Date : 20181219
Dossier : IMM-1825-18
Référence : 2018 CF 1283
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 19 décembre 2018
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
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AILYN DELA CRUZ
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demanderesse
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Madame Cruz, une citoyenne des Philippines, a présenté une demande dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants en vue d’obtenir un permis de travail au Canada. À la suite du rejet de sa demande, Mme Cruz a déposé la présente demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs exposés ci-dessous, je ne modifierai pas la décision de l’agent des visas.
I.
Aperçu
[2]
L’agent a rejeté la première demande de permis de travail présentée par Mme Cruz dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants, en octobre 2017. Pour des raisons d’équité procédurale, l’agent des visas a accepté de réexaminer la demande dans le cadre de la même étude d’impact sur le marché du travail (EIMT). Mme Cruz a été convoquée à une entrevue de réexamen en février 2018 à l’ambassade à Makati, aux Philippines. Néanmoins, sa demande a été rejetée à nouveau à la suite de l’entrevue. L’agent a conclu que Mme Cruz n’avait pas répondu aux exigences de l’emploi de son employeur éventuel au Canada et qu’elle ne possédait pas non plus les connaissances requises concernant la pathologie du patient pour lui prodiguer des soins et assurer sa sécurité de manière adéquate. L’agent a également conclu que Mme Cruz ne quitterait pas le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée.
II.
Questions en litige et analyse
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Au départ, Mme Cruz a contesté la décision pour des motifs d’équité procédurale et relatifs au caractère raisonnable. Cependant, par suite des réponses obtenues lors du contre‑interrogatoire, Mme Cruz a abandonné la question d’équité procédurale, laquelle ne sera pas examinée dans les présents motifs. Il reste donc à trancher la question de savoir si l’agent a commis une erreur dans son évaluation de la capacité de Mme Cruz de satisfaire aux exigences de l’emploi. La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Chamma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 29, au paragraphe 12).
[4]
Mme Cruz soutient que l’agent a commis une erreur dans sa décision en i) utilisant des critères subjectifs pour décider que Mme Cruz n’avait pas satisfait aux exigences de l’emploi offert; et en ii) ne tenant pas compte de la preuve documentaire démontrant l’expérience de travail pertinente de Mme Cruz, ainsi que le fait que son employeur éventuel au Canada avait déjà évalué que son expérience convenait au poste. Mme Cruz fait également valoir que par le passé la Cour a conclu que le fait d’évaluer la capacité d’une demanderesse d’exercer les fonctions liées à un emploi sans normes objectives est déraisonnable (Russom c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1311, au paragraphe 20).
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Le demandeur réplique que l’agent a adéquatement examiné et évalué la preuve, et a raisonnablement conclu que Mme Cruz n’avait pas satisfait aux exigences de l’emploi. Le demandeur précise que l’agent a raisonnablement conclu que, bien que Mme Cruz ait satisfait aux exigences en matière d’éducation, elle ne possédait ni expérience de travail ni connaissances concernant la maladie de la personne à laquelle elle prodiguerait éventuellement des soins et que, par conséquent, elle ne satisfaisait pas aux exigences énoncées à l’alinéa 200(3)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [RIPR], DORS/2002-227.
[6]
Je ne puis souscrire à la prétention de Mme Cruz selon laquelle l’agent a utilisé des critères subjectifs ou arbitraires pour décider qu’elle n’avait pas satisfait aux exigences relatives à l’emploi offert. L’agent s’est plutôt fondé sur le bon sens et les renseignements contenus dans l’EIMT en ce qui concerne le poste de Mme Cruz, pour conclure qu’elle ne possédait pas les capacités nécessaires pour effectuer adéquatement le travail qu’on lui demanderait d’accomplir.
[7]
Outre le fait qu’il était loisible à l’agent de tirer cette conclusion, la jurisprudence de la Cour établit clairement que les agents sont tenus d’effectuer une évaluation indépendante de la capacité d’un demandeur de permis de travail temporaire à exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé (Bautista c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 669, au paragraphe 15 [Bautista]). Cette obligation découle directement de l’article 200 du RIPR qui exige que, avant de délivrer un permis de travail à un étranger, l’agent doit être convaincu que certains éléments ont été établis, notamment que ce dernier quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable. Le Règlement prévoit également que l’agent ne peut délivrer un permis de travail à un étranger s’il a des motifs raisonnables de croire qu’il est incapable d’exercer l’emploi pour lequel le permis de travail est demandé (voir l’annexe A où l’article pertinent du RIPR est reproduit).
[8]
Ultimement, l’agent doit évaluer la capacité de l’employeur à respecter les modalités de l’offre d’emploi (Bautista, au paragraphe 15; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration, 2015 CF 115 [Singh], au paragraphe 20). Il incombait à Mme Cruz de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre l’agent qu’elle était capable de respecter les modalités de l’offre d’emploi (Singh, au paragraphe 25). Elle n’a pas réussi à le faire en l’espèce. Les réponses fournies par Mme Cruz lors de l’entrevue qui a eu lieu au bureau des visas n’ont également pas réussi à convaincre l’agent : ce dernier a posé des questions très simples à Mme Cruz concernant ce qu’elle devrait effectuer dans le cadre de son emploi. Ses réponses n’ont pas démontré qu’elle était consciente des défis associés à la responsabilité de prendre soin d’une personne âgée atteinte de la maladie de Parkinson et de démence.
[9]
Qui plus est, je ne puis souscrire à l’argument de Mme Cruz selon lequel l’agent a ignoré certains éléments de preuve, et qu’il aurait tiré une conclusion différente en ce qui concerne sa capacité à satisfaire aux exigences de l’emploi si ces éléments de preuve démontrant ses expériences de travail pertinentes avaient été adéquatement pris en compte. Je conclus que l’agent n’a pas ignoré ces éléments de preuve. La décision fait mention de postes antérieurement occupés par Mme Cruz, rémunérés et bénévoles, dans trois lieux de travail différents.
[10]
L’agent a conclu une nouvelle fois que la preuve ne démontrait pas que Mme Cruz possédait les connaissances et l’expérience nécessaires pour prodiguer adéquatement des soins à une personne ayant des besoins particuliers découlant de deux troubles médicaux importants. Ni les études de Mme Cruz ni son expérience n’indiquaient qu’elle possédait la moindre connaissance des stratégies en matière de sécurité en vue de protéger des personnes âgées atteintes de démence et de la maladie de Parkinson dans un cadre familial. L’agent a estimé que ses réponses étaient vagues en ce qui concerne les symptômes liés aux problèmes de santé et les exigences liées aux soins.
[11]
Il était loisible à l’agent de tirer cette conclusion. Il existe une différence d’ordre qualitatif entre la prestation de services de soins généraux à des personnes âgées qui sont relativement en bonne santé et qui requièrent simplement de l’aide pour subvenir à leurs besoins quotidiens, et assurer la prestation de services de soins à une personne âgée atteinte de la maladie de Parkinson et de démence. J’estime qu’il n’était pas déraisonnable pour l’agent d’avoir fait des observations selon ce cadre de référence.
[12]
Mme Cruz s’appuie sur la décision Sevilla c Canada (Immigration, Refugiés et Citoyenneté), 2018 CF 424, au paragraphe 14, dans laquelle la juge MacDonald a conclu que l’agent avait commis une erreur en utilisant une norme arbitraire sans fondement en droit, étant donné qu’il avait rejeté la demande de permis de travail parce qu’il n’était pas convaincu que la demanderesse possédait une ou deux années d’expérience de soins, sans expliquer le lien entre la norme et l’exigence de l’alinéa 200(3)a) du RIPR.
[13]
Par contraste, en l’espèce, l’agent a fourni des motifs détaillés expliquant la décision essentiellement fondée sur l’EIMT et les exigences qui y sont mentionnées (notamment la Classification nationale des professions) ainsi que les circonstances particulières et les problèmes médicaux de la personne à laquelle Mme Cruz aurait à prodiguer des soins dans l’exercice de ses fonctions. Le rôle de l’agent n’est pas uniquement de contribuer à faciliter les déplacements des étrangers et des travailleurs comme il est prévu à l’alinéa 3(1)g) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], mais également de s’assurer qu’ils puissent satisfaire aux exigences de leur emploi éventuel, lesquelles garantissent la protection de la santé et de la sécurité des Canadiens (LIPR, alinéa 3(1)h), LIPR, voir l’annexe A).
[14]
Enfin, Mme Cruz conteste également la conclusion tirée par l’agent selon laquelle elle ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour temporaire. À cet égard, il convient d’abord de souligner qu’il s’agit d’un motif hautement discrétionnaire. Ce motif a été soulevé à titre subsidiaire pour rejeter la demande de permis de travail, ce qui de toute évidence n’est pas une première (voir, à titre d’exemple, Sadiq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 955, aux paragraphes 22 et 23; Singh Grewal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 627, au paragraphe 23).
[15]
De toute façon, étant donné que la demande, l’entrevue, la décision et les motifs, ainsi que l’audience devant la Cour fédérale, portaient essentiellement sur la question déterminante relative à l’emploi, je ne vois pas la nécessité d’examiner la question subsidiaire puisque, même si la conclusion subsidiaire était injustifiée, je conclurais que le rejet est raisonnable.
[16]
J’ajouterais seulement pour conclure que les deux avocats ont représenté habilement leurs clients. Ils ont agi de façon très professionnelle. Bien que Me Afzali n’ait pas réussi à surmonter les obstacles que posait la norme déférente applicable en l’espèce, il importe que Mme Cruz sache qu’il a admirablement défendu sa position.
III.
Conclusion
[17]
Puisque l’agent n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle, la demande est rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier. Je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.
JUGEMENT dans IMM-1825-18
LA COUR STATUE que :
La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Aucune question à certifier n’a été soulevée et l’affaire n’en soulève aucune.
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Alan S. Diner »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 22e jour de janvier 2019
Chantal DesRochers, LL.B., D.E.S.S. en trad.
Annexe A
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COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-1825-18
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INTITULÉ :
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AILYN DELA CRUZ c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE
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Le 20 NovembRE 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE DINER
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DATE DU JUGEMENT :
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Le 19 DÉcembRe 2018
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COMPARUTIONS :
Arvin Afzali
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PoUr LA DEMANDEREsSE
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Michael Butterfield
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Chaudhary Immigration Law Professional Corporation
Avocats
North York (Ontario)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Procureur général du Canada
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POUR LE DÉFENDEUR
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