Date : 20181204
Dossier : IMM‑271‑18
Référence : 2018 CF 1218
[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]
Toronto (Ontario), le 4 décembre 2018
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE :
|
ANGELICA HENSON
|
demanderesse
|
et
|
LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
[1]
Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], relativement à une décision datée du 11 janvier 2018 par laquelle un agent d’immigration principal [l’agent] a refusé la demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire de la demanderesse. Comme il est expliqué ci‑après, je suis d’avis que la demanderesse a démontré à la Cour pourquoi cette décision est déraisonnable.
I.
LE CONTEXTE
[2]
La demanderesse, Angelica Henson, est citoyenne des Philippines. Elle est arrivée au Canada en 2004 et a obtenu un permis de travail à titre d’aide familiale résidante. Son permis de travail a été renouvelé en 2005 et prolongé jusqu’en 2007. Elle est retournée aux Philippines à deux reprises : pour se marier en 2005 et pour des vacances en 2007. Plusieurs mois après être revenue au Canada, elle a donné naissance à sa fille, une citoyenne canadienne qui aura bientôt 11 ans.
[3]
Depuis l’expiration de son permis de travail en 2007, la demanderesse a tenté d’obtenir par divers moyens – sans succès toutefois – tant la résidence permanente que la résidence temporaire. Les demandes de résidence permanente qu’elle a présentées en 2008 et en 2010 par l’intermédiaire du Programme des aides familiaux résidants ont été rejetées parce qu’elle ne répondait pas aux conditions d’admissibilité de ce programme. Par la suite, elle a présenté une demande de permis de séjour temporaire et une demande de permis de travail, qui ont toutes deux été refusées.
[4]
En 2012, elle a présenté une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui a été refusée. L’autorisation de soumettre ce refus à un contrôle judiciaire a été accordée, mais la demande de contrôle judiciaire a finalement été rejetée.
[5]
Un rapport fondé sur l’article 44, qui la déclarait interdite de territoire en application de l’article 41 de la LIPR, a été rédigé en 2014, et une mesure de renvoi a été prise. L’examen des risques avant renvoi de la demanderesse a été refusé.
[6]
En 2016, la demanderesse a présenté une deuxième demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, qui a elle aussi été refusée. Elle a obtenu l’autorisation de soumettre ce refus à un contrôle judiciaire par la voie d’une ordonnance rendue sur consentement en 2017, à la suite de quoi sa demande a été envoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.
[7]
Le deuxième agent a lui aussi refusé la demande. Une fois de plus, la demanderesse a obtenu l’autorisation de soumettre ce second refus à un contrôle judiciaire par la voie d’un jugement sur consentement. Conformément à cette deuxième ordonnance sur consentement, la demande a été transmise à un troisième agent en vue d’une nouvelle décision, et c’est cette décision [la décision de l’agent] qui constitue le fondement de la présente demande de contrôle judiciaire.
[8]
Comme il s’agit de la troisième fois que la présente demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est soumise à la Cour, après avoir été renvoyée à un agent et refusée par lui pour la troisième fois, ce qui suit est un sommaire détaillé de la décision de l’agent, de façon à établir clairement pourquoi l’affaire est renvoyée à un quatrième agent.
II.
LA DÉCISION FAISANT L’OBJET DU PRÉSENT CONTRÔLE
[9]
L’agent a pris en compte les déplacements de la demanderesse entre les Philippines et le Canada et il a conclu qu’elle avait résidé au Canada pendant une période d’environ 13 ans. Il a pris en considération les antécédents professionnels de la demanderesse au Canada et a fait remarquer que celle‑ci est sans travail depuis longtemps (depuis 2008).
[10]
L’agent a évalué les conditions de vie de la demanderesse et a déterminé que celle‑ci vit chez une amie sans payer de loyer. De plus, il a conclu que cette même personne lui verse des paiements réguliers à des fins de subsistance et d’agrément et, par ailleurs, qu’elle a des amis qui lui procurent à l’occasion des vêtements, de la nourriture et de l’argent.
[11]
Se fondant sur la conclusion que la demanderesse dépend de ses amis pour subvenir à ses besoins, l’agent a conclu que celle‑ci n’est pas autonome : ses soldes bancaires systématiquement bas et sa dépendance envers des amis l’ont amené à conclure que la demanderesse n’a pas montré qu’elle a de sains pratiques de gestion financière. Ce fait a milité contre la conclusion que la demanderesse s’était établie au Canada.
[12]
L’examen de lettres de soutien ainsi que la participation de la demanderesse dans sa collectivité militaient en faveur de l’établissement de la demanderesse au Canada. L’agent a toutefois noté qu’il fallait s’attendre à ce degré d’établissement de la part d’une personne qui avait vécu 13 ans au Canada.
[13]
L’agent a ensuite pris en compte l’intérêt supérieur de la fille de la demanderesse. Il a fait état de l’inquiétude de la demanderesse quant au fait que le père de l’enfant, qui vit aux Philippines, lui enlèverait sa fille, mais il a conclu que cette inquiétude était de nature conjecturale et que la garde parentale de la fille est une affaire qu’il revient à un tribunal de la famille de trancher.
[14]
L’agent a fait état de la préoccupation de la demanderesse selon laquelle le fait que sa fille ne parle pas le tagalog lui causera des problèmes. Tout en reconnaissant que cela pourrait compliquer son intégration et sa réinstallation à l’étranger, l’agent a fait remarquer qu’aux Philippines l’anglais est une langue officielle. De plus, il a conclu que la fille pouvait communiquer en anglais avec certains membres de la famille se trouvant aux Philippines.
[15]
L’agent a examiné l’état du système d’éducation aux Philippines. Plus précisément, il a évalué les prétentions de la demanderesse selon lesquelles les écoles dans ce pays sont coûteuses et de piètre qualité. Il a fait état du manque de preuves selon lesquelles la demanderesse ne serait pas en mesure d’envoyer sa fille dans une école publique. L’agent a conclu qu’en dépit de la piètre qualité du système d’éducation des Philippines la fille pourrait revenir au Canada pour y étudier grâce à sa citoyenneté canadienne.
[16]
L’agent a ensuite examiné les perspectives de réinstallation de la demanderesse aux Philippines. Il a fait état de l’argument de cette dernière selon laquelle il y a un manque de possibilités économiques dans ce pays et qu’elle subirait les effets préjudiciables de la discrimination fondée sur l’âge, étant donné que cette forme de discrimination dans les pratiques d’embauche est généralisée aux Philippines. Il a toutefois conclu que l’éducation, l’instruction et les antécédents professionnels de la demanderesse aux Philippines étaient des facteurs atténuants, tout comme sa capacité de s’exprimer en tagalog et en anglais. Sa réinstallation pourrait être difficile, mais elle serait facilitée par sa résilience et sa capacité d’adaptation.
[17]
Enfin, l’agent a jugé que la demanderesse n’avait pas eu de statut d’immigrant valide pendant la majeure partie du temps qu’elle avait séjourné au Canada, ce qui était un facteur défavorable dans l’évaluation. Dans le même ordre d’idées, il a conclu qu’elle avait initialement travaillé au Canada en sachant qu’elle n’était pas autorisée à le faire, et qu’il s’agissait là d’un facteur défavorable qui avait un poids considérable. Elle n’avait pas quitté le Canada au moment requis, même si on l’avait avisée de le faire à de multiples reprises, et il a conclu qu’il s’agissait là d’un facteur défavorable sérieux, qui comportait un poids considérable.
[18]
L’agent a conclu que les facteurs favorables que comportait la demande ne l’emportaient pas sur les facteurs défavorables, et il a refusé la demande.
III.
LA QUESTION EN LITIGE ET L’ANALYSE
[19]
La présente demande de contrôle judiciaire ne soulève qu’une seule question en litige : celle de savoir si la décision est raisonnable, ce qui est la norme de contrôle applicable en l’espèce (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy], au paragraphe 44). La demanderesse soutient que la décision de l’agent est déraisonnable à cause de trois des raisons centrales données par l’agent : i) la discrimination fondée sur l’âge, ii) l’établissement et iii) l’interdiction de territoire. Je conviens que l’analyse que l’agent a faite de ces trois points comporte des lacunes qui, du fait de leur importance cruciale pour le refus, font que sa décision est déraisonnable.
A.
Les difficultés
[20]
La demanderesse soutient que l’agent a déterminé de manière déraisonnable qu’elle serait en mesure de s’établir de nouveau aux Philippines, compte tenu des éléments de preuve qui ont été fournis à propos de son profil et de la discrimination à laquelle elle serait exposée du fait son âge. Elle a fourni des preuves objectives importantes sur ce point, y compris les pratiques d’embauche aux Philippines, en affirmant qu’elle se heurterait à des difficultés s’il lui fallait présenter une demande depuis l’étranger, et que cela causerait également des difficultés à sa fille. Elle a aussi expliqué qu’elle n’avait pas de liens avec les Philippines, en raison des 13 années qu’elle avait passées au Canada, ainsi que son emploi antérieur. Elle a fourni aussi une preuve émanant des membres de sa famille aux Philippines, qui indiquait que ceux‑ci ne pourraient pas subvenir à ses besoins.
[21]
L’agent a néanmoins conclu que les frères de la demanderesse travaillent et qu’il n’existe aucune preuve de pauvreté. Et, même en reconnaissant la discrimination fondée sur l’âge et le chômage élevé aux Philippines, l’agent a conclu que les liens familiaux de la demanderesse, son emploi antérieur et ses antécédents dans ce pays atténueraient ces difficultés.
[22]
La demanderesse m’a convaincu, et ce, pour les raisons suivantes.
[23]
Premièrement, le raisonnement de l’agent est illogique : le fait que la demanderesse dise qu’il lui sera impossible de trouver du travail pour subvenir aux besoins de sa fille, et la preuve sur laquelle cet argument est fondé, n’ont pas été examinés. L’agent se livre plutôt à un raisonnement dépourvu de logique, se servant du fait que ses frères travaillent pour étayer la thèse selon laquelle la demanderesse bénéficiera d’un soutien dans le pays, malgré une preuve claire du contraire de la part des membres de sa famille.
[24]
Deuxièmement, le fait que la demanderesse parle le tagalog ne règle pas le problème qu’a relevé l’agent quant aux défis combinés que représentent la discrimination fondée sur l’âge et le chômage. Après avoir signalé ces deux défis, l’agent n’a pas expliqué en quoi la maîtrise de la langue aurait pu surmonter les difficultés que créent ces réalités sociales, vu le profil de la demanderesse, soit celui d’une personne à la recherche d’un travail, âgée de plus de 40 ans et absente du marché du travail depuis plus de 13 ans. Le fait qu’elle parle le tagalog ne répond ni à la preuve que la demanderesse a présentée ni aux difficultés auxquelles elle serait confrontée, selon elle, en présentant une demande depuis l’étranger. De plus, le fait que sa fille et elle puissent bénéficier du soutien affectif de membres de la famille aux Philippines, ce que signale l’agent, ne répond pas à sa préoccupation sous‑jacente quant à la possibilité de trouver un emploi et de subvenir aux besoins de sa fille âgée de près de 11 ans, qui aura besoin de cours spécialisés pour pouvoir s’intégrer à une culture et à une langue étrangères. Cette enfant canadienne âgée de 11 ans n’est jamais allée aux Philippines, et elle ne parle pas le tagalog.
[25]
Enfin, l’agent signale que les frères de la demanderesse ont trouvé du travail. Pourtant, leurs profils sont tout à fait différents du sien, car ils travaillent depuis de nombreuses années aux Philippines. Ils n’essaient pas de réintégrer le marché du travail après avoir passé 13 ans à l’étranger, et ils ne sont pas des parents célibataires ayant une fille canadienne. Le fait qu’ils ne vivent peut‑être pas dans la pauvreté (et la preuve est loin d’être concluante sur ce point) a peu à voir avec le profil de difficultés particulier que la demanderesse a présenté à l’agent.
[26]
Il incombait en fin de compte à l’agent d’évaluer les difficultés de la demanderesse en se fondant sur son profil particulier. L’arrêt Kanthasamy enseigne qu’un agent doit examiner la situation personnelle du demandeur à la lumière de la situation générale du pays. Dans cet arrêt, la juge Abella, s’exprimant au nom de la majorité, a décrété que la démarche de l’agente n’a pas « [tenu] compte du fait que la discrimination peut être inférée lorsqu’un demandeur établit qu’il appartient à un groupe qui est victime de discrimination »
(au paragraphe 53). Ici aussi, l’agent n’a pas effectué cette évaluation de manière appropriée.
[27]
Je signale que ce n’est pas la première fois qu’un agent omet d’examiner les preuves relatives à la situation du pays dans le contexte d’une demande visant la prise de mesures pour des motifs d’ordre humanitaire. La lettre la plus récente faisant état de l’entente relative au jugement sur consentement indique que la deuxième décision fondée sur des motifs d’ordre humanitaire contenait des erreurs dans [traduction] « l’analyse de la situation du pays, relativement à la discrimination fondée sur l’âge »
. Dans la décision la plus récente, celle qui fait l’objet du présent contrôle, l’agent a commis une erreur semblable.
B.
L’établissement
[28]
Ensuite, l’agent a conclu que la demanderesse n’avait pas atteint un niveau d’établissement exceptionnel :
[traduction]
D’après les renseignements et les éléments de preuve qui m’ont été soumis, je suis d’avis que l’intéressée a fait état d’un degré attendu d’établissement au Canada pour une personne qui réside au pays depuis plus de 10 ans. Je ne suis pas d’avis que le degré d’établissement dont l’intéressée fait preuve est exceptionnel.
[29]
L’agent indique clairement que le degré d’établissement de la demanderesse se situe en deçà de ce que l’on considérerait comme exceptionnel, mais sans mentionner ce qui serait considéré comme exceptionnel. Une analyse semblable a été jugée lacunaire dans la décision Chandidas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 258, où la juge Kane a conclu que l’agent n’avait pas expliqué de manière suffisante sa conclusion concernant la question de l’établissement :
[80] […] L’agent a examiné en détail le degré d’établissement des membres de la famille en parlant de leur travail, de leur revenu, des attaches familiales, des cours suivis, des établissements d’enseignement fréquentés et de leur participation à la vie de la collectivité dans divers passages de sa décision. L’agent ne précise pas en quoi consisterait pour lui un établissement extraordinaire ou exceptionnel. Il se contente d’affirmer que c’est ce à quoi il s’attendrait […]
[30]
Dans le même ordre d’idées, dans la présente affaire, l’agent n’a donné aucune indication de ce qui serait « exceptionnel »
.
[31]
La demanderesse a présenté à l’agent une preuve importante de son établissement au Canada depuis plus de 13 ans, dont des lettres de soutien, des détails sur son travail antérieur (à l’époque où elle détenait un permis de travail), son engagement dans la collectivité, y compris sa participation aux activités de son Église, de même que son intégration générale dans sa collectivité grâce à sa participation aux activités de sa fille.
[32]
Je suis conscient qu’il ressort de la jurisprudence que le degré d’établissement n’est pas suffisant à lui seul pour justifier une dispense sous le régime du paragraphe 25(1) de la LIPR (D’Souza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 264, au paragraphe 13), mais comme l’agent a cité d’autres facteurs favorables, tels que l’intérêt supérieur de l’enfant de la demanderesse, il aurait pu arriver à un résultat différent au sujet de la prise de mesures pour des motifs d’ordre humanitaire après avoir effectué une analyse appropriée de la question de l’établissement.
C.
L’interdiction de territoire
[33]
Enfin, je conclus que l’agent a commis une erreur en mettant l’accent sur l’interdiction de territoire de la demanderesse, y compris sur ses difficultés financières. Il a évoqué le concept de l’interdiction de territoire pour des motifs d’ordre financier dans le passage suivant de sa décision :
[traduction]
Je conclus de plus que l’intéressée n’a pas fait état de saines pratiques de gestion financière au Canada. Je signale que l’on s’attend à ce que les étrangers présents au pays soient financièrement indépendants, faute de quoi ils peuvent être interdits de territoire au Canada pour des motifs d’ordre financier.
[Non souligné dans l’original.]
[34]
Cette conclusion présente deux problèmes fondamentaux. Premièrement, il est entendu que de nombreuses personnes qui demandent la prise de mesures pour des motifs d’ordre humanitaire peuvent être interdites de territoire : si ce n’était pas le cas, la dispense prévue à l’article 25 serait illusoire. Pour ce qui est de la question des affaires financières, l’agent a fait remarquer ce qui suit :
[traduction]
[…] il y a peu de renseignements ou de preuves que l’intéressée a demandé ou reçu une aide sociale au Canada. Cependant, étant donné que l’intéressée subvient financièrement à ses besoins et à ceux de sa fille grâce à la générosité de ses amis, je conclus qu’elle n’est pas autonome au Canada. De ce fait, compte tenu de son manque d’autonomie et des renseignements qui figurent dans ses relevés bancaires, je conclus que l’intéressée n’a pas montré qu’elle a de saines pratiques de gestion financière au Canada. Je suis donc d’avis qu’il s’agit là d’un aspect défavorable de son établissement au Canada.
[Non souligné dans l’original.]
[35]
Cependant, la demanderesse n’a pas été autorisée à travailler au Canada depuis 2008, date à laquelle son permis de travail a expiré. Elle a par la suite tenté de régler son statut à plusieurs reprises, ce qui lui aurait permis de travailler de nouveau. Elle a fait valoir qu’en raison de la perte de son autorisation de travail, la seule façon de survivre financièrement a été de compter sur des amis généreux. Ses autres choix auraient été de présenter une demande d’aide sociale ou d’exercer un travail non autorisé, et l’une ou l’autre de ces deux options, soutient‑elle, aurait été retenue contre elle lors d’instances ultérieures, dont la présente demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.
[36]
Je conviens qu’il était donc déraisonnable de la part de l’agent de reprocher à la demanderesse son manque d’autonomie et sa mauvaise gestion financière, vu les autres possibilités qui s’offraient à elle. La demanderesse avait présenté une demande d’autorisation de travail dans l’espoir de pouvoir travailler légalement, mais cette demande a été refusée. La demanderesse se trouvait donc dans une situation sans issue.
[37]
Une décision concernant une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire a pour but de décider si une personne doit être autorisée à contourner les exigences habituelles de la loi, qui peuvent inclure une interdiction de territoire. Dans le cas présent, le fait de s’attacher à une éventuelle interdiction de territoire pour des motifs d’ordre financier (une conclusion qui n’a pas été réellement tirée) a empêché l’agent d’effectuer cet exercice de manière impartiale et d’évaluer sérieusement l’affaire.
[38]
En l’espèce, comme l’a conclu le juge de Montigny dans la décision Sultana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 533, au paragraphe 30, les facteurs favorables ont fini par être envisagés en fonction de la conduite antérieure qui a nécessité au départ le recours à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Autrement dit, si la demanderesse avait eu l’autorisation de travailler – comme elle l’a eu quand elle est arrivée au Canada dans le cadre du Programme des aides familiaux résidants – elle n’aurait pas mal géré financièrement ses affaires. Si l’on considère la demande sous cet angle, la prise de mesures pour des motifs d’ordre humanitaire, une option qui est offerte en matière d’immigration, s’est perdue parmi d’autres considérations. Les arbres ont caché la forêt.
IV.
CONCLUSION
[39]
Pour les motifs susmentionnés, la décision de l’agent est viciée sur trois plans fondamentaux, soit l’évaluation i) des difficultés, ii) de l’établissement et iii) de l’interdiction de territoire. Ces lacunes font collectivement en sorte que la décision de l’agent est déraisonnable. Il s’agit maintenant de la troisième fois que la demande est renvoyée en vue d’une nouvelle décision.
JUGEMENT dans le dossier IMM‑271‑18
LA COUR STATUE :
La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.
L’affaire est renvoyée à un autre agent pour qu’il rende une nouvelle décision.
Aucuns dépens ne sont adjugés et aucune question n’est certifiée.
« Alan S. Diner »
Juge
Traduction certifiée conforme
Ce 9e jour de janvier 2019
Julie Blain McIntosh, traductrice
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
|
DoSSIER :
|
IMM‑271‑18
|
|
INTITULÉ :
|
ANGELICA HENSON c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ DU CANADA
|
||
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Calgary (Alberta)
|
||
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 14 NovembrE 2018
|
||
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LE JUGE Diner
|
||
DATE DES MOTIFS :
|
LE 4 DÉCEMBRE 2018
|
||
COMPARUTIONS :
Dorab Colah
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Athena Leblanc
|
POUR LE DÉFENDEUR
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Stewart Sharma Harsanyi
Calgary (Alberta)
|
POUR LA DEMANDERESSE
|
Procureur général du Canada
Edmonton (Alberta)
|
POUR LE DÉFENDEUR
|