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Date : 20181205

Dossier : IMM‑1592‑18

Référence : 2018 CF 1220

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 5 décembre 2018

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

NELSON RAUL GAMEZ BARRIENTOS

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), relativement à une décision, datée du 23 février 2018 (la décision), concernant un examen des risques avant renvoi (ERAR). À l’issue de l’ERAR, un agent principal d’immigration (l’agent) a conclu que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution, à un danger de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il était renvoyé au Honduras, faute d’éléments de preuve objectivement identifiables en ce sens.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Les faits

[3]  Le demandeur est un citoyen du Honduras qui sollicite l’asile au Canada en vertu de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. Il prétend être exposé à un risque de torture ou de traitements ou peines cruels et inusités au Honduras, notamment pour avoir refusé de collaborer avec des gangs criminels.

[4]  Les démêlés du demandeur avec le gang MS‑13 ont commencé à Tegucigalpa, en 1999, à l’époque où il était adolescent. Il soutient que des membres du MS‑13 extorquaient de l’argent en exigeant des droits de passage des gens qui passaient dans la rue. Il déclare qu’il n’avait pas les moyens de payer de tels frais, et qu’il faisait de son mieux pour éviter les membres du gang et donner des excuses, mais qu’un jour, ces individus lui avaient demandé de se joindre à eux pour qu’ainsi, sa famille et lui soient protégés et dispensés de l’obligation de payer les frais. Le demandeur repoussait son adhésion, en disant à des membres du gang qu’il n’était pas prêt à rejoindre celui-ci parce que ses parents en seraient mécontents. Il gagnait du temps, parce qu’il craignait les rites initiatiques sévères qu’il fallait subir pour intégrer le gang.

[5]  Entre sa première arrivée aux États-Unis et la dernière fois où il a fait l’objet d’une expulsion, en 2011, le demandeur a été expulsé à trois reprises. Il soutient que la première fois qu’il avait été renvoyé au Honduras depuis les États-Unis, il était allé vivre à El Porvenir, où il avait de la famille. Cet endroit était sûr, croyait-il; mais, dans le mois qui avait suivi son arrivée, des membres de sa famille l’avaient informé que des membres du gang posaient des questions à son sujet, si bien qu’il s’était enfui de nouveau pour les États-Unis. Lors de son séjour dans ce pays, il a été accusé à deux reprises d’infractions relatives à la drogue : une première fois en 2002, et une seconde en 2008, après quoi il a purgé une peine de six ans pour complot en vue de faire le trafic d’une substance désignée. Au cours de sa détention, le demandeur a appris la mort de son cousin, Milton Medardo Martinez Cruz, qui avait joint les rangs du MS‑13. Il croit que son cousin a été assassiné par des membres de son gang ou d’un gang rival.

[6]  En 2012, le demandeur a rencontré une femme au Honduras et il a commencé à vivre avec elle. Quand la famille de cette femme a découvert leur relation, elle a exigé que le couple se marie. Le demandeur a accepté parce qu’il craignait le père de cette femme, lequel, soutient‑il, était influent et dangereux.

[7]  En mai 2012, pendant que le demandeur était en train de jouer au soccer, il a entendu des coups de feu à proximité et quelqu’un qui l’appelait par son nom. Craignant que le MS‑13 soit une fois de plus à sa recherche, il a couru se cacher dans les montagnes voisines. Peu après l’incident, le demandeur a reçu des menaces de la famille de son épouse parce qu’il avait abandonné cette dernière. Il soutient qu’il devait payer de l’argent à la famille pour organiser un divorce. Le demandeur a donc fui de nouveau le Honduras.

[8]  Le 20 juillet 2012, le demandeur est arrivé au Canada et a sollicité l’asile trois jours plus tard.

[9]  Le 25 septembre 2012, le demandeur a appris que son père avait été victime d’une agression au Honduras pendant qu’il circulait sur sa motocyclette avec un passager. Le demandeur affirme que son père a été délibérément poussé hors de la route, et qu’il est aujourd’hui handicapé de façon permanente. Les membres de la famille du demandeur prétendent que son père a été pourchassé et agressé par un membre du gang qui pensait que le passager circulant avec lui sur la motocyclette était le demandeur.

[10]  Le 1er mai 2017, la demande d’asile du demandeur a été instruite par un tribunal de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Ce tribunal a rendu une décision de vive voix le même jour, et conclu que le demandeur était exclu de la protection accordée aux réfugiés, par application de l’alinéa 1Fb) de l’annexe de la Loi, car il y avait de sérieuses raisons de penser qu’il avait commis un crime grave de droit commun aux États-Unis avant d’arriver au Canada. Le demandeur a par la suite présenté une demande d’ERAR.

[11]  Le 23 février 2018, un agent principal d’immigration a rejeté l’ERAR après avoir conclu que le demandeur ne s’exposait pas à un risque de torture ou de peines ou traitements cruels et inusités s’il retournait au Honduras, car ce risque n’était pas étayé par suffisamment d’éléments de preuve objectivement vérifiables.

III.  Questions en litige

[12]  Le demandeur soulève deux questions dans le cadre de la présente demande :

  1. La décision de l’agent de refuser de lui accorder une audience était-elle raisonnable?

  2. L’évaluation de l’agent selon laquelle la preuve était insuffisante était-elle déraisonnable?

IV.  Norme de contrôle applicable

[13]  Pour ce qui est de la première question en litige, je me suis récemment penché sur le désaccord que l’on relève dans la jurisprudence. Ainsi, après avoir analysé la question en détail et pris en compte la jurisprudence, j’en suis arrivé à la conclusion que la question de savoir s’il y a lieu de tenir une audience ou non devrait être examinée en fonction de la norme de la décision raisonnable, laquelle norme appelle la retenue : Mavhiko c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2018 CF 1066, aux paragraphes 14 à 20. Cela dit, ni l’une ni l’autre des normes envisageables n’aurait une incidence sur l’issue de l’espèce.

[14]  Dans la mesure où l’évaluation de la preuve et les inférences à en tirer se situent au cœur même de l’expertise des agents d’ERAR, les conclusions de l’agent selon lesquelles la preuve n’était pas suffisante pour établir les faits allégués sont assujetties à la norme de la décision raisonnable, qui commande un degré élevé de déférence : Zdraviak c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 305, aux paragraphes 6 et 7, Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 54. La Cour ne devrait pas substituer à celles du décideur sa propre opinion et sa propre évaluation de la valeur probante des nouveaux éléments de preuve, à moins qu’il n’y ait eu une erreur des plus manifestes : Njeri c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 291, au paragraphe 11.

V.  Analyse

A.  L’agent a‑t‑il déraisonnablement fait siennes les conclusions que la SPR avait tirées au sujet de la crédibilité? Dans l’affirmative, a‑t‑il commis une erreur en omettant de tenir une audience?

[15]  Le demandeur fait valoir que, dans le cadre de son raisonnement, l’agent a fait siennes les conclusions défavorables que la SPR avait tirées au sujet de la crédibilité. Or l’argument du demandeur selon lequel la crédibilité a pu jouer un rôle quelconque dans la décision ne me convainc pas. L’agent a certes exposé les motifs de la SPR de manière assez détaillée, mais ces motifs étaient exceptionnellement exhaustifs et bien étayés à tous égards, un facteur qui, vu les détails fournis, appuie le caractère raisonnable de la décision. Par ailleurs, la décision par laquelle l’agent a rejeté la demande est manifestement fondée sur le caractère insuffisant de la preuve, comme il le réitère de manière continue tout au long des motifs et dans le résumé. Rien ne permet d’avancer qu’il aurait fallu tenir une audience, car les conclusions relatives à la crédibilité n’ont joué aucun rôle dans la décision de l’agent.

B.  L’évaluation des éléments de preuve par l’agent était-elle raisonnable?

[16]  Le demandeur soutient que l’agent a commis une erreur en accordant un poids négligeable au certificat médical de son père et au certificat de décès de son cousin, qu’il avait présentés afin de prouver l’existence d’un risque. Il maintient également que l’agent a commis une erreur en mettant en doute la preuve médicale parce que celle-ci ne faisait pas mention du passager. Toutefois, une preuve médicale concernant la nature des lésions qu’une personne a subies n’est généralement pas pertinente pour ce qui est d’établir l’existence d’un risque. Ces documents étaient en outre d’une utilité restreinte pour la thèse du demandeur. Ils confirmaient que le père du demandeur avait été impliqué dans un accident et que son cousin était mort, mais rien de ce qu’ils contenaient ne permettait à l’agent d’établir un lien entre ces incidents et les prétendus agents de persécution du demandeur. Ce dernier n’a pas démontré que les conclusions de l’agent à propos du certificat médical étaient déraisonnables.

[17]  Pour ce qui est de l’évaluation de la preuve d’expert, j’ai décrété antérieurement que, vu le fait que l’expertise des agents s’étend à l’évaluation des documents relatifs à la situation dans le pays, il n’est pas obligatoire d’admettre une preuve d’expert sur la question, parce que cela tend à usurper les fonctions de l’agent. En outre, une telle preuve ne devrait être admise que dans les cas nécessaires, en ce sens qu’elle fournit des informations qui dépassent vraisemblablement l’expérience ou la connaissance du décideur : Fadiga c Canada, 2016 CF 1157, au paragraphe 32. Néanmoins, l’agent d’ERAR a examiné, pour ensuite leur accorder un poids favorable, les opinions formulées dans les déclarations de Dawn Paley et de Jon Home Carter, de même que plusieurs documents de source indépendante portant sur la situation au Honduras. Ces documents ne pouvaient que traiter du fondement objectif de la crainte de persécution du demandeur, et cette preuve, considérée dans son ensemble, ne réfutait pas la présomption d’une protection de l’État.

[18]  Si l’on examine tous ces éléments de pair avec les autres rapports étatiques que le demandeur a soumis, on constate qu’il était loisible à l’agent de conclure que le demandeur aurait la possibilité de se prévaloir de la protection de l’État. Sa conclusion selon laquelle le demandeur aurait pu signaler l’incident aux autorités honduriennes ne peut être qualifiée d’erreur des plus manifestes. Il est demandé à la Cour de réexaminer ces évaluations, ce qu’elle ne peut pas faire. Le fait de ne pas avoir sollicité la protection de l’État est déterminant pour l’issue de l’affaire.

[19]  Il n’y a pas eu de rejet pur et simple des témoignages que constituaient les déclarations sous serment des témoins. L’agent les a pris en compte, et il leur a accordé peu de poids, car ils n’émanaient pas de sources désintéressées et impartiales, pas plus qu’ils n’étaient étayés par une preuve objective corroborante ou suffisante. La Cour a conclu qu’une preuve émanant d’un témoin qui a un intérêt personnel dans l’affaire peut être examinée aux fins d’établir quel poids lui accorder, car, pour avoir une grande valeur probante, cette preuve doit être habituellement corroborée : Ferguson c Canada, 2008 CF 1067. L’agent d’ERAR a ainsi évalué la valeur probante de la preuve, et il convient de faire montre de retenue à l’égard de cette analyse, car il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve, y compris son caractère suffisant, à moins que la décision soit tout à fait déraisonnable. Je ne peux conclure que le demandeur a établi que tel était le cas en l’espèce.

VI.  Conclusion

[20]  Pour les motifs qui précèdent, je conclus que la décision de l’agent était raisonnable. Il y a donc lieu de rejeter la demande. Il n’y a pas de questions à certifier.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑1592‑18

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’il n’y a aucune question à certifier.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de janvier 2019.

Julie‑Marie Bissonnette, traductrice agréée


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑1592‑18

INTITULÉ :

NELSON RAUL GAMEZ BARRIENTOS c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (COLOMBIE-bRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 SEPTEMBRE 2018

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DES MOTIFS :

LE 5 DÉCEMBRE 2018

COMPARUTIONS :

Douglas Cannon

POUR LE DEMANDEUR

 

Helen Park

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Cannon & Associates

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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