Date : 20190111
Dossier : IMM‑1631‑18
Référence : 2019 CF 38
[traduction française CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2019
En présence de monsieur le juge Ahmed
ENTRE :
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VANESSA ONAIWU IDUOZEE, OSAYUWAMEN HAVANA IDUOZEE, AOIZEYOSABR HARRY IDUOZEE, OSAHENRUNMWN HAWARD IDUOZEE
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demandeurs
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La demanderesse principale et ses trois enfants mineurs (collectivement, les demandeurs) sont des citoyens du Nigéria. La demanderesse principale a présenté une demande d’asile au Canada parce qu’elle ne veut pas que ses enfants subissent les rituels traditionnels. Notamment, elle ne veut pas que sa fille ait à subir une mutilation de ses organes génitaux ou que ses deux fils aient à subir au moins 14 scarifications (ce qui est fait à l’aide d’un couteau sale, dans des conditions non hygiéniques).
[2]
Le 19 mai 2017, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande. La SPR a conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible et que les parents peuvent refuser que leurs enfants subissent les rituels traditionnels.
[3]
Les demandeurs ont interjeté appel de la décision auprès de la Section d’appel des réfugiés (la SAR), soutenant notamment que la demanderesse principale n’a pas eu la possibilité de répondre aux préoccupations quant à la crédibilité. Le 15 mai 2018, la SAR a confirmé la décision de la SPR. Le 9 avril 2018, les demandeurs ont déposé une demande de contrôle judiciaire auprès de la Cour.
[4]
Pour les motifs qui suivent, j’annule la décision de la SAR.
II.
Les faits
[5]
La demanderesse principale, Vanessa Onaiwu Iduozee, est une citoyenne du Nigéria de 33 ans. Elle est mariée à Sunny Aiyeki Iduozee, qui est prétendument le fils d’un roi traditionnel à Benin, dans l’État d’Edo, au Nigéria. En 2006, la demanderesse principale et son mari se sont convertis au christianisme, ce qui a contrarié leur famille élargie au point que celle‑ci est devenue hostile à l’égard de la famille Iduozee. En 2013, en raison des hostilités, la famille Iduozee a quitté Benin et s’est installée à Lagos.
[6]
Les Iduozee ont trois enfants nigériens (un fils de neuf ans, Aizeyosabor Harry Iduozee; une fille de huit ans, Osayuwamen Havana Iduozee; et un fils de cinq ans, Osahenrunmwen Haward Iduozee). Ces trois enfants sont les demandeurs mineurs dans la présente demande de contrôle judiciaire. Les Iduozee ont également un fils canadien (David Osama Iduozee, qui a un an), qui est né à Toronto après le dépôt de la demande d’asile.
[7]
La demanderesse principale et ses trois enfants sont arrivés au Canada le 19 novembre 2016. M. Iduozee est demeuré à Lagos. Le 26 novembre 2016, son frère aîné, chef Festus Iduozee (un roi traditionnel), a envoyé des personnes à la résidence de la famille Iduozee pour s’assurer que ses enfants se soumettent aux rituels traditionnels (une excision pour la fille et des scarifications pour les garçons) afin de les initier devant le tombeau familial.
[8]
Après avoir appris que les enfants se trouvaient au Canada, ces personnes ont agressé M. Iduozee pour avoir désobéi au roi et à la coutume de la région. Le roi a donné à la famille Iduozee jusqu’au 7 décembre 2016 pour présenter ses enfants. Faute de quoi, le roi enlèverait les enfants pour accomplir les rituels. En raison de l’agression, M. Iduozee a été hospitalisé au Centre hospitalier Olive.
[9]
La demanderesse principale et son mari ne veulent pas que leurs enfants subissent les rituels traditionnels. Elle allègue que, le 29 novembre 2019, M. Iduozee a déposé un rapport à la police, mais que cette dernière lui a dit de régler l’affaire au palais.
A.
La décision de la SPR
[10]
La demanderesse principale a présenté une demande d’asile pour elle‑même et ses trois enfants. Elle craint que la famille de son mari accomplisse les rituels sur ses enfants mineurs, contre leur volonté, s’ils retournaient au Nigéria. Les éléments de preuve qu’elle a déposés à l’appui de sa demande incluaient un affidavit souscrit par sa sœur, deux affidavits souscrits par M. Iduozee, un extrait du rapport de police concernant l’agression de novembre, un document émanant du Centre hospitalier Olive, des photos non datées montrant les blessures de son mari, un rapport médical émanant du Canada confirmant que la demanderesse principale est excisée et que sa fille ne l’est pas, des photos des chefs et une liste des noms des chefs.
[11]
Après une audience de deux jours (du 9 au 15 mars 2017), la SPR a rejeté la demande dans une décision datée du 19 mai 2017. La SPR a conclu qu’il n’y avait aucun risque prospectif parce que, selon les éléments de preuve documentaire, les parents peuvent refuser les rituels. La SPR a également conclu que la demanderesse principale n’était pas crédible parce que son témoignage était vague et incohérent. Par exemple, bien que la demanderesse principale allègue qu’elle a grandi avec les traditions et qu’elle s’est mariée dans la famille royale, elle connaît peu les traditions. De plus, elle a fourni un témoignage incohérent concernant la question de savoir si la famille de son mari avait été violente par le passé.
[12]
Les éléments de preuve documentaire ont également amené la SPR à tirer une conclusion défavorable. Par exemple, l’affidavit de la sœur est daté du 8 février 2017, mais il contient des renseignements sur des événements qui se sont produits le 10 février 2017. De plus, bien que l’affidavit de la sœur indique que cinq hommes sont venus chez elle à chercher de la demanderesse principale, cette dernière a témoigné en disant que sa sœur lui a dit que trois hommes sont venus chez elle. La SPR a rejeté la clarification ultérieure de la demanderesse principale selon laquelle trois hommes étaient à l’intérieur de la résidence et deux à l’extérieur.
[13]
La SPR a mis en doute l’authenticité du rapport de police daté du 28 novembre 2016. La SPR a remarqué qu’il s’agissait de l’original et ne croyait pas que la police aurait fourni un document original au lieu d’une copie. En outre, la SPR a exprimé des doutes parce que la demanderesse principale a fourni des renseignements incohérents quant au moment où son mari a reçu l’extrait du rapport de la police.
[14]
Bien que M. Iduozee ait fourni des affidavits, la SPR leur a accordé peu de poids. Elle a précisé que les documents frauduleux sont largement répandus au Nigéria, et aucun des affidavits n’était accompagné d’une pièce d’identité. De plus, la SPR a indiqué que le libellé du premier affidavit de M. Iduozee, daté du 6 décembre 2016, était identique à l’extrait du rapport de police; pourtant, ces deux documents ont prétendument été rédigés par des personnes différentes.
[15]
La SPR n’a accordé aucun poids au document du Centre hospitalier Olive parce que l’en‑tête du document contient une adresse différente de celle qui figure sur le tampon du médecin. De plus, bien qu’un médecin canadien ait déposé un rapport pour confirmer que la fille n’est pas excisée, le médecin n’a fait mention d’aucun préjudice que la fille aurait pu subir.
[16]
La SPR a également tenu compte du cartable national de documentation (le CND). Les éléments de preuve cités dans le cartable incluent des éléments de preuve selon lesquels la mutilation des organes génitaux féminins est maintenant illégale au Nigéria. La SPR a également fait remarquer que, selon certains éléments de preuve, le groupe ethnique auquel appartient la famille Iduozee applique le rituel de la mutilation des organes génitaux féminins et que les parents de ce groupe peuvent être contraints d’accepter l’excision. Cependant, compte tenu des documents indiquant que les parents sont libres de s’opposer aux rituels, la SPR a conclu que, à l’avenir, la demanderesse principale et son mari peuvent refuser le rituel. Par conséquent, le 19 mai 2017, la SPR a rejeté la demande d’asile.
B.
La décision de la SAR
[17]
Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR à la SAR, et présenté de nouveaux éléments de preuve. Les nouveaux éléments de preuve incluaient deux nouveaux affidavits souscrits par M. Iduozee (dont un qui n’est pas signé), une lettre émanant du palais (qui n’est pas adressée à une personne en particulier) dans laquelle on menaçait d’effectuer une excision obligatoire, un affidavit souscrit par la mère de la demanderesse principale (qui dit qu’elle a encouragé sa fille à se rendre au Canada afin d’éviter les rituels d’excision et d’initiation), un nouvel affidavit souscrit par la sœur de la demanderesse principale, un rapport de police déposé par la sœur de la demanderesse principale et trois photos non datées d’un appartement (décrit par les demandeurs comme détruit, et décrit par la SAR comme étant en rénovation).
[18]
La SAR examine d’abord les nouveaux éléments de preuve et conclut qu’ils étaient tous postérieurs à la décision de la SPR. Cependant, la SAR a relevé des questions de crédibilité concernant chaque élément de preuve. Par exemple, l’affidavit de la mère dit que la famille est venue au Canada pour éviter le rituel, mais la demande d’asile de la demanderesse principale dit que les menaces ont été proférées après son arrivée au Canada. Bien que la SAR ait rejeté cet affidavit en raison de doutes quant à la crédibilité, cette information contradictoire est venue ajouter à ses préoccupations générales quant à la crédibilité de la demanderesse principale et quant aux allégations de persécution.
[19]
De plus, la SAR souligne le fait que les nouveaux affidavits proviennent des mêmes personnes qui étaient visées par les conclusions de la SPR selon lesquelles celles‑ci avaient déposé des affidavits non crédibles à l’audience de la SPR. Pour ce motif, la SAR a rejeté les affidavits parce qu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences relatives aux nouveaux éléments de preuve. Les photos non datées ont également été rejetées, puisque la SAR a conclu qu’elles n’avaient pas une valeur probante.
[20]
Les demandeurs ont prétendu que la SPR avait omis de leur faire part de ses préoccupations quant à la crédibilité. Cependant, la SAR n’était pas d’accord avec eux sur ce point et elle a conclu que la SPR a posé « de nombreuses questions (et des questions de suivi) à l’[appelante principale] pour qu’elle explique et fournisse plus de détails concernant les allégations de persécution et la SPR lui a aussi demandé d’expliquer les incohérences (internes) dans son témoignage et avec les autres éléments de preuve, comme les omissions dans son formulaire Fondement de la demande d’asile »
. La SAR souligne le fait que l’appel n’est pas de novo, et que la SPR a évalué la crédibilité de son témoignage et des documents à l’audience.
[21]
Les demandeurs ont également prétendu que, puisque M. Iduozee a déposé le rapport auprès de la police, il serait logique qu’il utilise le même libellé que dans son propre affidavit. Cependant, à l’instar de la SPR, la SAR souligne que l’affidavit de M. Iduozee et l’extrait du rapport de police ont un libellé similaire. La SAR a examiné l’enregistrement audio et a conclut que la SPR a posé des questions détaillées et complètes sur ces deux documents.
[22]
La SAR a également examiné la conclusion défavorable tirée du fait que la demanderesse principale manquait de connaissances sur la croyance traditionnelle. Pour trancher cette question, la SAR s’en remet à l’avantage certain dont jouit la SPR lorsqu’elle évalue un témoignage de vive voix, et conclut que celui‑ci repose sur les éléments de preuve. La décision de la SAR souligne le fait que les demandeurs ont déjà voyagé à l’étranger et qu’ils n’ont jamais reçu de menaces par le passé. La SAR précise ensuite que M. Iduozee est demeuré à Lagos, et ce, bien qu’il ait un visa et un nouveau‑né au Canada et qu’il ait subi une agression.
[23]
Finalement, la SAR examine également les conclusions de la SPR sur le risque prospectif. Même si les demandeurs ont prétendu que l’analyse par la SPR des documents sur le pays a été sélective, la SAR confirme l’analyse de la SPR. La SAR précise que la SPR a tenu compte du plus récent document de recherche sur la mutilation des organes génitaux féminins à Lagos, qui montre que la pratique est illégale au Nigéria et que les parents sont libres de s’y opposer.
[24]
Dans une décision datée du 15 mars 2018, la SAR a rejeté tous les nouveaux éléments de preuve présentés en raison de doutes quant à leur crédibilité et a confirmé la décision de la SPR.
III.
La question en litige
[25]
La seule question à trancher dans la présente demande de contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR était raisonnable.
IV.
La norme de contrôle applicable
[26]
En l’espèce, la Cour applique la norme de la décision raisonnable à l’examen fait par la SAR de la décision de la SPR (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 29).
V.
Analyse
A.
La décision de la SAR est‑elle raisonnable?
[27]
Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas traité de l’omission de la SPR d’évaluer les éléments de preuve contraires portant sur le risque prospectif. Plus particulièrement, les demandeurs déclarent que la SPR s’est appuyée sur un article qui dit que les parents sont libres de s’opposer aux rituels, mais ne mentionne pas que ce même article se poursuit en expliquant que les refus entraînent des conséquences comme « l’ostracisme, la stigmatisation et le chantage, la privation des avantages intraculturels et la violence physique »
. Les demandeurs prétendent également que la SAR n’a pas traité du défaut de la SPR de les informer de ses préoccupations quant à la crédibilité.
[28]
Le défendeur prétend que la SAR n’a pas l’obligation d’aborder spécifiquement chacun des points soulevés par les demandeurs (Asif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1323, au paragraphe 30, citant Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65, au paragraphe 3; Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre‑Neuve‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 16). En outre, le défendeur souligne le fait qu’à moins que des éléments de preuve contradictoires concernant la question centrale ne soient pas mentionnés, un décideur est réputé avoir examiné l’ensemble de la preuve (Cepeda‑Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35 (CFPI), au paragraphe 16). De plus, le défendeur soutient que la SAR a mené son propre examen du dossier, notamment en écoutant l’enregistrement audio, ce qu’il lui est loisible de faire (Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1419, au paragraphe 16).
[29]
Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le décideur est présumé avoir examiné la preuve. Cependant, le défendeur poursuit en soulignant le fait que, lorsque les motifs d’un décideur ne tiennent pas compte d’éléments de preuve contradictoires concernant une question centrale, cette présomption peut être réfutée. Compte tenu de ces faits, je conclus que la présomption est réfutée. La SAR décide que la famille Iduozee n’est pas exposée à un risque prospectif parce qu’elle peut s’opposer aux rituels, mais tire cette conclusion en s’appuyant sur des éléments de preuve selon lesquels les refus peuvent mener à de la violence physique et à de l’ostracisme. Dans ses motifs, la SAR dit brièvement que, si les parents s’opposent aux rituels, il peut y avoir des « conséquences »
. Elle n’explique toutefois pas ces conséquences; elle n’effectue pas une analyse du risque prospectif auquel sont exposés les demandeurs compte tenu de ces conséquences, et ne tire pas de conclusions quant à celles‑ci. Le simple fait de dire qu’il y a des conséquences ne la libère pas de l’obligation de déterminer si les demandeurs sont exposés à un risque prospectif.
[30]
La SPR était également saisie d’éléments de preuve selon lesquels la famille Iduozee était exposée à ces conséquences. Notamment, la demanderesse principale a déclaré dans son témoignage que M. Iduozee a été agressé parce qu’on croyait que la famille avait refusé de laisser ses enfants subir les rituels traditionnels :
[traduction]
DEMANDERESSE PRINCIPALE : Désolée, le 26 novembre, j’ai reçu d’un voisin, Kayode Bello, un texto disant que je devrais appeler à la maison; il y a une crise alors j’ai appelé tout de suite; ce qui arrive, il a dit, des gens sont venus à la maison pour battre mon mari, ils ont amené mon mari à l’hôpital. J’ai maintenant demandé qui étaient les gens qui sont venus battre mon mari; il a dit qu’il ne le savait pas, mais qu’ils parlaient un dialecte d’Edo, qui est mon dialecte; alors, j’essayais d’appeler mon mari; je n’étais pas capable de le rejoindre; il m’a dit [...] Je lui ai demandé qui étaient les gens qui sont venus te battre; il a dit que l’Enogie avait envoyé des gens à la maison pour enlever les enfants, mais il a refusé de leur dire que nous n’étions plus là, que nous avions voyagé, qu’ils ont dit qu’il l’avait fait délibérément; ils ont commencé à le battre parce qu’il a dit [...] Ils avaient l’impression qu’il s’opposait à ce que l’Enogie [...] l’Enogie [...] aux règles de l’Enogie, qui est le chef, alors ils l’ont battu.
[Non souligné dans l’original.]
[31]
En effet, cette agression est ce qui a amené les demandeurs à demander l’asile lorsqu’ils sont venus rendre visite à des amis au Canada. Dans son témoignage, la demanderesse principale a ajouté que sa famille ne peut pas refuser les rituels parce qu’elle fait partie de la famille royale traditionnelle. Bien qu’il soit loisible à la SPR de s’appuyer sur les éléments de preuve documentaire pour conclure que la famille peut refuser les scarifications rituelles, la possibilité de refuser n’est qu’un élément de l’analyse du risque prospectif auquel est exposée cette famille. Il est déraisonnable de dire que la demanderesse mineure et ses parents peuvent refuser la mutilation des organes génitaux féminins, alors que des éléments de preuve indiquent que de tels refus s’accompagnent de conséquences, y compris l’ostracisme et la violence. Puisque la décision de la SAR est muette sur ces conséquences, j’en déduis que la SAR n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve essentiels.
[32]
Les demandeurs ont également soutenu que la SAR ne s’est pas penchée sur leur argument selon lequel ils n’ont pas eu l’occasion de répondre aux préoccupations de la SPR quant à la crédibilité. Dans les observations qu’ils ont formulées à la SAR, ils ont traité de la conclusion de la SPR quant à la crédibilité selon laquelle il est logique que l’affidavit de M. Iduozee et le rapport de police aient des libellés similaires, puisque M. Iduozee a lui‑même déposé le rapport de police. Cependant, les motifs de la SAR indiquent qu’elle a examiné l’enregistrement audio de l’audience relative à la demande d’asile et qu’elle a conclu que la SPR avait soulevé ses préoccupations quant à la crédibilité pendant l’audience, et ce, en posant des questions détaillées et complètes :
[42] Après avoir effectué son propre examen de tous les documents, la SAR ne trouve aucune erreur dans l’analyse et les conclusions de la SPR. Après avoir écouté l’enregistrement audio de l’audience, la SAR estime que les questions (et les questions de suivi) de la SPR au sujet des documents étaient très détaillées et exhaustives, y compris en ce qui concerne ses préoccupations au sujet de la crédibilité des affidavits et d’un rapport de police.
[33]
Au début, cette conclusion donne à la décision de la SAR un semblant de caractère raisonnable à cet égard. Après tout, la SAR dit explicitement que les demandeurs ont eu l’occasion de répondre aux préoccupations quant à la crédibilité au cours de l’audience devant la SPR. Cependant, compte tenu de mon examen du dossier certifié du tribunal, la conclusion de la SAR est inexacte. En fait, la transcription est dénuée de toute question sur les affidavits et l’extrait du rapport de police. La SPR a tout au plus demandé quand le mari de la demanderesse principale avait obtenu l’extrait du rapport de police :
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Donc, pouvez‑vous me dire comment votre mari a obtenu une copie de l’extrait du rapport de police?
DEMANDERESSE PRINCIPALE : D’accord, quand [...]
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Si vous le savez.
DEMANDERESSE PRINCIPALE : Il a [...] quand il a quitté l’hôpital, il est allé au rapport [...] déposer le rapport sur ce qui lui était arrivé; c’est comme ça qu’il a [...] a eu le rapport de police.
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Donc, ils lui ont donné celui‑là quand il est parti?
DEMANDERESSE PRINCIPALE : Oui.
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Et quand a‑t‑il [...] Je présume qu’il vous l’a envoyé, votre mari?
DEMANDERESSE PRINCIPALE : Oui, il me l’a envoyé.
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Quand vous l’a‑t‑il envoyé?
DEMANDERESSE PRINCIPALE : Il me l’a envoyé la semaine dernière.
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : S’il l’avait depuis novembre, pourquoi ne vous l’a‑t‑il pas envoyé plus tôt?
DEMANDERESSE PRINCIPALE : Il [...] il est allé déposer une plainte en novembre; alors ils ne lui ont pas donné ce mois de novembre parce qu’ils ont dit qu’ils avaient besoin de [...] le commissaire de la police a aussi besoin de le lire.
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Donc, savez‑vous quand il a reçu cette copie?
DEMANDERESSE PRINCIPALE : Il l’a juste envoyé la semaine dernière ou je ne sais pas.
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : La semaine dernière?
DEMANDERESSE PRINCIPALE : Il me l’a envoyée la semaine dernière.
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Savez‑vous quand il a reçu cette copie?
DEMANDERESSE PRINCIPALE : Non.
PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE : Donc, quand je vous ai demandé juste avant, vous avez dit qu’il a quitté le poste de police avec cette copie. C’est exact?
DEMANDERESSE PRINCIPALE : Quand il a quitté le poste de police [...] quand il a quitté l’hôpital.
[34]
Comme il a déjà été démontré, je peux conclure que rien dans la transcription n’étaye la conclusion de la SAR. C’est troublant étant donné que le rôle de la SAR était d’examiner le rejet par la SPR d’une demande d’asile visant trois très jeunes demandeurs mineurs. Un de ces demandeurs mineurs, une fille, allègue qu’elle sera forcée de subir une mutilation de ses organes génitaux, et les deux autres demandeurs mineurs allèguent qu’ils devront subir des scarifications à titre d’initiation, et ce, dans des conditions non hygiéniques. Les revendications de ces demandeurs mineurs doivent être convenablement examinées et il est déraisonnable pour la SAR de confirmer la décision de la SPR en concluant à tort que celle‑ci a posé des questions détaillées et complètes. Ces questions n’ont tout simplement pas été posées. En résumé, dans son analyse sur le risque prospectif, la SAR a omis de tenir compte d’éléments de preuve selon lesquels le refus de se soumettre aux rituels traditionnels s’accompagne de conséquences telles que la violence physique. De plus, la SAR a estimé à tort que la SPR a fait part de ses préoccupations quant à la crédibilité concernant l’affidavit et le rapport de police lors de l’audience relative à la demande d’asile. Par conséquent, cette décision est déraisonnable et je vais l’annuler.
VI.
Certification
[35]
La Cour a demandé aux avocats des parties s’ils ont des questions à certifier. Chacun a déclaré qu’il n’y a aucune question à certifier et je suis d’accord avec eux sur cette question.
VII.
Conclusion
[36]
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑1631‑18
LA COUR STATUE que :
La décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour nouvel examen;
Aucune question n’est certifiée.
« Shirzad A. »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 27e jour de mars 2019.
Claude Leclerc, traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM‑1631‑18
|
INTITULÉ :
|
VANESSA ONAIWU IDUOZEE, OSAYUWAMEN HAVANA IDUOZEE, AIZEYOSABOR HARRY IDUOZEE, OSAHENRUNMWN HAWARD IDUOZEE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 18 OCTOBRE 2018
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE AHMED
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DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :
|
LE 11 JANVIER 2019
|
COMPARUTIONS :
Dov Maierovitz
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Kareena R. Wilding
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Dov Maierovitz
Avocat
Toronto (Ontario)
|
POUR LES DEMANDEURS
|
Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|