Date : 20181126
Dossier : T-581-18
Référence : 2018 CF 1183
Montréal (Québec), le 26 novembre 2018
En présence de madame la juge St-Louis
ENTRE :
|
JEAN-SYLVAIN CHARTRAND
|
demandeur
|
et
|
LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
défendeur
|
JUGEMENT ET MOTIFS
I.
INTRODUCTION
[1]
M. Jean-Sylvain Chartrand demande le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Section d’appel] rendue le 22 février 2018, confirmant la décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission].
[2]
En bref, la Section d’appel confirme la décision de la Commission d’imposer à M. Chartrand certaines conditions dans le cadre de sa libération d’office, dont celle l’assignant à résidence. Le demandeur a confirmé, lors de l’audience, que cette condition est la seule contestée devant notre Cour.
[3]
Au titre des redressements, M. Chartrand demande à la Cour d’accueillir sa demande, de déclarer la décision de la Section d’appel déraisonnable, de modifier les conditions qui ont été imposées dans le cadre de sa libération d’office et de retirer la condition de demeurer dans un endroit spécifique.
[4]
Pour les motifs exposés ci-dessous, la Cour rejettera la demande de contrôle judiciaire. En bref, la Cour conclut que (1) les décisions de la Section d’appel et de la Commission sont raisonnables; (2) l’argument selon lequel la Section d’appel aurait tiré des conclusions erronées basées sur des informations qui ne sont pas exactes, à jour et complètes n’est pas soutenu par la preuve au dossier; (3) le fait que la Section d’appel n’ait pas mentionné trois des faits soulevés devant elle n’invalide pas sa décision; et (4) la Cour n’a pas été convaincue qu’une évaluation psychologique du risque était requise en l’instance selon l’article 5 de la section 2.2 du Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires [Manuel des politiques], qu’une nouvelle telle évaluation était requise selon l’article 9 du même Manuel des politiques ou, subsidiairement, que la Section d’appel s’est basée sur l’évaluation psychologue de 2015 pour déterminer le risque que pose M. Chartrand.
II.
CONTEXTE
[5]
Depuis le 6 mai 2015, M. Chartrand purge sa troisième peine fédérale. Sa libération d’office était prévue pour le 5 mars 2018 et a été réalisée selon les conditions imposées par la Commission. L’expiration de son mandat est prévue pour le 5 août 2019.
[6]
Le 5 octobre 2017, en vue de cette libération d’office, le surveillant du Service correctionnel du Canada [le Service] signe une évaluation en vue d’une décision [EVD] et recommande à la Commission d’imposer à M. Chartrand un certain nombre de conditions, parmi lesquelles figurent l’assignation à résidence et l’obligation de déclarer toute fréquentation ou relation intime avec les femmes.
[7]
Ainsi, aux pages 8 à 11 de l’EVD, le surveillant énonce les facteurs traitant de l’assignation à résidence, prévus à l’article 5 de la section 5.1 du Manuel des politiques, et analyse la situation de M. Chartrand, lorsqu’elle s’y applique, pour chacun de ces facteurs.
[8]
Le 8 janvier 2018, la Commission rend sa décision et impose à M. Chartrand plusieurs conditions dans le cadre de sa libération d’office, dont celles de déclarer ses fréquentations intimes avec les femmes et de l’assigner à résidence. À cet égard, la Commission conclut qu’à défaut de la condition d’assignation à résidence, la perpétration par M. Chartrand d’une infraction visée à l’annexe I ou d’une infraction prévue aux articles 467.11, 467.12 ou 467.13 du Code criminel avant l’expiration légale de sa peine présentera un risque inacceptable pour la société (paragraphe 133(4.1) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 [la Loi]).
[9]
Le 19 janvier 2018, conformément au paragraphe 147(1) de la Loi, M. Chartrand interjette appel de la décision de la Commission auprès de la Section d’appel et conteste deux des conditions qui lui ont été imposées, soit l’obligation de déclarer ses fréquentations intimes avec les femmes et celle de l’assigner à résidence. Au titre des redressements, il demande que la libération d’office lui soit octroyée avec les modifications aux conditions demandées et sans assignation à résidence.
[10]
Il plaide alors que la Commission a commis une erreur de droit en imposant une assignation à résidence, alors que les critères pour y recourir ne sont pas remplis, et qu’elle a pris en compte des faits erronés ou incomplets, soit qu’il (1) n’a pas un comportement carcéral positif; (2) a été reconnu coupable de deux tests d’urine positifs; (3) est associé à des pairs criminalisés; (4) a des antécédents judiciaires de violence conjugale; (5) a demandé le divorce après avoir su que son ex-femme était enceinte d’un autre homme; (6) se montre agressif verbalement; et (7) est stressé par les démarches auprès du Directeur de la protection de la jeunesse.
[11]
Le 22 février 2018, la Section d’appel rejette l’appel de M. Chartrand et confirme la décision de la Commission. En bref, elle estime que M. Chartrand n’a pas soulevé de motif qui puisse l’amener à intervenir et que la Commission a évalué de façon juste et équitable l’ensemble des facteurs dans le dossier en conformité avec la Loi. La Section d’appel juge la décision de la Commission raisonnable et supportée par des renseignements pertinents, fiables et convaincants.
[12]
Cette décision de la Section d’appel fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.
III.
POSITION DES PARTIES
A.
Position du demandeur
[13]
Au soutien de sa demande, M. Chartrand dépose un affidavit assermenté le 20 avril 2018, dans lequel il affirme notamment que : 1) il n’a été reconnu coupable que d’un seul test d’urine; 2) il ne possède aucun antécédent judiciaire de violence conjugale; 3) sa peine actuelle ne comporte aucun délit de violence; et 4) il a participé au programme de « Justice Réparatrice »
, aux rencontres d’Alcooliques Anonymes et à 81 des 90 séances du programme Multi-Cibles à Intensité Élevée. Son affidavit est accompagné de sept pièces, soit l’EVD, la décision de la Commission, ses représentations auprès de la Section d’appel, une décision de la Cour du Québec datant du 25 novembre 2016 et concernant les visites de ses enfants, la décision de la Section d’appel, une évaluation psychologique datant du 3 mars 2017 et son certificat de libération d’office.
[14]
M. Chartrand plaide que la Section d’appel a erré car elle (1) a tiré des conclusions erronées basées sur des informations qui ne sont pas exactes, à jour et complètes; (2) ne s’est pas prononcée sur des éléments soulevés dans ses représentations auprès de la Section appel, soit que la Commission a tenu compte de renseignements erronés par rapport aux antécédents de violence conjugale, au comportement agressif et à l’association à des pairs criminalisés; et (3) s’est basée sur une évaluation psychologique du risque qui date de 2015 et n’est plus valide.
(1)
La Section d’appel a tiré des conclusions erronées basées sur des informations qui ne sont pas exactes, à jour et complètes
[15]
En lien avec les conclusions erronées, M. Chartrand rappelle que la Cour doit analyser les décisions de la Commission et de la Section d’appel dans leur ensemble. Il souligne que l’imposition de conditions aux termes de l’article 133 de la Loi est assujettie à la norme de la décision raisonnable, mais que la retenue dont la Cour doit faire preuve face à l’expertise de la Commission n’est pas étanche et incontestable.
[16]
M. Chartrand souligne le contexte législatif imposé par la Loi. Il insiste sur l’article 24 de la Loi qui prévoit que le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.
[17]
Ainsi, M. Chartrand reprend les critères, prévus à l’article 5 de la section 5.1 du Manuel des politiques, quant à l’imposition d’une assignation à résidence, et il souligne que des renseignements erronés ou incomplets ont été utilisés dans le cadre de l’évaluation d’un critère ou encore qu’aucune information n’en permettait l’évaluation.
[18]
Ainsi, au titre des informations erronées, M. Chartrand allègue notamment que:
·
L’argument à l’effet que plusieurs délits contre la personne ont une connotation violente est basé sur les accusations de voies de faits en matière conjugale, alors que ces accusations n’ont pas entrainé de condamnations;
·
L’information selon laquelle il dénote peu d’ouverture envers son Équipe de gestion de cas (ÉGC), peut être arrogant et/ou devenir agressif verbalement n’est pas précisée et elle n’est donc pas validée, confirmée, sure ou convaincante;
·
La décision de la Cour du Québec du 25 novembre 2016 n’impose aucune condition particulière à M. Chartrand et il peut avoir des contacts en tout temps et sans supervision avec ses enfants et ce, selon toute entente entre lui et la Direction de la protection de la jeunesse. Le stress engendré est donc au bas de l’échelle et il est erroné de croire que cet aspect peut être une source de comportement violent;
·
La Section d’appel souligne que le risque de récidive se situe entre modéré et élevé, alors que la Commission fait plutôt référence à un risque modéré de récidive violente;
·
L’information sur les deux tests d’urine positifs est erronée puisque M. Chartrand s’est opposé au résultat du test de juillet 2017 et que depuis, l’accusation a été rejetée, alors que la Section d’appel reprend mot pour mot le contenu de l’EVD sans la corriger;
·
La conclusion que M. Chartrand n’est pas en mesure de mettre en application ses acquis se base uniquement sur son expulsion à deux reprises du programme Multi-Cibles du MPCI d’intensité élevée, alors que la décision de la Section d’appel ne mentionne pas les 92 séances qu’il a complétées et ne mentionne ses autres efforts que du bout des lèvres.
[19]
Ainsi, M. Chartrand soutient que la Cour doit intervenir puisque l’examen de tous les renseignements pertinents au dossier amène à conclure que la Commission et la Section d’appel n’ont pas exercé leur vaste pouvoir discrétionnaire d’une manière raisonnable, transparente ou intelligible.
(2)
La Section d’appel ne s’est pas prononcée sur plusieurs des motifs soulevés devant elle
[20]
En lien avec l’omission de la Section d’appel de se prononcer sur certains des motifs de son appel, M. Chartrand avance d’abord qu’il s’agit d’une question d’équité procédurale et qu’en conséquence, la norme de la décision correcte s’applique.
[21]
Il soutient que la Section d’appel a violé l’équité procédurale en ne nommant pas tous les motifs d’appel et en ne répondant pas à tous les points soulevés, certains pourtant au cœur de la justification de l’imposition de la condition d’assignation à résidence, tels que l’absence d’antécédents en matière de violence conjugale, les comportements agressifs allégués et l’association à des pairs criminalisés.
(3)
La Section d’appel s’est basée sur une évaluation psychologique du risque qui n’est plus valide
[22]
En lien avec l’évaluation psychologique du risque invalide, le demandeur soutient que la norme de la décision correcte s’applique également puisqu’il s’agit d’une question d’équité procédurale. Il soutient que l’article 7 de la sous-section 2.2 du Manuel des politiques octroie une période de validité de deux ans aux évaluations psychologiques du risque. Comme la Commission s’est fondée sur une évaluation datant de juillet 2015 pour imposer l’assignation à résidence, la Section d’appel a manqué à son obligation d’équité procédurale en confirmant la décision de la Commission et la Cour devrait accorder un nouvel examen (Demaria c Canada (Procureur général), 2017 CF 45 au para 31).
[23]
À l’audience, le demandeur a ajouté que son cas tombe sous l’égide de l’article 5 de cette section du Manuel des politiques, qu’une évaluation psychologique du risque était requise et que l’article 9 obligeait d’ailleurs la Commission à obtenir une nouvelle telle évaluation.
B.
Position du défendeur
[24]
Le défendeur s’appuie sur les documents du Dossier certifié du tribunal.
[25]
Le défendeur soutient que (1) l’imposition de l’assignation à résidence est raisonnable puisque tant la décision de la Commission que celle de la Section d’appel sont raisonnables; et (2) les arguments du demandeur ne démontrent pas que l’imposition de l’assignation à résidence est déraisonnable et ne justifient pas l’intervention de la Cour.
[26]
D’abord, le défendeur répond que la décision de la Commission d’imposer la condition d’assignation à résidence à la libération d’office du demandeur est raisonnable. En effet, la Commission a analysé l’ensemble des renseignements au dossier du demandeur, puis a conclu que la condition s’imposait. Les renseignements appuient les inférences tirées par la Commission, donc sa décision est raisonnable.
[27]
Ensuite, le défendeur soutient que la décision de la Section d’appel confirmant la décision de la Commission est également raisonnable. La Section d’appel a indiqué son rôle, identifié les motifs d’appel soulevés par le demandeur et analysé attentivement la décision de la Commission.
[28]
Finalement, le défendeur soutient que les arguments du demandeur sont infondés et ne démontrent pas que la condition d’assignation à résidence est déraisonnable.
[29]
Premièrement, en réponse à l’allégation du demandeur que la Section d’appel a tenu compte d’éléments de preuve inexacts et incomplets, le défendeur précise que la Commission est tenue de considérer « toute l’information pertinente disponible »
(Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 au para 21 [Mooring]), même les accusations dont le demandeur a été acquitté (Fernandez c Canada (Procureur général), 2011 CF 275 au para 26 [Fernandez]; Barrett c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CF 1030 aux para 32-33, 36 [Barrett]). De plus, la pertinence des démarches auprès de la Direction de la protection de la jeunesse doit être considérée en fonction du dossier global du demandeur (Migneault c Canada (Procureur général), 2004 CF 468 au para 21). Également, malgré la disparité entre les conclusions de la Section d’appel et la Commission sur le risque de récidive, il reste que le risque est au moins « modéré »
. De surcroît, les deux décisions reconnaissent les efforts du demandeur dans les programmes divers.
[30]
Deuxièmement, en réponse à l’allégation du demandeur que la Section d’appel n’a pas examiné tous ses motifs d’appel, le défendeur avance que la Section d’appel est présumée avoir considéré toute l’information disponible et que sa décision n’est pas déraisonnable du fait que certains motifs sont absents (Ross c Canada (Procureur général), 2011 CF 829 au para 26). Par ailleurs, son rôle n’est que de s’assurer que la décision de la Commission est fondée et appuyée par l’information disponible au moment de la prise de décision.
[31]
Troisièmement, en réponse à l’allégation du demandeur que l’évaluation psychologique du risque datant de 2015 viole l’équité procédurale, le défendeur plaide que seulement sept mois se sont écoulés depuis la fin de la période de validité de l’évaluation. La Section d’appel s’est également appuyée sur un Plan correctionnel datant de septembre 2017 et sur l’EVD d’octobre 2017. De plus, contrairement à ce que prétend le demandeur, l’assignation à résidence a été imposée en considérant l’ensemble de son dossier.
IV.
ANALYSE
A.
Questions en litige
[32]
Puisque M. Chartrand ne conteste que la condition d’assignation à résidence, la Cour doit déterminer s’il était raisonnable pour la Section d’appel de confirmer la décision de la Commission, « convaincue qu’à défaut de cette condition la perpétration par le délinquant de toute infraction visée à l’annexe I ou d’une infraction prévue aux articles 467.11, 467.12 ou 467.13 du Code criminel avant l’expiration légale de sa peine présentera un risque inacceptable pour la société »
(paragraphe 133(4.1) de la Loi).
[33]
Dans ce cadre, la Cour doit déterminer si les arguments de M. Chartrand sont fondés et si, tel qu’il le plaide, la Section d’appel (1) a tiré des conclusions erronées basées sur des informations qui ne sont pas exactes, à jour et complètes; (2) ne s’est pas prononcée sur plusieurs éléments soulevés dans ses représentations auprès de la Section d’appel; et (3) s’est basée sur une évaluation psychologique du risque qui n’est plus valide.
B.
Environnement législatif
[34]
Les articles 100 et 101 de la Loi traitent de l’objet et des principes de la mise en liberté sous condition, du maintien en incarcération et de la surveillance de longue durée. On peut notamment y lire que la protection de la société est le critère prépondérant appliqué par la Commission (article 100.1) et que la Commission doit tenir compte de toute l’information pertinente dont elle dispose (alinéa 101a)). Pour alléger le texte, les dispositions pertinentes sont reproduites en annexe.
[35]
Le paragraphe 24(1) de la Loi prévoit, quant à lui, que le Service est tenu de veiller, dans la mesure du possible, à ce que les renseignements qu’il utilise concernant les délinquants soient à jour, exacts et complets.
[36]
La libération d’office est régie par les articles 127 et suivants de la Loi et l’imposition de conditions particulières et l’assignation à résidence qui y sont liées sont régies par les paragraphes 133(3) et (4) à (4.4) de la Loi. Ainsi, pour assigner à résidence, la Commission doit être « convaincue qu’à défaut de cette condition la perpétration par le délinquant de toute infraction visée à l’annexe I ou d’une infraction prévue aux articles 467.11, 467.12 ou 467.13 du Code criminel avant l’expiration légale de sa peine présentera un risque inacceptable pour la société »
(paragraphe 133(4.1) de la Loi).
[37]
Pour évaluer ce risque, l’article 5 de la partie 5.1 du Manuel des politiques guide les commissaires à évaluer tous les renseignements pertinents pour déterminer le risque et à considérer, notamment, les facteurs suivants : (a) la propension à la violence; (b) les agents de stress et autres facteurs auxquels le délinquant sera soumis en liberté et qui pourraient être une source de comportement violent; (c) les renseignements contenus dans les rapports psychologiques; (d) les renseignements concernant les efforts déployés par le délinquant pour atténuer les risques de comportement violent; et (e) les renseignements sur le traitement ou programme suivi ou à suivre par le délinquant visant à prévenir la violence et les changements observables et mesurables qui y sont attribuables.
C.
Conclusions de la Section d’appel
[38]
Les parties s’entendent que les questions mixtes de fait et de droit sont assujetties à la norme de la décision raisonnable. Au surplus, lorsque la décision de la Section d’appel confirme la décision de la Commission, la Cour est aussi appelée à s’assurer, ultimement, de la légalité de la décision de la Commission
(Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384 au para 10).
[39]
Ainsi, la Cour examinera si les décisions sont justifiées, transparentes et intelligibles et si elles font partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47 [Dunsmuir]).
[40]
Les tribunaux ont reconnu que la Commission et la Section d’appel possèdent une compétence spécialisée en ce qui concerne les décisions relatives à la mise en liberté sous condition et qu’en conséquence, leurs conclusions de faits, ainsi que la façon dont elles appliquent les lois et règlements pertinents à ces faits appellent une grande retenue (Fernandez au para 20).
[41]
En bref, le demandeur n’a pas convaincu la Cour que les conclusions qu’a tirées la Section d’appel sont basées sur des informations erronées, inexactes, non à jour ou incomplètes. La Cour a examiné les allégations que M. Chartrand a soulignées dans son mémoire et a approfondi certaines préoccupations avec le demandeur lors de l’audience. Il ressort ainsi que :
La conclusion de la Commission selon laquelle plusieurs délits contre la personne ont une connotation violente n’est pas basée sur les accusations de voies de fait en matière conjugale, mais plutôt sur
« les condamnations pour vols qualifiés dont certains avec arme à feu, introduction par effractions, vols, défaut/omission de vous conformer à des engagements, trafic de stupéfiants et possession d’une carte de crédit »
(décision de la Commission à la page 4, 7e paragraphe);Au surplus et à tout évènement, la Commission peut considérer des accusations qui ont été retirées (Mooring au para 18; Barrett aux para 32-33; Fernandez au para 26);
L’information selon laquelle M. Chartrand dénote peu d’ouverture envers son ÉGC, peut être arrogant et/ou devenir agressif verbalement se retrouve à l’EVD (page 4, 2e paragraphe; page 9, 1er paragraphe; page 10, 5e paragraphe), dans le Plan correctionnel du 27 septembre 2017 (page 7), dans le rapport progressif du 5 juillet 2017 (page 5) et dans le rapport progressif du 4 octobre 2017 (page 20);
L’avocate du demandeur a confirmé à la Cour que les parties se sont maintenant entendues au sujet des visites auprès des enfants. Cependant, cette entente n’a pas été déposée, rien n’indique qu’elle ait été portée à la connaissance de la Commission et de la Section d’appel et son contenu n’est pas connu. Ainsi, vu la décision de la Cour du Québec du 25 novembre 2016, il paraît raisonnable pour la Commission et la Section d’appel de conclure que les contraintes entourant le souhait de M. Chartrand de voir ses enfants puissent engendrer un stress;
La Section d’appel et la Commission ne se contredisent pas sur le niveau de risque. Elles font plutôt référence à différentes sources pour situer le risque à modéré ou modéré/élevé. La Commission réfère à l’échelle d’information statistique sur la récidive [ISR], qui conclut à un risque de récidive
« modéré/élevé »
, et à l’EVD, qui détermine un risque« modéré de récidive violente »
. La Section d’appel réfère plutôt au Plan correctionnel du 27 septembre 2017 pour situer le risque« entre modéré et élevé »
.La Cour note, certes, que la Commission réfère au fait que M. Chartrand a été déclaré coupable de deux tests d’urine, que la Section d’appel cite la Commission à cet égard et qu’il aurait été préférable qu’elles utilisent un vocable différent. Ceci étant dit, la Section d’appel note que le tribunal disciplinaire ne s’est pas prononcé sur le deuxième rapport d’infraction et l’avocate du demandeur a confirmé que cette information était exacte au moment où la Section d’appel a rendu sa décision. L’utilisation d’un terme inadéquat dans ce contexte ne suffit pas à rendre la décision déraisonnable.
La conclusion que M. Chartrand n’est pas en mesure de mettre en application ses acquis se base sur les observations de l’ÉGC, qui mentionne tant les expulsions du programme Multi-Cibles que les réunions d’Alcooliques Anonymes, le programme de justice réparatrice et le suivi psychologique (page 6, 1er paragraphe de la décision; page 6, 8 et 11 de l’EVD). De plus, contrairement à ce que M. Chartrand plaide et à ce qu’il affirme dans son affidavit, il n’a participé qu’à 27 des 92 séances du premier programme MPCI à intensité élevé (page 7 du Plan correctionnel du 27 septembre 2017) et à 78 des 92 séances du deuxième programme (page 5 du rapport progressif du 5 juillet 2017).
[42]
La preuve au dossier ne soutient pas les arguments de M. Chartrand et la Cour ne peut conclure
que la Section d’appel
a tiré des conclusions erronées basées sur des informations qui ne sont pas exactes, à jour et complète, tel que le soutient M. Chartrand.
D.
Violation de l’équité procédurale en omettant de se prononcer sur des motifs d’appel
[43]
En ce qui a trait à l’équité procédurale, la Cour utilise habituellement la norme de la décision correcte. Cependant, la Cour d’appel fédérale a récemment traité de la façon d’approcher la question dans les décisions Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Canadien Pacifique] et Vavilov c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 132 (aux para 11 à 14). Selon ces décisions, la Cour n’applique pas de norme de contrôle à une question d’équité procédurale : elle doit plutôt se demander si le processus suivi était juste et équitable, en portant attention à la nature des droits en jeu et aux conséquences pour les individus touchés (Canadien Pacifique au para 54). En l’espèce, la distinction importe peu puisque l’intervention de la Cour n’est pas justifiée même sous la norme de la décision correcte.
[44]
En effet, M. Chartrand demande l’intervention de la Cour puisque la Section d’appel n’a pas traité de trois des faits, qu’il qualifie de motifs dans son mémoire, auxquels il a fait référence dans les représentations écrites qu’il lui a adressées. Or, la Cour suprême a confirmé que le « décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit-il, qui a mené à sa conclusion finale »
et que « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables »
(Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au para 16).
[45]
En l’instance, la Cour peut comprendre le fondement de la décision, et l’omission des faits auxquels réfère le demandeur n’est pas fatale.
E.
Violation de l’équité procédurale en se basant sur l’évaluation psychologique de 2015
[46]
Enfin, la section 2.2 du Manuel des politiques traite des évaluations psychologiques du risque et des évaluations psychiatriques requises. Son objet est de guider les commissaires concernant l’examen de ces évaluations en vue de la prise de décision.
[47]
L’article 5 de la section 2.2 prévoit que l’évaluation du risque est requise pour les examens sur les permissions de sortir, les examens pré libératoires de libération conditionnelle et les examens de maintien en incarcération. L’article 7 prévoit que l’évaluation psychologique du risque est considérée comme valide pendant une période de deux ans et l’article 9 prévoit la situation dans laquelle une nouvelle évaluation est nécessaire.
[48]
M. Chartrand plaide que la Commission et la Section d’appel basent leur évaluation du risque sur l’évaluation psychologique du risque de 2015 ou sur des documents qui la citent verbatim. Or, cette évaluation serait invalide puisqu’elle date de 2015 et la décision de la Section d’appel serait donc viciée de façon fatale.
[49]
Lors de l’audience, l’avocate du demandeur a ajouté (1) que la libération d’office est visée par l’article 5 de la section 2.2 du Manuel des politiques, en dépit du fait qu’elle n’y soit pas nommée, et qu’une évaluation psychologique du risque est donc bel et bien requise dans le cas de M. Chartrand; et (2) qu’une nouvelle évaluation psychologique aurait dû être obtenue selon l’article 9.
[50]
Malheureusement, l’évaluation psychologique de 2015 ne se trouve pas dans le dossier de la Cour. Les parties ont cependant confirmé que la seule information qui s’y trouve et qui est pertinente au présent litige est celle citée dans l’EVD, c’est-à-dire, que « le niveau de récidive violente est évalué à modéré et ce, dans une perspective à court, moyen et long terme »
. Les parties ont aussi confirmé que cette citation est exacte.
[51]
La Cour n’a pas été convaincue que la section 2.2 du Manuel des politiques s’applique au cas en l’instance vu le libellé de son article 5, ni qu’une nouvelle évaluation était nécessaire. Le demandeur n’a malheureusement déposé aucune décision pour soutenir ses arguments tardifs à cet égard.
[52]
Au surplus, il parait clair que ni la Commission, ni la Section d’appel n’ont basé leur évaluation du risque exclusivement sur l’évaluation de 2015.
[53]
En effet, la Commission a référé à l’ISR et a ajouté d’autres informations pertinentes pour déterminer que le risque demeure entier (page 7, 5e paragraphe de la décision de la Commission). La Section d’appel a spécifiquement mentionné que l’évaluation de 2015 datait de plus de deux ans et a plutôt référé au Plan correctionnel du 27 septembre 2017 pour déterminer que le risque de récidive se situe entre modéré et élevé.
[54]
La preuve au dossier ne soutient pas l’argument de M. Chartrand et la Cour n’interviendra
pas.
JUGEMENT au dossier T-581-18
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Les dépens sont accordés en faveur du défendeur.
« Martine St-Louis »
Juge
ANNEXE
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
a. la propension à la violence du délinquant, dont témoignent :
|
|
|
|
|
|
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
T-581-18
|
|
INTITULÉ :
|
JEAN-SYLVAIN CHARTRAND c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
|
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
Montréal (Québec)
|
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 15 novembre 2018
|
|
JUGEMENT ET motifs :
|
LA JUGE ST-LOUIS
|
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 26 novembre 2018
|
|
COMPARUTIONS :
Cynthia Chénier
|
Pour le demandeur
|
Simone Truong
|
Pour le défendeur
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Cynthia Chénier
Avocate
Montréal (Québec)
|
Pour le demandeur
|
Procureur général du Canada
Montréal (Québec)
|
Pour le défendeur
|