Date : 20190204
Dossier : T-1663-16
Référence : 2019 CF 146
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 4 février 2019
En présence de madame la juge Heneghan
ENTRE :
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L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES
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demandeur
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et
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TRACY DONALD DODDS
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
L’administrateur (l’« administratrice »
, en l’occurrence) de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires (la « Caisse »
ou le « demandeur »
) sollicite un jugement sommaire, conformément aux Règles des cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »
), à l’encontre de Tracy Donald Dodds (le « défendeur »
).
[2]
Par une déclaration produite le 4 octobre 2016, le demandeur a intenté une action contre le défendeur dans laquelle il sollicite un jugement lui octroyant un montant de 839 863,02 $ ainsi que des intérêts au taux applicable en matière d’amirauté et les dépens. Cette déclaration est liée au coût des mesures visant à réparer, contrer, réduire au minimum et prévenir les dommages dus au naufrage du navire « FARLEY MOWAT »
, parfois appelé le « FARLEY MOWATT »
(le « navire en cause »
) et aux rejets d’hydrocarbures causés par celui-ci.
II.
LE CONTEXTE
[3]
Le demandeur allègue que, pour l’application de la partie 6, section 2 de la Loi sur la responsabilité en matière maritime, LC 2001, c 6, (la « Loi »
), ainsi que de la Convention internationale de 2001 sur la responsabilité civile pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures de soute (la « CHS »
), le défendeur est et a été, pendant toute la période pertinente, le propriétaire non inscrit du navire en cause.
[4]
Le demandeur allègue de plus qu’entre le 24 et le 25 juin 2015 le navire en cause a coulé et a rejeté des hydrocarbures dans les eaux du port de Shelburne (Nouvelle-Écosse). Il allègue également que le navire en cause a été par la suite renfloué et réamarré à son poste d’accostage au port de Shelburne le 2 août 2015, ou vers cette date. Les travaux se sont poursuivis du mois de juin jusqu’au 5 août 2015 environ pour éviter tout autre rejet d’hydrocarbures.
[5]
Le demandeur a engagé la présente action en vue de recouvrer les frais associés, d’une part, au naufrage du navire en cause et, d’autre part, aux mesures visant à contrer la fuite d’hydrocarbures.
[6]
Dans une défense déposée le 28 novembre 2016, le défendeur a rejeté la totalité des allégations formulées dans la déclaration. Le paragraphe 4 de la défense indique ce qui suit :
[traduction]
4. Le défendeur s’est vu refuser l’accès au quai et au navire, laissant ainsi la possession de ce dernier à la garde et au contrôle de l’administration portuaire de la Ville de Shelburne, sans que des documents juridiques n’autorisent les mesures prises. Le défendeur a demandé à des tiers de se présenter sur les lieux; eux aussi se sont vu refuser l’accès et ont été l’objet de menaces d’intervention policière, laissant ainsi la responsabilité du navire à l’administration portuaire. Les membres de cette dernière ont été les dernières personnes à avoir la possession et le contrôle directs du navire.
[7]
Le dossier de requête que le demandeur a déposé à l’appui de la requête en jugement sommaire comporte l’affidavit d’Anne Legars, qui exerce actuellement les fonctions d’administratrice de la Caisse, et ce document expose le fondement probatoire de la demande. L’affidavit figure aux pages 3 à 407 du dossier de requête et il comprend 19 pièces, lesquelles décrivent les travaux de nettoyage et les tâches connexes que la Garde côtière canadienne (la « GCC »
) a effectuées, de même que les factures connexes.
[8]
Le demandeur a également déposé un mémoire des faits et du droit dans lequel il présente ses arguments juridiques par rapport à la Loi et à la CHS. La CHS a force de loi au Canada, conformément aux articles 69 et 70 de la Loi.
[9]
Le défendeur a pris part à l’audition de la requête en jugement sommaire du demandeur et a présenté des observations orales. Il n’a toutefois déposé aucune preuve par voie d’affidavit.
III.
LES OBSERVATIONS
[10]
Dans son affidavit, Mme Legars déclare que la propriété du navire en cause n’est pas consignée dans le Register of Shipping, mais qu’un acte de vente a été trouvé dans le dossier T‑506‑11 de la Cour fédérale, lequel montre que le navire en cause a été vendu au défendeur le 4 mars 2013.
[11]
À l’appui de sa prétention selon laquelle le défendeur est le propriétaire du navire en cause pour les besoins de la présente instance, le demandeur se fonde également sur une ordonnance déposée dans une autre instance devant la Cour fédérale, soit le dossier T-624-15, concernant une action intentée par la Ville de Shelburne et dans laquelle le défendeur est nommé en tant que « propriétaire »
du navire en cause.
[12]
Le demandeur signale que l’article 105 de la Loi autorise la Caisse à payer les frais « raisonnables »
de nettoyage des dommages dus à la pollution. Il demande le recouvrement des frais de nettoyage et des dépenses connexes d’un montant de 839 863,02 $, les intérêts au taux applicable en matière d’amirauté, les intérêts avant jugement et les dépens.
[13]
Conformément à l’affidavit de l’administratrice, les comptes que la GCC a présentés ont tout d’abord été examinés avec soin par un consultant de la Caisse, un certain George Legge, dans le but d’évaluer le caractère raisonnable de la demande. Dans un rapport daté du 10 février 2016, ce dernier a fait part de son opinion sur les éléments de la demande qui nécessitaient une preuve supplémentaire et sur ceux qui pouvaient être admis.
[14]
Mme Legars a ensuite demandé à un tiers, M. M.J. Fegan, un expert au service de Fulcrum Marine Consultancy Ltd., d’examiner le caractère raisonnable des montants que réclame la GCC. M. Fegan a fourni un rapport daté du 20 juin 2016.
[15]
Mme Legars déclare dans son affidavit qu’elle a passé en revue les rapports disponibles et conclu que la somme de 813 316,15 $, plus les intérêts applicables, calculés conformément à l’article 116 de la Loi, constituent une indemnité raisonnable. Une offre de paiement de la somme de 839 863,02 $ a été soumise à la GCC le 27 juin 2016, et cette offre a été acceptée par une lettre datée du 4 juillet 2016.
[16]
Dans sa défense, le défendeur rejette de façon générale la totalité des allégations formulées dans la déclaration.
[17]
Dans les observations orales qu’il a faites lors de l’audition de la requête, le défendeur a déclaré qu’on lui a refusé, à l’époque en question, l’accès au navire en cause parce que celui-ci était l’objet d’une saisie et il n’en était donc pas responsable. Il a ajouté que c’était la partie qui avait effectué la saisie qui était [traduction] « responsable de la garde et du contrôle du navire »
.
IV.
LES QUESTIONS EN LITIGE
[18]
Le demandeur sollicite un jugement sommaire. La Cour peut statuer sommairement sur une action s’« il n’existe pas de véritable question litigieuse »
, aux termes de l’article 215 des Règles.
[19]
Dans la présente affaire, la question consiste à savoir s’il existe une véritable question litigieuse quant à la qualité de « propriétaire »
du défendeur quant au navire en cause et à la responsabilité de ce dernier à l’égard du montant que réclame le demandeur.
V.
ANALYSE
[20]
Devant la Cour fédérale, les requêtes en jugement sommaire sont régies par les articles 213 à 218 des Règles. L’article 214 est important et indique ce qui suit :
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[21]
L’article 215 énonce les circonstances dans lesquelles la Cour rend un jugement sommaire :
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Selon la décision Moroccanoil Israel Ltd. c Lipton, 2013 CF 667, il incombe à chaque partie dans une requête en jugement sommaire de « présenter ses meilleurs arguments »
.
[23]
En l’espèce, la seule preuve dont la Cour dispose est celle que le demandeur a déposée. Dans le cadre d’une requête, une preuve ne peut être présentée que par la voie d’un affidavit; voir l’article 363 des Règles, qui prévoit ce qui suit :
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[24]
La défense que le défendeur a présentée est un acte de procédure; il ne s’agit pas d’une preuve. Ses observations orales constituent une argumentation orale et non une preuve. Le défendeur n’a présenté aucune preuve sur la question de la propriété.
[25]
Le défendeur soutient plutôt qu’étant donné que le navire en cause était l’objet d’une « saisie »
il n’était pas responsable du rejet des hydrocarbures ou des activités ultérieures de nettoyage et de remouillage.
[26]
Les observations du défendeur ne sont pas fondées. Selon l’article 483 des Règles, la saisie d’un navire n’a pas d’incidence sur la responsabilité de son propriétaire, pas plus que sur sa possession. Le texte de cet article est le suivant :
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[27]
En l’espèce, le fardeau de preuve est le fardeau de preuve civil selon la prépondérance des probabilités.
[28]
La première question est celle de savoir si la propriété, par le défendeur, du navire en cause constitue une véritable question litigieuse.
[29]
Le défendeur n’a présenté aucune preuve afin de répondre à la prétention selon laquelle il est le propriétaire du navire en cause, sous le régime de la Loi comme sous celui de la CHS.
[30]
L’article 91 de la Loi définit le mot « propriétaire »
en ces termes :
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[31]
Ni l’une ni l’autre des parties n’a fourni une preuve concernant une ordonnance aux termes de laquelle la possession du navire en cause revenait au shérif.
[32]
L’acte de vente présenté dans le dossier T-506-11, et joint en tant que pièce Q à l’affidavit de Mme Legars, indique que le défendeur est le propriétaire du navire en cause.
[33]
L’ordonnance du 31 décembre 2015, rendue dans le dossier T-624-15 et jointe en tant que pièce T à l’affidavit de Mme Legars, désigne le défendeur comme le propriétaire du navire en cause.
[34]
Au vu des éléments de preuve présentés, je suis convaincue que la propriété du navire en cause ne suscite aucune véritable question litigieuse et que le défendeur en est le « propriétaire »
pour les besoins de la présente instance.
[35]
La question suivante est celle de savoir si le montant que réclame le demandeur constitue une véritable question litigieuse.
[36]
La Caisse est créée en vertu de la partie 7 de la Loi, laquelle loi autorise la GCC à intervenir dans le cas d’un incident dû à la pollution qui est imminent ou réel et à présenter à la Caisse une demande de remboursement des frais engagés à cette fin.
[37]
Les alinéas 77(1)a) et b) et le paragraphe 77(2) de la Loi sont pertinents, et ils prévoient ce qui suit :
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[38]
L’alinéa 71a) et le sous-alinéa 71b)(i) de la Loi sont eux aussi pertinents et prévoient ce qui suit :
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[39]
Le défendeur n’a pas répondu à la requête en jugement sommaire, hormis par sa comparution à l’audience et sa présentation d’observations orales. Il n’a pas contesté le montant que réclame le demandeur, mais il a déclaré qu’il n’était pas responsable du navire en cause à l’époque où il a coulé et où les travaux de remise en état ont été exécutés.
[40]
La Loi autorise la Caisse à recouvrer les frais « raisonnables »
qu’elle a payés pour des incidents dus à la pollution par les hydrocarbures. J’ai été saisie d’une preuve selon laquelle l’administratrice a considéré que la somme de 839 863,02 $ était raisonnable, relativement aux incidents survenus en mars 2014 et à la période de juin à août 2015, ainsi que des intérêts de 26 546,87 $.
[41]
La Loi prescrit à la Cour d’évaluer le caractère raisonnable des montants payés par demandeur.
[42]
Le défendeur n’a présenté aucune preuve pour contester les montants que le demandeur réclame. Il n’a pas contre-interrogé Mme Legars, ni mis en doute l’une quelconque des pièces jointes à son affidavit, dont les factures.
[43]
Dans les circonstances, je suis convaincue que le demandeur a démontré que le montant réclamé ne constitue pas une véritable question litigieuse, et un jugement sera prononcé en conséquence.
VI.
CONCLUSION
[44]
Ni la question de la propriété du navire en cause ni celle des montants réclamés ne constituent une véritable question litigieuse. La requête est accueillie, avec dépens en faveur du demandeur, et de brèves observations sur les dépens doivent être présentées avant le 28 février 2019.
JUGEMENT dans le dossier T-1663-16
LA COUR STATUE :
Un jugement sommaire est rendu en faveur du demandeur, l’administrateur de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, à l’encontre du défendeur, Tracy Donald Dodds.
Le défendeur, Tracy Donald Dodds, est tenu de payer sans délai au demandeur, l’administrateur de la Caisse d’indemnisation des dommages dus à la pollution par les hydrocarbures causée par les navires, des dommages-intérêts de 839 863,02 $, plus des intérêts avant jugement de 27 295,55 $, soit un montant total de 867 158,57 $.
Le demandeur a droit à la taxation de ses dépens, et de brèves observations sur ces dépens doivent être présentées avant le 28 février 2019.
« E. Heneghan »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 28e jour de mars 2019
Sandra de Azevedo, LL.B.
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
t-1663-16
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INTITULÉ :
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L’ADMINISTRATEUR DE LA CAISSE D’INDEMNISATION DES DOMMAGES DUS À LA POLLUTION PAR LES HYDROCARBURES CAUSÉE PAR LES NAVIRES c TRACY DONALD DODDS
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Vancouver (COLOMBIE-BRITANNIQUE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 20 DÉcembrE 2017
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LA JUGE HENEGHAN
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DATE DES MOTIFS :
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LE 4 fÉVRIER 2019
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COMPARUTIONS :
A. William Moreira
Michael J.E. MacIssac
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POUR LE DEMANDEUR
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Tracey Donald Dodds
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POUR LE DÉFENDEUR
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Stewart McKelvey
Halifax (Nouvelle-Écosse)
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POUR LE DEMANDEUR
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