Date : 20190121
Dossier : T-1895-17
Référence : 2019 CF 83
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 21 janvier 2019
En présence de monsieur le juge Mosley
ENTRE :
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MURRAY WILKINSON, JERRY JESSO, CHRISTOPHER ARGUE,
JAMES BASTARACHE, CATHERINE BLACK, CYNTHIA BURNS,
LAURA CLARKE, RICHARD CUZZETTO, ANGELO DE RIGGI,
JEFF DUNK, GEORGE DURSTON, JACQUES FRECHETTE,
LILY-CLAUDE FORTIN, FRANK GONCALVES, NELSON GUAY,
CLAUDE HARVEY, MARK HASTIE, MARK HAYES, FANNY HO,
ALANA HUNTLEY, MARK KAPICZOWSKI, KEVIN KELLY,
ROSE-ANNE JANG, ALAN JOHNS, ANGELIA JOHNSON,
CAMERON JUNG, BOB LEDOUX, ROBERT LOHNES, INA MACRAE,
DEBBIE MAIN, GREGORY MCKENNA, SHANE MCKINNON,
KAREN MCMAHON, MAUREEN MILLER, MANJIT SINGH MOORE,
RON NAULT, FIONA NORHTCOTE, HENRY PETERS,
LINDA ROBERTSON, RALPH SCHOENIG, PATRICK SCOTT,
DARLENE STAMP, RICHARD STEFANIUK, DOUG TISDALE,
KEITH WATKINS, HARALD WUIGK
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demandeurs
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENTS ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
Les demandeurs, des employés de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC), demandent le contrôle judiciaire de la décision du président de l’ASFC (maintenant administrateur général) d’écarter la recommandation d’un comité de règlement des griefs de classification visant à reclassifier leurs postes à un niveau supérieur. Il s’agit de la troisième demande de contrôle judiciaire découlant des décisions de l’administrateur général au sujet des reclassifications en cause. Le premier de deux contrôles judiciaires a donné lieu à des ordonnances enjoignant le réexamen de la décision. Pour les motifs qui suivent, la présente demande est rejetée.
II.
Contexte
[2]
L’ASFC a été constituée par la fusion de plusieurs programmes qui étaient auparavant administrés par l’Agence des douanes et du revenu du Canada et le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration. Les demandeurs avaient tous précédemment un emploi dans des postes de supervision sous diverses descriptions de travail au sein de ces ministères. Dans le cadre de la fusion, une nouvelle norme de classification a été créée : « FB »
(pour Frontière-Border). Les postes des demandeurs ont collectivement été désignés en tant que « FBC003, Gestionnaire des Programmes régionaux »
aux termes d’une description de travail générique et classifiés au niveau FB-06 à compter du 21 février 2007.
[3]
Après la mise en œuvre de la nouvelle norme, les demandeurs ont présenté des griefs au sujet de la nature de l’emploi décrit et la classification en vertu de l’alinéa 208(1)b) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22 (maintenant la Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral (la Loi)). Les griefs visant la description de travail ont été accueillis en novembre 2010. À la suite de cette décision, les griefs concernant la classification, qui avaient été laissés en suspens, se sont poursuivis.
[4]
Un comité de règlement des griefs de classification (le comité) a été convoqué. Il s’est réuni à trois reprises d’avril à juin 2012. Les membres du comité ont étudié les éléments pris en compte pour la classification du poste de gestionnaire, Programmes régionaux, et ont conclu que la description de travail générique ne reflétait correctement les fonctions et les responsabilités d’aucun des postes occupés par les plaignants. Certains éléments s’appliquaient à certains postes, mais pas à d’autres. Les exigences de l’emploi et les structures organisationnelles dans le cadre desquelles se retrouvent les postes variaient énormément d’une région à l’autre; certains postes dans des régions plus petites étaient responsables de la gestion simultanée d’au moins deux programmes, alors que, dans d’autres régions, ils n’en géraient qu’un seul. Certains des titulaires étaient tenus de porter une arme dans le cadre de leurs fonctions, d’autres ne l’étaient pas. La plus grande partie du travail était effectuée dans des bureaux, mais une partie exigeait des opérations sur le terrain. La nature du travail variait grandement entre les différents programmes et l’expertise nécessaire dans chaque cas était grandement tributaire des exigences du poste.
[5]
Le comité a écrit qu’il conclurait normalement son travail à ce stade, étant donné que la description de travail ne décrit pas correctement le travail effectué. Toutefois, comme la description de travail avait été le résultat d’un grief au sujet de la nature du travail et qu’elle avait été approuvée par le vice-président de l’époque de la Direction générale des opérations, le comité a conclu qu’il doit poursuivre l’évaluation de la description telle qu’elle a été approuvée.
[6]
Au terme de son évaluation, le comité a conclu que tous les éléments énumérés devaient demeurer aux niveaux proposés, sauf pour l’élément « Prise de décision »
, lequel avait été classifié au degré 5 sur une échelle de 7. Dans son rapport, rendu le ou vers le 18 juillet 2012, le comité a conclu que l’élément Prise de décision du poste de gestionnaire, Programmes régionaux, correspondait davantage au degré 6. L’effet de cette conclusion, si elle avait été acceptée par l’administrateur général, aurait été d’augmenter le nombre de points accordés au rôle du gestionnaire. Il aurait ainsi été classifié au niveau FB-07.
[7]
L’administrateur général n’a pas accepté la recommandation du comité. Dans une lettre datée du 25 février 2013, le délégué de l’administrateur général s’est dit en désaccord avec l’évaluation du comité quant à l’élément Prise de décision et il a mis l’accent sur l’objectif de la création de la classification de gestionnaire, Programmes régionaux. Le délégué a conclu que l’administrateur général ne pouvait pas admettre [traduction] « [qu’]il y a[vait] un lien entre les activités professionnelles et le degré 6 de l’élément Prise de décision »
. Par conséquent, l’administrateur général a conclu que les postes des demandeurs demeureraient au niveau FB-06.
[8]
Les demandeurs ont demandé le contrôle judiciaire de la décision le 25 février 2013. Le 24 juillet 2014, le juge Roy a accueilli la demande et a renvoyé l’affaire à l’administrateur général pour nouvel examen conformément aux motifs de la Cour : Wilkinson c Canada (Procureur général), 2014 CF 741 [Wilkinson no 1]. Le juge Roy a conclu que la décision faisait une mauvaise synthèse de l’analyse du comité sur la question de savoir si l’élément Prise de décision devait être coté au degré 5, 6 ou 7. La Cour a essentiellement jugé que le délégué utilisait des termes qui reconnaissaient que la prise de décision exigée des postes ne correspondait pas au degré 7 pour plutôt inférer que l’élément Prise de décision n’atteignait pas le degré 6 : Wilkinson no 1, précitée, au paragraphe 32.
[9]
Le juge Roy a également conclu que la lettre du délégué n’offrait pas une explication adéquate pour justifier son affirmation selon laquelle le comité n’avait pas tenu compte du contexte organisationnel pour formuler sa recommandation : Wilkinson no 1, précitée, au paragraphe 36. Étant donné que le délégué de l’administrateur général n’a pas expliqué pourquoi il croyait qu’il convenait de classifier au degré 5 le rôle de prise de décision du gestionnaire, Programmes régionaux, la Cour a conclu que cette décision était arbitraire et qu’elle manquait de justification, de transparence et d’intelligibilité : Wilkinson no 1, précitée, aux paragraphes 38 et 40.
[10]
Le 16 février 2015, l’ASFC a écrit aux demandeurs et leur a donné des raisons préliminaires de l’intention de l’employeur de rejeter la recommandation du comité pour une deuxième fois. La lettre énonçait la position de l’ASFC selon laquelle le comité n’avait pas tenu compte de tous les exemples d’activités professionnelles (EAP) pertinents. Aux yeux de l’employeur, un examen complet des EAP aurait mené le comité à conclure que le rôle de gestionnaire, Programmes régionaux, ne satisfait pas aux critères pour le degré 6 de l’élément Prise de décision. La lettre comparaît également le rôle de gestionnaire, Programmes régionaux, à d’autres rôles de l’ASFC ayant un degré 6 pour l’élément Prise de décision afin de les différencier. L’ASFC a donné aux demandeurs une possibilité de présenter d’autres observations écrites jusqu’au 13 mars 2015.
[11]
Les demandeurs ont présenté d’autres observations écrites le 12 mars 2015. Ils ont déclaré que les raisons préliminaires de l’ASFC reprenaient certaines des erreurs que la Cour a mentionnées dans la décision Wilkinson no 1. Plus précisément, les demandeurs ont affirmé que l’ASFC n’avait pas tenu compte de la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux, dans son ensemble, qu’elle avait traité les EAP comme des exigences essentielles, et qu’elle avait tenu compte de considérations non pertinentes pour examiner le niveau de supervision et de gestion du gestionnaire, Programmes régionaux.
[12]
Le 19 mai 2015, l’administrateur général a rejeté la recommandation du comité pour une deuxième fois. Se fondant sur sa compréhension des directives données au regard du poste de gestionnaire, Programmes régionaux, et de l’examen rigoureux à cet égard, par la direction générale, il n’a pas souscrit à l’évaluation du degré de l’élément Prise de décision faite par le comité. Cette compréhension reflétait en partie les organigrammes de l’ASFC fournis avec la lettre du 16 février 2015.
[13]
Les demandeurs ont sollicité le contrôle judiciaire de la deuxième décision. Le 20 septembre 2016, le juge Zinn a accueilli la demande et a renvoyé l’affaire à l’administrateur général pour nouvel examen conformément au jugement de la Cour et en tenant compte de l’ensemble de la description de travail des gestionnaires, Programmes régionaux : Wilkinson c Canada (Procureur général), 2016 CF 1062 [Wilkinson no 2].
[14]
Le juge Zinn a conclu que l’un des documents invoqués par l’administrateur général, un graphique préparé par l’ASFC citant des passages de la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux, et les juxtaposant à la norme de classification et aux EAP, comportait de grandes lacunes du fait qu’il omettait des éléments pertinents de la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux, qui correspondent au degré 6 de l’élément Prise de décision. Le juge Zinn a écrit qu’il était raisonnable d’inférer que l’administrateur général n’a pas tenu compte de l’ensemble de la description de travail. Voici ce qu’il écrit au paragraphe 13 :
Dans un exercice de classification, la description de travail doit être évaluée en fonction de la norme de classification appropriée, et c’est commettre une erreur que de modifier la description de travail ou de refuser de prendre en compte les tâches et activités qui y sont énoncées[.]
[15]
Pour se préparer à rendre la deuxième nouvelle décision, l’ASFC a fait appel aux services d’une consultante qui avait précédemment travaillé avec le Conseil du Trésor afin d’élaborer la classification FB.
[16]
Le 8 mai 2017, l’ASFC a envoyé une mise à jour aux demandeurs, les informant que le processus était achevé et invitant les demandeurs à faire des commentaires sur la trousse préparée aux fins d’examen par l’administrateur général.
[17]
La trousse de recommandations indiquait que la consultante, dont le rapport était joint, recommandait que le rôle de gestionnaire, Programmes régionaux, soit classifié au degré 5 de l’élément Prise de décision, et rejetait ainsi la recommandation du comité. Dans un premier temps, le rapport décrivait la norme FB et donnait un aperçu général du rôle de gestionnaire, Programmes régionaux. Il faisait ensuite observer que, même si on peut prétendre que les titulaires de bon nombre de postes dans une organisation peuvent façonner l’orientation d’un programme ou prendre des décisions au nom de l’administrateur général, les bases réelles de l’analyse de classification sont (1) ce qui était décrit comme « la ligne de mire
»
entre la recommandation du rôle du gestionnaire et la décision finale et (2) l’incidence de la décision.
[18]
La consultante a écrit que la description du rôle de gestionnaire, Programmes régionaux, contient un libellé copié directement de la norme de classification et des EAP pour le degré 6 de l’élément Prise de décision. Elle a fait en outre remarquer que les énoncés ne sont pas étayés par des références pratiques ni par des exemples et que, lorsqu’ils sont évalués par rapport au reste de la description de travail, ils ne sont pas cohérents avec la description ou le but.
[19]
Après avoir expliqué pourquoi elle n’était pas en mesure d’accepter la description du rôle de gestionnaire, Programmes régionaux, telle qu’elle était rédigée, en particulier les points 9 et 10 de la partie Responsabilité relative à la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux, la consultante a déclaré :
[traduction] À la suite d’un examen et d’une analyse détaillés de la description de travail de gestionnaire, Programmes régionaux, et des renseignements relatifs au contexte organisationnel fournis, il est clair que l’objet même du poste de gestionnaire, Programmes régionaux, est l’opérationnalisation régionale et la mise en œuvre d’initiatives stratégiques et de programmes propres au secteur de responsabilité attribué au sein de la région désignée, en plus de l’efficacité de la gestion directe du travail des agents d’exécution du programme.
[20]
Après avoir analysé la description de rôle du gestionnaire, Programmes régionaux, et les descriptions des degrés 5 et 6 de l’élément Prise de décision, la consultante a déclaré ceci : [traduction] « l’interprétation complète de la déclaration de complexité du degré 6 avec les lignes directrices et les EAP va clairement au-delà de la portée du travail du [gestionnaire, Programmes régionaux], peu importe si certains postes associés à ce poste gèrent plus d’un programme »
. La consultante a conclu en recommandant que le rôle de gestionnaire, Programmes régionaux, demeure dans sa classification actuelle.
[21]
Le 31 mai 2017, les demandeurs ont répondu à la trousse de l’ASFC. Ils ont fait valoir que la consultante avait en fait relancé le processus de classification sans intervention de la part des demandeurs, en violation de la « Directive sur les griefs de classification »
(la Directive), de leurs attentes légitimes et de l’équité procédurale. Les demandeurs ont également allégué que le rapport semble avoir été préparé sans le bénéfice des observations des demandeurs fournies dans le cadre du processus de classification initial. Selon les demandeurs, il n’était pas possible de remédier à ce manquement à l’équité procédurale par des observations supplémentaires, puisque le rapport ne répondait pas aux préoccupations des demandeurs.
[22]
Les demandeurs ont en outre fait valoir que le rapport contenait des erreurs de droit et de fait répétées. Premièrement, ils soutiennent que le rapport a modifié la description de travail de gestionnaire, Programmes régionaux, en ne tenant pas compte d’éléments identiques à ceux correspondant au degré 6 de l’élément Prise de décision. Deuxièmement, le rapport portait surtout sur des éléments précis de la norme de classification tout en omettant de tenir compte d’autres éléments et comportait notamment une analyse inappropriée sur le développement de programme alors que le degré 6 de l’élément Prise de décision mentionne « l’élaboration ou l’exécution de programmes.
»
Troisièmement, le rapport reflétait une compréhension inexacte du rôle de gestionnaire, Programmes régionaux. Par exemple, il ne pas tenait pas compte du fait que certaines personnes dans le rôle de gestionnaire, Programmes régionaux, gèrent plusieurs programmes ou des budgets.
[23]
Le 30 novembre 2017, l’administrateur général a rejeté la recommandation du comité pour la troisième fois. Encore une fois, il n’était pas d’accord avec la cote du comité quant à la prise de décision du gestionnaire, Programmes régionaux, au degré 6. Selon l’administrateur général, le contexte opérationnel dans lequel le rôle de gestionnaire, Programmes régionaux, mène ses activités indique clairement qu’il n’atteint pas le seuil de la prestation de recommandations de fond pour l’exécution du programme au-delà du niveau opérationnel, niveau requis pour le degré 6 de l’élément Prise de décision.
III.
Questions en litige
[24]
Après avoir examiné les observations des parties, les questions en litige sont à mon avis les suivantes :
Quelle est la norme de contrôle applicable?
Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?
La décision de l’administrateur général était-elle raisonnable?
IV.
Cadre législatif
[25]
Le Conseil du Trésor a le pouvoir en vertu de la loi de classifier les postes et les personnes employées dans la fonction publique : alinéa 11.1(1)b) de la Loi sur la gestion des finances publiques (LRC (1985), c F-11 (LGFP). Le Conseil du Trésor a également le pouvoir d’établir son règlement intérieur : paragraphe 5(4) de la LGFP, précitée. À cette fin, le Conseil du Trésor a émis sa Directive, qui est entrée en vigueur le 1er juillet 2015. La procédure pour les griefs de classification est énoncée à l’annexe B de la Directive.
[26]
La Directive prévoit que les griefs de classification sont renvoyés à un comité pour qu’il établisse la classification appropriée en fonction de la description de travail et de renseignements supplémentaires fournis par les plaignants et la direction. Le processus ne se veut pas contradictoire. Toutefois, le plaignant doit avoir la possibilité de faire une présentation. Un représentant de la direction qui connaît bien la nature du travail du poste visé par le grief doit être disponible afin de répondre aux questions que les membres du comité peuvent avoir au sujet du poste : Directive, Annexe B, article 3.6. Après l’audience, le comité prépare un rapport pour l’administrateur général, lequel contient notamment une recommandation et les conclusions du comité menant à la recommandation : Directive, Annexe B, article 3.8.1.
[27]
Après examen du rapport et de la recommandation du comité, l’administrateur général ou son délégué peut : a) approuver la recommandation du comité, si le rapport est unanime; b) rejeter la recommandation en donnant les raisons liées directement à la justification avancée par le comité à l’appui de sa recommandation; ou c) approuver la recommandation fournie dans un rapport majoritaire ou dans un rapport minoritaire : Directive, Annexe B, article 4.1.1.
[28]
Les dispositions pertinentes de la Directive, de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, de la LGFP et de la Loi sont reproduites à l’Annexe « A »
.
V.
Analyse
A.
Norme de contrôle
[29]
La Cour et la Cour d’appel fédérale ont antérieurement accepté la norme de la décision raisonnable comme norme de contrôle appropriée applicable à la décision d’un administrateur général dans des griefs de classification : McEvoy c Canada (Procureur général), 2013 CF 685, paragraphe 39, conf. par 2014 CAF 164, paragraphe 17, 435 FTR 69; Wilkinson no 1, précitée, paragraphes 16 et 17. Voir aussi Canada c Allard, 2018 CAF 85, paragraphe 25 [Allard 2018].
[30]
Une décision est raisonnable si elle est justifiée, transparente, intelligible et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190. Il n’est pas nécessaire que les motifs soient parfaits, ni qu’ils renvoient à tous les arguments ou détails que le juge siégeant en révision aurait voulu y lire; tant et aussi longtemps que les motifs permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal, et de déterminer si la décision fait partie des issues possibles acceptables, les motifs répondent aux critères établis dans l’arrêt Dunsmuir : Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre‑Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, paragraphes 16 à 18, [2011] 3 RCS 708.
[31]
La Cour d’appel fédérale a récemment précisé que les questions d’équité procédurale ne commandent pas l’application stricte d’une norme de contrôle; la cour de révision doit plutôt déterminer si le décideur a suivi un processus juste et équitable à la lumière des droits substantiels et des conséquences en cause : Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 54. Dans ce contexte, l’administrateur général n’a pas à faire preuve de retenue pour les préoccupations en matière d’équité procédurale. La Cour doit déterminer elle-même si l’administrateur général a suivi un processus juste et équitable.
B.
Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?
[32]
La position des demandeurs est que l’administrateur général a manqué à l’équité procédurale en contournant le processus des griefs de classification prescrit en adoptant le rapport de la consultante. Selon les demandeurs, l’élaboration du rapport constituait un manquement à l’équité procédurale, puisqu’il a été réalisé sans leurs commentaires. Les demandeurs décrivent le travail de la consultante comme un [traduction] « examen par un tiers »
et s’y opposent puisqu’ils n’ont pas été invités à présenter des observations avant que l’ASFC n’ait retenu les services de la consultante. Le processus de consultation, disent-ils, était une reprise du grief de classification, et ne suivait donc pas la procédure de règlement des griefs de classification. Ils soutiennent que le processus les privaient du droit de voir leurs griefs tranchés au moyen du mécanisme prescrit par la Loi et la Directive.
[33]
Les demandeurs soutiennent qu’on a fourni à la consultante des arguments au nom de la direction préconisant le degré 5 pour l’élément Prise de décision. Les demandeurs n’ont pas eu une possibilité semblable de fournir des éléments de preuve et de présenter des observations à la consultante. La décision de l’administrateur général contient des extraits du rapport de la consultante. Les demandeurs soutiennent qu’il ne reflète donc pas ses propres motifs, mais ceux de la consultante.
[34]
Je ne puis souscrire à l’argument des demandeurs selon lequel en faisant appel à la consultante et en se fondant sur son rapport, l’administrateur général avait manqué à l’obligation d’équité.
[35]
Il est bien établi que, dans le cadre d’une procédure de règlement de grief, les droits des demandeurs à l’équité procédurale « se situe[nt] à l’extrémité inférieure du continuum »
: Allard 2018, précité, au paragraphe 41. Dans l’arrêt McEvoy, précité, la Cour d’appel fédérale mentionne ce qui suit aux paragraphes 20 et 21 :
[20] La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 et 22 [Baker], nous enseigne que l’obligation d’équité est souple et variable et qu’elle repose sur l’appréciation du contexte de la loi et des droits visés. La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 21 et 22 [Baker], nous enseigne que l’obligation d’équité est souple et variable et qu’elle repose sur l’appréciation du contexte de la loi et des droits visés. En matière de processus de règlement des griefs de classification, la jurisprudence énonce que le niveau d’équité procédurale due à l’appelant se situe « du côté d’une moindre exigence » [Renvois omis.]
[21] Par conséquent, l’obligation d’équité procédurale est remplie « si les plaignants ont eu la possibilité d’exposer leurs moyens relatifs à la classification de leurs postes, de se faire entendre et que leur participation n’a été soumise à aucune restriction » [Renvois omis.]
[36]
À mon avis, l’obligation d’équité procédurale a été remplie en l’espèce par le fait qu’on a fourni aux demandeurs une occasion de répondre à la trousse de recommandation préparée pour la décision de l’administrateur général. Je rejette l’interprétation des demandeurs du rôle de la consultante comme une reprise du processus du comité. La consultante a plutôt été engagée pour s’assurer que l’administrateur général a fait exactement ce que la Cour lui a demandé de faire : examiner expressément les parties de la description de travail qui appuient la recommandation du comité. Il était loisible à l’administrateur général de se fonder, pour rendre sa décision, sur l’analyse par la consultante de ces parties, en plus d’autres éléments de la description de travail.
[37]
La consultante a pu bénéficier du rapport du comité, lequel décrivait en détail la position des plaignants. L’équité procédurale dans ce contexte n’exigeait pas qu’on leur donne une autre possibilité de présenter leur preuve et leurs observations puisque le centre de l’analyse de la consultante était la description de travail et non les rôles des gestionnaires, Programmes régionaux, tels que les plaignants les ont décrits.
[38]
Un document sans date intitulé [traduction] « Contexte organisationnel »
figurait dans la trousse préparée pour l’examen de l’administrateur général. La trousse a été divulguée aux demandeurs au moyen d’une lettre datée du 8 mai 2017.
[39]
Le document concernant le contexte contient un énoncé génériqu de ce qui est en jeu dans l’évaluation et la classification d’un poste, des extraits de la norme de classification FB, le rapport du comité et une série de recommandations qui semblent liés à un exercice ministériel distinct relatif au contenu de la description de travail. Il ne m’apparaît pas évident que le document contextuel a été fourni à la consultante aux fins de son analyse puisqu’elle indique que ses renvois aux renseignements de la direction étaient tirées du rapport du comité de règlement des griefs :
[40]
Mais même en tenant pour acquis que la consultante avait l’avantage de commentaires supplémentaires de la direction, comme le document sur le contexte organisationnel, l’obligation d’équité a été respectée quand les demandeurs ont reçu la trousse au complet préparée pour examen par l’administrateur général et qu’ils ont été invités à fournir leurs commentaires en réponse. Dans le même ordre d’idées, les préoccupations des demandeurs quant aux erreurs perçues dans le rapport de la consultante ne constituent pas un manquement à l’équité procédurale. Les demandeurs ont eu la possibilité de faire valoir ces préoccupations à l’administrateur général, et ils ont présenté des observations à cet effet en réponse à cette possibilité.
[41]
Il convient de souligner qu’alors que la Directive décrit un processus détaillé pour l’examen du grief par le comité, il offre une orientation minime en ce qui concerne la décision de l’administrateur général. Lorsque le comité fournit une recommandation unanime, la Directive enjoint à l’administrateur général de l’approuver ou de la rejeter. Lorsque l’administrateur général rejette la recommandation, l’administrateur général doit fournir les motifs directement liés aux justifications du comité pour sa décision.
[42]
Il est à mon avis raisonnable qu’un administrateur général demande de l’aide sous forme de renseignements supplémentaires ou d’analyse lorsque la Cour a attiré l’attention sur des lacunes dans une décision antérieure. En l’espèce, il était approprié que l’administrateur général demande des renseignements supplémentaires sur la question de savoir si les éléments dont il n’a pas été tenu compte avant la décision dans Wilkinson no 2 sont conformes à la description de travail générale de gestionnaire, Programmes régionaux. La consultante a fourni son analyse à l’administrateur général, et l’administrateur général a donné aux demandeurs la possibilité de faire des commentaires sur cette analyse. Étant donné que les demandeurs ont reçu tous les documents avant l’administrateur général et qu’ils ont eu la possibilité de faire des commentaires, les obligations en matière d’équité procédurale ont été respectées.
C.
Caractère raisonnable de la décision
[43]
Dans son rapport, la consultante a conclu que certaines parties de la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux, correspondant au degré 6 de l’élément Prise de décision, étaient dénuées de fondement. En acceptant cette conclusion, les demandeurs soutiennent que l’administrateur général a effectivement modifié la description de travail contrairement à la décision du juge Zinn dans Wilkinson no 2. Il avait renvoyé l’affaire à l’administrateur général « aux fins d’un réexamen devant porter sur l’ensemble de la description de travail du gestionnaire, Programmes régionaux. »
: Wilkinson no 2, au paragraphe 17.
[44]
Les motifs du juge Zinn exigeaient que l’administrateur général indique expressément que les éléments de la description de travail qui appuient fortement le degré 6 de la prise de décision ont été pris en compte et qu’ils expliquent les motifs d’une décision qui va à l’encontre de ces éléments de preuve : Wilkinson no 2, précitée, au paragraphe 16.
[45]
Les demandeurs reconnaissent que des parties de la description de travail sont identiques au libellé de la norme de classification, mais soutiennent que l’administrateur général doit prendre la description telle quelle. Ils soutiennent que la recommandation du comité reposait sur un examen attentif de la description de travail et du contexte organisationnel dans leur ensemble. L’administrateur général ne peut pas la modifier pour se conformer aux responsabilités du gestionnaire, Programmes régionaux, tels qu’il les comprend. Comme le juge Roy l’a fait remarquer dans Wilkinson no 1 : « [l]e poste est […] ce qu’il est, sans plus. »
Les demandeurs ajouteraient : le poste n’est rien de moins que la description de travail approuvée, malgré ce que pourrait penser l’administrateur général. Sa décision, soutiennent-ils, peut se justifier seulement si de grandes parties de la description de travail sont minimisées ou ignorées.
[46]
Le demandeur soutient maintenant ne pas avoir été au courant du fait que, lorsque la description de travail a été approuvée en 2010, elle comprenait un libellé qui était identique à la norme de classification pour le degré 6 de la prise de décision. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire qu’il est maintenant trop tard pour que le défendeur soulève cette objection. Ayant accepté la description de travail à la suite du grief sur la nature du travail, il n’est pas loisible au défendeur dans la présente instance de soutenir qu’elle est irrégulière. Ce serait seulement approprié dans un grief sur la nature du travail : Allard c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2012 CF 979, au paragraphe 37. Dans un grief de classification, la tâche du comité et de l’administrateur général est d’accepter la description de travail et de déterminer sa classification appropriée telle que libellée.
[47]
La Cour d’appel fédérale a récemment statué dans Allard 2018, précitée, qu’il était raisonnable qu’un comité diminue des parties d’une description de travail qui ne concordent pas avec la description de travail dans son ensemble. Dans cette affaire, le comité avait examiné le rôle faisant l’objet d’un grief comme étant régional et non comparable à des rôles ayant des cotes plus élevées avec une incidence nationale, malgré les lignes dans la description de travail mentionnant les tâches nationales et internationales. La Cour d’appel a conclu que le comité n’avait pas ignoré les passages mentionnant la possibilité de travail national ou international; le comité a plutôt raisonnablement conclu que le rôle faisant l’objet du grief était principalement un rôle régional, et qu’il ne devrait pas être classifié au niveau indiquant la responsabilité nationale : Allard 2018, précitée, aux paragraphes 36 à 38.
[48]
Clairement, le comité en l’espèce a eu beaucoup de difficultés avec la description de travail. Il a conclu qu’il était nécessaire de rappeler aux plaignants de répondre aux renseignements fournis par les cadres hiérarchiques. Ces renseignements étaient incompatibles avec ceux fournis par les plaignants pendant leur présentation initiale, particulièrement en matière de responsabilités de supervision et de rapports hiérarchiques. Ces incohérences ont poussé le comité à conclure que la description de travail ne reflétait pas correctement les fonctions et les responsabilités d’aucun des postes occupés par les plaignants. Ils ont insisté néanmoins, parce que la description de travail avait été approuvée par la direction de l’ASFC et, comme l’a dit mon collègue le juste Roy, « [l]e poste est [...] ce qu’il est [...]. »
[49]
C’est vrai, mais, à mon avis, cela n’empêche pas l’administrateur général de conclure que les postes de gestionnaire, Programmes régionaux, ne comprennent pas le degré 6 de la prise de décision. Il était loisible à l’administrateur général de conclure, en fonction de l’ensemble de la preuve, que les postes de gestionnaire, Programmes régionaux, n’atteignaient pas le seuil requis pour les recommandations de fond exigées pour le degré 6 de la prise de décision.
[50]
La décision de l’administrateur général ne diminue pas l’importance des postes de gestionnaire, Programmes régionaux, dans les régions. Ils gèrent d’importantes opérations de première ligne. Mais elle rend compte du fait que les recommandations des titulaires de postes remontent la chaîne de commandement avant que les décisions soient prises. Le rôle de gestionnaire, Programmes régionaux, est contributif puisqu’il a trait aux décisions sur l’élaboration de politiques et de programmes nationaux, a conclu l’administrateur général, et leurs recommandations ne sont pas des recommandations de fond au sens où elles deviennent habituellement la décision sans autre analyse ou examen. Afin d’atteindre ce seuil, la [traduction] « ligne de mire »
entre la recommandation et la décision doit être directe. Le poste de gestionnaire, Programmes régionaux, est un poste parmi de nombreux autres dans les régions et se situe au bas de l’organigramme de l’Agence.
[51]
Il était raisonnable que l’administrateur général prenne cette décision dans la mesure où il avait examiné la description de travail dans son ensemble, pris en compte le raisonnement du comité et expliqué pourquoi il n’en était pas arrivé à la même conclusion. Ce faisant, l’administrateur général a répondu aux préoccupations qui ont amené la Cour à annuler les décisions antérieures dans Wilkinson no 1 et Wilkinson no 2.
[52]
Pour ces motifs, je suis convaincu que la décision de l’administrateur général était justifiée, transparente et intelligible, et qu’elle appartenait aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.
VI.
Dépens
[53]
Le défendeur a demandé des dépens dans le cas où la demande de contrôle judiciaire est rejetée. D’importants retards dans les décisions de la part du défendeur au sujet de ce grief de classification en ont inutilement prolongé le résultat. Je précise que la décision dans Wilkinson no 2 a été prise le 24 août 2016; la décision de l’administrateur général est datée du 30 novembre 2017, plus de 15 mois plus tard. Les demandeurs ont jugé nécessaire de déposer deux avis de demande de contrôle judiciaire demandant une ordonnance de mandamus en raison de ces retards. Dans les circonstances, j’exercerai mon pouvoir discrétionnaire en n’adjugeant de dépens à la partie ayant gain de cause.
JUGEMENT DANS T-1895-17
LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Richard G. Mosley »
Juge
ANNEXE A
Directive sur les griefs de classification / Directive on Classification Grievances
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Loi sur les Cours fédérales / Federal Courts Act
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La loi sur la gestion des finances publiques / Financial Administration Act
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Loi sur les relations de travail dans le secteur public fédéral / Federal Public Sector Labour Relations Act
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1895-17
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INTITULÉ :
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MURRAY WILKINSON, JERRY JESSO, CHRISTOPHER ARGUE, JAMES BASTARACHE, CATHERINE BLACK, CYNTHIA BURNS, LAURA CLARKE, RICHARD CUZZETTO, ANGELO DE RIGGI, JEFF DUNK, GEORGE DURSTON, JACQUES FRECHETTE, LILY-CLAUDE FORTIN, FRANK GONCALVES, NELSON GUAY, CLAUDE HARVEY, MARK HASTIE, MARK HAYES, FANNY HO, ALANA HUNTLEY, MARK KAPICZOWSKI, KEVIN KELLY, ROSE-ANNE JANG, ALAN JOHNS, ANGELIA JOHNSON, CAMERON JUNG, BOB LEDOUX, ROBERT LOHNES, INA MACRAE, DEBBIE MAIN, GREGORY MCKENNA, SHANE MCKINNON, KAREN MCMAHON, MAUREEN MILLER, MANJIT SINGH MOORE, RON NAULT, FIONA NORHTCOTE, HENRY PETERS, LINDA ROBERTSON, RALPH SCHOENIG, PATRICK SCOTT, DARLENE STAMP, RICHARD STEFANIUK, DOUG TISDALE, KEITH WATKINS, HARALD WUIGK c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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OTTAWA, ONTARIO
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 1ER NOVEMBRE 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE MOSLEY
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DATE DES MOTIFS :
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LE 21 JANVIER 2019
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COMPARUTIONS :
Me Andrew Raven
Me Morgan Rowe
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Pour les demandeurs
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Me Richard Fader
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Pour le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Raven, Cameron, Ballantyne & Yazbeck LLPs
Ottawa (Ontario)
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Pour les demandeurs
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Procureur général du Canada
Ottawa (Ontario)
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Pour le défendeur
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