Date : 20190125
Dossier : IMM-2510-18
Référence : 2019 CF 110
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Québec (Québec), le 25 janvier 2019
En présence de monsieur le juge Locke
ENTRE :
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ELEMERNE BABOS
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), à l’encontre de la décision par laquelle un commissaire de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté une demande d’asile fondée sur les articles 96 et 97 de la LIPR.
[2]
Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la présente demande doit être accueillie.
II.
CONTEXTE
[3]
La demanderesse, Elemerne Babos, est âgée de 71 ans et est citoyenne hongroise. Elle affirme être d’origine rom et craindre d’être persécutée si elle retourne en Hongrie.
[4]
La demanderesse soutient avoir été victime de persécution et de mauvais traitements à plusieurs reprises en Hongrie du fait de son origine rom. Elle a d’abord présenté une demande d’asile conjointement avec sa fille et la famille de cette dernière. La SPR a refusé cette demande en 2013. La demanderesse a sollicité le contrôle judiciaire de la décision, qui a été accueilli en 2014. La décision qui fait l’objet du présent contrôle est la deuxième décision de la SPR relativement à la demande d’asile de la demanderesse.
III.
DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE
[5]
Dans la décision contestée, la question déterminante était l’identité rom de la demanderesse.
[6]
La SPR a renvoyé à l’article 106 de la LIPR et à l’article 11 des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256, lesquels prévoient ce qui suit :
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Selon la SPR, la demanderesse n’a pas établi son origine rom pour les motifs suivants :
- Trop peu d’éléments de preuves crédibles avaient été présentés pour établir l’origine rom de la demanderesse :
- La demanderesse a fourni des réponses vagues et des observations superficielles concernant les us et coutumes de la culture rom;
- Bien qu’elle ait vécu dans l’immeuble où est située la Roma Civil Rights Foundation durant de nombreuses années, rien n’indique qu’être rom soit obligatoire pour loger dans cet immeuble;
- Il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve corroborants permettant d’établir l’origine rom de la demanderesse;
- La demanderesse n’a pas démontré de façon suffisante le lien l’unissant à Virginia Ivancsik et Robert Ivancsik, qui, selon elle, sont des membres de sa famille et dont l’identité rom a été établie;
- Bien qu’un avis d’[traduction]
« approbation de principe »
pour l’octroi de la résidence permanente à sa fille, Maria Ivancsikne Babos, et à la famille de cette dernière ait été produit, les motifs de cette décision n’ont pas été présentés, ce qui fait en sorte que la décision n’avait aucune valeur probante; - La plainte présentée aux services de police par le prétendu cousin de la demanderesse, Tibor Balog, n’avait aucune valeur probante, car elle ne traitait pas de l’origine ethnique de la demanderesse;
- Peu de poids a été accordé à la transcription de l’audience précédente devant la SPR, dans laquelle la fille de la demanderesse a décrit celle‑ci comme une [traduction]
« gitane »
, car l’audience précédente ne concernait pas la plainte de la demanderesse; - Le passeport de la demanderesse n’était pas un élément déterminant quant à l’origine ethnique de cette dernière, car le lieu de naissance qui y figure est une ville où vivent des Roms et des non-Roms;
- Subsidiairement, même si les liens familiaux allégués avaient tous été établis et que les membres de la famille sont d’origine rom, cet élément de preuve serait insuffisant pour établir l’origine ethnique de la demanderesse, car les membres d’une même famille peuvent être de différentes origines ethniques;
- Bien que l’identité de la demanderesse n’ait pas été remise en question lors de l’audience précédente de la SPR, le tribunal de la SPR dont la décision fait l’objet du présent contrôle n’avait pas accès à la décision précédente, et, par ailleurs, cette décision avait été annulée au motif que la SPR n’avait pas pris en considération la demande d’asile de la demanderesse;
- La demanderesse n’était pas en mesure de fournir une explication raisonnable quant à l’absence de documents concernant son origine ethnique.
[8]
Des plus, selon la SPR, la demanderesse n’a pas établi que la piètre qualité des soins médicaux qu’elle recevrait en Hongrie ne tient pas uniquement à l’incapacité du gouvernement de fournir des services adéquats à l’ensemble des citoyens du pays.
[9]
La SPR a conclu que la demanderesse « n’a pas établi qu’elle est perçue ou qu’elle serait perçue par les autorités ou d’autres entités en Hongrie comme étant une Rom. »
Par ailleurs, la SPR a souligné que le bien-fondé de la demande présentée par la demanderesse ne devait pas faire l’objet d’une analyse puisque l’identité de cette dernière n’avait pas été établie.
IV.
QUESTIONS
[10]
Les arguments de la demanderesse se regroupent en deux catégories :
- La SPR a commis une erreur en concluant que la demanderesse n’avait pas établi son origine rom;
- Quelle que soit l’origine ethnique de la demanderesse, la SPR a commis une erreur du fait qu’elle n’a pas évalué si la demanderesse avait la qualité de personne à protéger au sens de l’article 97 de la LIPR.
V.
NORME DE CONTRÔLE
[11]
Les parties reconnaissent que les questions visées par la présente décision sont assujetties à un contrôle judiciaire selon la norme de la décision raisonnable. Comme il est indiqué dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 :
…Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.
VI.
ANALYSE
[12]
Je n’ai pas à me pencher sur toutes les erreurs soulevées par la demanderesse. En l’espèce, il suffit d’en examiner deux.
[13]
La première erreur reprochée a trait aux réponses de la demanderesse aux questions de la SPR concernant les us et coutumes roms. Au paragraphe 25 de sa décision, la SPR a indiqué ce qui suit :
Le tribunal estime que le témoignage de la demandeure d’asile sur son identité rom était en grande partie imprécis et que ses réponses aux questions du tribunal étaient surtout des observations superficielles. Par exemple, la demandeure d’asile a répété que [traduction] « les traditions », « la musique » et « la robe » sont généralement à la base de son identité rom et de l’identité rom en général. Priée par le tribunal de fournir plus de détails sur ces éléments, la demandeure d’asile n’a pas été en mesure de le faire, sauf pour ajouter des observations superficielles, affirmant par exemple que les femmes roms portent des [traduction] « jupes longues » et sont « pauvres ».
[14]
J’ai examiné la transcription de l’audience de la SPR et, selon moi, l’affirmation de cette dernière selon laquelle la demanderesse n’a pas été en mesure de fournir suffisamment de renseignements à propos des exemples d’us et coutumes roms qu’elle a donnés n’est pas fondée. Quand la SPR a demandé à la demanderesse de fournir des renseignements supplémentaires, elle a répondu « oui »
et elle en a fourni d’autres. La SPR n’a pas indiqué que les renseignements supplémentaires n’étaient pas suffisants, et rien ne permet de croire que la demanderesse n’aurait pas été en mesure d’en fournir d’autres si on le lui avait demandé. D’ailleurs, elle a décrit d’une manière plutôt détaillée la nourriture servie habituellement dans un mariage rom, notamment des choux farcis, du jambon, de la soupe et du pain tzigane.
[15]
Par conséquent, selon moi, la conclusion de la SPR selon laquelle la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment de renseignements concernant les us et coutumes roms n’est pas raisonnable. Par ailleurs, d’après ma lecture de la décision de la SPR, je suis convaincu que cette conclusion erronée était d’une importance telle que la décision de la SPR aurait été différente si cette erreur n’avait pas été commise.
[16]
La deuxième erreur reprochée devant être examinée a trait à la conclusion figurant au paragraphe 43 de la décision de la SPR, à savoir que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle serait perçue comme une Rom par les autorités hongroises.
[17]
Je reconnais qu’il était raisonnable pour la SPR de se préoccuper (i) de l’absence de document à l’appui des prétentions de la demanderesse concernant son origine ethnique rom et (ii) de l’incapacité de la demanderesse à fournir une explication raisonnable quant à l’absence de ces documents à l’appui. Or, il existe une distinction entre être Rom et être perçue comme une Rom. Dans son témoignage, la demanderesse a donné plusieurs exemples de persécutions et de mauvais traitements dont elle a été victime en Hongrie en tant que Rom, et la SPR n’a jamais conclu que ce témoignage manquait de crédibilité. La principale préoccupation de la SPR était plutôt l’absence de document à l’appui de l’origine ethnique rom de la demanderesse. Les doutes concernant la véritable origine ethnique de la demanderesse ne contredisent en rien ses allégations à titre de personne perçue comme une Rom.
[18]
À mon avis, la conclusion de la SPR selon laquelle les autorités hongroises ne percevraient pas la demanderesse comme une Rom n’est pas justifiée, transparente ou intelligible et, par conséquent, elle n’est pas raisonnable.
[19]
La distinction entre être Rom et être perçue comme une Rom peut sembler subtile, mais elle est importante en l’espèce, car, comme cette distinction n’a pas été faite, la SPR a conclu que le bien-fondé de la demande de la demanderesse ne devait pas être évalué. Cette conclusion serait valable uniquement si la SPR était convaincue que la demanderesse ne serait probablement pas exposée aux risques dont il est question à l’article 97 de la LIPR. Je ne saurais conclure que cette question a fait l’objet d’un examen adéquat en regard du fait que la demanderesse était perçue comme une Rom.
[20]
Si la SPR avait évalué le bien-fondé de la demande de la demanderesse, notamment les allégations de mauvais traitements en Hongrie du fait qu’elle était perçue comme une Rom (ce que la SPR n’a pas refusé de croire), la décision de la SPR aurait pu être différente.
VII.
CONCLUSION
[21]
Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.
[22]
Les parties conviennent qu’il n’y aucune question grave de portée générale à certifier.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2510-18
LA COUR STATUE que :
La présente demande est accueillie.
La décision contestée de la Section de la protection des réfugiés est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.
Il n’y aucune question de portée générale à certifier.
« George R. Locke »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 6e jour de mars 2019.
Nicolas Bois, traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-2510-18
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INTITULÉ :
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ELEMERNE BABOS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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tORONTO (ONTARIO)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 17 JANVIER 2019
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JUGEMENT ET MOTIFS:
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LE JUGE lOCKE
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DATE DES MOTIFS :
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LE 25 JANVIER 2019
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COMPARUTIONS :
Christian Julien
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POUR LA DEMANDERESSE
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Namanthika Kaneira
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Crossley Law
Avocats
Toronto (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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