Dossier : IMM‑713‑18
Référence : 2018 CF 1273
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2018
En présence de monsieur le juge Favel
ENTRE :
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SYED FURQAN MUJTABA HAFIZ
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demandeur
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et
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MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I.
Aperçu
[1]
La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), présentée à l’encontre de la décision, datée du 3 janvier 2018, d’un agent des visas de la Section des visas de l’ambassade du Canada à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis (l’agent), qui a rejeté la demande de visa de résident temporaire du demandeur (la demande de VRT), aux termes du paragraphe 11(1) de la LIPR. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.
I.
Le contexte
[2]
Le demandeur, qui est âgé de 33 ans, est un citoyen du Pakistan.
[3]
Le demandeur avait précédemment demandé un visa de résident temporaire ainsi que la résidence permanente dans la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral), mais les deux demandes avaient été rejetées le 11 octobre 2017 et le 20 janvier 2014 respectivement. La demande de VRT du demandeur avait été rejetée par l’agent des visas, lequel avait invoqué les antécédents de voyage, les liens familiaux au Canada et dans le pays de résidence, de même que l’objet de la visite.
[4]
Le 15 décembre 2017, le demandeur a demandé pour la deuxième fois un visa de résident temporaire au Canada. Dans cette demande de VRT, le demandeur a mentionné que sa visite avait pour objet de faire un voyage exploratoire au Québec afin de donner suite à une lettre d’invitation datée du 12 décembre 2017. Le demandeur avait reçu cette lettre d’Arton Investissements, un intermédiaire financier, dans le cadre de sa demande pendante dans le cadre du Programme d’immigration des investisseurs du Québec.
II.
La décision contestée
[5]
Le 3 janvier 2018, en application du paragraphe 11(1) de la LIPR, l’agent a rejeté la demande de VRT du demandeur datée du 15 décembre 2017, parce que celui‑ci ne satisfaisait pas aux exigences législatives pour obtenir un visa temporaire. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. Dans la lettre de refus, l’agent a coché les facteurs qui justifiaient le rejet de la demande :
[traduction]
Objet de la visite
Autres motifs ([traduction] « présentation antérieure de documents frauduleux »)
[6]
Les dossiers du Système mondial de gestion des cas (les notes du SMGC) ont servi de motifs pour la décision de l’agent. Les motifs du rejet de la demande de VRT étaient les suivants :
[traduction]
Le demandeur a été précédemment déclaré interdit de territoire, parce qu’il avait présenté des documents d’IELTS frauduleux. La période d’interdiction de territoire est terminée, mais je ne suis pas convaincu que le demandeur a un objet crédible pour venir au Canada. J’ai pris note de la raison déclarée, c.‑à‑d. une visite d’affaires exploratoire, pourtant la demande récente de VRT avait pour but de visiter l’Ontario.
III.
Les questions en litige
[7]
Dans ses observations écrites, le demandeur fait valoir que les questions ci‑dessous doivent être étudiées en l’espèce :
Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale à l’égard du demandeur, vu que l’agent ne lui a pas donné l’occasion de répondre à ses réserves?
La décision de l’agent était‑elle raisonnable?
[8]
La norme de contrôle applicable aux questions concernant des manquements à l’équité procédurale est la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43).
[9]
La décision d’un agent des visas de refuser de délivrer un visa de résident temporaire met en cause une question mixte de faits et de droit appelant l’application de la norme de la décision raisonnable (Henry c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1039, au paragraphe 16).
IV.
Les dispositions applicables
[10]
Les dispositions suivantes de la LIPR sont applicables à la présente instance :
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[11]
L’article 179 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002‑227, prévoit ce qui suit :
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V.
Les observations des parties
A.
Les observations du demandeur
[12]
Le demandeur soutient que l’agent a omis de lui donner l’occasion de répondre à ses réserves au sujet de la crédibilité et de l’authenticité des renseignements présentés. Comme la Cour l’a conclu dans la décision Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24, le demandeur soutient que l’agent a omis de s’acquitter de son obligation de lui donner la possibilité de répondre à ses réserves « lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande »
. Le demandeur fait valoir que, bien que « l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont soumis les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre »
, on aurait dû lui permettre de dissiper les réserves de l’agent (Asl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1006, au paragraphe 23).
[13]
Le demandeur ajoute qu’il a fourni, dans sa demande de VRT, une lettre du gouvernement du Québec indiquant que sa demande de candidature à la province en qualité d’investisseur avait été reçue. Le demandeur a également produit une lettre d’Arton Investissements, dans laquelle il était expliqué qu’il avait l’intention de visiter temporairement le Canada dans le cadre d’un voyage d’affaires exploratoire au Québec. Selon le demandeur, l’agent a commis une erreur en omettant de lui donner la possibilité de répondre à sa conclusion quant à la crédibilité concernant sa demande antérieure de voyage en Ontario. En outre, le demandeur n’a pas été informé des réserves de l’agent en ce qui concerne son interdiction de territoire pour fausse déclaration.
[14]
Le demandeur fait également valoir que la décision de l’agent est déraisonnable, parce que l’agent a choisi d’accorder plus de poids à un facteur, plutôt que d’apprécier tous les autres facteurs qui auraient pu lui être favorables (Malhi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1120, aux paragraphes 5 et 6). Le demandeur soutient que l’agent s’est concentré sur l’objet de son voyage et sur une fausse déclaration antérieure, au lieu de prendre en considération d’autres facteurs pertinents qui auraient pu le convaincre que le demandeur allait quitter le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée. Le demandeur fait valoir que cette erreur « vaut entrave au pouvoir discrétionnaire et, partant, erreur susceptible de contrôle judiciaire »
(Kenig c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 1748, 84 ACWS (3d) 772, au paragraphe 13). Plus particulièrement, le demandeur soutient que l’agent a omis de tenir compte d’éléments de preuve qui démontraient son établissement au Pakistan, comme la preuve qu’il possédait deux propriétés ainsi que celle de son entreprise et de son revenu élevé au Pakistan. L’agent a également passé sous silence les voyages précédents du demandeur en Malaisie, au Sri Lanka, en Thaïlande, au Danemark, en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis, de même que la famille du demandeur (son épouse et son enfant) qui réside actuellement au Pakistan et qui n’allait pas l’accompagner au Canada (Totrova c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF no 886, 81 ACWS (3d) 138).
[15]
Le demandeur soutient également que la Cour a précédemment statué qu’un agent des visas avait omis de tenir compte des facteurs énoncés à la section 9 (« Procédure : Évaluation de la demande »
) du Guide OP 11, qui traite de visas de résident temporaire délivrés par Citoyenneté et Immigration Canada, pour déterminer si le demandeur allait retourner dans son pays de résidence (Rudder c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 689, au paragraphe 32).
B.
Les observations du défendeur
[16]
Pour sa part, le défendeur fait valoir que l’agent n’a pas porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale. Le défendeur soutient également que le degré d’équité procédurale en l’espèce se situe à l’extrémité inférieure du spectre (Kindie c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 850, au paragraphe 5). Le défendeur invoque également la décision Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1377, au paragraphe 30, dans laquelle la Cour a statué qu’« [i]l n’y a[vait] pas eu de manquement à l’équité du fait que l’agent[…] des visas n’a[vait] pas communiqué tous ses doutes [au demandeur] ou ne lui a[vait] pas accordé la possibilité de dissiper ses doutes »
.
[17]
Le défendeur fait également valoir qu’il incombe au demandeur de fournir à l’agent des visas tous les renseignements et les documents pertinents pour l’examen de sa demande de VRT. Le défendeur fait par conséquent valoir que le demandeur aurait dû fournir des explications supplémentaires concernant l’emploi qu’il avait fait dans le passé de documents frauduleux. Le défendeur fait en outre valoir que la loi n’accorde pas au demandeur de droit à une entrevue.
[18]
Le défendeur fait également valoir que la décision de l’agent est raisonnable, compte tenu de l’ensemble de la preuve au dossier. L’agent n’avait aucune obligation de faire mention de chaque élément de preuve dans sa décision et ses motifs. Le défendeur soutient que « l’obligation d’un agent de motiver sa décision dans l’évaluation d’une demande de visa de résident temporaire est minime »
(Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 465, au paragraphe 21). Par conséquent, il était raisonnable de la part de l’agent de seulement exprimer des réserves sur l’objet de la visite du demandeur et sur son interdiction de territoire pour fausse déclaration. D’après le défendeur, de telles conclusions constituent simplement une appréciation de la force probante de la preuve, ce qui relève de la discrétion et de l’expertise de l’agent des visas, plutôt qu’une entrave à son pouvoir discrétionnaire.
[19]
Le défendeur fait remarquer que les observations écrites du demandeur témoignent uniquement de son désaccord quant au poids que l’agent a attribué à la preuve. Il n’appartient pas à la Cour de procéder à une nouvelle appréciation de la preuve. Il incombait au demandeur de démontrer qu’il allait quitter le Canada à la fin de sa période de séjour autorisée (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 526, au paragraphe 32).
[20]
Le défendeur soutient également que « les antécédents en matière d’immigration sont les meilleurs indicateurs de la probabilité qu’un demandeur respecte les lois à l’avenir »
(Calaunan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1494, au paragraphe 28). Il était donc raisonnable de la part de l’agent de conclure que le demandeur ne se conformerait probablement pas à la LIPR et à son règlement à l’avenir en raison du fait qu’il avait déjà présenté des documents frauduleux.
C.
La réponse
[21]
Le demandeur n’est pas d’accord avec le défendeur en ce qui concerne son interdiction de territoire antérieure pour fausse déclaration. Le demandeur fait valoir qu’il n’aurait pas pu raisonnablement prévoir les réserves de l’agent quant à sa fausse déclaration antérieure, surtout que sa période d’interdiction de territoire était expirée (Popova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 326; Gu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 522).
VI.
Analyse
[22]
Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant de donner au demandeur l’occasion de dissiper ses doutes.
A.
Y a‑t‑il eu manquement à l’équité procédurale à l’égard du demandeur, vu que l’agent ne lui a pas donné l’occasion de répondre à ses réserves?
[23]
Dans le contexte de la présente demande, la Cour vient à la conclusion que la question de l’équité procédurale est déterminante, puisqu’elle est directement liée aux réserves de l’agent quant à l’objet de la visite du demandeur au Canada et à ses documents frauduleux antérieurs.
[24]
Dans ses motifs, l’agent a indiqué qu’il n’était pas convaincu que le demandeur avait une raison crédible de venir temporairement au Canada. L’agent était préoccupé par l’intention véritable du demandeur de visiter le Canada. D’une part, à l’appui de sa demande de VRT datée du 15 décembre 2017, le demandeur avait produit de la preuve, y compris une lettre d’invitation d’un intermédiaire financier, concernant son voyage d’exploration au Québec. D’autre part, le demandeur avait antérieurement déposé une demande de VRT dans laquelle il avait expressément mentionné son intention de visiter l’Ontario. Cette confusion a incité l’agent à s’inquiéter de l’objet de la visite du demandeur, ce qui a également entaché directement la crédibilité de celui‑ci. Le demandeur avait précédemment présenté une demande de VRT afin de visiter l’Ontario, laquelle avait été rejetée en raison de ses antécédents de voyage, de ses liens familiaux au Canada et dans son pays de résidence, de même que de l’objet de sa visite. Quand le demandeur a ensuite présenté une demande dans le cadre du Programme d’immigration des investisseurs du Québec, c’était dans l’intention de faire ultérieurement un voyage d’affaires exploratoire au Québec. Le demandeur n’aurait pas pu prévoir chaque réserve exprimée par l’agent, surtout lorsque cela touchait sa demande de VRT antérieure. « Il existe des circonstances où un agent des visas est tenu d’informer un demandeur des doutes soulevés par sa demande, même si ces doutes proviennent de la propre preuve du demandeur »
(Popova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 326, au paragraphe 11). [Non souligné dans l’original.]
[25]
Bien que « l’obligation d’équité procédurale à laquelle sont soumis les agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du spectre »
(Asl c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1006, au paragraphe 23), la Cour conclut que l’agent a commis une erreur susceptible de contrôle en omettant de donner au demandeur la possibilité de répondre aux réserves de l’agent au sujet de sa crédibilité :
Il ressort clairement de l’examen du contexte factuel des décisions mentionnées ci‑dessus que, lorsque les réserves découlent directement des exigences de la loi ou d’un règlement connexe, l’agent des visas n’a pas l’obligation de donner au demandeur la possibilité d’y répondre. Lorsque, par contre, des réserves surgissent dans un autre contexte, une telle obligation peut exister. C’est souvent le cas lorsque l’agent des visas a des doutes sur la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité de renseignements fournis par le demandeur au soutien de sa demande, comme dans Rukmangathan, ainsi que dans John et Cornea, deux décisions citées par la Cour dans Rukmangathan, précitée. [Non souligné dans l’original.]
(Hassani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1283, au paragraphe 24)
[26]
Dans le même ordre d’idées, la Cour arrive à la conclusion que le demandeur aurait dû avoir la possibilité d’expliquer sa fausse déclaration antérieure dans le cadre de la présentation de documents frauduleux. Là encore, la réserve de l’agent au sujet des documents frauduleux du demandeur n’aurait pas pu être prévue par le demandeur, étant donné que cette question n’avait pas été abordée dans l’évaluation de sa demande de VRT précédente. En outre, la Cour fait remarquer que l’agent a reconnu que la période d’interdiction de territoire du demandeur pour fausse déclaration était déjà expirée. Compte tenu de l’expiration de la période d’interdiction de territoire, la Cour est d’avis que le demandeur n’avait aucune raison de croire que son interdiction de territoire pour fausse déclaration (qui n’existait plus) aurait des répercussions sur sa nouvelle demande de VRT datée du 15 décembre 2017, surtout qu’il ne s’agissait pas d’une réserve que l’agent des visas précédent avait soulevée dans le cadre de la demande de VRT antérieure du demandeur. La Cour conclut donc que l’agent a aussi omis de donner au demandeur l’occasion de répondre à sa réserve découlant de son interdiction de territoire passée.
[27]
Compte tenu des motifs qui précèdent, la Cour conclut qu’il n’est pas nécessaire de décider si la décision de l’agent était raisonnable.
VII.
Conclusion
[28]
La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de l’agent est annulée, et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
JUGEMENT dans le dossier no IMM‑713‑18
LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvelle décision. Aucune question de portée générale n’est certifiée.
« Paul Favel »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 17e jour de janvier 2019
C. Laroche, traducteur
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM‑713‑18
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INTITULÉ :
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SYED FURQAN MUJTABA HAFIZ c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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LIEU DE L’AUDIENCE :
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Toronto (Ontario)
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DATE DE L’AUDIENCE :
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LE 3 octobre 2018
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JUGEMENT ET MOTIFS :
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LE JUGE FAVEL
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DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :
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LE 18 décembre 2018
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COMPARUTIONS :
Naseem Mithoowani
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POUR Le demandeur
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Judy Michaely
|
POUR Le défendeur
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Naseem Mithoowani
Waldman & Associates
Toronto (Ontario)
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POUR Le demandeur
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR Le défendeur
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