[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 12 décembre 2018
En présence de monsieur le juge Southcott
I.
Aperçu
II.
Contexte
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Le demandeur, Ali Turan, qui est âgé de 63 ans, est un citoyen de la Turquie, de descendance arménienne, qui est venu au Canada en 2012 et y a demandé l’asile. Il a présenté une demande d’asile au motif qu’il subissait de la persécution fondée sur ses croyances religieuses en Turquie, affirmant qu’il n’était pas en mesure d’y pratiquer librement la religion chrétienne (s’étant converti de l’islam au christianisme dans les années 1980) et qu’il avait à maintes reprises fait l’objet de menaces de la part de la famille musulmane extrémiste de son ancienne épouse.
[4]
M. Turan a épousé sa première épouse en 1981, et ils ont eu deux filles. Il affirme que traditionnellement, sa famille était chrétienne, qu’il a commencé à s’intéresser au christianisme au milieu des années 1980 et qu’il a finalement pris la décision de s’y convertir. Son épouse de l’époque s’y est opposée et la famille de cette dernière l’a menacé. Ils ont divorcé en 1993, après quoi son ancienne épouse a emmené leurs enfants avec elle à Istanbul et a refusé de laisser M. Turan les voir. Lorsqu’il a essayé de leur rendre visite, il a été battu et menacé par la famille de son ancienne épouse.
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M. Turan affirme qu’il a continué à pratiquer le christianisme, mais qu’à cause de cela, ses amis et les membres de sa collectivité le fuyaient. Il a également été contraint de quitter son poste d’enseignant. M. Turan s’est remarié en 1998. Il a eu deux fils avec sa deuxième épouse et a exploité un petit magasin pendant plusieurs années. Toutefois, il prétend que sa première épouse est revenue dans la région et que son frère et elle venaient le harceler à son magasin, qu’ils l’y ont agressé et qu’ils y ont commis des actes de vandalisme. M. Turan a quitté la Turquie pour se rendre en Australie en 2005, après quoi sa deuxième épouse a divorcé d’avec lui. Il est retourné en Turquie en 2010 pour régler son divorce. Une fois qu’il fut revenu en Turquie, la famille de sa première épouse a recommencé à le menacer et à le harceler. La police a été appelée, mais selon M. Turan, elle aurait dit aux parties de régler l’affaire entre elles.
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M. Turan affirme qu’il craignait pour sa vie et pour sa sécurité, qu’il était incapable de travailler et qu’il avait peur de demander de l’aide aux autorités, étant donné que la famille de sa première épouse avait des contacts au sein du gouvernement. Il soutient également que la police turque et d’autres autorités discriminent les personnes qui se sont converties au christianisme. Il a quitté la Turquie pour le Canada le 29 février 2012 et y a demandé l’asile. M. Turan prétend également que sa deuxième épouse a fait l’objet de menaces et que son fils a été attaqué en 2018 par des hommes qui voulaient savoir où M. Turan se trouvait.
[8]
En outre, la SPR était d’avis que la famille de la première épouse de M. Turan ne souhaiterait plus poursuivre ce dernier après 25 ans et a conclu que M. Turan n’avait pas réussi à démontrer qu’il ne pourrait pas bénéficier d’une protection efficace de l’État.
III.
Questions en litige et norme de contrôle
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Le demandeur soulève les trois questions suivantes aux fins d’examen par la Cour :
A. La SPR a‑t‑elle omis de tenir compte de tous les éléments de preuve?
C. L’analyse de la protection de l’État faite par la SPR était‑elle incomplète?
IV.
Analyse
A.
L’analyse de la protection de l’État faite par la SPR était‑elle incomplète?
[12]
J’examine cette question en premier, dans la mesure où le demandeur est d’accord avec le défendeur, qui soutient que la conclusion quant à la protection de l’État est déterminante. S’il était raisonnable de la part de la SPR de conclure que M. Turan n’a pas réfuté la présomption de la disponibilité de la protection de l’État, la demande d’asile de ce dernier ne pouvait alors pas être accueillie (voir Dawidowicz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 115, au paragraphe 27), et il ne peut être fait droit à la présente demande de contrôle judiciaire.
Selon son témoignage, le demandeur d’asile a sollicité la protection de l’État après que la famille de sa première ex-épouse eut détruit son magasin. Il a cependant déclaré que la police leur a dit de régler leurs différends et de vivre en paix.
Le tribunal est d’avis que le demandeur d’asile n’a pas établi qu’une protection efficace de l’État ne lui serait pas assurée.
[14]
M. Turan prétend que cette analyse est incomplète, dans la mesure où la SPR n’a fourni aucune explication quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas réussi à s’acquitter du fardeau qui lui incombait de démontrer qu’une protection efficace de l’État ne lui serait pas assurée, puisque le seul élément de preuve auquel a fait référence la SPR démontre que la police ne lui a offert aucune assistance. Il soutient également que la conclusion de la SPR a été tirée sans tenir compte de la preuve documentaire concernant la possibilité pour les chrétiens en Turquie de se prévaloir de la protection de l’État.
[15]
Le défendeur soutient que l’analyse de la protection de l’État faite par la SPR est intelligible, puisqu’elle montre que cette dernière a conclu que M. Turan ne s’est pas acquitté du fardeau qui lui incombait parce qu’il n’a communiqué qu’à une seule occasion avec la police et qu’il n’a donc pas pris de mesures raisonnables pour épuiser toutes les avenues existantes en vue d’obtenir une protection en Turquie [voir, par exemple, Ruszo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1004, au paragraphe 33]. Le défendeur soutient que la conclusion de la SPR est raisonnable, compte tenu des efforts limités déployés par M. Turan pour obtenir la protection de l’État et des éléments de preuve documentaire examinés par la SPR concernant les conditions qui prévalent en Turquie, dans le cas des chrétiens d’origine arménienne.
[16]
Je conviens que la conclusion de la SPR peut potentiellement être interprétée comme étant liée aux efforts limités déployés par M. Turan pour obtenir la protection de l’État, en Turquie. Toutefois, j’estime que l’analyse qui en a été faite est incomplète puisqu’elle ne tient pas compte adéquatement de la preuve documentaire.
[18]
En revanche, M. Turan met l’accent sur la preuve documentaire concernant la situation qui prévaut en Turquie depuis l’échec du coup d’État qui visait à renverser le gouvernement du président Erdogan en 2016. La documentation sur les conditions dans le pays datant de 2017 et de 2018 fait état d’une détérioration de la situation pour les minorités chrétiennes turques à la suite de ce coup d’État, notamment de violence, de la saisie par l’État de biens religieux et d’incitation à la haine par les médias progouvernementaux et les rassemblements organisés par le gouvernement.
B.
La SPR a‑t‑elle omis d’examiner si les obstacles qui empêchent le demandeur de pratiquer librement sa religion chrétienne sont assimilables à de la persécution?
[21]
De même, j’estime que la SPR a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle s’est penchée sur la question de savoir si M. Turan serait persécuté du fait de sa religion chrétienne. Le défendeur soutient que la SPR a conclu, à juste titre, que M. Turan ne serait pas privé du droit de pratiquer sa religion. Toutefois, tel qu’il a été expliqué plus haut, cette décision démontre que la SPR n’a pas tenu compte des conditions actuelles dans le pays autrement que pour conclure que M. Turan ne serait pas persécuté étant donné que sa famille et les membres de sa collectivité sont au fait de ses croyances religieuses et qu’il n’est plus marié à une femme musulmane. Cette conclusion semble avoir été tirée en lien avec celle de la SPR selon laquelle la famille de la première épouse de M. Turan ne souhaiterait plus poursuivre ce dernier après 25 ans. Comme le soutient M. Turan, elle ne répond pas à la question de savoir s’il fera, malgré tout, face à des obstacles dans la pratique de sa religion, qui seraient assimilables à de la persécution.
C.
La SPR a‑t‑elle omis de tenir compte de tous les éléments de preuve?
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La SPR a fait observer que M. Turan n’est plus membre de la famille de sa première épouse depuis 1993 et qu’il a par la suite épousé sa deuxième épouse, avec laquelle il a eu deux fils. Il n’a pas pu revoir ses filles, issues de son premier mariage, qui sont maintenant d’âge adulte. La SPR a donc conclu qu’il était déraisonnable de s’attendre à ce que la famille de sa première épouse, dont il a divorcé en 1993, souhaite toujours le poursuivre.
V.
Conclusion
LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la Section de la protection des réfugiés pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.
Traduction certifiée conforme
Ce 8e jour de janvier 2019.
Édith Malo, traductrice