Date : 20190131
Dossier : IMM‑3815‑18
Référence : 2019 CF 134
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 31 janvier 2019
En présence de monsieur le juge Barnes
ENTRE :
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ARINSON AGUIRRE RENTERIA
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Il s’agit d’une décision connexe à celle rendue dans l’affaire Mayra Aguirre Renteria c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (dossier IMM‑3816‑18), dans laquelle la Cour a accueilli la demande de contrôle judiciaire en raison de l’insuffisance des motifs de la décision de l’agent d’immigration (l’agent). Monsieur Aguirre est le frère cadet de la demanderesse dans cette affaire.
[2]
Bien que les questions soulevées en l’espèce ne recoupent pas entièrement celles soulevées dans le dossier IMM‑3816‑18, j’ai les mêmes réserves quant au caractère suffisant des motifs invoqués pour rejeter la demande d’asile pour motifs d’ordre humanitaire de M. Aguirre.
[3]
Comme dans l’affaire connexe, je suis particulièrement préoccupé par l’analyse superficielle faite par l’agent de la preuve sur la situation des Noirs en Colombie. Cette preuve démontre que les Afro‑Colombiens sont exposés à une discrimination omniprésente et à des désavantages socioéconomiques, contrairement à bon nombre d’autres citoyens de la Colombie. Néanmoins, le traitement fait par l’agent de cette preuve considérable et apparemment crédible s’est limité à ce qui suit :
[traduction]
J’ai lu et examiné attentivement les observations sur le fait que le demandeur soit d’origine afro‑colombienne, et je reconnais que les conditions actuelles dans le pays sont loin d’être favorables pour les Afro‑Colombiens. Je prends ce facteur en compte de façon favorable dans la présente demande. Cependant, je souligne le fait que le demandeur n’a pas soulevé la question de sa race ou de son origine ethnique lors de l’audition de sa demande d’asile, et qu’il n’a pas présenté de preuve objective suffisante démontrant que sa sœur, qui réside en Colombie, connaît des difficultés parce qu’elle est Afro‑Colombienne.
Le ministre soutient que cette analyse est suffisante, étant donné que la preuve pertinente a été prise en compte et qu’un poids favorable lui a été accordé. Je ne suis pas d’accord.
[4]
Lorsqu’une personne doit être renvoyée dans un lieu où les conditions sont nettement inférieures aux normes canadiennes, et que cet écart n’est pas jugé suffisant pour justifier l’octroi d’une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire, il y a obligation de faire une analyse approfondie de la preuve. Il en est ainsi parce qu’une personne qui demande une exemption pour des motifs d’ordre humanitaire et qui est déboutée a le droit de savoir pourquoi la preuve présentée à l’appui de sa demande a été jugée insuffisante. Autrement, les circonstances les plus graves pourraient effectivement être écartées sous le couvert d’une expression comme « loin d’être favorables »
. Il s’agit du type de déclaration toute faite qui avait soulevé des préoccupations dans l’affaire Ocampo c Canada, 2015 CF 1290, au paragraphe 9, 261 ACWS (3d) 702.
[5]
Je m’interroge également sur la préoccupation de l’agent selon laquelle l’origine ethnique n’a pas été invoquée comme fondement de la demande d’asile de M. Aguirre. Cette demande d’asile était fondée sur le risque, allégué par la sœur de M. Aguirre, que posent les Forces armées révolutionnaires de Colombie. De fait, il n’est pas du tout surprenant que les difficultés liées à l’origine ethnique de M. Aguirre n’aient pas été soulevées, dans la mesure où les différentes formes de discrimination, même persistantes, atteignent rarement le niveau de la persécution.
[6]
Deux autres questions me préoccupent en l’espèce; la première a trait à la façon dont l’agent a traité les conclusions de la SPR en matière de crédibilité, et la seconde est liée à la capacité d’adaptation de M. Aguirre.
[7]
Je ne comprends pas du tout pourquoi la crédibilité de M. Aguirre a souffert du traitement défavorable que la SPR a réservé aux éléments de preuve soumis par sa sœur en ce qui concerne l’existence d’un risque. Ces deux éléments n’auraient pas dû être associés.
[8]
Je m’interroge également sur le fait que l’agent a considéré que le degré d’établissement de M. Aguirre au Canada constituait bel et bien un motif pour le renvoyer en Colombie. Il s’agit là du genre de raisonnement sans issue qui préoccupait le juge Donald Rennie dans Lauture c Canada, 2015 CF 336, au paragraphe 26 [2015] ACF No 296. Le degré d’établissement au Canada devrait jouer en faveur du demandeur, et non servir d’excuse pour lui refuser l’exemption demandée : voir Sebbe c Canada, 2012 CF 813, au paragraphe 21, [2012] ACF No 842.
[9]
Pour les motifs qui précèdent, la demande est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il procède à un nouvel examen sur le fond. Compte tenu de l’écoulement du temps, M. Aguirre devrait avoir la possibilité de compléter la preuve à l’appui de sa demande.
[10]
Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et aucune question d’importance générale n’est soulevée en l’espèce.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑3815‑18
LA COUR STATUE que la présente demande est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision sur le fond.
« R.L. Barnes »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 12e jour de mars 2019.
Karine Lambert, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑3815‑18
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INTITULÉ :
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ARINSON AGUIRRE RENTERIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Vancouver (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 14 JANVIER 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE BARNES
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DATE DES MOTIFS :
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LE 31 JANVIER 2019
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COMPARUTIONS :
Molly Joeck
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POUR LE DEMANDEUR
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Kimberly Sutcliffe
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Edelmann & Co.
Avocats
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LE DÉFENDEUR
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