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Date : 20190117


Dossier : IMM‑855‑18

Référence : 2019 CF 69

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2019

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

YUNCHUN WU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATON

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, YunChun Wu, a 32 ans et est citoyen de la Chine. Il s’agit en l’espèce de la deuxième demande de contrôle judiciaire qu’il présente à la Cour. Il allègue être un adepte du Falun Gong et affirme qu’il sera persécuté s’il est renvoyé en Chine. À la suite d’un réexamen, dans une décision datée du 25 janvier 2018, la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a rejeté son appel. Pour les motifs qui suivent, je suis d’avis d’annuler la nouvelle décision rendue par la SAR.

II.  Les faits

[2]  Le demandeur, M. YunChun Wu, est un citoyen de la Chine âgé de 32 ans. Il affirme subir un stress découlant de son non‑respect du droit sur la planification familiale en Chine, ce qui lui cause des maux de tête, de l’insomnie et des étourdissements. Il a consulté des médecins, mais sa santé ne s’est pas améliorée et il affirme que ces derniers n’ont pas inscrit de notes de consultation dans son carnet médical. Afin de traiter ses problèmes de santé, il a commencé à pratiquer le Falun Gong le 12 octobre 2013, comme le lui avait conseillé un ami.

[3]  Le 15 janvier 2014, le Bureau de sécurité publique (le BSP) a effectué une descente aux lieux où se réunissent secrètement les membres du groupe Falun Gong auquel il s’était joint. Il n’est pas présent lors de la rafle, mais le BSP a découvert qu’il pratiquait le Falun Gong et s’est mis à sa recherche. Le 2 septembre 2014, le demandeur a quitté la Chine avec l’aide d’un passeur et est venu au Canada. Il a présenté une demande d’asile fondée sur sa crainte d’être persécuté en Chine, où il avait été identifié comme adepte du Falun Gong.

[4]  Le 19 mai 2016, la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés ni une personne à protéger. Le demandeur a interjeté appel devant la SAR, qui a confirmé la décision de la SPR dans une décision rendue le 6 septembre 2016.

[5]  Le 20 avril 2017 a eu lieu la première audience de contrôle judiciaire. Dans une décision datée du 1er mai 2017, le juge Campbell a annulé la décision de la SAR et ordonné le réexamen de la demande par un tribunal différemment constitué : Wu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 420. Dans sa décision, le juge Campbell a jugé que la conclusion de la SAR n’était pas étayée par la preuve et que le tribunal inférieur avait agi déraisonnablement lorsqu’il avait écarté de la preuve une lettre en s’appuyant sur une conclusion antérieure défavorable relativement à la crédibilité du demandeur.

[6]  La SAR a rendu sa nouvelle décision le 25 janvier 2018. Elle a convenu avec la SPR que le témoignage du demandeur était incompatible avec le contenu de son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA), lequel présentait d’ailleurs des lacunes considérables. La SAR a aussi fait remarquer que la SPR a donné la possibilité au demandeur de fournir des explications au sujet de son témoignage incompatible.

[7]  En ce qui concerne les arguments du demandeur au sujet de sa citation à comparaître, la SAR a reconnu le bien‑fondé de certains d’entre eux. Mais en effectuant son propre examen de la citation à comparaître du demandeur, elle a constaté des incohérences entre celle‑ci et un extrait du dossier. Elle a conclu par ailleurs qu’en cas de non‑conformité, une citation à comparaître coercitive peut être délivrée en vertu de l’article 82 de la loi de la République populaire de Chine sur la sécurité publique et les sanctions administratives. La SAR a tiré la conclusion qu’il était raisonnable d’envisager que le BSP en vienne à lui délivrer une citation à comparaître coercitive, étant donné les allégations du demandeur indiquant que le BSP se rendait régulièrement à son domicile dans l’intention de l’arrêter et qu’il avait omis de se présenter à un interrogatoire. La SAR a cependant fait remarquer la facilité avec laquelle il est possible de se procurer des documents contrefaits en Chine et elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la citation à comparaître en l’espèce n’était pas authentique.

[8]  La SAR a conclu aussi que l’état de santé du demandeur constituait un élément clé de la demande d’asile et qu’il s’agissait de la raison qui l’avait amené à adhérer au Falun Gong. Elle a cependant jugé que le témoignage du demandeur au sujet de ses troubles de santé était contradictoire, incohérent et invraisemblable. Aucune note au sujet des consultations médicales du demandeur n’avait été inscrite dans son carnet médical, malgré la preuve documentaire portant sur la planification familiale qui confirme que les patients en Chine conservent des notes de consultations médicales dans un carnet. Le demandeur avait dit avoir fait appel aux soins de praticiens de la médecine occidentale et traditionnelle parce que ses affections étaient graves, mais la SAR a estimé que son témoignage était contradictoire, parce que ce dernier avait par la suite affirmé que son état de santé n’était pas suffisamment grave pour en faire mention dans son carnet médical et qu’il avait payé les consultations en argent comptant. Par voie de conséquence, la SAR a souscrit à la décision de la SPR et a conclu que les prétentions du demandeur expliquant pourquoi il n’avait pas présenté de documents médicaux devaient être rejetées.

[9]  La SAR a conclu, en se fondant sur les divergences entre le FDA du demandeur et son témoignage, que ce dernier avait livré un témoignage contradictoire en ce qui concerne la descente effectuée par le BSP. Elle a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, [traduction« le [demandeur] avait appris un scénario et un certain nombre de faits afin de justifier sa demande d’asile ».

[10]  Le demandeur a allégué avoir continué de pratiquer le Falun Gong au Canada, mais la SAR considère que la preuve a cet égard est faible. En fait, ce que le demandeur a présenté se résume à une lettre au sujet des trois premiers mois qu’il a passés au Canada. Ainsi, le 25 janvier 2018, la SAR a rendu sa nouvelle décision, par laquelle elle confirmait la décision initiale de la SPR et rejetait l’appel.

III.  Les questions en litige

[11]  La seule question en litige dans le présent contrôle judiciaire consiste à savoir si la SAR a commis une erreur dans son analyse relative à la crédibilité du demandeur.

IV.  La norme de contrôle judiciaire

[12]  La norme de contrôle qui s’applique aux décisions de la SAR est celle de la décision raisonnable : Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 491, au paragraphe 10.

V.  Analyse

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son analyse relative à la crédibilité du demandeur?

[13]  Le demandeur fait valoir que la conclusion défavorable de la SAR quant à sa crédibilité est déraisonnable. En effet, il prétend que la SAR a utilisé une preuve non pertinente concernant la planification familiale pour asseoir sa conclusion selon laquelle son carnet médical aurait dû contenir des notes de consultation. Le demandeur prétend aussi que son témoignage au sujet de ses consultations médicales n’est pas contradictoire, car il a toujours affirmé que ses problèmes de santé (maux de tête et difficultés à dormir) étaient des problèmes mineurs qu’il ne valait la peine de noter dans son carnet médical. Il ajoute qu’il ne pouvait agir sur les décisions des médecins et qu’il est par conséquent incorrect de mettre en doute sa crédibilité en raison des actes posés par ces derniers : Lin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 683, au paragraphe 21.

[14]  Le défendeur, lui, fait valoir que la Cour a entendu de nombreuses affaires dans lesquelles les demandeurs avaient présenté des carnets médicaux contenant des notes de consultation, par exemple Sui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 406, au paragraphe 20. À l’audience, le défendeur a aussi soutenu que la SAR s’était fondée sur des parties du Cartable national de documentation (le CDN) portant sur la planification familiale qui se semblaient pas porter strictement que sur la planification familiale.

[15]  Je conviens avec le demandeur que la SAR s’est appuyée sur une preuve non pertinente. En l’occurrence, un document distinct sur la planification familiale consigné au CND en Chine ne constitue pas un fondement raisonnable qui permette à la SAR de conclure que [traduction« la preuve documentaire confirme que chaque patient en Chine possède son propre dossier médical qu’il conserve et apporte à chaque consultation ». En clair, la preuve tirée du CND sur la planification familiale n’établit pas que les problèmes de santé du demandeur (maux de tête et difficultés à dormir) devaient également être inscrits dans son carnet médical.

[16]  Au vu de ces faits, l’erreur commise par la SAR a influencé tous les aspects de sa décision, car les problèmes de santé du demandeur sont directement liés à la conclusion concernant sa crédibilité au sujet de sa pratique du Falun Gong en Chine. En fait, le demandeur affirme que ce sont ses problèmes de santé qui l’ont amené à adhérer au Falun Gong et la SAR a elle‑même reconnu que l’état de santé du demandeur est [traduction« au cœur des éléments fondamentaux de sa demande d’asile ». Par conséquent, la conclusion de la SAR relativement à la crédibilité est fondée sur un examen de la preuve déraisonnable et ayant une incidence sur les éléments fondamentaux de la demande d’asile. Cela rend la décision déraisonnable et elle doit donc être annulée.

VI.  Les questions à certifier

[17]  On a demandé aux avocats des deux parties s’ils souhaitent soulever des questions à des fins de certification. Tous deux ont affirmé qu’aucune question n’a besoin d’être certifiée et je suis du même avis.

VII.  Conclusion

[18]  La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT dans IMM‑855‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La décision examinée est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour une nouvelle décision.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 7e jour de février 2019

Léandre Pelletier‑Pépin


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑855‑18

 

INTITULÉ :

YUNCHUN WU c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 octobre 20182018

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

le juge AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

le 17 janvier 2019

 

COMPARUTIONS :

Phillip Trotter

 

pour le demandeur

 

John Grise

 

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR le défendeur

 

 

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