignage, la demanderesse a déclaré qu’elle avait fait une erreur et qu’elle avait pris du Tylenol au lieu du médicament sur ordonnance en raison du fait qu’elle avait remis l’ordonnance au propriétaire de son logement; ce témoignage a été rejeté par la SPR.
[9]
De plus, la demanderesse n’a produit aucun renseignement sur son médecin et la nature exacte de sa maladie était inconnue. Il incombait à la demanderesse de présenter la preuve médicale que la SPR lui avait demandée.
[10]
La SPR a tenu compte du fait que la demanderesse n’avait présenté aucun document à l’appui de sa demande d’asile, à l’exception de son Formulaire de renseignements personnels, en dépit du fait que sa demande était en instance depuis plus de six ans et qu’elle avait indiqué par écrit en juillet 2017 qu’elle était prête à procéder.
[11]
Une personne dont la sécurité est menacée dans son pays d’origine et qui demande la protection d’un pays de refuge est nécessairement soucieuse de respecter le cadre juridique mis en place pour lui permettre d’obtenir la protection et ne tolère pas le laxisme (Barrientos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1997 CanLII 5278). La demanderesse a manqué de diligence dans la poursuite de sa demande d’asile en ne présentant pas la documentation médicale requise ni un témoignage crédible pour expliquer le délai. La SPR a donc prononcé le désistement de la demande de la demanderesse.
IV.
Les questions en litige et la norme de contrôle
[12]
La demanderesse soulève une question principale et trois questions secondaires :
La SPR a‑t‑elle commis une erreur en prononçant le désistement de la demande de la demanderesse?
Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale?
Existe‑t‑il une crainte raisonnable de partialité?
Est‑ce que des erreurs ont été commises dans l’appréciation des intentions et de la crédibilité de la demanderesse?
[13]
Si la Cour conclut qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale ou qu’il existe une crainte de partialité, son intervention serait justifiée; mais en l’absence d’un tel manquement, la décision de la SPR est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69).
V.
Analyse
[14]
La question fondamentale à trancher consiste à savoir si la demanderesse a l’intention de poursuivre sa demande avec diligence (Csikos c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 632, aux paragraphes 25 et 26). La demanderesse a le fardeau d’établir pourquoi elle ne doit pas être considérée comme s’étant désistée de sa demande.
[15]
Conformément à l’article 65 des Règles de la SPR, la SPR doit se pencher sur les raisons données par la demanderesse pour expliquer pourquoi le désistement ne devrait pas être prononcé ainsi que tout autre élément pertinent, notamment le fait que la demanderesse est prête à commencer ou à poursuivre les procédures. La SPR jouit du pouvoir discrétionnaire de conclure que la demanderesse est en défaut (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 882, aux paragraphes 34 à 36).
A.
Manquement à l’équité procédurale
[16]
La demanderesse fait valoir que l’omission par la SPR de lui fournir des motifs écrits constitue un manquement à l’équité procédurale.
[17]
En premier lieu, on peut établir une distinction entre la présente affaire et la décision Jang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 486, dans laquelle il était impossible de savoir si des motifs avaient été énoncés de vive voix, car la SPR n’avait pas produit de motifs écrits qu’il n’existait aucune transcription de l’audience. En l’espèce, le dossier démontre que la SPR a prononcé des motifs détaillés de vive voix.
[18]
Deuxièmement, il serait possible de faire valoir que la décision prononçant le désistement d’une procédure est une décision finale qui entraîne le rejet de la demande d’asile et que la SPR a l’obligation de donner ses motifs par écrit, comme le prévoit l’alinéa 169d) de la LIPR:
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Par contre, on peut prétendre qu’un prononcé décrétant le désistement d’une demande n’est pas une décision au sens de l’article 169 de la LIPR, parce qu’il ne porte pas sur le fond de la demande, mais plutôt sur la question plus circonscrite de savoir si un demandeur s’est désisté de sa demande. Ce type de désistement est plutôt prévu au paragraphe 168(1) de la LIPR:
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En l’espèce, la SPR a rendu sa décision de vive voix et en présence de la demanderesse, du conseil de celle‑ci et d’un interprète. Cette décision est détaillée et exhaustive, et elle énonce non seulement les conclusions, mais aussi les motifs les justifiant. La demanderesse a depuis obtenu une copie de la transcription de l’audience.
[21]
Dans les circonstances, même si le libellé de la loi peut imposer une obligation de fournir des motifs écrits, il serait étrange d’annuler la décision de la SPR pour le seul motif qu’un exemplaire écrit de la décision n’a pas été remis à la demanderesse. Je ne crois pas qu’il y ait eu manquement à la norme de l’équité. Une décision contraire me semblerait être un triomphe de la forme sur le fond. Je conclus qu’il n’y a eu aucun dommage important ni de déni de justice (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43; Pavicevic c Canada (Procureur général), 2013 CF 997, aux paragraphes 55 et 56). Le paragraphe 18.1(5) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, donne le pouvoir à la Cour de refuser d’accorder un redressement dans un cas semblable.
B.
Crainte de partialité
[22]
Je conviens avec le défendeur que la demanderesse n’a pas satisfait à la norme très rigoureuse qui lui aurait permis de démontrer l’existence d’une crainte raisonnable de partialité (Koky c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 562, au paragraphe 48). Les questions posées à la demanderesse au sujet du dépôt de documents à l’appui de sa demande avaient pour but de savoir si elle était prête ou non à poursuivre sa demande d’asile. Les questions concernant son médecin traitant avaient pour but d’examiner son allégation selon laquelle elle avait été incapable de se présenter à l’audience le 16 février 2018 pour des raisons médicales.
[23]
De plus, la SPR était fondée à refuser d’entendre le témoignage du propriétaire du logement de la demanderesse, parce qu’aucun avis n’avait été donné quant au fait qu’il serait appelé comme témoin et qu’il n’avait pas été exclu du témoignage de la demanderesse.
[24]
Dans le même ordre d’idées, la SPR n’a pas mal agi en refusant la demande d’ajournement de l’audience de justification du 23 février 2018 qui avait été présentée par le conseil de la demanderesse. Le conseil a été avisé le 19 février 2018 que son autre audience devant la SPR le 23 février 2018 avait été reportée. De plus, sa demande de changement de la date et de l’heure ne respectait pas les articles 50 et 54 des Règles de la SPR. En dernier lieu, la demanderesse et son conseil étaient présents le 23 février 2018.
C.
L’appréciation des intentions, de la crédibilité et de la preuve médicale de la demanderesse
[25]
L’article 65 des Règles de la SPR énonce les facteurs qui doivent être pris en considération pour établir qu’il y a eu désistement de la demande. Cette disposition contient également les exigences relatives à une preuve médicale censée démontrer qu’un demandeur d’asile était incapable au plan médical de se présenter à une audience. Pour en faciliter la consultation, je reproduis ci‑dessous les dispositions pertinentes des Règles de la SPR.
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[26]
Il est évident que la preuve médicale déposée par la demanderesse n’est pas conforme à l’article 65 des Règles. La demanderesse a produit une ordonnance et les résultats d’une analyse sanguine, mais ces documents n’expliquent pas pourquoi elle avait été incapable de se présenter le 16 février 2018 ni quand elle serait en mesure de poursuivre l’affaire. En outre, aucune explication n’a été donnée quant aux motifs pour lesquels la demanderesse n’était pas en mesure de présenter un certificat médical contenant les renseignements requis sous la forme prescrite par les paragraphes 65(5) et 65(6) des Règles de la SPR.
[27]
À l’audience de justification, la SPR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle quand elle a rejeté le témoignage de la demanderesse en raison de son manque de crédibilité. Son témoignage était incohérent et il changeait à mesure qu’elle était interrogée. Par exemple, la demanderesse a affirmé sous serment qu’elle avait acheté et pris le médicament qui lui avait été prescrit, mais quand elle a été interrogée à ce sujet, elle a admis qu’elle ne l’avait pas fait et qu’elle avait plutôt pris du Tylenol. La demanderesse a aussi été incapable de fournir des renseignements au sujet de son médecin traitant. Dans ces circonstances, il était raisonnable de la part de la SPR de tirer une conclusion défavorable concernant la crédibilité.
[28]
En dernier lieu, la SPR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas poursuivi sa demande avec diligence. Le paragraphe 65(4) oblige la SPR, quand elle se demande si elle doit prononcer le désistement d’une demande, de tenir compte du « fait que le demandeur est prêt à commencer ou à poursuivre les procédures »
ainsi que de « tout autre élément pertinent »
. La SPR doit décider si, par sa conduite, la demanderesse a démontré qu’elle ne désire plus et qu’elle n’est souhaitait plus poursuivre sa demande avec diligence (Ahamad c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] 3 CF 109, au paragraphe 32).
[29]
Même si sa demande est pendante depuis plus de six ans, la demanderesse n’a produit aucun document à l’appui et n’a donné aucun avis des témoins qu’elle allait convoquer. Quand on lui a demandé pourquoi elle n’avait présenté aucun document à l’appui, la demanderesse a répondu : [traduction] « Ils sont… ils sont là. Si vous me donnez deux ou trois semaines, oui, je pourrai venir avec ces documents »
. Dans ces circonstances, il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que la demanderesse n’était pas prête à poursuivre sa demande à la date fixée à l’origine ni à la date de l’audience de justification.
VI.
Conclusion
[30]
La demanderesse n’a pas satisfait à la norme qui lui aurait permis de démontrer que la SPR a agi de manière inéquitable ou que sa conduite lui a inspiré une crainte raisonnable de partialité. La SPR a tenu compte de la preuve médicale présentée par la demanderesse et a raisonnablement établi qu’elle n’était pas conforme aux Règles de la SPR. La SPR a raisonnablement conclu que la demanderesse n’avait pas poursuivi sa demande avec diligence et qu’elle devait prononcer le désistement. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question de portée générale à certifier et aucune question de cette nature ne découle des faits de l’espèce.
JUGEMENT dans le dossier no IMM‑1280‑18
LA COUR STATUE que :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;
L’intitulé est modifié afin de remplacer le « Ministre de l’Immigration, des Réfugiés et de la Citoyenneté » par le « Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration »
;
Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Jocelyne Gagné »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 27e jour de février 2019
Maxime Deslippes
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑1280‑18
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INTITULÉ :
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MUDASSAR PARVEEN c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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TORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 5 DÉCEMBRE 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE GAGNÉ, J.C.A.
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DATE DES MOTIFS :
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LE 6 FÉVRIER 2019
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COMPARUTIONS :
Atul Subedi
Keshab Prasad Dahal
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POUR LA demanderesse
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Christopher Ezrin
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POUR Le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Atul Subedi Professional Corporation
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LA demanderesse
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR Le défendeur
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