Date : 20190104
Dossier : T-619-17
Référence : 2019 CF 8
Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2019
En présence de monsieur le juge Pentney
ENTRE :
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TRANSPORT DESSAULTS INC.
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partie demanderesse
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et
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MICHEL AREL
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partie défenderesse
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Introduction
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par l’arbitre Bernatchez, qui a accueilli la plainte pour congédiement injustifié déposée par Michel Arel contre Transport Dessaults Inc., en vertu de l’article 240 du Code canadien du travail, LRC 1985, ch L-2 [Code].
[2]
L’arbitre a décidé que malgré la faute lourde commise par M. Arel en poussant son superviseur, il ne peut pas confirmer le congédiement « tenant compte du caractère paradoxale [sic] de la preuve, laquelle révèle notamment la juxtaposition d’une faute grave à une recommandation favorable de la compétence et du professionnalisme »
de M. Arel. L’arbitre a octroyé une indemnisation de départ à M. Arel, mais n’a pas ordonné sa réintégration au travail.
[3]
Transport Dessaults conteste cette décision. Elle estime que la décision de l’arbitre doit être renversée parce que : i) la plainte a été déposée hors du délai prescrit; ii) l’arbitre ne s’est pas prononcé sur la question de si le congédiement de M. Arel était « injuste »
et donc l’arbitre n’a pas la juridiction d’octroyer une indemnisation de départ; iii) l’arbitre a erré en considérant les faits postérieurs au congédiement de M. Arel; et iv) la décision est déraisonnable, compte tenu des faits en l’espèce.
[4]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
II.
Contexte
[5]
M. Arel a travaillé en tant que camionneur pour Transport Dessaults entre 2005 et 2015. En novembre 2015, il a vécu deux jours difficiles, qui ont mis fin à son emploi. Le 11 novembre 2015, il s’est trouvé dans l’impossibilité de livrer quatre ou cinq boîtes de céramiques chez un client, parce que la route était bloquée par une automobile stationnée illégalement. Il a essayé de trouver le propriétaire de l’automobile, mais il n’a pas réussi.
[6]
M. Arel a décidé de ne pas faire le déchargement des boîtes de céramiques manuellement, pour plusieurs raisons : il ne pouvait pas reculer son camion dans le garage du client, à cause de l’auto stationnée illégalement; chaque boîte de céramique pesait 60 livres; et sa remorque n’était pas munie d’un hayon hydraulique, donc, pour faire la décharge des boîtes, il aurait dû les transporter une dizaine de pieds du plancher de la remorque au plancher de l’aire de livraison du client. De plus, M. Arel a une condition médicale lombaire qui empêche un tel travail.
[7]
M. Arel a donc informé le client qu’il avait décidé de ne pas faire la livraison à ce moment. Transport Dessaults a reçu une plainte et le président de la compagnie a téléphoné M. Arel pour discuter de cette affaire. Il semble qu’ils ont eu une conversation animée et M. Arel a alors fermé la ligne – en effet, il a raccroché la ligne au nez du président de l’entreprise.
[8]
Le président de la compagnie a décidé que cette conduite méritait une suspension de quatre jours. Le superviseur a mis une lettre indiquant cette décision dans le casier de M. Arel, mais il ne l’a pas vu lors de son retour au siège de l’entreprise.
[9]
M. Arel s’est présenté au travail le lendemain et a constaté que son nom ne figurait pas au tableau des affectations pour les camionneurs. Il était encore contrarié par ce qu’il avait vécu le jour précédent. Son superviseur a noté sa présence, et l’a invité à se rendre dans une pièce privée afin qu’il puisse lui remettre la lettre de suspension. M. Arel a lu la lettre et l’a déchirée. M. Arel admet qu’à ce moment il a « pété les plombs »
et a poussé son superviseur d’un geste fort. Il a quitté le lieu immédiatement.
[10]
Le tout a été enregistré sur vidéo, et M. Arel admet avoir posé ce geste.
[11]
Le superviseur a appelé la police, qui a rédigé un rapport de « voie de fait »
contre M. Arel. Le même jour, soit le 12 novembre 2015, l’employeur a acheminé une lettre de congédiement à M. Arel. Le 17 novembre 2015, un certificat de cessation d’emploi fut émis à M. Arel.
[12]
Pour compléter l’histoire, il faut noter trois faits qui sont survenus après le congédiement : (i) M. Arel a communiqué avec le président de l’entreprise pour s’excuser et exprimer ses regrets; (ii) le superviseur a décidé de retirer sa plainte à la police, disant : « Après avoir parlé à mon employeur, je considère que Monsieur Arel a plus besoin d’aide… que d’un procès. Je n’ai reçu aucune menace ni déceler de bris de condition de la part de Michel Arel »
; et (iii) le 18 novembre 2015, l’employeur a acheminé à M. Arel une lettre de recommandation, disant :
La présente lettre à [sic] pour but de valider que Mr. Michel Arel à [sic] occupé le poste de Chauffeur-Livreur au sein de notre Entreprise pendant plus de 8 années.
Mr. Arel s’est avéré un bon employé, qui s’est acquitté de ses tâches, jour après jours, d’une façon tout-à-fait professionnelle. Méticuleux, il avait à son actif un nombre d’erreurs qu’on peut qualifier de minime, tout au long de sa carrière chez nous.
Nous souhaitons évidemment bonne chance à Mr. Arel dans ses recherches de nouveaux défis, et assurons à quiconque veut l’embaucher dans un poste similaire, qu’il sera un bon atout!
[13]
M. Arel a trouvé un poste chez un autre employeur après quelques semaines.
[14]
M. Arel a déposé une plainte de congédiement injuste au niveau provincial en février 2016, parce qu’il pensait que son employeur était sous la juridiction provinciale. Ensuite, le 8 juin 2016, il a déposé une plainte de congédiement injuste à Emploi et Développement social Canada (EDSC) selon le Code.
[15]
Un enquêteur a été nommé, et a contacté l’employeur pour obtenir leur réponse à la plainte. Il n’y a pas eu de règlement dans l’affaire et, le 16 décembre 2016, un arbitre a été nommé par le Ministre du Travail du Canada. La décision de l’arbitre a été livrée le 27 mars 2017 et c’est celle-ci qui est le sujet du contrôle judiciaire en l’espèce.
III.
Les questions en litige
[16]
Les questions suivantes sont en litige dans cette application :
- Est-ce que l’arbitre est sans compétence parce que la plainte a été déposée hors du délai prescrit ?
- Est-ce que la décision de l’arbitre est déraisonnable parce que :
(1) l’arbitre a excédé sa compétence en octroyant une indemnité de départ sans avoir fait la détermination de si le congédiement était
« injuste »
?(2) l’arbitre a erré en considérant les faits postérieurs au congédiement de M. Arel?
(3) l’arbitre n’en est pas arrivé à une conclusion raisonnable, compte tenu des faits et du droit?
[17]
Les trois aspects de la deuxième question sont liés. J’en conviens qu’il est approprié de traiter les questions B(1) et (2) ensemble, compte tenu de leur chevauchement. La norme de contrôle applicable à la décision de l’arbitre concernant le caractère injuste du congédiement, et les mesures de réparations accordées, est celle de la décision raisonnable : Wilson c Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, au para 15 [Wilson]; Payne c Banque de Montréal, 2013 CAF 33 [Payne], aux paras 32 à 34.
[18]
Au para 47 de l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour explique que « [l]e caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »
[19]
La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout : Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34. De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte à la lumière du dossier, est raisonnable : Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses].
[20]
Je note, finalement, que beaucoup de décisions ont établi qu’il y a une nécessité de retenue judiciaire en l’espèce : voir Wilson, Payne, et Transport Réal Ménard Inc c Ménard, 2015 CF 616, au para 16 [Transport Réal Ménard]. La détermination de si un congédiement est injuste est au cœur de la tâche assignée à un arbitre par le Parlement. Il y a une clause privative au paragraphe 243(1) du Code. De plus, comme l’a noté le juge Evans a dans l’affaire Payne au para 81, un arbitre doit nécessairement disposer d’un pouvoir discrétionnaire « pour apprécier et mettre en balance les multiples facteurs composant l’analyse contextuelle prescrite par la jurisprudence McKinley. »
IV.
Analyse
A.
Est-ce que l’arbitre est sans compétence parce que la plainte a été déposée hors du délai prescrit?
[21]
Les règles concernant le délai pour le dépôt d’une plainte de congédiement injuste sont établies par le Code :
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L’employeur prétend que l’arbitre n’a pas la compétence pour entendre la plainte, parce que le congédiement de M. Arel a eu lieu le 12 novembre 2015, et que M. Arel a déposé ses plaintes auprès des organismes fédéral et provincial le 18 février 2016. Sa plainte formelle de congédiement injuste selon le Code a été déposée le 8 juin 2016. L’employeur prétend que même si on utilise la date de la première plainte, le 18 février 2016, celle-ci est déjà hors de la période de 90 jours prescrite par le paragraphe 240(2).
[23]
L’employeur soumet que la loi est claire – un arbitre n’a pas compétence pour entendre une plainte si la plainte a été déposée hors du délai prescrit : Privé c Bell Canada, 2014 CanLII 70560 (QC SAT) [Privé]. Le délai ne peut pas être prolongé, sauf dans le contexte limité décrit par paragraphe 240(3), qui ne s’applique pas dans le cas en l’espèce.
[24]
M. Arel a indiqué qu’il a déposé sa plainte originale aux autorités provinciales, parce qu’il pensait que son employeur était sous cette juridiction. Quand il a été informé que Transport Dessaults était sous la juridiction fédérale, il a déposé sa plainte auprès d’EDSC.
[25]
Il n’y a pas d’indication dans le dossier que le Ministre a pris une décision formelle de prolonger le délai selon le paragraphe 240(3). Il semble que la question du délai n’a pas été soulevée devant l’arbitre. L’arbitre a noté dans sa décision que « [l]es parties n’ont formulé aucune objection d’ordre procédural avant ou pendant notre audience »
(para 8). Je note que l’employeur était représenté par le président, M. Serli, et que M. Arel s’est représenté lui-même lors de l’audience. Il n’y a aucune référence à la question du délai dans la décision.
[26]
La décision arbitrale dans l’affaire Privé fait référence à la jurisprudence sur la question du délai dans le cas d’une plainte de congédiement injuste selon le Code, une jurisprudence qui indique que le délai est un délai de rigueur, qui doit être interprétée d’une façon stricte. Dans Re Colthorpe and Bank of Montreal (1980), 1 LAC (3d) 227, [1980] CLAD No 12 (QL), l’arbitre a conclu que le délai est impératif et ne peut pas être prolongé par le tribunal. À cette époque, le délai était prescrit par le paragraphe 61.5(2), qui se lit comme suit :
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(Code canadien du travail, LRC 1977-78, c 27, s 21)
[27]
Dans l’affaire McMurdo v Royal Bank of Canada (1994), 11 CCEL (2d) 200, [1994] CLAD No 1177 (QL), l’arbitre a conclu que le délai de 90 jours commence le dernier jour de travail. Dans cette affaire la plainte avait été déposée un jour après l’expiration des 90 jours et l’arbitre avait décidé qu’il n’avait donc pas la juridiction pour entendre la plainte.
[28]
Transport Dessaults soutient que l’arbitre a ignoré la question du délai dans l’affaire en l’espèce, et que la plainte a été déposée plus de 90 jours après le dernier jour de travail de M. Arel. Il n’y a pas d’indication formelle dans le dossier que le Ministre a décidé de prolonger le délai. De ce fait, l’arbitre a agi sans compétence.
[29]
Je ne suis pas convaincu. Dans l’affaire Chmielewski c Canadien National, [1988] ACF No 329 (QL) (CA) (requête en autorisation de pourvoi rejetée le 27 octobre 1988 : [1988] CSCR No 703 (QL)) [Chmielewski], la Cour d’appel fédérale a adopté une approche plus flexible quant à la question du délai.
[30]
Dans cette affaire la plainte avait été déposée le 16 avril 1986, mais la personne avait été congédiée le 17 décembre 1985. Le Ministre avait nommé un arbitre, et rien dans le dossier n’indique que le Ministre avait expressément prolongé le délai. L’arbitre a décidé qu’il n’y avait pas eu une prolongation implicite. Hugessen J.A. a noté que la loi a été modifiée, et que le nouveau texte se lit comme suit :
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(Code canadien du travail, LRC 1984, c 39, s 11)
[31]
Hugessen J.A. a décidé que la loi n’exige pas une décision formelle du Ministre :
A [sic] notre sens ce texte n’impose aucune formalité à la décision du Ministre. Notamment il n’exige pas que la décision précède le dépôt de la plainte, qu’elle fixe un nouveau délai pour le dépôt de celle-ci, ni enfin qu’elle soit consignée expressément dans un écrit; il suffit que les éléments de preuve au dossier permettent de conclure que dans les faits le Ministre a prolongé le délai prévu au paragraphe 61.5(2).
Les faits de la présente affaire ne permettent d’aucune autre conclusion que celle voulant que le Ministre en accueillant la demande du requérant a effectivement prolongé le délai. La demande que le Ministre avait devant lui, dont le texte est déjà reproduit, mentionne clairement qu’elle cherche la prolongation du délai de 90 jours et expose des motifs à son appui. Le Ministre y a donné suite et a nommé un arbitre. Cela veut nécessairement dire qu’il a en même temps prolongé le délai; si tel n’était pas le cas, le geste du Ministre serait tout simplement un non-sens.
[32]
Cette décision a été citée récemment par l’arbitre Roach dans l’affaire Charbonneau v Quesnel Bus Lines Ltd, [2017] CLAD No 164 (QL) [Charbonneau]. Dans cette affaire, la plaignante a été congédiée le 8 décembre 2015, et elle a déposé sa plainte le 14 mars 2016. L’employeur prétendait que la plainte était hors du délai et que l’arbitre n’avait pas la juridiction à entendre l’affaire. Au paragraphe 31 de sa décision, l’arbitre a noté que dans l’affaire Chmielewski :
Justice Hugessen made it clear that there is no requirement that a specific demand be made requesting an extension of time but it will suffice where the complainant record shows as a whole that the Minister has indeed exercise[d] his or her discretion to extend time limit when he or she chooses to appoint an adjudicator under Subsec. 242(1) of the Code.
[Traduction] Le juge Hugessen a indiqué clairement qu’il n’est pas nécessaire de demander une prolongation du délai; il suffira plutôt que le dossier du plaignant indique dans son ensemble que le ministre a effectivement exercé son pouvoir discrétionnaire de prolonger le délai lorsqu’il choisit de nommer un arbitre dans le cadre du paragraphe 242(1) du Code.
[33]
Je note que dans l’affaire Charbonneau, la plaignante avait indiqué qu’elle était en retard parce qu’elle avait reçu des avis contradictoires à ce que si son employeur était sous la juridiction provinciale ou fédérale. Considérant toutes les circonstances de l’affaire, l’arbitre a conclu sur ce point :
I’m of the view that in the present case, that the Minister, in appointing the undersigned as adjudicator on August the 16th, 2016, was extending the period for filing a complaint in exercising his or her discretion under Subsec. 240(3) of the Code.
[Traduction] En l’espèce, je crois que le ministre, en nommant le soussigné arbitre le 16 août 2016, a prolongé le délai de dépôt d’une plainte en exerçant son pouvoir discrétionnaire en vertu du paragraphe 240(3) du Code.
[34]
Dans l’affaire en l’espèce, il n’y a pas beaucoup d’information sur la question du délai dans le dossier. M. Arel a indiqué qu’il a contacté les autorités provinciales pour déposer sa plainte parce qu’il pensait que Transport Dessaults était sous la juridiction provinciale. Ceci n’est pas le cas, mais il n’y a aucune indication de quand il en a été informé, ni de quand l’employeur a été avisé de sa plainte. Il n’y a aussi aucune indication que le Ministre (ou des gens d’EDSC) ait traité de la question du délai d’une façon formelle. De plus, comme notée plus haut, personne n’a soulevé la question devant l’arbitre et sa décision est muette sur ce point.
[35]
Je note que la version actuelle des dispositions législatives relatives au délai est plus semblable à la version auquel se réfère Hugessen J.A. dans Chmielewski que la version discutée dans les décisions citées ici par Transport Dessaults. Cependant, je conviens que la décision dans l’affaire Privé est axée sur la question de la date de congédiement de l’employé, et que les faits et les questions juridiques dans cette affaire ne sont pas les mêmes que dans l’affaire en l’espèce. J’ajoute aussi que l’analyse de l’arbitre dans Privé n’a pas tenu compte de la décision de la Cour d’appel dans l’affaire Chmielewski.
[36]
Dans le cas en l’espèce, il est évident que le Ministre était conscient du délai, et que M. Arel avait contacté les autorités provinciales avant de déposer sa plainte à EDSC. Malgré ceci, le Ministre a quand même nommé un arbitre selon l’article 240 du Code.
[37]
Compte tenu de toutes les circonstances du dossier, je suis d’avis qu’il est raisonnable et approprié d’appliquer la décision dans l’affaire Chmielewski et, en particulier, le conseil de Hugessen J.A. qu’« il suffit que les éléments de preuve au dossier permettent de conclure que dans les faits le Ministre a prolongé le délai prévu au paragraphe 61.5(2). »
[38]
Pour ces motifs, je rejette l’argument de Transport Dessaults que l’arbitre est sans juridiction à cause du délai prescrit.
B.
Est-ce que la décision de l’arbitre est déraisonnable?
[39]
L’employeur prétend aussi que la décision de l’arbitre est déraisonnable pour trois motifs (voir plus haut au paragraphe 16). Comme déjà noté, j’en conviens qu’il y a un chevauchement entre les trois questions, et qu’il est mieux de traiter les deux premières ensemble, compte tenu du degré d’interconnexion entre celles-ci.
(1)
Est-ce que l’arbitre a excédé sa compétence en octroyant une indemnité de départ sans avoir déterminé si le congédiement est « injuste »
?
(2)
(2) Est-ce que l’arbitre a erré en considérant les faits postérieurs au congédiement de M. Arel?
[40]
Le rôle de l’arbitre dans une plainte de congédiement injuste selon le Code est d’appliquer aux faits le critère établi dans l’arrêt McKinley c BC Tel, 2001 CSC 38 [McKinley]. Il doit décider : a) si la preuve démontre, selon la prépondérance des probabilités, que l’inconduite justifiant le congédiement a réellement eu lieu; et b) dans l’affirmative, si la nature et la gravité de l’inconduite justifiaient un congédiement. Comme l’a expliqué le juge Iacobucci dans l’arrêt McKinley, les deux volets de ce critère nécessitent un examen des faits. Dans sa décision, la Cour suprême du Canada a expressément rejeté le recours à une approche « fondée sur des catégories »
, et a plutôt estimé que tous les cas d’inconduite devraient être examinés dans leur contexte.
[41]
Ce principe a été élaboré par la Cour d’appel fédérale dans la décision Payne. Dans cette affaire, la Cour a cité l’arrêt McKinley, et a expressément approuvé l’approche contextuelle :
[46] L’arrêt McKinley est important en ce qu’on y rejette l’approche fondée sur des catégories pour établir si l’inconduite d’un employé justifie son congédiement. À de rares exceptions près, la catégorie en cause d’inconduite, y compris la malhonnêteté, n’a pas un caractère déterminant. Il faut plutôt examiner avec soin l’ensemble des circonstances de l’affaire afin que la sanction infligée à l’employé soit proportionnelle à la gravité de l’inconduite. Ce principe est fondé sur l’importance du travail dans la vie des personnes et l’inégalité typique du rapport de force en matière de rapports employeur-employé (aux paragraphes 53 et 54).
[…]
[48] Il ressort clairement de la jurisprudence McKinley et de la jurisprudence subséquente à laquelle les avocats nous ont renvoyés qu’il n’est pas aisé de satisfaire à ce critère. Le congédiement pour motif valable est rarement jugé être juste en l’absence d’avertissements préalables et de sanctions moins lourdes infligées pour des écarts de conduite semblables.
[42]
Transport Dessaults prétend que selon le paragraphe 242(4) du Code, l’arbitre a l’obligation de déterminer si le congédiement faisant l’objet de la plainte est injuste.
[43]
Les pouvoirs d’un arbitre nommé pour entendre une plainte sont établis par le Code. Les dispositions pertinentes au cas en l’espèce sont les suivantes :
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[44]
Transport Dessaults prétend que, compte tenu de ces articles, l’arbitre n’a pas la compétence d’ordonner le paiement d’une compensation par l’employeur sans avoir déterminé que le congédiement « était injuste »
. Une telle détermination n’a pas été faite ici, et donc l’arbitre a erré en droit.
[45]
L’employeur note que ce principe est d’ailleurs reconnu par notre Cour, citant Téléglobe Canda Inc c Larouche (1999), 170 FTR 300, (1999) CanLII 8385 (CF); Bégin c Radio Basse-Ville Inc., 2006 CF 1143 (confirmé par la Cour d’appel fédérale : Bégin c Radio Basse-Ville (CKIA FM), 2007 CAF 238); et Gauthier c Banque Nationale du Canada, 2008 CF 79 au para 26.
[46]
Il est évident que l’arbitre a accepté que M. Arel avait commis une faute grave en poussant son superviseur :
60. Nonobstant la présence d’une charge émotive circonstancielle et des regrets du plaignant, son congédiement est la conséquence d’une faute grave. Une telle faute est une manière d’agir erronée, souvent illégale, ou un manquement qui entra[î]ne des conséquences fâcheuses, regrettables et qui à la limite peut s’avérer dangereuse.
61. L’agir du plaignant, consistant à pousser violemment son contremaître au point où celui-ci aurait pu chuter et se blesser, correspond aux critères pour reconnaitre une faute grave. Rappelons que la règle de la gradation des mesures disciplinaires ne saurait s’appliquer s’il est prouvé qu’il s’agit d’une faute lourde ou grave, ce qui est le cas en l’espace.
[47]
Cependant, l’arbitre a continué son analyse, notant qu’une faute grave n’est pas toujours le fondement pour un congédiement immédiat :
62. D’ailleurs, en 2015 la Cour d’appel du Québec, dans l’affaire Unifor c Cascades [2015 QCCA 1904], rappelle que le simple fait d’avoir commis une faute grave peut entraîner automatiquement un congédiement. Toutefois, la présence de circonstances atténuantes peut réduire la gravité d’une telle faute.
[48]
L’arbitre a considéré quelques circonstances atténuantes. Premièrement, il a noté que le geste de M. Arel avait été impulsif, et qu’il n’a aucun dossier criminel ou disciplinaire. Il a aussi noté que les évènements se sont déroulés dans un contexte de tension et de manque de communication entre M. Arel et son employeur.
[49]
De plus, l’arbitre a noté quelques faits atténuants qui ont eu lieu après le congédiement de M. Arel. Cela m’amène au deuxième argument de l’employeur, soit la question de si l’arbitre a erré en faisant référence aux évènements postérieurs au congédiement de M. Arel.
[50]
Sur cette question, la Cour suprême du Canada a décidé que les agissements ultérieurs au congédiement peuvent être pris en considération par un tribunal administratif saisi d’une procédure pour congédiement injustifié, « mais seulement lorsqu’elle [la preuve d’évènements subséquents] est pertinente relativement à la question dont il est saisi. En d’autres termes, une telle preuve ne sera admissible que si elle aide à clarifier si le congédiement en question était raisonnable et approprié au moment où il a été ordonné »
(Cie minière Québec Cartier c Québec (Arbitre des griefs), [1995] 2 RCS 1095 au para 13 [Cartier]; Conseil de l’éducation de Toronto (Cité) c FEEESO, district 15, [1997] 1 RCS 487 au para 74.
[51]
Dans l’affaire en l’espèce, l’arbitre fait référence à trois éléments postérieurs au congédiement : (i) le fait que le superviseur a retiré sa plainte criminelle; (ii) le fait que M. Arel a exprimé ses excuses auprès de son employeur, et (iii) le fait que l’employeur « a rédigé une lettre de recommandation soulignant le professionnalisme [de M. Arel] seulement quatre (4) jours après l’avoir congédié »
(para 63).
[52]
Transport Dessaults prétend que l’analyse de l’arbitre est déraisonnable. L’arbitre a indiqué que le congédiement de M. Arel était la conséquence d’une faute grave, ce qui permet à l’employeur de sanctionner l’employé d’une manière sévère. C’est un geste qui mérite une rupture du lien d’emploi et la résiliation du contrat par l’employeur n’était pas abusive. Ces déterminations sont une indication claire que le congédiement n’était pas « injuste »
.
[53]
De plus, l’employeur prétend que l’arbitre a erré en admettant la preuve des faits postérieurs au congédiement. En citant Cartier, au para 13, l’employeur soutien que « dès qu’un arbitre conclut que la décision de la compagnie de congédier un employé était justifiée au moment où elle a été prise, il ne peut plus annuler le congédiement pour le seul motif que des événements subséquents rendent, à son avis, cette annulation juste et équitable. »
[54]
Je ne suis pas persuadé. Dans l’affaire en l’espèce, l’arbitre a fait exactement le type d’analyse contextuelle que la Cour suprême a demandé dans l’affaire McKinley et comme décrit la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Payne. Considérant toutes les circonstances, j’en conviens que l’arbitre n’a pas erré en se référant aux faits postérieurs du congédiement.
[55]
Il est vrai que l’arbitre n’a pas fait référence aux mots utilisés dans le paragraphe 242(4) du Code. Cependant, j’en conviens qu’il a suivi les lignes d’analyse nécessaire.
[56]
Une cour de révision doit aborder les décisions administratives « comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur »
, et se garder de modifier une décision à moins qu’elle ne constate, à la lumière du dossier, que celle-ci se retrouve en dehors du champ des issues raisonnables (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54).
[57]
Dans l’examen d’une décision afin d’établir si elle est raisonnable, il faut, entre autres, examiner si les motifs qui la fondent sont adéquats. L’insuffisance des motifs ne saurait suffire à elle seule pour casser une décision, et appartient plutôt à l’examen du caractère raisonnable : « Il s’agit d’un exercice plus global : les motifs doivent être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles »
(Newfoundland Nurses au para 14).
[58]
Puisque les motifs doivent être examinés avec le dossier qui était devant le décideur pour établir si le résultat est raisonnable, certaines circonstances peuvent se présenter où une décision dans laquelle un aspect de la question qui n’a pas été examiné pourrait quand même être reconnu comme raisonnable en considérant les motifs « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision »
(Newfoundland Nurses aux paras 11-12). Autrement dit, la cour de révision doit tenter de compléter les motifs d’une décision avant de tenter de les contrecarrer (Newfoundland Nurses au para 12).
[59]
Les cours sont réticentes à renverser des décisions pour motif que le tribunal n’a pas « coché toutes les cases »
d’un critère juridique donné, même en présence de « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel »
: Bergeron c Canada (Procureur général), 2015 CAF 160 aux paras 57-63 (demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême du Canada déboutée : Dossier 36701, 2016 CanLII 20436); Construction Labour Relations c Driver Iron Inc, 2012 CSC 65 au para 3; Antrim Truck Centre Ltd c Ontario (Transports), 2013 CSC 13 aux paras 53-54.
[60]
Cependant, cette méthode a ses limites. Comme l’explique l’ancienne juge en chef McLachlin dans l’affaire Delta Air Lines Inc c Lukács, 2018 CSC 2 au para 24 :
L’obligation de porter une attention respectueuse aux motifs donnés ou aux motifs qui pourraient être donnés n’autorise pas une cour de révision à faire complètement abstraction des motifs existants et à y substituer les siens : Newfoundland Nurses, par. 12; Pathmanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 353, 17 Imm. L.R. (4th) 154, par. 28. Je suis d’accord avec la mise en garde suivante du juge Rothstein dans Alberta Teachers :
L’invitation à porter une attention respectueuse aux motifs « qui pourraient être donnés à l’appui d’une décision » ne confère pas à la cour de justice le [traduction] « pouvoir absolu de reformuler la décision en substituant à l’analyse qu’elle juge déraisonnable sa propre justification du résultat » [par. 54, citant Petro-Canada c. Workers’ Compensation Board (B.C.), 2009 BCCA 396, 276 B.C.A.C. 135, par. 53 et 56].
Autrement dit, bien qu’une cour de révision puisse compléter les motifs donnés au soutien d’une décision administrative, elle ne peut faire abstraction des motifs effectivement fournis ou les remplacer. Les motifs additionnels doivent compléter et non supplanter l’analyse de l’organisme administratif.
[61]
Dans l’affaire en l’espèce, j’en conviens que la ligne d’analyse de l’arbitre est claire, et que l’arbitre a suivi la loi et la jurisprudence, même s’il n’a pas utilisé les mots exacts tels qu’écrits au paragraphe 242(4) du Code. Il n’y a aucun doute que les faits clés sont établis et que l’arbitre a fait référence à tous les faits pertinents dans sa décision. La question primordiale est de déterminer si le congédiement était justifié ou non, et si l’analyse de l’arbitre est juste quant à ses observations sur le caractère paradoxal de la preuve. L’arbitre résume bien le fondement de son analyse vers la fin de la décision :
92. Le plaignant a commis une faute lourde. Il a manqué gravement à son devoir de civilité. Cela méritait en soi un congédiement. Mais nous ne pouvons le confirmer tenant compte du caractère paradoxal de la preuve, laquelle révèle notamment la juxtaposition d’une faute grave à une recommandation favorable de la compétence et du professionnalisme du plaignant.
[62]
Je conviens que l’arbitre n’a pas erré en se référant aux faits postérieurs du congédiement de M. Arel, compte tenu des circonstances de l’affaire. L’arbitre a noté que le geste de M. Arel était complètement inacceptable, et pourrait en soi mériter la rupture des liens de confiance nécessaire entre un employé et son employeur. Cependant, la question qui se pose, selon la loi, est de savoir si le congédiement immédiat de M. Arel par son employeur était justifié, c’est-à-dire, un congédiement sans période d’avis ou compensation pécuniaire.
[63]
L’arbitre a suivi les lignes d’analyse nécessaires, selon la loi et les arrêts comme McKinley, Payne, et Unifor, section locale 174 c Cascades Groupe Papiers fins inc, division Rolland, 2015 QCCA 1904. L’arbitre a traité de la preuve positive et négative, afin de considérer le geste de M. Arel dans le contexte de son historique comme employé et dans le contexte de son poste. L’arbitre a aussi traité de l’impact d’un tel geste pour l’employeur et le superviseur. Le tout est en accord avec la preuve au dossier et l’approche contextuelle mandatée par la jurisprudence de McKinley, Payne, et Wilson. J’en conviens que cette décision est raisonnable, et que la seule façon de lire la décision, dans le contexte d’une révision judiciaire, est que l’arbitre a fait une détermination implicite que le congédiement était « injuste »
dans le sens du paragraphe 242(4) du Code.
[64]
J’en conviens aussi que l’arbitre n’a pas erré en faisant référence aux faits postérieurs, parce qu’il l’a fait dans le contexte de son analyse de si ou non le congédiement était justifié. Comme noté plus haut, l’obligation de l’arbitre est de tenté d’évaluer les conséquences des actes de M. Arel sur la relation employeur-employé afin de déterminer si le lien de confiance a été définitivement rompu. Une partie de cette analyse, dans les circonstances de l’affaire en l’espèce, est les faits qui sont survenus après le congédiement de M. Arel. Cette analyse est conforme aux règles établies par la Cour suprême dans Cartier.
[65]
Dans l’affaire en l’espèce, l’arbitre avait raison quand il a décrit les faits comme « singulier »
. L’employeur a congédié l’employé pour un geste de violence contre son superviseur en milieu de travail. L’employeur prétend que cette faute grave justifie un congédiement immédiat. Cependant, quelques jours plus tard, la situation s’est calmée suite aux excuses de M. Arel, et le superviseur a retiré sa plainte criminelle, disant qu’il croyait que l’employé avait plutôt besoin d’aide. De plus, l’employeur a écrit une lettre de référence très positive, citée plus haut.
[66]
L’employeur prétend que l’arbitre a erré en tenant compte de la lettre de référence et soutient que le geste de M. Arel justifiait un congédiement sans cause. Cependant, l’arbitre n’était pas d’accord et a trouvé la lettre pertinente quant à la question de la justification de congédiement et de si l’employeur pensait vraiment que le renvoi immédiat avait été justifié.
[67]
Compte tenu de la jurisprudence indiquant qu’une grande déférence doit être accordée aux conclusions de l’arbitre en raison de ses compétences spécialisées en matière de relations de travail, compte tenu de la clause privative au paragraphe 243(1) du Code, et considérant aussi que la jurisprudence est claire que la détermination de si un congédiement était injuste est au cœur du rôle de l’arbitre, j’en conviens qu’il n’y a pas lieu de renverser la décision.
[68]
Donc, pour tous ces motifs, je rejette l’argument de Transport Dessaults sur les deux aspects.
(3)
Est-ce que c’est une conclusion raisonnable, compte tenu des faits et du droit?
[69]
Dans le contexte d’une révision judiciaire, selon la norme de contrôle de « raisonnabilité »
, la question essentielle est de déterminer si la décision possède les attributs de justification, de transparence et d’intelligibilité, ou encore de déterminer si la conclusion qui en découle en est une qui est possible, acceptable ou justifiable à l’égard des faits et du droit (Dunsmuir au para 47).
[70]
L’employeur prétend que la décision de l’arbitre est déraisonnable parce que l’arbitre a octroyé une indemnité de départ au défendeur. J’ai déjà constaté que l’arbitre a décidé que le congédiement de M. Arel était « injuste »
selon le Code. Donc, la question qui se pose est de savoir si la décision de l’arbitre sur la compensation est déraisonnable, compte tenu de la loi et des faits.
[71]
Rappelons que l’arbitre a décidé de ne pas réintégrer M. Arel dans l’entreprise, compte tenu de la rupture du lien d’emploi à cause de son geste. Cependant, l’arbitre a octroyé à M. Arel une indemnité de départ « à son seuil minimum »
(une semaine de salaire par année de service) avec intérêt. L’arbitre n’a pas ordonné le versement d’une indemnité en dommage moral. Est-ce que c’est une décision déraisonnable?
[72]
L’employeur prétend que l’analyse de l’arbitre n’est pas raisonnable, parce que l’arbitre a indiqué que le défendeur a commis une faute grave, qui mérite une rupture du lien d’emploi, et que le contrat de travail n’a pas été résilié de manière abusive. Compte tenu de ces constats, l’employeur n’a pas à exercer la gradation de sanctions, et un congédiement immédiat est justifié. Dans les circonstances, l’arbitre ne peut pas conclure qu’une indemnité de départ est appropriée.
[73]
Je ne suis pas persuadé sur ce point. Le paragraphe 242(4) du Code énonce les formes de réparation que l’arbitre peut octroyer dans le cas où il juge qu’un congédiement est injuste. Cette disposition est citée plus haut au paragraphe 43.
[74]
L’arbitre avait un large pouvoir discrétionnaire, lui permettant d’accorder une réparation en vertu du paragraphe 242(4) du Code : Énergie atomique du Canada Ltée c Sheikholeslami, [1998] 3 CF 349, 1998 CanLII 9047 (CA) au para 12 (autorisation d’appel refusée, Sheikholeslami v Atomic Energy of Canada Ltd, [1998] SCCA No 196 (QL)); Payne au para 87. Je suis d’accord avec les propos du Juge René LeBlanc dans Transport Réal Ménard au para 39 : « Le choix de la réparation appropriée dans un cas donné constitue un aspect fondamental de l’exercice du pouvoir de l’arbitre nommé en vertu de la partie III du Code puisqu’une de ses responsabilités est d’apporter une solution durable et définitive au différend qui oppose les parties. »
[75]
L’objectif de la réparation est d’indemniser l’employé congédié injustement et non de punir l’employeur : voir la décision Banque de Montréal c Sherman, 2012 CF 1513.
[76]
Dans l’affaire en l’espèce, l’arbitre a noté les faits pertinents et a constaté que la réintégration de M. Arel n’était pas appropriée dans les circonstances. Il a constaté que M. Arel avait commis une faute grave, mais il a aussi fait référence au contexte du geste de M. Arel, et « la juxtaposition d’une faute grave à une recommandation favorable de la compétence et du professionnalisme du plaignant »
(para 92).
[77]
L’arbitre a accepté le témoignage du superviseur à l’effet que les douleurs physiques causées par le geste violent de M. Arel ont duré quelques jours, mais aussi que le geste a produit un effet intimidant.
[78]
Le résumé des conclusions de l’arbitre se lit comme suit :
● Considérant qu’un geste violent, même s’il est issu d’une pulsion émotive circonstancielle, engage la responsabilité de son auteur;
● Considérant que les circonstances peuvent atténuer la responsabilité précitée;
● Considérant le caractère paradoxal de la preuve patronale consistant à congédier le plaignant et recommander formellement sa compétence et son professionnalisme dans les jours qui suivent.
[79]
L’arbitre a considéré les faits pertinents, compte tenu de la loi et de la jurisprudence. Les conclusions de l’arbitre appartiennent aux issues possibles, acceptables, pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau la preuve pour se substituer à l’arbitre, et ce même si la Cour aurait pu en arriver à une autre conclusion.
[80]
Pour tous ces motifs, je rejette l’argument de Transport Dessaults sur ce point.
V.
Conclusion
[81]
Pour l’ensemble des motifs précédemment exposés, je rejette la présente demande de contrôle judiciaire. Dans les circonstances, il n’y aura aucune adjudication de dépens, au titre de l’exercice de mon pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.
[82]
Il devrait ressortir clairement de mes motifs que, tout en rejetant la demande de contrôle judiciaire, je reconnais la force des arguments de l’employeur, vu la formulation de la décision de l’arbitre, et vu le contexte plus large des préoccupations sur la violence en milieu de travail.
[83]
Cependant, l’arbitre a entendu les témoins et a appliqué la loi à la preuve, tel que le lui demande le législateur. Il est bien établi qu’une décision arbitrale reposant sur la partie III du Code appelle la plus grande retenue judiciaire, notamment en raison des compétences spécialisées de l’arbitre en matière de relations de travail. Il est aussi bien établi qu’il n’est pas nécessaire que les motifs de l’arbitre soient parfaits ou exhaustifs.
[84]
Ceci étant dit, je veux ajouter quelques mots. Il est regrettable que le dossier soit silencieux sur la question du délai. Ce n’est pas la première fois que la Cour traite de cette question, et il me semble qu’il y a une solution simple pour le Ministère, soit de traiter de la question du délai et de la prorogation de la période, s’il y a lieu, et ce d’une façon directe et explicite dans le dossier.
JUGEMENT au dossier T-619-17
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.
« William F. Pentney »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-619-17
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INTITULÉ :
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TRANSPORT DESSAULTS INC. c MICHEL AREL
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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MONTRÉAL (QUÉBEC)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 19 MARS 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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PENTNEY J.
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DATE DES MOTIFS :
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LE 4 JANVIER 2019
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COMPARUTIONS :
Me Daniel Wysocki
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POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
|
Michel Arel
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POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE
(POUR SON PROPRE COMPTE)
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Bernier Fournier Inc.
Avocats
Drummondville (Québec)
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POUR LA PARTIE DEMANDERESSE
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